Imatges de pàgina
PDF
EPUB

mer (1), de poison pour accélérer un veuvage ou une succession, de boissons préparées pour ne pas concevoir? Tacite, révélateur implacable de cette dépravation, nous montre (pour ne parler que des crimes privés) dix-neuf mille condamnés à mort, combattant sur le lac Fucin lors de la folle naumachie de Claude. Quand cet empereur rétablit le supplice des parricides, il y eut en cinq ans plus de condamnations pour cet odieux forfait qu'il n'en avait été prononcé durant plusieurs siècles; et Sénèque assure avoir vu plus de sacs que de croix (2). Les supplices se reproduisaient si fréquemment, qu'on enleva les statues du lieu des exécutions, pour n'avoir pas à les voiler à tout moment. Quarante-cinq hommes et quatre-vingt-cinq femmes furent condamnés pour empoisonnement. Papirius, jeune homme de famille consulaire, tombe d'une fenêtre, et l'on en accuse sa mère, qui, répudiée depuis longtemps, avait poussé, à force de luxe et de séductions, ce jeune garçon à de tels désordres, qu'il échappa au remords en terminant ses jours. Lépida, fille des Émiliens, nièce de Sylla et de Pompée, accusée tout à la fois d'adultère, d'empoisonnement, de supposition d'enfant, de sortilége, se rend au théâtre escortée de toutes les nobles matrones; et, invoquant ses ancêtres et Pompée, elle met tant d'éloquence dans ses supplications, que le peuple poursuit de ses imprécations le mari accusateur. Elle est pourtant convaincue par la déposition de ses esclaves, et l'exil est prononcé contre elle. Plutarque nous dit : « Dans chaque famille il y a maints exemples d'enfants, de mères, de femmes tués; les fratricides sont << sans nombre; et c'est une vérité démontrée que, pour sa propre « sûreté, un roi doit tuer son frère. »

[ocr errors]

Voyez ce peuple dans les spectacles: ce qu'il veut, ce n'est pas le déploiement de l'adresse, de l'habileté, comme chez les Grecs, mais l'extraordinaire, mais les sensations violentes. Nous ne parlerons plus des gladiateurs et des bêtes féroces; mais sur le théâtre

(1) On lit à Brescia cette inscription, qui pourtant pourrait être supposée :

D. M. QUI ME VOLENT VALETE MATRONÆ MATRESQUE FAMILIAS VIXI ET ULTRA VITAM NIHIL CREDIDI ME VENERI ALUMNÆ ADDIXI QUOS POTUI PELLEXI FILTRIS ET ASTU VIRO HUMATO NON VIDUA FUI NEC MARITÆ NOMEN ADEPTA QUÆSO NE ME INVIDETE PORTIA FAMILIA EST VENERIS DOMUS ILLICIUM CUPIDINUM CAVE VIATOR NE ME DIU CALCATAM CALCES.

(2) Aux termes des lois faites sous les rois, le parricide était jeté dans le fleuve, enfermé dans un sac de cuir avec un chat, un serpent et un singe. Quand Né. ron eut fait tuer sa mère, on vit des sacs suspendus à ses statues.

même où l'on représente l'Incendie de l'ancien poëte Afranius, on met réellement le feu aux maisons, et les histrions sont autorisés à y porter le pillage (1). Le clément Marc-Aurèle fait paraître devant le peuple un lion élevé à manger des hommes; et il s'en acquitte de si bonne grâce, que le peuple prie tout d'une voix l'empereur de lui donner la liberté. Un Icare tombe réellement du ciel, et aussitôt un ours accourt le mettre en pièces. Un véritable supplice termine le drame de Lauréolus, qui est cloué sur la croix et dévoré par une bête féroce. On fait imiter à un esclave l'héroïsme de Mutius Scévola, et il est condamné à laisser réellement brûler la main qui s'est trompée. Martial raconte et admire de pareilles scènes (2); et c'était en les multipliant que les empereurs achetaient la liberté de ce peuple qui avait éteint la liberté partout.

Comment cette pudeur naïve que conserve une heureuse ignorance pouvait-elle durer dans Rome, où les enfants des deux sexes allaient pêle-mêle aux mêmes écoles; où l'on suspendait des priapes au cou des petites filles; où la ville et les maisons étaient remplies de nudités effrontées; où, dans les bains, jeunes, vieux, enfants, se trouvaient confondus avec jeunes filles et matrones (3)? On laissait lire sans difficulté aux jeunes filles les anciens comiques avec leurs impudentes obscénités (4). La mère assistait avec sa fille aux indé. centes réjouissances des Lupercales, aux danses des courtisanes en l'honneur de Flore, de même qu'aux théâtres, où les mimes représentaient l'ivresse de la prostitution, de l'adultère (5), exposaient complaisamment les charmes lascifs d'Ariane et de Danaé; où, bien plus, les amours de Pasiphaé se dénouaient dans leur réalité bru

[blocks in formation]

(5)

- PLINE, Hist. nat., XXXIII, 12.

Mimos obscæna jocantes

Qui semper ficti crimen amoris habent,

In quibus assidue cultus procedit adulter....

Nubilis hos virgo, matronaque, virque, puerque
Spectat, et e magna parte senatus adest.

Nec satis incestis temerari vocibus aures :
Adsuescunt oculi multa pudenda pati....
Luminibusque tuis (Auguste), totus quibus utimur orbis,
Scenica vidisti lentus adulteria.

Ov., Trist., II, 500 et suiv.

tale (1). Quelles pensées devaient accompagner de semblables spectacles, quels discours les suivre? quelles œuvres devaient-ils enfanter?

Comme la classe la plus nombreuse et la plus utile manquait, celle des cultivateurs libres et des petits propriétaires, il n'y avait que des riches et des pauvres, fuyant également le mariage: ceuxci par nécessité, ceux-là pour raffiner sur la volupté. Les uns et les autres, aux innocentes joies du ménage, douce compensation aux sacrifices de deux cœurs honnêtes, préféraient les orages d'un célibat licencieux et la facilité de caresses vénales. Que si, pour se soustraire à la sévérité de la loi Pappia-Poppéa, on se décidait à prendre femme, elle tardait peu à être répudiée ; et les divorces se multipliaient au point de rendre l'adultère légal (2). Si l'on n'avait pas recours au divorce, les fruits de l'hymen périssaient avant de naître; ou, d'après l'horrible usage de toute l'antiquité, les nouveau-nés étaient jetés sur la voie publique. En l'an 19 de J. C. le sénat défendait aux veuves, filles et petites-filles d'un chevalier romain, de se faire enregistrer par les édiles au nombre de celles qui trafiquaient de leurs charmes : étrange défense dont on ne devinerait pas le motif, si Suétone et Tacite (3) ne nous apprenaient que des femmes de bonne maison se déclaraient meretrices, pour échapper aux peines portées contre les débauchées.

Pouvait-on attendre autre chose aux lieux où régnait la courtisane Actéa; où la courtisane Poppée, femme à qui ne manquait que la vertu, accusait Octavie d'adultère, pour envahir sa couche?

[blocks in formation]

Et saint Jérôme vit à Rome quelqu'un qui enterrait sa vingt-unième femme, laquelle avait, à son tour, enterré vingt-deux maris.

(3) Tibère, 35.

[blocks in formation]

où les plus belles étaient poursuivies, comme le gibier dans les bois, pour réjouir une orgie de l'empereur, et être jetées le lendemain comme la couronne de pavots?

La pauvreté du grand nombre frappe davantage à côté de la Richesses. richesse démesurée de quelques-uns. Un citoyen, qui regrettait des pertes considérables éprouvées durant les guerres civiles, laissa en mourant quatre mille cent seize esclaves, trois mille six cents paires de bœufs, deux cent cinquante mille têtes d'autre bétail, et soixante millions de sesterces, sans compter la valeur des terres (1). Crispus, de Verceil, possédait deux cents millions de sesterces; le philosophe Sénèque, trois cents; l'augure Cnéius Lentulus, et Narcisse l'affranchi de Claude, quatre cents; Icelus, favori de Galba, en possédait bien plus encore; Pallas, autre affranchi de Claude, amassa tant de richesses, qu'en les réduisant en terres elles auraient formé la trois cent cinquante-cinquième partie de la France (2). Selon Pline, les biens confisqués par Néron à six riches propriétaires constituaient la moitié de l'Afrique proconsulaire (3). Plus tard, Vopiscus raconte qu'Aurélien mit, dans une maison de campagne du domaine privé de l'empereur Valérien, cinq cents esclaves, deux mille génisses, mille cavales, dix mille brebis, quinze mille chèvres (4); ce qui ôte toute apparence d'exagération à ce que dit Sénèque de provinces et de royaumes suffisant à peine pour fournir la pâture aux troupeaux de certains particuliers, dont les esclaves étaient plus nombreux que des nations belliqueuses, la maison plus vaste que des cités (5).

Il ne s'agit pas ici d'un peuple ignorant et misérable : la culture de l'esprit et l'urbanité y étaient même arrivées au comble; et le bien-être, les jouissances d'aujourd'hui sont loin de pouvoir soutenir la comparaison avec ce qui était alors; il n'en faut pas plus pour éblouir ceux dont le regard ne s'attache qu'à l'apparence. Les plus belles poésies, les ouvrages historiques les plus admirables, circulaient avec l'attrait de la nouveauté dans les mains de tous. La multitude recevait sans travail sa nourriture; elle assistait à des spectacles gratuits d'une magnificence inexprimable; elle se prome

(1) PLINE.

(2) PAUCTON, Métrologie, c. XI.

(3) PLINE, XVIII, 6.

(4) VOPISCUS, in Aurel., c. X.

(5) De Beneficiis, VII, 10.

nait sous de superbes portiques prodiges d'art et de richesse, s'exerçait dans le champ de Mars au milieu de monuments qui sont encore la merveille de qui ne sait que voir, des modèles instructifs pour les plus habiles; puis, après la promenade et la gymnastique, huit cents thermes lui offraient les plaisirs du bain, d'où elle sortait pour aller recueillir au théâtre les hommages et l'admiration des rois étrangers, pour prendre parti en faveur de tel ou tel acteur, et répandre dans ces querelles d'histrions un sang qui coulait jadis pour acquérir des droits civils.

Quant aux riches, c'est tout au plus si le luxe effréné de l'Asie pourrait dépasser le faste et la mollesse de ce temps. Comme les laines de l'Apulie et de l'Espagne étaient trop pesantes, l'Inde et la Sérique envoyaient des étoffes d'une soie transparente. On se plaignait du poids de la chaussure romaine, et l'on portait à la main une boule de cristal, afin de ne pas suer. Des centaines d'esclaves, machines intelligentes, faisaient tout pour leurs maîtres, depuis la cuisine jusqu'aux vers; de sorte qu'ils pouvaient jouir tout à leur aise de voluptueux loisirs au Forum, dans les basiliques, dans les bains. La température des salles de banquets est attiédie par des bouches de chaleur, les fenêtres sont garnies de pierres spéculaires; dans l'amphithéâtre on peut faire pleuvoir sur le peuple une rosée parfumée de nard; l'arène du cirque est semée d'une poussière d'or et d'ambre. Les plaisirs de l'intelligence devaient aussi contribuer à rendre plus vifs ceux des sens. On voyait donc figurer dans les cortéges, au milieu des courtisanes et des mignons, le poëte, le philosophe, le Grec surtout; le Grec qui sait tout, depuis le métier de proxénète jusqu'à celui d'instituteur des enfants; qui supporte avec une égale longanimité les faveurs et les avanies, pourvu qu'il puisse être admis à la table du maître de maison, et honoré de sa conversation (1).

(1) Lorsqu'on lit dans Lucien (Vie des courtisans) le portrait du précepteur grec dans les maisons riches de Rome, on y retrouve plusieurs traits de ressemblance avec le poëte de 1500, l'abbé de 1700, et certains littérateurs du siècle passé.

<«< A un âge où, si tu étais né esclave, il était temps de songer à la liberté, tu t'es vendu toi-même pour quelques oboles avec toute ta vertu, toute ta science, et tu n'as tenu aucun compte des différents discours que Platon, Chrysippe et Aristote ont composés à la louange de la liberté et en haine de la servitude! Tu n'as pas honte de te trouver au milieu des flatteurs, des fripons et des libertins, et, dans une si grande multitude de Romains, d'être seul avec le

« AnteriorContinua »