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Vcrbe.

Esprit et matière.

fois, et qui enfantèrent tant de querelles, de scandales, et firent couler tant de sang.

L'intelligence divine, absolument une parce qu'elle est infinie, renferme pourtant dans son unité le principe et la raison de la variété, c'est-à-dire les types de toutes les natures créées, comme l'entrevirent Platon et les philosophes orientaux. Les Pères, admettant ce principe comme le fondement nécessaire de toute vérité, envisagèrent le Verbe comme la raison de toutes choses, coexistant avec l'intelligence, formant les créatures, devenant leur modèle, se proportionnant à leur condition. Mais ce qui resta hors de la portée de l'intelligence humaine, ce fut la double qualité de ce Verbe, seul engendré, fils unique de Dieu en tant qu'il en est la connaissance même; son premier-né en tant que type des choses créées. La matière, second élément général de la création, est quelque chose d'inerte et de passif, la plus infime des créatures, l'ombre de Dieu, tandis que l'esprit est son image, source d'activité, de mouvement et d'intelligence. Quelques-uns néanmoins supposèrent une certaine espèce de matière plus subtile que la matière corporelle, dont serait formée l'enveloppe des anges, la spiritualité absolue demeurant à Dieu seul; ils croyaient cette explication nécessaire pour montrer comment l'âme est susceptible de récompenses et de châtiments (1). Mais l'Église s'employa constamment à dégager l'âme de tout élément sensuel : Origène trouve impossible que l'âme corporelle puisse concevoir l'idée des choses immatérielles;

(1) TERTULLIEN, de Anima, V, 7, s'exprime ainsi : « La corporéité de l'àme apparaît manifestement dans l'Évangile. Elle souffre dans les enfers, et, plongée dans les flammes elle implore une goutte d'eau...... Que signifie tout cela sans le corps? » ARNOBE dit, Adv. gentes, II: « Qui ne voit que ce qui est simple et immatériel ne peut pas connaître la douleur? » SAINT JEAN DAMASCÈNE, de orthodoxa fide, II, 3, 12: « Dieu est incorporel par nature; les anges, les démons, les âmes, s'appellent incorporels par grâce, eu égard à la grossièreté de la matière. » Ces passages paraissent si évidents, que TENNEMANN, Manuel de l'histoire de la philosophie, § 230, dit positivement que les saints Pères concevaient l'âme comme étant corporelle: cette erreur, adoptée par d'autres historiens, naît de ce qu'ils n'ont pas vu que plusieurs écoles anciennes distinguaient le corps, l'âme et l'esprit (σ☎μz, ʊxǹ, πvɛúμa), et qu'ils entendaient par âme le principe de la vie organique, commun à l'homme et aux brutes, matière trèssubtile, ou plutôt substance intermédiaire entre la matière et l'esprit. C'est de ce principe qu'entendirent parler ces Pères quand ils parurent tenir l'âme pour corporelle; mais ils proclamèrent toujours que l'esprit qui pense dans l'homme participe de la nature spirituelle de Dieu.

et la spiritualité de l'âme, ainsi que la différence essentielle entre les deux substances, finit par être solidement établie. Quelques-uns crurent les âmes préexistantes aux corps, d'autres les regardèrent comme créées à mesure qu'ils arrivent à la vie, en considérant comme tout à fait inexplicable la manière dont opèrent l'un sur l'autre deux êtres aussi distincts que l'esprit et la matière (1); ce n'est pourtant pas un mystère plus grand que celui de tous les autres faits qui dans l'univers résultent d'une action réciproque.

idées.

Les Pères (2) acceptaient l'enseignement de l'école italique ainsi Origine des formulé: La connaissance des choses consiste en des étres invariables qui ne tombent pas sous les sens. Mais ils repoussèrent l'hypothèse platonique que les sensations réveillent dans les âmes le souvenir d'une science acquise dans une autre vie : ils affirmaient seulement que l'esprit comprend, parce qu'il est connexe nonseulement aux êtres intelligibles, mais encore aux êtres immuables, comme sont les idées (3). Cependant si celles-ci existaient isolées, ce seraient autant de déités. Ils enseignaient donc à croire qu'elles existent dans l'esprit divin, purgeant ainsi le platonisme de l'idolâtrie, et l'associant inséparablement à la théologie chrétienne.

A force d'étudier cependant comment ces idées éternelles et nécessaires subsistent en Dieu, ils reconnurent que leur ensemble ne pouvait être autre que le Verbe; qu'elles ne pouvaient non plus avoir en Dieu de distinction réelle entre elles, mais devaient se réduire à une unité parfaite avec le Verbe lui-même et par suite avec l'essence divine: que celle-ci dès lors est l'intelligible même (4) qui illumine quiconque vient en ce monde, puisque l'homme voit les idées en Dieu.

En ce qui concerne la méthode des Pères, il est nécessaire de distinguer les livres dans lesquels ils établissent et exposent les dogmes catholiques de ceux où ils réfutent les dogmes de leurs adversaires, soit gentils soit hérétiques. Dans les premiers ils procèdent par démonstrations, dans les autres ils emploient souvent les moyens aristotéliques ou platoniques, le syllogisme, l'induction,

(1) Modus quo corporibus adhæret spiritus, et animalia fiunt, omnino mirus est, nec comprehendi ab homine potest, et hoc ipse homo est. Saint AUGUST., de Civ. Dei, XXI, 10.

(2) Surtout SAINT JUSTIN (L. cont. Gent.), Clément d'Alexandrie ( Stromat., VI) et EUSEBE de Césarée (Præpar. évang., XI ).

(3) Voyez surtout SAINT AUG., Retract., I, 8; ROSMINI, contre Mamiani, p. 487. (4) Per Lóyov enim solum cognoscentia efficitur. MARIUS VICT.

Méthode.

l'absurde, comme pour retourner contre l'ennemi ses propres armes. Quant à ce qui leur est propre, ils commencent par affirmer le dogme dont il s'agit, en citant le plus souvent un passage de l'Écriture. Ils le formulent ensuite en un acte de foi, dans lequel ils définissent la proposition qu'ils cherchent à interpréter; puis ils citent tous les passages où ce dogme est exprimé, en les soutenant les uns par les autres, jusqu'à ce qu'ils en aient établi l'évidence rationnelle, et démontré l'absurdité du principe contraire.

Quand la raison troublée du paganisme expirant invoquait l'antique sagesse comme plus voisine des dieux, les Pères l'accablaient sous les traditions primitives du genre humain, et toutes les sciences leur servaient concurremment à prouver la vérité. Et en effet, la tâche de démolir les anciennes erreurs fut poussée avec la plus généreuse ardeur : mais quant à celle de disposer toutes les sciences et l'encyclopédie sur la base de l'Evangile, quelques efforts qu'ils fissent, ils en furent détournés par les désastres qui survinrent.

La vertu ne fut plus une chose de convention, mais la pratique de la vérité, connue et réglée par un jugement droit, une bonne qualité de l'esprit, dont il n'est pas possible d'abuser (1). Le péché fut de préférer au bien suprême son bien propre, à l'objectif le súbjectif (2).

Le christianisme étant une doctrine de rédemption, pratiquer la charité jusqu'à donner sa vie devint le premier des mérites; ce fut pour tous une obligation d'accroître le bien du prochain, et, à cet effet, d'exercer l'industrie, d'inventer, d'aller en avant. Voilà donc une doctrine d'activité et de progrès, tandis que les anciens, partant de l'idée de la décadence successive, envisageaient le mal et l'inégalité parmi les hommes comme une nécessité, souffraient et laissaient souffrir.

Cette doctrine produisit aussi la liberté, car le droit succéda au fait; la pensée et la conscience humaine, librement soumises à Dieu, voulurent dépendre de Dieu seul, véritable et premier souverain, par qui le Christ fut investi de la puissance suprême. C'est donc de Dieu

(1) C'est la célèbre définition de saint Augustin: Virtus est bona qualitas mentis.... qua nullus male utitur. Et ailleurs: Ille pie et juste vivit qui rerum integer est æstimator in neutram partem declinando. De doct. chr., 27.

(2) Voluntas aversa ab incommutabili bono et conversa ad proprium, peccat. SAINT AUG., De lib. arb.

seulement et de son Verbe que vient aux hommes le droit de commander. La puissance est de Dieu, mais il ne faut pas lui attribuer la volonté de l'homme qui exerce cette puissance, et l'usage qu'il en fait. L'homme est subordonné à la loi suprême, dont l'Église est J'interprète infaillible. Ainsi l'obéissance naît de la persuasion; elle n'avilit pas, en soumettant l'homme aux caprices de l'homme (1). Le prince est le ministre de Dieu pour le bien; les gouvernements ont à pourvoir à ce que la justice soit bien administrée, mais ils n'ont ni pouvoir ni action sur la pensée et les consciences. Et comme aucun homme ne possède par lui-même une autorité quelconque, celui qui substitue au droit éternel sa puissance propre se fait usurpateur, et est indigne d'être obéi (2).

La science et le devoir, la philosophie et la religion, la morale et la politique, toutes dérivées de la même source, se trouvèrent donc enfin réconciliées.

Les Pères se montrent si peu favorables à la logique des écoles, que Tertullien s'écrie: « Misérable Aristote, qui prépara (aux « hérétiques) une dialectique artificieuse, susceptible de pren. dre toutes les formes aussi bien pour prouver que pour nier, << sentencieuse, arrogante dans ses conjectures, pénible, inex« tricable dans ses argumentations, dangereuse par elle-même, qui toujours se reprend à une nouvelle chose, comme si aucune «< ne s'était jamais affermie solidement. De là les fables et les généa«<logies interminables, les discours procédant en arrière, à la ma« nière des écrevisses, et que l'apôtre nous défendit en condamnant << la philosophie.

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Mais la méthode que nous voudrions nommer chétienne fut bientôt abandonnée par les Pères; on voit déjà apparaître dans saint Augustin les formes scolastiques, et même des traités entiers de dialectique; c'était une nécessité sans doute de combattre l'ennemi sur son terrain, dans son camp. Ce docteur disposait son sujet d'après les catégories d'Aristote, afin de ne laisser échapper aucune

(1) « L'homme a droit de commander à la bête, mais Dieu seul a droit de commander à l'homme. » SAINT GRÉGOIRE LE CRAND, liv. XXI, sur Job, c. 15, no 22. (2) Regimen tyrannicum non est justum, quia non ordinatur ad bonum commune, sed ad bonum privatum regentis.... Ideo perturbatio hujus regiminis non habet rationem seditionis, nisi forte quando sic inordinate perturbatur tyranni regimen, quod multituido subjecta majus detrimen tum patitur ex perturbatione consequenti quam ex tyranni regimine. SAINT THOMAS, Sum. theol., sect. II, q. 42, art. 11 à 13.

Morale.

des faces de la question. Il déduisait ensuite ses preuves à l'aide surtout du syllogisme, ou en argumentant à la manière de Socrate; et de lui date l'introduction, en matière de foi, des subtilités captieuses, dont l'erreur elle-même put se faire une arme à son tour.

La première source de la philosophie chrétienne est donc Dieu; et cette philosophie réunit de toute nécessité la théorie à la pratique, selon l'autorité de celui qui a dit : Si vous pratiquez ma parole, vous connaîtrez la vérité. Opposée à l'égoïsme des vieilles sectes, elle n'aspire point à la gloire mondaine de fonder des écoles; elle professe au contraire que la doctrine qu'elle enseigne n'est pas la sienne, ne s'écartant jamais du sens commun du genre hu main uni à Dieu, c'est-à-dire de l'autorité de l'Église. La régénération intellectuelle est réduite par les Pères à la régénération morale, qui subordonnent tout au salut des âmes, fin pour laquelle il fallait d'abord extirper le doute, qui à force d'argumentations avait sapé les croyances les plus vitales; en second lieu, coordonner de nouveau les notions bouleversées du devoir. Ils remédièrent au doute en appuyant sur la foi les croyances inébranlables, au désordre moral en détruisant le dualisme et le panthéisme également funestes. Que si les applications de l'ordre moral sont la meilleure preuve des doctrines métaphysiques, la pureté de la morale enseignée et répandue par les Pères, non-seulement parmi un petit nombre de sages, mais véritablement dans le peuple et dans la société universelle, est un argument bien puissant en faveur de doctrines qui mettaient d'accord les lois de l'intelligence avec celles de la volonté.

La morale déduite de ces principes ne constituait pas une science; mais, après lui avoir donné pour fondement, d'une part la volonté de Dieu exprimée par la raison et par la révélation, de l'autre l'obligation pour l'homme d'obéir, les docteurs chrétiens proclamèrent des préceptes sévères et d'une extrême pureté. Ils recommandaient spécialement la charité ou l'amour désintéressé du prochain, la sincérité, la patience, la tempérance. Quelques-uns même allèrent jusqu'à un ascétisme rigoureux, dans le but de se purger du péché et de se dégager des liens de la matière par la contemplation et la pénitence.

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