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Guerre contre

velle (1). La victoire favorisa les parjures; Pontius, si vénéré parmi ses compatriotes que, même après l'erreur de sa clémence, ils ne lui avaient retiré ni leur confiance ni le commandement de l'armée, fut défait et conduit à Rome; et lui qui n'avait pas voulu que l'armée prisonnière fût passée au fil de l'épée, lui qui avait empêché que l'on maltraitât les fils répudiés de Rome malgré leur parjure, fut lâchement et légalement livré au bourreau. Les Romains profitent de deux années de trêve pour faire rentrer leurs colonies dans le devoir, et les révoltés sont égorgés en présence du peuple, pour servir d'exemple à l'avenir; car il importait avant tout d'assurer la tranquillité des colons. Leurs établissements une fois affermis dans la Campanie, ils enveloppent les Samnites dans un vaste filet; ce peuple, ne se trouyant plus assez fort pour lutter d'égal à égal contre ces conquérants qui avaient encore grandi, appela à son aide la confédération étrusque.

Cette puissance avait été réduite, par les Samnites et les Gaules Étrusques. lois, à se renfermer dans ses anciennes limites; mais la population y surabondait, et l'agriculture et l'industrie, également florissantes, étaient pour les villes des sources inépuisables de richesse. Elle fit trêve au commerce et aux arts pour secourir ses anciens ennemis contre les nouveaux, plus menaçants que ne l'avaient été les Ligures, les Samnites et les Gaulois. Mais les Romains avaient à leur tête Fabius, surnommé Maximus par les patriciens, parce qu'il avait relégué dans les quatre tribus la populace qu'Appius Claudius avait disséminée dans toutes; Curius Dentatus, qui ne voulait pas posséder d'or, mais commander à qui en avait; Papirius Cursor, l'Achille romain, celui qu'ils auraient opposé à Alexandre le Grand, s'il eût tourné ses armes contre l'Italie (2); Décius enfin, qui, à l'imitation de son père,

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(1) En admettant qu'une fiction légale pût jamais donner à une iniquité le caractère de la justice, au cas présent, l'apparence même du droit faisait défaut aux Romains. En effet, le jus exulandi était en vigueur entre eux et les Samnites. (2) C'est ce que pense Tite-Live (IX, 17 et 18), qui demande quel aurait été le résultat de la guerre, si Alexandre fût venu attaquer les Romains. L'orgueil national, qui respire dans chaque ligne de cet écrivain, se manifeste surtout dans ce passage, l'un de ceux, fort rares du reste, où il porte ses regards hors de l'enceinte de Rome. La réponse qu'il fait à cette question est dictée sans doute par le patriotisme; mais combien il montre peu d'exactitude dans ses aperçus! Il dit d'abord que le nom d'Alexandre était inconnu à Rome. Toute personne sensée croira au contraire que le nom et les expéditions d'Alexandre furent le sujet non-seulement des entretiens des curieux, mais encore des appré hensions des hommes d'État dans toute l'Italie. Nous savons d'ailleurs historiquement que les Tarentins eurent à combattre Alexandre, roi d'Épire, oncle du conquérant macédonien, et que les Romains eux-mêmes s'allièrent avec ce roi

devait se dévouer aux dieux infernaux. Les trois villes les plus belliqueuses de l'Étrurie, Pérouse, Arrétium (1), Cortone, demandèrent une trêve de trente ans. Les autres, quoique désarmées, et bien que, dans les assemblées communes tenues à Vulsinies dans le temple de la déesse Voltumna, elles fussent en dissidence d'opinion et dès lors affaiblies, déployèrent tant d'énergie qu'on peut avoir une idée de la force immense de cette confédération à son origine. Elles renouvelèrent le pacte sacré, coutume nationale en vertu de laquelle chaque guerrier choisissait un frère d'armes; ils veillaient l'un sur l'un l'autre, et se croyaient infâmes à jamais s'ils s'abandonnaient. Les Étrusques furent vaincus, mais ils se rallièrent dans la forêt Ciminienne, aussi épaisse que la forêt Hercynienne dans la Germanie. Après des alternatives de victoires et de défaites, les Étrusques, malgré des prodiges de valeur, succombèrent enfin près du lac Vadimon pour ne plus se relever, bien que de fréquentes insurrections vinssent protester contre leur servitude.

L'indépendance étrusque fut anéantie; l'aristocratie sut se

d'Épire contre les Samnites. Le vainqueur de Darius reçut dans Babylone les hommages des Carthaginois, des Ibères, des Celtes, des Éthiopiens, des Scythes, tant son nom était répandu et redouté au loin. Arrien nous atteste de plus que les Lucaniens, les Bruttiens, les Tyrrhènes, envoyèrent le complimenter. Les Lucaniens et les Bruttiens devaient craindre en effet qu'Alexandre ne songeât quelque jour à venger son oncle, et il leur importait de se concilier ses bonnes grâces. Qui sait même si les Romains n'étaient pas désignés sous la domination de Tyrrhènes par les historiens chez lesquels Arrien a puisé? En effet, Clitarque, qui écrivait peu de temps après la mort du héros macédonien, dit positivement que les Romains envoyèrent une ambassade à Alexandre; et Pline (Hist. nat., III, 9) cite cet historien sans lui opposer le moindre doute.

Que serait-il arrivé si Alexandre, vainqueur de l'Orient, se fût dirigé contre l'Italie? C'est un de ces problèmes insolubles comme tous ceux auxquels le temps ou le hasard mêle des éléments que ne saurait pénétrer la prévoyance humaine. Mais qui sait s'il se serait contenté en Italie d'une suprématie pareille à celle qu'il exerçait en Grèce, et si, de leur côté, les Romains et les Samnites auraient voulu s'y résigner? Il est facile de dire que les héros du Latium eussent coûté bien autrement de peine à vaincre que les hordes de Darius; mais l'histoire nous montre qu'Alexandre n'eut pas seulement affaire à des nations vaincues par la mollesse avant de l'être par les armes. Il aurait transporté en Italie, indépendamment de ses trente mille Macédoniens, toutes les phalanges qu'il aurait voulu acheter avec les trésors de l'Asie, les meilleurs soldats de fortune, tout ce que l'Afrique et l'Espagne comptaient de plus vaillants guerriers. Ne fût-il même venu qu'avec les seuls Macédoniens, Tite-Live aurait pu se rappeler Pyrrhus, qui, avec moins de forces et moins de génie, mit à deux doigts de sa perte la future métropole du monde.

(1) Cette ville étrusque d'Arrétium (Arezzo) fournit de quoi armer et nourrir l'armée avec laquelle Scipion termina la seconde guerre punique.

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concilier les vainqueurs, les aruspices se firent l'instrument de la grandeur romaine, et le nom d'alliés italiens servit de masque à la servitude. Ils conservèrent, il est vrai, leurs gouvernements municipaux, continuèrent à cultiver les arts, à faire des vases, à couler le bronze, à se hasarder sur la mer; mais l'instant vint où les propriétaires furent réduits à la condition de fermiers.

La nation la plus importante une fois domptée, la gloire et la puissance de la Péninsule se concentraient dans l'heureuse Rome, qui, dans les guerres, se voyait déjà précédée de ce qui aide tant à la victoire, un nom formidable. Les Samnites, dans l'espoir de prendre leur revanche, réunissent deux nombreuses armées, et les perdent. Alors, se voyant abandonnés par les Campaniens, par les Èques, par les Herniques subjugués, et entourés de colonies romaines, ils descendent au milieu des Étrusques, les excitent à se soulever de nouveau, et forment avec eux, avec les Ombriens, avec les hordes de Gaulois venues récemment de l'autre côté des Alpes, une ligue formidable, qui pourtant est vaincue à Sentinum par la valeur calculée de Fabius et de Décius. Les Étrusques obtiennent la paix, non les Samnites, dont le pays est abandonné à la dévastation soldatesque.

Les Samnites, pour défendre le dernier reste de la liberté italique, ont recours aux dieux de la patrie. Réunis à Aquilonie, ils entourent de toile un espace de vingt pieds carrés; après avoir sacrifié les victimes, ils introduisent, l'un après l'autre, leur guerriers dans cette enceinte, et leur font prononcer devant l'autel d'horribles imprécations sur eux-mêmes et sur les leurs, s'ils venaient à prendre la fuite, ou s'ils ne tuaient pas ceux qui fuiraient. Quiconque refuse le serment est égorgé par des soldats qui se tiennent l'épée nue autour de l'autel.

Ils formèrent alors une armée de trente mille hommes, qui, fidèles à leur serment, périrent jusqu'au dernier; ainsi finit cette guerre après avoir durẻ cinquante-quatre ans. Le pays resta dépeuplé, et les Samnites qui avaient survécu se réfugièrent dans les Apennins. L'année suivante, les Romains, en ayant découvert deux mille dans une caverne, les firent périr par la fumée. Deux millions et demi de livres de cuivre en barres, produit de la vente des prisonniers, furent portés en triomphe avec deux mille six cent soixante marcs d'argent provenant du pillage des villes et des campagnes. Une partie des armes enlevées fut laissée comme trophée aux alliés et aux colonies; on fit du reste une statue de Jupiter Capitolin, si gigantesque qu'on la voyait du mont Albain.

ÉPILOGUE.

Ici se termine l'époque héroïque de Rome, époque plus que toute autre féconde en vertu (1). Mais quelle vertų! Brutus condamne à mort ses deux fils, et assiste à leur supplice; Lucrèce se tue pour un crime qui n'est pas le sien; Scévola punit sa main d'avoir manqué un assassinat, assassinat approuvé par le sénat tout entier ; Curtius, par superstition, se précipite dans un gouffre, comme les Décius au milieu des rangs ennemis; un tribun fait brûler vifs ses neuf collègues, parce qu'ils empêchent de remplacer les magistrats (2); le sage Cincinnatus déshonore sa vieillesse par un assassinat légal. Les serments sont violés sous la sanction de l'autorité publique; E. Fabius Gurgès, édile curule, construit un temple à Vénus avec le produit des amendes encourues par les dames romaines pour avoir violé la foi conjugale et manqué à l'honnêteté publique; dans un temps d'épidémie (3), cent soixante-dix femmes (4), accusées d'avoir empoisonné leurs maris, sont réduites à s'empoisonner elles-mêmes, ou bien un dictateur est élu pour enfoncer le clou sacré dans le temple de Jupiter au Capitole singulier préservatif contre la peste qu'un rite d'une superstition ridicule, ou qu'un supplice inique et cruel.

La vertu des temps héroïques, pur égoïsme de l'individu et de la classe, ne profite en rien à la masse du peuple, opprimé et décimé par des guerres continuelles, appauvri par l'usure, battu de verges, emprisonné dans les cachots particuliers: c'est, au lieu de l'intérêt public, la tyrannie d'un petit nombre; c'est le crime de rébellion imputé à quiconque élève la voix en faveur de la multitude: multitude insolente, qui osait demander que chacun fût traité en homme et en citoyen!

La Grèce nous présente le même aspect dans ses nombreuses aristocraties, facilement dégénérées en oligarchies, dont l'unique but était de se conserver à tout prix : de là, la chasse aux Ilotes, et le serment prêté d'être toujours hostiles au peuple et de ne lui donner que des conseils funestes (5). Faits incroyables, s'ils ne

(1) Nulla ætas virtute feracior. TITE-LIVE.

(2) VALÈRE-MAXIME, VI, 3, 2.

(3) Heyne a soutenu (Opusc. III) que toutes les pestes de Rome dont il est fait mention jusqu'à celle de Lucius Vérus, dans le deuxième siècle après J. C., n'étaient en réalité que des épidémies.

(4) TITE-LIVE, VIII, 18.

(5) Νῦν μὲν ἐνίαις (ὀλιγαρχίαις) ομνύουσι· Καὶ τῷ δήμῳ κακόνους ἔσομαι, καὶ

s'étaient renouvelés sous nos yeux à Fribourg, par exemple, où l'on punit comme traîtres des députés qui, dans leur conscience d'honnêtes gens, proposent de rendre aux bourgeois et aux habitants de la campagne les droits qui leur ont été enlevés; à Schwitz, qui prive de leurs franchises ses nouveaux sujets. Aux États-Unis, ce pays de la liberté, c'est un crime que de donner l'instruction aux nègres. Une liberté avec des esclaves, comme est celle-là, peut nous donner une idée (en tenant compte du progrès du temps) de la liberté antique, ramenant tout au profit d'une classe plus ou moins nombreuse de dominateurs.

Et cependant combien l'humanité n'a-t-elle pas fait de progrès, en s'étendant de l'Orient vers l'Occident! La barrière des castes est abattue; la philosophie, ramenée du ciel sur la terre; la science, arrachée aux sanctuaires et discutée dans les écoles. Alexandre écrit à Aristote : Je suis fâché que tu aies publié tes livres sur les sciences acroamatiques. En quoi serons-nous supérieurs au reste des hommes, si les sciences que tu m'as enseignées deviennent communes à tous? J'aimerais bien mieux les surpasser en connaissances élevées qu'en puissance. Orgueil oriental, qui, en rendant au savoir le plus magnifique hommage, s'efforce en vain de retenir un torrent prêt à déborder, et à répandre par mille ruisseaux la vertu et la science.

Ce ne sont plus des multitudes qui s'offrent désormais à la politique, mais des hommes. Le citoyen est devenu individu, et peut librement travailler. La subdivision a facilité les moyens de perfectionner l'ouvrage : ce qui faisait le profit de quelques-uns s'est étendu à beaucoup; la concurrence augmente, et l'habileté donne des garanties contre les attentats de la force. Rome renonce à la perpétuité des lois et des coutumes, affermie en Orient, essayée à Sparte, et les rajeunit de siècle en siècle.

La religion n'est plus déjà, comme en Orient, une essence infinie qui absorbe et contient tout; mais à Rome, comme en Étrurie et en Grèce, elle parle et gouverne, de sorte que l'activité humaine met à profit les croyances mêmes, et pratique ce qu'elle croit.

Nous ne rencontrerons peut-être jamais sur notre chemin une autre époque dans laquelle l'esprit humain ait ainsi marché à pas de géant. Cette époque a produit les plus grands artistes, les plus grands écrivains, l'éternelle admiration de la postérité; elle a vu

βουλεύσω ὅ, τι ἂν ἔχω κακόν, « Dans quelques oligarchies, on fait ce serment : Je serai toujours ennemi du peuple, et je lui donnerai les conseils les plus nuisibles. » ARISTOTE, Polit., V, 8, 19.

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