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Crotone 753.

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fait une des belles et des plus florissantes contrées, et qui, négligés plus tard, l'ont rendue pestilentielle. Ce que l'on a raconté de la mollesse de cette ville est connu de tout le monde : ses citoyens avaient l'habitude de faire leurs invitations une année à l'avance, pour avoir le temps de mettre à contribution l'air, la terre, l'eau, et de préparer des vêtements brodés de pierres précieuses. On présentait aux convives la liste des personnes et celle des mets pour qu'ils pussent se régler en conséquence. Aucun métier bruyant ne devait troubler le sommeil des habitants ou leurs plaisirs licencieux; ils bannirent jusqu'aux coqs. On parlait d'un Sybarite qui n'avait pu s'endormir parce qu'une feuille de rose s'était repliée sous lui; un autre gagna la fièvre en voyant un paysan se fatiguer au travail : diffamations sans motif peut-être, mais à coup sûr entachées d'exagération; la seule vérité que nous en puissions recueillir, c'est la grande richesse du pays, qui en était redevable au commerce, surtout à celui des vins et des huiles qu'il faisait avec Carthage.

L'aisance, la fertilité du sol, la facilité avec laquelle on accordait le droit de cité, accrurent tellement la population que, suivant Strabon (1), les Sybarites auraient mis sous les armes trois cent mille guerriers. Ils essayèrent de faire tomber les jeux Olympiques, en instituant dans leur ville d'autres jeux d'une plus grande magnificence et avec des récompenses plus splendides. Leur gouvernement fut une démocratie tempérée, jusqu'à l'époque où Télys y exerça la tyrannie, après avoir chassé cinq cents des principaux citoyens.

Les bannis se réfugièrent à Crotone, colonie achéenne, conduite par Miscellus et Archias, et si puissante que, dès le premier siècle de son existence, elle arma contre les Locriens cent vingt mille hommes. Bien qu'elle eût alors éprouvé une défaite, elle assaillit avec des forces presque aussi nombreuses Sybaris, qui avait mis à mort les députés venus pour réclamer le rappel des bannis; elle triompha de sa rivale et la détruisit entièrement.

Tite-Live donne à Crotone le périmètre de douze milles, et son sénat, dit-on, se composait de trois cents ou mille membres. Les anciens la proclamaient belle, vaste, éclairée, riche, heureuse; on disait que la peste ne l'avait jamais envahie, d'où le proverbe : Nil Crotone salubrius. L'autre proverbe, que le dernier des Crotoniates valait autant que le premier des Grecs, dérivait de ses nombreux athlètes qui, en vingt-sept olympiades, rem

(1) STRADON, VI, p. 264.

portèrent treize fois le grand prix dans les jeux Olympiques. 'Milon combattit contre un taureau, et, l'enlevant sur ses épaules, fit ainsi avec lui le tour de l'arène ; puis, l'ayant tué d'un coup de poing, il le mangea dans la journée. Le toit d'une école s'étant écroulé, il le soutint sur ses épaules, jusqu'à ce que tout le monde fût en sûreté; ayant enfin voulu fendre un arbre, ses mains restèrent prises dans le tronc, et il fut dévoré par les loups. La beauté des hommes avait tant de renom que les Égestans, bien qu'ennemis de Crotone, rendirent à Philippe, de cette ville, un culte divin après sa mort, comme à l'individu le plus beau de son époque; Zeuxis', à la vue des jeunes Crotoniates luttant dans le gymnase, se persuada que leurs sœurs devaient réunir les attraits les plus rares, et il les choisit pour modèle de cette Vénus qui fut regardée comme le chef-d'œuvre de l'antiquité.

Le gouvernement de Crotone était une démocratie tempérée, Pythagore. dont les bases avaient été posées par Pythagore, homme ou symbole, auquel toutes les cités de la Grande-Grèce faisaient honneur de leurs constitutions. On dit qu'il forma la société secrète des pythagoriciens, moins dans le but de changer la forme des gouvernements que dans celui de créer des hommes capables de les diriger. Mais un certain Cylon, homme riche et immoral, qui avait en vain demandé à être admis dans cette société, souleva le peuple contre les philosophes politiques; ils furent persécutés jusqu'à la mort, leurs institutions abolies, et tout tomba dans la confusion (1). Les ambitieux en profitèrent pour s'emparer du pouvoir dans les principales villes; Clinias se fit tyran de Crotone, d'autres l'imitèrent ailleurs, et partout éclata la guerre jusqu'à ce que s'entremissent les Achéens pour ramener la paix. On adopta alors les lois de la mère patrie, et une ligue entre plusieurs villes, à la tête de laquelle il semble que Crotone ait été mise, fut jurée dans le temple de Jupiter Homorius. Les choses durèrent ainsi jusqu'au quatrième siècle, époque où les tyrans de Syracuse d'abord, puis Rome, lui ravirent son indépendance; sa décadence fut telle que Pétrone l'appelait un champ de cadavres rongés et de corbeaux affamés.

Il est difficile de distinguer la vérité des fables dans les tradi

(1) Comparez, au sujet de Pythagore et du gouvernement des pythagoriciens : HEYNE, Opuscula academica, II; MEINERS, Geschichte des Ursprungs Fortgangs et Verfalls der Wissenschaften in Griechenland und Rom, etc., I, 401, 464, 469; MULLER, les Doriens, II, 118; WELKER, Proleg. ad Theogn., XLII; mais surtout A. B. KRISCHE, De societatis a Pythagora in urbe Crotona conditæ scopo politico; Göttingue, 1830.

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Charondas,

tions relatives à Pythagore et à ses disciples. On ne sait même s'il faut compter parmi eux deux législateurs illustres de la Grande Grèce, Charondas et Zaleucus, confondus souvent l'un avec l'autre. Tous deux ont été l'objet de beaucoup de fables, car l'histoire, qui se plaît à exalter les destructeurs du genre humain, se soucie peu de ceux qui en sont les bienfaiteurs.

Charondas était de Catane; comme les anciens législateurs, qui, non contents de commander aux actes, voulaient encore restreindre la volonté, il donna pour base à son code l'existence des dieux (1), la famille et la patrie. La moralité des actions, que les génies punissent ou récompensent selon leur mérite, émane des dieux. Le respect pour les parents doit s'étendre jusqu'à la terre où reposent leurs restes : que celui qui contracte un second mariage soit banni des assemblées, parce qu'il met des germes de discorde entre ses enfants; que l'homme et la femme puissent dissoudre leur union, mais non pas en former une nouvelle avec une personne plus jeune. Dans l'intention de conserver les familles, conformément à la pensée des anciens législateurs, en opposition avec celle des modernes, il chercha à multiplier les alliances dans la même lignée. Le plus proche parent d'une héritière pouvait l'épouser; il devait le faire si elle était orpheline et pauvre, ou lui donner une dot.

Seul, parmi les législateurs, Charondas voulut conjurer les maux causés par l'ignorance, et, dans ce but, il ordonna que des maîtres payés par l'État enseignassent à tous l'écriture et la lecture. Il défendit de fréquenter les hommes vicieux et de mettre un citoyen sur la scène, à moins qu'il ne fût adultère ou espion. Le calomniateur devait porter une couronne de tamarisc, peine si ignominieuse que plusieurs, pour l'éviter, se donnèrent la mort; la ville fut ainsi délivrée des sycophantes. Quiconque abandonnait le champ de bataille était tenu de rester trois jours sur la place, vêtu en femme. Il prononça un châtiment contre les juges qui substitueraient des commentaires à la précision du texte. Il admit la peine du talion, et ordonna que quiconque proposerait une innovation à la loi devait se présenter la corde au cou, pour être étranglé si le vœu public se déclarait contre lui.

(1) En tête de la loi des Douze Tables étaient aussi ces mots : Deos caste adeunto. Justinien place au commencement de son code le titre De summa Trinitate et fide catholica. Lorsqu'il fut question de rédiger le Code civil de la France, Portalis, dans le discours préliminaire du projet, disait qu'il avait paru convenable de le fairc précéder par un livre Du droit et de la loi en général; ce livre fut en effet préparé par lui, par Tronchet, Bigot de Préameneu et Malleville; mais on crut qu'il valait mieux le supprimer.

Afin de conserver aux réunions politiques une entière indépendance, il défendit, sous peine de mort, de s'y présenter avec des armes. Un jour qu'il exerçait des soldats, entendant un grand bruit dans l'assemblée, il y courut avec son épée; ses ennemis lui reprochant alors d'être le premier à violer ses lois : Au contraire, reprit-il, je veux les confirmer, et il se plongea le fer dans la poitrine. Aristote fait l'éloge de la précision et de la noblesse de son langage dans la rédaction de son code (1); il dit que les villes chalcidiques de Sicile, Zancle, Naxos, Léontium, Catane, Eubée, Myles, Himère, Gallipolis, peut-être même Rhégium, reçurent de lui leurs institutions.

Le Locrien Zaleucus (2) passe pour beaucoup plus ancien; quel- Zaleucus. ques-uns même voudraient qu'il fût antérieur de trente années à Dracon. Il faisait aussi dériver la loi de Dieu, et il avait fait précéder son code d'un prologue dans lequel, prouvant l'existence de la Divinité par l'ordre merveilleux de la nature, il affirmait que les dieux n'agréent pas les sacrifices et les offrandes des méchants, mais qu'ils se complaisent aux œuvres justes et vertueuses. Unissant toujours la morale qui conseille à la loi qui commande, il veut que les esclaves soient gouvernés par la crainte, les hommes libres par l'honneur ; que les citoyens ne nourrissent pas l'un contre l'autre de haines irréconciliables; que personne n'abandonne sa patrie; qu'une femme ne sorte pas accompagnée de plusieurs suivantes, ni avec un trop grand luxe, à moins d'être une courtisane, et que les hommes ne portent d'anneaux et de robes milésiennes que pour se rendre en de mauvais lieux (3). Aux caprices de l'habitude il substitua des lois fixes et en petit nombre,

(1) Cette phrase pourrait être proposée comme modèle d'une admirable concision : Χρὴ δὲ ἐμμένειν τοῖς εἰρημένοις· τὸν δὲ παραβαίνοντα ἔνοχον εἶναι τῇ πολιτικῆ ἀρᾷ.

(2) Voy. sur Zaleucus, BENTLEY, Opusc., p. 340; HEYNE, Opusc. acad., II, 273; SAINTE-CROIX, Sur la législation de la Grande Grèce; Mémoires de l'Académie des inscriptions, XLII; sur Charondas, les mêmes BENTLEY et HEYNE, et, parmi les anciens, ARISTOTE, Politique, II, 9, 5; sur tous les deux, STOBÉE, Sermo 145, et, parmi les modernes, C. G. RICHTER, De veteribus legum legislatoribus; Leipsick, 1790.

NITZOL (De historia Homeri) a nié que Zaleucus fût le plus ancien des législateurs; mais MULLER l'a réfuté dans le Journal de Göttingue, 1831, p. 292. (3) Élien (II, 37) rapporte une de ses lois : « Si un malade, chez les Épizéphyriens, buvait du vin pur sans l'ordonnance du médecin, et qu'il guérit, il était condamné à mort pour avoir pris une boisson qui ne lui avait pas été prescrite. » Athénée (X, p. 429 ) dit à peu près de même : Εἴ τις ἄκρατον ἔπιε, μὴ προστάξαντος ἰατροῦ θεραπείας ἕνεκα, θάνατος ἦν ἡ ζημία. Si quelqu'un, pour sa santé, buvait du vin sans l'ordonnance du médecin, il était puni de mort.

HIST. UNIV.

T. II.

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Locres.

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Thurium.

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mais il poussa jusqu'à l'excès le désir de les rendre immuables. Il en interdit l'interprétation, donna au texte une force invincible, et alla jusqu'à défendre à celui qui rentrait dans sa patrie de s'informer s'il y avait quelque chose de nouveau. Démosthène affirme que, dans l'espace de deux siècles, une seule de ses lois fut modifiée.

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Elles furent particulièrement en vigueur parmi les LocriensÉpizéphyriens, colonie fondée par des gens de pays divers, et surtout par des Locriens-Ozoles. Durant une longue guerre, leurs femmes s'étaient livrées à des esclaves; au retour de leurs maris, saisies de crainte, elles prirent la fuite avec leurs amants, et allèrent s'établir dans une contrée fertile à l'extrémité de l'Apennin. Là les nouveaux arrivés, firent, dit-on, ce serment aux Sicules, qui s'en contentèrent: Tant que nous foulerons cette terre et que nous porterons ces têtes sur nos épaules, nous posséderons le pays en commun avec vous. Mais ils avaient mis de la terre dans leurs chaussures et des têtes d'ail sur leurs épaules; le tout jeté, ils se crurent déliés de leurs serments, et s'arrogèrent l'autorité sur les naturels. La jalousie fit éclater la guerre entre eux et les Crotoniates; assaillis par ceux-ci dans leurs foyers, ils en triomphèrent sur les bords de la Sagra, avec des forces si disproportionnées que, le bruit de leur victoire s'étant répandu jusqu'en Grèce, on l'attribua à l'intervention des Dioscures. On fit honneur d'une autre victoire qu'ils remportèrent sur les Crotoniates au spectre d'Ajax, qui passa pour avoir combattu en faveur des Locriens. L'autorité était chez eux dans la main de cent familles, parmi lesquelles on choisissait un cosmopole, magistrat suprême, et mille sénateurs investis du pouvoir législatif; des inspecteurs étaient chargés de veiller à l'exécution des lois. Si Locres ne grandit pas en richesses, elle eut le mérite de conserver des mœurs simples et des goûts pacifiques, jusqu'à l'époque où Denys II, chassé de Syracuse vint chercher un asile dans ses murs, où il introduisit des désordres de toute nature. Locres conserva toutefois son indépendance jusqu'au temps de Pyrrhus.

Thurium fut bâtie sur les ruines de Sybaris par Athènes, mais avec un tel mélange de peuples que l'on se disputa pour savoir quel en était le véritable fondateur; l'oracle consulté la déclara colonie d'Apollon. La démocratie tempérée dégénéra en oligarchie, quand les familles des anciens Sybarites, qui s'étaient établies dans la ville, s'emparèrent des meilleures terres et de l'autorité. Elles furent ensuite chassées ; de nouvelles familles arrivèrent de la Grèce, et adoptèrent les lois de Charondas. Les Lucaniens, perpétuels en

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