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voudrais bien pouvoir le chanter en Amérique. Grand dieu! quel accent j'y mettrais aujourd'hui ! Mais lorsqu'après avoir prononcé ses vœux, la novice prosternée fut couverte d'un drap mortuaire sous lequel on aurait dit qu'elle était ensevelie, je frissonnai de terreur; c'était pour moi l'image de la rupture absolue des liens du monde, du renoncement à tout ce qu'elle avait de cher; je n'étais plus moi, j'étais elle; je crus qu'on m'arrachait à ma mère, et je versai des torrens de larmes. Avec cette sensibilité qui rend les impressions si profondes et qui fait être frappé de tant de choses, lesquelles passent comme des ombres devant le vulgaire, l'existence ne languit jamais; aussi j'ai réfléchi la mienne de bonne heure, sans l'avoir encore trouvée à charge, même au milieu des plus rudes épreuves; et n'ayant point atteint quarante ans, j'ai prodigieusement vécu, si l'on compte la vie par le sentiment qui marque tous les instans de sa durée.

J'aurais à retracer trop de scènes semblables, si je voulais rappeler toutes celles que les émotions d'une tendre piété ont gravées dans mon cœur; le charme et l'habitude de ces sensations devinrent tels pour moi, qu'ils n'ont pu s'effacer. La philosophie a dissipé les illusions d'une vaine croyance; mais elle n'a point anéanti l'effet de certains objets sur mes sens, et leur rapport avec les idées ou les dispositions qu'ils avaient coutume de faire naître. Je puis encore assister avec intérêt à la célébration

de l'office divin, quand elle se fait avec gravité; j'oublie le charlatanisme des prêtres, le ridicule de leurs histoires ou l'absurdité de leurs mystères; je ne vois que la réunion d'hommes faibles, implorant le secours d'un Être-Suprême : les misères de l'humanité, l'espoir consolant d'un puissant rémunérateur, occupent ma pensée; les images étrangères s'évanouissent, les passions se calment, le goût de mes devoirs s'avive: si la musique fait pártie des cérémonies, je me trouve transportée dans un autre monde, et je sors meilleure du lieu où le peuple imbécile est venu sans réflexion saluer un morceau de pain. Il en est de la religion comme de tant d'autres institutions humaines : elle ne change point l'esprit d'un individu; elle s'assimile à sa nature, s'élève ou s'affaiblit avec lui. Le commun des hommes pense peu, croit sur parole, et agit par instinct, de manière qu'il règne une contradiction perpétuelle entre les préceptes reçus et la marche suivie. Les trempes fortes ont une autre allure; elles ont besoin d'harmonie, leur conduite est une traduction fidèle de leur foi. J'ai dû recevoir, dans l'enfance, celle qui m'était donnée; elle fut mienne jusqu'à ce que j'eusse assez de lumières pour la discuter; mais alors même toutes mes actions en étaient des conséquences rigoureuses. Je m'étonnais de la légèreté de ceux qui, en professant une pareille, agissaient au contraire, comme je m'indigne aujourd'hui de la lâcheté de ces hommes qui veulent avoir une patrie, et comp

ter encore leur vie pour quelque chose, quand il s'agit de la risquer à son service.

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En évitant les répétitions du même sujet, je veux pourtant marquer d'un trait le moment de ma première communion. Préparé par tous les moyens d'usage dans les couvens, retraites, longues prières, silence, méditation, il était pour moi celui d'un engagement solennel et le gage de l'éternelle félicité cette considération me pénétrait entièrement; elle avait tellement enflammé mon imagination, attendri mon cœur, que, baignée de larmes et ravie d'amour céleste, il me fut impossible de marcher à l'autel sans le secours d'une religieuse qui vint me soutenir par-dessous les bras et m'aider à m'avancer à la sainte table. Ces démonstrations, que je ne cherchais point à faire, mais qui n'étaient que l'effet naturel d'un sentiment que je ne pouvais contenir, m'acquirent un grand crédit, et les bonnes vieilles que je rencontrais se recommandaient toujours à mes prières.

Il me semble voir ceux qui liront ceci, demander si ce cœur si tendre, cette sensibilité si affectueuse, n'ont pas enfin été exercés par des objets plus réels, et si après avoir sitôt rêvé le bonheur, je ne l'ai réalisé dans une passion utile à quelque autre?

pas

N'anticipons rien, leur dirai-je; arrêtez-vous avec moi sur ces temps paisibles de saintes illusions, auxquels j'aime encore à me reporter: croyez-vous que dans un siècle aussi corrompu, dans un ordre social aussi mauvais, il soit possible de goûter le

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bonheur de la nature et de l'innocence? Les ames vulgaires y trouvent le plaisir; mais les autres pour lesquelles le plaisir seul serait trop peu de chose, atteintes par les passions qui promettent davantage, contraintes par les devoirs bizarres ou cruels que pourtant elles honorent, ne connaissent guère que la gloire, chèrement payée, de les remplir. Reposons-nous, quant à présent, sur la doucé amitié qui vint m'offrir ses charmes, et à laquelle j'ai dû tant d'heureux momens.

Quelques mois s'étaient écoulés depuis mon arrivée au couvent; j'y vivais occupée, comme on vient de voir: je recevais toutes les semaines les visites de mon père et de ma mère, qui me faisaient sortir le dimanche après l'office, pour nous promener ensemble au Jardin du Roi, aujourd'hui des Plantes. Je ne les quittais jamais sans verser quelques pleurs c'était de tendresse pour leur personne et non de regrets de ma situation; car je rentrais avec plaisir sous ces cloîtres silencieux que je traversais à petits pas pour mieux goûter leur solitude; je m'arrêtais quelquefois sur une tombe où était gravé l'éloge d'une sainte fille Elle est heureuse! me disais-je en soupirant; puis une mélancolie (1), qui n'était pas sans douceur, s'emparait de mon ame, et me faisait chercher dans le sein

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(1) Cet amour de la solitude, ce besoin des sentimens qu'elle inspire, se trouvent souvent exprimés dans les écrits de madame Roland. Parmi plusieurs morceaux détachés

dela Divinité, dans l'espoir d'y être reçue un jour, ce parfait bonheur dont je sentais le besoin.

L'arrivée de nouvelles pensionnaires vint éveiller toute la petite troupe : on avait annoncé des demoiselles d'Amiens. La curiosité des jeunes filles de couvent sur des compagnes qu'on leur promet, est plus vive qu'on ne peut imaginer. C'était vers le soir d'un jour d'été; on se promenait sous dés tilleuls..... Les voilà, les voilà! fut le cri qui s'éleva tout-à-coup. La première maîtresse remit entre les mains de celle qui était alors en fonctions auprès des pensionnaires, les deux arrivantes; la foule se rassemble autour d'elles, s'éloigne, revient, se régularise enfin, et toutes les pensionnaires se pro

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qu'elle appelait elle-même, comme on le verra plus bas, ses OEuvres de jeune fille, on remarque une petite pièce intitulée la Mélancolie. Elle est terminée par le passage suivant: « Aimable et douce Mélancolie, ma fidèle compagne, ne » m'abandonne jamais entièrement! Je te dois mes plaisirs, je connais tous tes charmes ; le voile dont tu caches tes agrémens les fait méconnaître au vulgaire : tu les réserves » pour tes favoris: que je sois toujours de ce nombre ! Les > biens que tu leur dispenses ne causent point de soucis, » n'entraînent pas de remords. Si quelquefois tu t'éloignes un peu, que ce soit dans ces seuls momens où, rassemblés » autour de nos foyers, dans la saison rigoureuse, l'esprit, aiguillonné par les folâtres enfans des jeux, fait diversion » à tes douceurs avec quelques amis; mais reviens promp>>tement charmer la solitude et ravir nos cœurs. » Ce style a déjà du nombre, de l'harmonie, de l'élégance; et cependant la femme qui s'exprimait ainsi n'avait alors que dixsept ans. (Note des nouveaux éditeurs.)

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