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il vit des arbres élevés et chargés de divers genres de fruits. Il se mit à prendre des fruits et à les manger, et il en donnait et distribuait au peuple nombreux qui était assemblė.

A son réveil il fit connaître la chose à Rabban Çauma: « J'ai vu, lui dit-il, un songe qui m'a troublé. »

Rabban Çauma lui dit : « Raconte-le moi. »

Il le lui raconta et Rabban Çauma l'interpréta en disant : « Comme tu as étendu ton bras qui s'est allongé jusqu'à ce que tu atteignisses la croix et les images des saints et en fusses béni, ainsi tu parviendras à la grande dignité des Patriarches. Comme tu as mangé et fait manger au peuple des fruits des arbres, ainsi tu jouiras toi-même du don céleste qui viendra sur toi; et tu en feras jouir beaucoup de peuples. »>

De nouveau, dans la nuit suivante, Mar Jabalaha eut une autre vision.

Il lui semblait être sur un trône élevé; autour de lui se trouvait réunie une foule nombreuse qu'il instruisait. Et comme il parlait, sa langue s'allongea au point de sortir de sa bouche: elle se divisa en trois branches et sur chacune il y avait quelque chose qui ressemblait à du feu. Le peuple qui se trouvait là était dans l'admiration et glorifiait Dieu.

Quand il fut éveillé il raconta de nouveau ce songe à Rabban Çauma qui lui dit : « Ceci n'est pas un songe, mais une révélation, ou quelque chose de semblable à une révélation; car cela ne diffère en rien de l'Esprit-Saint qui se posa sur les Apôtres sous la forme de langues de feu '. L'Esprit-Saint se posera aussi vraiment sur toi et mettra entre tes mains le trône patriarcal pour exercer son ministère et accomplir son service. »

CHAPITRE V

MAR JABALAHA EST ÉLU PATRIARCHE.

Quand ces choses arrivèrent le Catholique Mar Denha vivait encore, mais il était tombé malade à Bagdad. Beau

1. ACT. II, 3.

coup de moines et d'évèques avaient eu des songes du même

genre.

Après quelques jours, la pensée vint à Mar Jabalaha de se rendre à Bagdad près du Catholique pour recevoir un présent, avec la chape et le bâton pastoral qu'il devait emporter dans son pays.

Comme il approchait de Bagdad, il rencontra un homme qui le connaissait, et qui lui dit : « Le Catholique est mort. Peut-être qu'en pressant ta monture tu arriveras avant son enterrement. >>

Mar Jabalaha, profondément affligé et le cœur triste, se hâta jusqu'à ce qu'il fût parvenu à la porte de l'église où il entra et vit des groupes nombreux qui pleuraient, d'autres qui priaient. Il s'avança jusqu'au cercueil, enleva son manteau, déchira ses vêtements et éclata en sanglots amers, jusqu'au point de tomber par terre comme mort.

Après un instant, ils le relevèrent, le revêtirent de son manteau et le consolėrent. Quand l'office fut terminé, on enterra le Catholique de mémoire bénie, et les évêques retournèrent à la résidence 1.

Le lendemain les Pères se réunirent pour choisir la personne qu'il convenait de placer sur le siège patriarcal 3.

Parmi eux se trouvaient d'abord Maran-'ammeh, le métropolitain d'Elam, ensuite celui du Tangout, celui de

1. Denha habitait, à la fin de sa vie, dans le palais concédé par Houlaghou au patriarche Makika. Il était situé près du Tigre, et alors converti en couvent. Denha fut inhumé dans l'église de ce couvent, auprès de son prédécesseur. Les chrétiens furent plus tard, en 1296, obligés d'enlever leurs corps, lors d'une émeute dont nous parlerons plus bas.

2. Denha mourut le 24 février 1281. Le siège patriarcal demeura vacant pendant huit mois, car Jabalaha ne fut sacré qu'au mois de novembre; mais tout porte à croire que l'élection eut lieu aussitôt après l'enterrement de Denha, comme l'affirme notre auteur.

3. Voici comment ASSÉMANI fixe les limites de la région d'Elam : « Elam, Elymais regio, Elamitae seu Elymaei populi, ad occasum Persidis propriae dictae, in Susianae regionis confinio, inter Sinum Persicum ad meridiem, et Mediam ad boream... Antiqui scriptores distinguunt Elymaïdem a Susiana : et Suzianam quidem ponunt inter Assyriam a septentrione, Tigrim amnem ab occasu, Eulaeum fluvium seu Elymaidem regionem ab ortu, et Sinum Persicum a meridie; Elymaidem vero patere aiunt inter Eulaeum et Oroatim fluvios a Media usque ad Sinum Persicum. Elamitis, Susiis, Cossaeis et Huzitis Metropolitanus, apud Nestorianos praefuit a Persico diversus, qui primum inter Metropolitanos locum obtinebat, ut supra [pag. 420] dictum est. Ejus tituli (episcopales) fuere Elam, Lapetae, Husitarum, et Gandi-sapor. ASSEMANI, Bibl. or., III, part. 2, pag. 744.

4. Voir ci-dessus, page 21, note 1.

Tirhan' et celui du Tour 2, avec les magnats, les notables, les scribes, les juristes et les médecins de Bagdad. L'un disait : ce sera un tel, l'autre tel autre; jusqu'à ce qu'enfin ils furent tous d'accord que Mar Jabalaha serait le chef et l'administrateur du siège de Séleucie et de Ctesiphon 3. Le motif de son élection fut que les rois qui tenaient les rènes du pouvoir étaient Mongols, et il n'y avait personne en dehors de lui qui connut leurs mœurs, leurs procédés et leur langue.

Quand ils lui dirent ces choses, il repoussa leur proposition et allégua des raisons: « Je manque, dit-il, de la science. et des connaissances ecclésiastiques. Je n'ai aucune éloquence, comment puis-je devenir patriarche? Je ne connais

1. Tiran, Tihran, ou Tiroun Kerouen, est une ville de la province d'IrakAdjémi, dans la Perse centrale, à 46 kil. O.-N.-O. d'Ispahan, sur un affluent du Zeudeh-Rouh qui se perd dans le marais de Gavkhauch. Cf. ASSÉMANI, Bibl. or., III, part. 2o, pag. 785; HOFFMANN, Auszüge aus syriscken Akten etc., p. 188. 2. Tour, ou Tour 'abdin, « montagne des serviteurs » ou des moines, qui reçut ce nom à cause du grand nombre de monastères dont elle fut couverte vers les IV-VIIe siècles, et dont on retrouve encore aujourd'hui les ruines. Géographiquement parlant, cette région comprend le massif dolomitique et le plateau du Taurus kurde qui est séparé des monts de Mardin à l'O. par une large vallée, s'appuie au S. sur les monts Baarem, plonge à l'E. sur la rive droite du Tigre et se continue au N. par le plateau d'et-Thôr qui le sépare de la rive droite du Didjel ou branche occidentale du Tigre. L'ensemble du massif avec le plateau forme une étendue de 30 kil. du S. au N. sur 75 de l'E. à l'O. Les sommets sont presque tous sans arbres, souvent mème sans gazon; mais au pied des escarpements méridionaux, les campagnes, arrosées par des torrents ramifiés en mille canaux, sont un immense jardin où se pressent les villages aussi nombreux que dans les contrées les mieux cultivées de l'Europe. 3. Séleucie et Ctésiphon sont deux villes de l'ancienne Babylonie, aujourd'hui ruinées. Elles étaient situées sur le Tigre à 35 kilom. S.-E. de Bagdad. Séleucie, fondée sur la rive droite du Tigre, en 307 avant notre ère, par Séleucus Nicator, devint la première capitale du royaume de Syrie, sous les Séleucides. En l'an 140, elle fut la résidence des rois Parthes, mais bientôt la fondation de Ctésiphon, en face d'elle, sur l'autre rive du fleuve, lui fit perdre toute son importance. Cette seconde ville ne fut d'abord que la résidence d'hiver des rois, mais elle acquit en peu de temps un grand développement et porta un coup mortel à Séleucie. Prise par Trajan en 115, elle fut ruinée par Septime Sévère en 198. Par son commerce, elle fut, sous les princes sassanides, une des cités les plus florissantes de l'Asie-Mineure. Ce n'est plus qu'une petite bourgade de 2,000 hab., que les Arabes appellent al-Madain. On y voit encore les restes d'un grand édifice, situé à une faible distance du Tigre, que la tradition locale considère comme le palais de Chosroès le Grand. Les débris des monuments de ces deux villes ont servi en grande partie aux Arabes à construire Bagdad. D'après AMROU et les écrivains syriaques, ce siège doit son origine à Mar Maris. Il est certain que la dignité de métropolitain lui fut reconnue dans les premiers conciles. Plus tard, quand Bagdad fut fondée et devint la résidence des khalifes, les pasteurs Nestoriens, qui avaient transformé la dignité de métropolitain en celle de patriarche, ne cessèrent de conserver ce titre, bien qu'ils fissent de la capitale le lieu ordinaire de leur résidence. Cf. ASSÉMANI, Bibl. or., III, 611, et I, 10.

pas non plus votre langue syriaque qui est absolument nécessaire 1. »

Mais eux, ayant insisté, il se conforma à leur pensée et accepta. Tous lui donnèrent leur consentement, les évêques, les prêtres, les magnats, les juristes et les médecins de Bagdad.

Il se mit en route pour venir près de Rabban Çauma, au saint monastère de Mar Micael de Tar'el. Les moines avaient. déjà appris la mort du saint père Mar Denha, et quand Mar Jabalaha arriva ils le reçurent avec joie, le consolèrent et furent d'accord qu'il devait devenir Catholique. C'était un mouvement divin, et toute créature sert forcément à l'accomplissement d'une chose qui vient de Dieu.

Quand il s'entretint avec Rabban Çauma, celui-ci lui dit : « C'est la volonté de Dieu, tu ne peux t'y soustraire. Allons maintenant près du roi Abaka, et, s'il accepte la chose, reçois la consécration. >>

Ils se mirent donc en route, avec l'assentiment des évêques et des moines qui les accompagnaient, pour l'Adherbaidjan, car c'était là que les rois passaient l'été. Ils arrivèrent prės du roi à la montagne Noire 3, qu'on appelle en persan Siahcouh (et en turc cara dagh). Les émirs les introduisirent et ils présentérent leur requête.

Ils dirent au prince : « Vive le roi à jamais! Le Catholique est mort, et tous les chrétiens sont tombés d'accord pour vouloir mettre à sa place ce métropolitain venu des pays de l'Orient pour aller à Jérusalem. Qu'ordonne le roi? »

1. Le continuateur de la Chronique ecclésiastique de BAR HÉBRÉUS s'exprime à peu près dans les mêmes termes, et, bien que Jacobite, il se montre assez bienveillant dans ses jugements sur Jabalaha « qui, dit-il, quoique pauvre en doctrine et ignorant de la langue syriaque, était cependant un homme d'un bon naturel, doué de la crainte de Dieu, qui montra beaucoup de charité pour nous et les nôtres » (t. II, p. 451). Ce qui valut à Jabalaha cet éloge, ce fut sans doute sa conduite lors du décès de Bar Hébréus qui mourut le 30 juin 1286, à Maragha, où le Catholique se trouvait alors. En cette circonstance, « il défendit de sortir et d'ouvrir les boutiques... et envoya aux funérailles les évêques qui se trouvaient auprès de lui avec de nombreux et grands cierges » (Ibid., col. 274).

2. Avec eux se trouvait l'émir Yaschmout, dont nous aurons bientôt à parler, qui était lui-même de race ouïgoure et semble avoir contribué largement, par son influence, à l'élection de Jabalaha (cf. BAR HÉBREUS, Chron. eccl., II, 451). 3. Siah-Koh ou Siah-Kou, « la Montagne Noire », est un nom commun à plusieurs chaines situées en diverses régions. Celle dont il est question ici est le massif montagneux qui longe la rive droite de l'Araxes, au nord de Tauriz.

Celui-ci répondit : « Cette pureté d'intention et de conscience est digne d'admiration! Dieu est avec ceux qui l'invoquent et font sa volonté. Celui-ci et son compagnon sont venus de l'Orient pour aller à Jérusalem: cela est arrivé par la volonté de Dieu; nous aussi, nous accomplirons la volonté divine et la demande des chrétiens. Que celui-ci devienne votre chef et qu'il siège sur le trône patriarcal. » Et prenant la main de Mar Jabalaha il lui dit : « Sois courageux et gouverne; que Dieu soit avec toi et qu'il te vienne en aide! » Il lui mit sur la tête le manteau qui était jeté sur ses épaules, et lui donna son propre fauteuil qui était un petit trône. Il lui donna aussi un parasol, qu'on appelle en mongol soukor, et qu'on élève au-dessus de la tête des rois, des reines et des membres de la famille royale pour les protéger contre la force du soleil et de la pluie, mais la plupart du temps pour leur faire honneur1. Il lui donna encore une paiza ou tablette d'or portant des insignes royaux et les diplômes d'usage (c'est-à-dire qu'il reçut

1. Ceci concorde parfaitement avec les données de MARCO POLO qui nous dit (chap. LXXx) que tous ceux qui ont reçu la paisa d'or « si ont par commandement que toute fois que il chevauchent doivent avoir sus le chief un palieque que on dit ambrel que on porte sur une lance en senefiance de grant seigneurie. Et encore que toute fois que il siet, il siet en chaiere d'argent ».

La Chronique Géorgienne raconte que, parmi les chefs géorgiens qui vinrent trouver Houlaghou à Tauriz, quelques-uns furent nommés soukourchi, c'est-à-dire porte-ombrelle. Et, à ce propos, l'écrivain fait remarquer que l'ombrelle que l'on portait au-dessus du kakhan était ronde, attachée à un grand support et constituait un privilège réservé aux seuls membres de la famille du prince (cf. HowORTH, III, 109). Nous savons d'ailleurs que, dès la plus haute antiquité, les personnages officiels chinois ont eu des insignes particuliers de leurs fonctions, qu'ils portaient ou faisaient porter devant eux en public. Encore maintenant, le cortège d'un mandarin est toujours précédé de différents insignes: oriflammes, dais de différentes couleurs, portés par des hommes de son escorte. Dans toutes les anciennes monarchies de l'Orient, le dais ou palique (variante de paile), aussi appelé ombrelle, qui avait quelquefois la forme d'un grand éventail ou d'un étendard à queue (sur les bas-reliefs assyriens, en Chine et en Mongolie), était en public la marque distinctive des souverains, des princes et des princesses. On peut s'en convaincre en examinant les bas-reliefs découverts à Ninive et à Babylone, les peintures, et les sculptures de l'Égypte. C'est seulement en Chine que l'on peut retrouver maintenant encore dans ses formes vivantes cette ancienne civilisation de l'Orient, si différente de la nôtre; mais cet usage était encore pratiqué en Égypte à la fin du xve siècle. « Le sultan se faisait porter au dessus de la tête, lorsqu'il sortait à cheval en grand cortège, un parasol fait en forme de voûte, couvert d'étoffe de soie jaune brochée d'or, et au haut duquel était un oiseau d'argent doré. Ce parasol était porté par un des émirs commandants de cent hommes qui marchait à cheval auprès du sultan. » S. DE SACY, Chrest. arabe, II, 268. 2. Le mot paisa, dérivé probablement du chinois paï-tseu, désigne la tablette de commandement que recevaient les fonctionnaires comme insigne de leur

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