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sement de formes. Le premier prince du sang se joignit à eux. Soit qu'il eût hérité de cet esprit d'indépendance et de cette prévention pour la liberté qui avait caractérisé son bisaïeul; soit qu'il s'amusât d'être sous Louis XVI le chef de l'opposition parlementaire, comme le feu prince de Conti s'en était amusé sous Louis XV; soit enfin que des jalousies et des démêlés de cour dont il croyait avoir à se plaindre, l'eussent sérieusement aigri, le duc d'Orléans éleva la voix pour demander si c'était une séance royale ou un lit de justice qui se tenait actuellement? Sur la réponse du garde-des-sceaux que c'était une séance royale, le prince soutint qu'on devait compter les voix. On répéta l'assertion contraire, et le duc d'Orléans demanda qu'on insérât dans l'enregistrement qu'il avait été fait du très-exprès commandement du roi. On repoussa cette proposition, et le duc sans hésiter, dit, « qu'il ne lui restait plus qu'à protester contre l'illégalité avec laquelle cette séance était ter» minée (1). ›

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(1) Le lecteur attachera sans doute d'autant plus d'intérêt aux détails suivans, qu'ils sont écrits par un témoin oculaire qui assistait lui-même, comme membre du parlement, à cette séance mémorable.

<< Quand toutes les voix eurent été prises par le premier président, au lieu de laisser former au moins le vœu du parlement par la rédaction des avis et la suspension des suffrages, le garde-des-sceaux monta auprès du roi, conféra quelques momens avec lui à voix basse; après quoi le roi consterna l'assemblée en prononçant ces paroles : « Après avoir entendu vos avis, je trouve qu'il est né

Le roi retiré, le parlement resta en séance, Le duc d'Orléans fut prié de mettre sa protestation par écrit, et ne la fit pas attendre. La grande majorité s'y réunit, et il sortit des chambres assemblées un arrêté conçu en ces termes : « La » Cour, délibérant sur l'illégalité de ce qui » vient de se passer à la séance du roi, dans

» cessaire d'établir les emprunts portés dans mon crédit. J'ai pro» mis les états-généraux avant 1792, ma parole doit vous suffire. >> J'ordonne que mon édit soit enregistré. » Le garde-des-sceaux prononça aussitôt l'enregistrement comme dans un lit de justice. Uné légère rumeur parcourait les rangs pendant que le greffier en chef écrivait sur le replis de l'édit la mention de l'enregistrement, lorsque le duc d'Orléans, placé très-près du roi, éleva la voix pour protester contre la séance qu'il qualifia d'illégale, et demanda qu'il fût dit que l'enregistrement était fait du très - exprès commandement de Sa Majesté. Le roi surpris répondit avec embarras ces proprès paroles : « Cela m'est égal..... Vous êtes bien le » maître.. Si.. c'est légal, parce que je le veux. » Il fut fait ensuite lecture de l'édit concernant les non-catholiques; après quoi le garde-des-sceaux ayant pris de nouveau les ordres du roi, remit la délibération au lendemain en assemblée ordinaire. Il était einq heures du soir, et l'assemblée durait sans interruption depuis huit heures du matin *.

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Aussitôt après le départ du roi, les enquêtes demandèrent avec vivacité la continuation de l'assemblée, s'écriant qu'après ce qui venait de se passer, il n'était pas sûr qu'il y eût un lendemain

* Au moment où le roi se leva pour sortir, dit en note l'écrivain véridique dont nous empruntons ces détails, Molé de Champlatreux, gendre du garde-des-sceaux, quitta sa place et vint se mettre à côté de moi qui, étant le dernier reçu du parlement, étais auprès de la barre; et lorsque Lamoignon passa, il lui dit : «Quelle scène vous venez de » faire!» Lamoignon, continuant sa marche, répondit gravement ? * C'est l'usage. »

pas

>> laquelle les voix n'ont été recueillies, comp»tées et réduites en la manière prescrite par les >> ordonnances, de sorte que la délibération n'a point été complète; déclare qu'elle n'entend >> prendre aucune part à la transcription ordonnée >> et faite sur ses registres de l'édit d'emprunt >> graduel et successif pendant cinq années, et sur >> le surplus continue la délibération à demain. »

Le surplus était ce second édit dont nous avons indiqué l'objet, cette loi qu'appelaient depuis si long-temps la raison, la justice, l'humanité; qui, ne pouvant guérir la blessure faite à la France par la révocation de l'édit de Nantes, en adoucissait du moins les suites funestes, donnait un état civil à tous les protestans restés dans cet empire,

pour le parlement, ou du moins que tous ceux qui avaient assisté à la séance continuassent à jouir de leur liberté. On demanda au duc d'Orléans de répéter sa protestation, et elle fut écrite sur le registre en ces termes : « Sire, je supplie Votre Majesté de per» mettre que je dépose à vos pieds et dans le sein de la Cour la dé» claration que je regarde cet enregistrement comme illégal, et » qu'il serait nécessaire, pour la décharge de ceux qui sont cen» sés y avoir délibéré, d'y ajouter que c'est par l'exprès com» mandement de Votre Majesté *. »

(Note des nouv. édit.)

* " Le duc d'Orléans n'avait pas prononcé ces propres paroles. Il était fort embarrassé de rassembler ses phrases, quand le parlement voulut en faire registre ; et, comme il répétait assez mal sa leçon, quelques-uns le reprenaient, et par-dessus tous l'abbé ***, de sa place, le remettait sur la voie et se chargeait de dicter pour lui; ce qui causait quelque confusion; sur quoi une voix s'écria assez plaisamment: «Eh! » Messieurs, écoutez M***; ne voyez-vous pas qu'il doit savoir cela >> mieux que M. le duc d'Orléans. »

et aurait dû, ce semble, les concilier à l'autorité paternelle de Louis XVI. Le malheur du parlement devait être de résister même à cet édit, comme le malheur de Louis XVI devait être de se voir encore puni de ce bienfait.

Il était sans doute impossible que le roi laissât subsister l'acte par lequel le parlement venait de décréditer un emprunt indispensable pour la conservation de l'État, et aucun homme sensé ne dut être surpris d'apprendre dès le lendemain. que le roi mandait la grande députation du parlement avec ses registres. Mais le premier ministre, qui semblait avoir résolu de se montrer sévère et d'être faible, s'abandonna légèrement à cette tyrannie odieuse qui punit la liberté individuelle des suffrages dans un corps constitué par la loi pour délibérer. Il fit enlever par lettres-de-cachet deux magistrats qu'il envoya prisonniers dans deux châteaux forts. Un troisième ordre de la même nature exila le duc d'Orléans dans sa terre du Rainci, et cette punition aggrava la haine que ce prince avait déjà vouée depuis long-temps à la cour.

Grâce à cette dernière entreprise du ministère, le parlement qui n'eût pu se présenter à Versailles qu'en accusé, pour subir la radiation de ses registres, se présenta en accusateur dénonçant l'emprisonnement ou l'exil illégal, et réclamant la liberté immédiate de deux de ses membres et celle du premier prince du sang. Le roi commença par faire biffer sur les registres l'arrêté de la veille, et défendit

expressément de le remplacer d'aucune manière. Quant au prince et aux deux magistrats dont la liberté était demandée, toute la réponse du roi fut « qu'il avait puni deux magistrats dont il avait dû » être mécontent, et que lorsqu'il s'était déterminé » à donner des marques de mécontentement à un >> Prince de son sang, il ne devait aucun compte » de ses raisons à son parlement (1). »

De ces derniers mots, des actes d'autorité qui les avaient amenés, sortit non-seulement une contestation nouvelle ajoutée à tant d'autres, mais le débat le plus dangereux par sa nature et par ses conséquences, un débat non sur l'emploi, mais sur l'existence même des lettres-de-cachet; une réclamation non d'aucun droit particulier appartenant au prince exilé, aux deux magistrats captifs, mais du droit universel inhérent à vingt-quatre millions

(1) « Je fus de cette députation, dit M. Sallier dans l'ouvrage que nous nous plaisons à citer; et parmi différentes observations que j'eus lieu de faire en plus d'un sens, j'eus occasion de remarquer combien quelques-uns de ceux que leur devoir appelait à être les défenseurs du trône, et qui travaillaient dès lors à la révolution, se jouaient déjà du respect et des bienséances.

>> La députation se retirait. Je sortais le dernier du cabinet avec les gens du roi. Nous touchions encore le seuil de la porte, lorsque l'avocat-général Séguier, vicilli dans l'habitude du respect pour les paroles du roi, nous dit à voix très-basse : « Mais cette » réponse n'est cependant pas aussi dure qu'on aurait pu le » craindre.» Hérault de Séchelles, éclatant de rire et parodiant en bouffon la stupidité populaire, répondit tout haut: « O mon » Dieu! oui! Vive notre bon roi!» Ann. franç. par M. Sallier, pag. 139. (Note des nouv. édit.)

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