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424.

422.

Nicias.

juste mesure des horreurs auxquelles ils durent se livrer dans les batailles et dans les invasions.

Ailleurs, autres barbaries. Douze cents Corcyréens avaient été conduits prisonniers à Corinthe; lorsqu'ils s'attendaient à soufrir toute espèce de maux, ils furent, au contraire, traités de la manière la plus courtoise, les Corinthiens voulant leur prouver combien leur amitié était préférable à la domination d'Athènes. Rendus à leur patrie, ils s'employèrent à la détacher des Athéniens; mais, contrariés par les démocrates, ils pénétrèrent dans le sénat et donnèrent la mort à soixante de ses membres les plus favorables à Athènes, où les autres réussirent à se mettre à l'abri. Au milieu du désordre qui en est la suite, les Spartiates surviennent; hommes et femmes leur opposent une résistance intrépide, et les flammes dévorent la moitié de la ville; des renforts arrivent à l'un et à l'autre parti; un combat long et meurtrier s'engage entre les riches et le peuple, qui, dans sa fureur sauvage, passe ses adversaires au fil de l'épée.

C'est ainsi que la guerre, dont aucun plan ne réglait la direction, semblait avoir pour but, non la victoire, mais la destruction de la plus belle partie du monde. Le Spartiate Brasidas, l'un de ces grands généraux qui sont d'ordinaire produits par les révolutions, voyant qu'il n'y avait rien de décisif à espérer sur les mers de la Grèce, se tourna vers la Macédoine; après avoir conclu une ligue contre les Athéniens, il soumit ou réduisit plusieurs villes de la Thrace, prit Amphipolis, dont le territoire était riche en bois de construction, et se disposa à conquérir Thasos avec ses mines d'or. Thucydide fut exilé pour avoir mal défendu Amphipolis; Cléon partit avec une nouvelle flotte, livra une bataille dans laquelle il périt ainsi que Brasidas, et laissa aux Spartiates une victoire trop chèrement achetée par la mort d'un tel général.

Les Athéniens découragés finirent par demander sérieusement la paix, d'après l'avis de Nicias, général aussi prudent que valeureux, à qui la mort de Cléon laissait le premier rang dans Athènes; c'était un homme modeste et de mœurs irréprochables, brave de sa personne, quoiqu'il ne fût pas au même degré prompt et résolu Paix de Nicias. à prendre un parti. Une paix de cinquante ans fut donc conclue d'après ses conseils; mais les causes de la guerre n'étaient pas détruites. Des plaintes s'élevaient de tous les côtés, et il était aisé de voir que les hostilités recommenceraient dès qu'un ambitieux y trouverait son compte.

421.

Alcibiade.

Cet ambitieux parut bientôt dans la personne d'Alcibiade, neveu de Périclès. Un jour que son oncle réfléchissait profondément

sur les moyens de rendre au peuple les comptes demandés, Alcibiade lui dit : Tu devrais réfléchir plutôt sur les moyens de ne pas les rendre. Par ce conseil, trop bien suivi d'ailleurs, on pouvait déjà reconnaître le caractère de l'homme, chez qui l'intrigue et la vanité tiendraient lieu d'habileté véritable et de patriotisme. Beau, riche, éloquent, instruit, recommandé au peuple par la mémoire de Périclès, il devait être doué de qualités rares, puisque Socrate l'aima tendrement, lui sauva la vie dans le combat de Potidée, et mit tout en œuvre pour le faire tourner au bien; mais, probablement, il usait avec son maître de cette versatilité qui lui permettait de se montrer à son gré, tantôt l'homme le plus vertueux, tantôt le débauché le plus effréné. Alors vivait à Athènes Timon, extravagant qui s'intitulait le Misanthrope, parce qu'il faisait profession de haïr la race humaine; il se présenta un jour à la tribune. Un grand silence se fit aussitôt, et l'attention fut générale que peut venir proposer le Misanthrope? « Citoyens, dit-il, j'ai dans la cour de « ma maison un figuier, et j'ai l'intention de l'abattre ; j'ai voulu << vous en donner avis, afin que si quelqu'un a le dessein de s'y << pendre, il ait à se hâter. » Il avait deviné qu'Alcibiade serait funeste à son pays, et dès lors il lui fit le meilleur visage, comme à l'auteur de la ruine future d'Athènes Tel pouvait devenir en effet celui qui savait, par ses saillies, se faire pardonner ses méfaits. Veut-il détourner l'attention d'un projet qu'il médite, il expose en public un tableau dans lequel il est repésenté nu, dans les bras de courtisanes nues. Apprend-il qu'on murmure de sa vie licencieuse, il fait couper la queue à un très-beau chien, qui lui avait coûté plus de trois mille francs, et l'on ne parle plus dans Athènes que du chien mutilé. A coup sûr, celui-là connaissait le peuple.

Ayant reconnu que le seul moyen de conserver la prééminence à sa patrie était de la pousser à la guerre, il contraria Nicias et le fit même soupçonner de s'entendre avec les Spartiates. Le retard apporté par ceux-ci à l'évacuation d'Amphipolis lui fournit l'occasion désirée, et les hostilités recommencèrent. Athènes s'allia aux Argiens, Sparte aux Thébains, aux Corinthiens, aux Mégariens. Sparte aurait écrasé sa rivale, si elle avait eu un général, ou seulement de la confiance dans celui qui commandait ses armées; mais elle se défiait de ses meilleurs capitaines, et attachait aux côtés du roi Agis six éphores qui, investis du droit de s'opposer à ce qu'il voulait faire, l'entravaient dans tous ses mouvements. Aussi la guerre se borna-t-elle, durant trois ans, à secourir de part et d'autre les alliés menacés, jusqu'à ce que la bataille de Mantinée, gagnée par les Spartiates, fit succomber

Nouvelle

guerre.

419-415.

Destruction. de Mélos.

le parti athénien, et déjoua les projets ambitieux d'Alcibiade. Les Athéniens avaient exigé que l'île de Mélos se soumît à leur autorité ; en pleine assemblée, ils dirent à ses envoyés que c'était aux forts de dominer les faibles, que le ciel le voulait ainsi. Les insulaires ne se rendirent pas à des raisons si vieilles et si nouvelles à la fois, et prétendirent rester neutres. Ils furent alors attaqués, vaincus et voués à l'extermination; les hommes furent massacrés, les femmes et les enfants réduits en esclavage. Après avoir joui de sept cents ans de tranquillité, cette île, devenue déserte, fut repeuplée au moyen de nouvelles colonies.

Dans l'intérieur d'Athènes, la lutte était perpétuelle entre Alcibiade et Nicias, entre les jeunes gens pleins de témérité et les hommes mûrs et prudents, entre la violence populaire et la pusillanimité qui soupirait après la paix. Un certain Hyperbolus voulut se jeter à la traverse, dans l'espoir d'élever sa nullité sur la ruine des deux partis; mais il succomba et fut puni par Abolition de l'ostracisme. Une telle déconsidération s'attacha dès lors à la peine qui l'avait atteint, qu'à partir de ce moment elle ne fut plus infligée à aucun grand citoyen (1).

Postracisme.

422.

Sicile.

415-413.

La lutte devint surtout très-vive entre Alcibiade et Nicias, quand le premier remit en avant l'idée de conquérir la Sicile, proGuerre de jet déjà conçu par Périclès, et qui souriait à la multitude. Nicias en détournait ses concitoyens par de graves considérations, et le résultat ne prouva que trop la justesse de ses prévisions. En effet, une armée, envoyée dans cette île sous les ordres de Nicias luimême, de Lamachus et d'Alcibiade, eut à subir des revers dont nous parlerons ailleurs; Nicias y perdit la vie, et la puissance d'Alcibiade s'écroula avec sa patrie. Rappelé pour se défendre du crime de lèse-religion, il se réfugia à Sparte, dont il sut, en affectant l'austérité dorienne, acquérir la confiance et l'amour; comme on lui annonçait qu'Athènes l'avait maudit et condamné à mort (2),

Exil d'Alcibiade.

(1) FR. MICHAELIS, De demagogis Atheniensium post mortem Periclis; Königsberg, 1840.

VISCHER, Die olig. Partei und die Hetarien in Athen; Bâle, 1836.

(2) Voici l'acte d'accusation porté contre Albiciade : « Thessalus, fils de Cimon, du bourg de Laciade, accuse Alcibiade, fils de Clinias, du bourg de Scambonide, d'avoir commis une impiété contre les deux déesses Proserpine et Cérès, en contrefaisant leurs mystères et en les offrant aux regards de ses compagnons dans sa maison, où il avait revêtu un costume pareil à celui de l'hiérophante, en prenant lui-même le nom de ce pontife; en donnant à Polytion l'emploi de porte-flambeau; à Théodore, du bourg de Phégée, celui de héraut, et à ses autres compagnons ceux de mystes et d'époptes : le tout contrairement aux lois et aux cérémonies instituées par les Eumolpides, par les bérauts et par les prêtres d'Eleusis. » PLUTARQUE, Vie d'Alcibiade, 26.

il s'écria: Je lui ferai bien voir que je suis vivant. En effet, il suggéra aux Spartiates d'envoyer des secours à Syracuse, et de s'élever ainsi au rang de puissance maritime, pour s'opposer à la politique constante de Thémistocle, de Cimon et de Périclès; il leur conseilla même de fortifier Décélie, place très-voisine d'Athènes, de soulever contre elle les alliés et de se mettre d'accord avec les Perses, ce qu'ils exécutèrent: tant le perfide sut être funeste à sa patrie! Il avait cela de particulier que, dans quelque pays qu'il fût, il imitait avec la plus grande facilité les mœurs et le caractère des personnes avec lesquelles il se trouvait on le vit tour à tour, se livrer, en Ionie, aux délices et à l'oisiveté; en Thrace, monter à cheval et s'adonner à l'ivresse; rivaliser, chez le satrape Tissapherne, de luxe et de magnificence avec les Perses les plus somptueux, et se montrer, à Sparte, sobre, laborieux, austère. Il ne sut pourtant contenir si bien ses vices qu'il ne déshonorât la couche du roi Agis, et n'eût l'audace de s'en vanter. Agis, pour se venger, le rendit suspect aux principaux citoyens, ce qui l'obligea, pour échapper à la mort, de se réfugier chez les Perses.

Athènes se trouvait alors sans flotte, sans alliés, et le trésor était vide; elle avait perdu quarante mille hommes, deux cent quarante gros navires en Sicile, deux cents dans l'Hellespont, autant en Egypte, et dix mille hoplites dans le Pont; elle se voyait donc au bord du précipice; mais, d'un côté, sa prodigieuse activité, de l'autre, la lenteur de Sparte, lui permirent de se relever. Un conseil, élu parmi les anciens, fut chargé de reviser les décisions du peuple dont la toute-puissance avait causé tant de maux ; de nouveaux armements furent préparés, et l'on vit apparaître cette grandeur que déploient d'ordinaire dans les revers les États démocratiques. Malheureusement, le pays était déchiré par les dissensions que fomentait le parti d'Alcibiade; réfugié près de Tissapherne, satrape de Sardes, il acquit ses bonnes grâces par son genre de vie efféminé et magnifique. Repentant ou vindicatif, il chercha à le rendre hostile aux Spartiates et à le rapprocher des Athéniens, en lui représentant qu'il était dans l'intérêt de la Perse de maintenir les Grecs divisés et en équilibre, pour qu'ils ne pussent entreprendre des expéditions au dehors; il entretenait en même temps des relations avec l'armée athénienne, campée devant Samos, et lui annonçait que Tissapherne secourrait certainement Athènes, dès qu'il n'aurait plus affaire à une multitude insensée, mais à un petit nombre d'hommes éclairés.

Son plan lui réussit. Une faction, qui avait pour chefs l'actif

422.

Quatre-Cents.

Pisandre, l'éloquent Théramène, l'intrépide Phrynichus et surtout l'adroit Antiphon, parvint, par la crainte, la persuasion et la ruse, Conseil des à renverser la démocratie; un conseil supérieur, composé de quatre cents citoyens, fut alors institué et investi du droit de faire la paix et la guerre, et de prendre toutes les mesures qu'il croirait nécessaires au bien public.

Le peuple s'aperçut trop tard de son imprudente concession, lorsqu'il vit les Quatre-Cents devenir des tyrans, supprimer le sénat, s'entourer de satellites, se débarrasser, par le poignard ou des tracasseries, de ceux qui osaient s'opposer à leurs actes, et se refuser au rappel des bannis, dans la crainte d'être opprimés par l'influence d'Alcibiade. Beaucoup de citoyens quittèrent donc leurs foyers et se réunirent au camp de Samos, où ils prévinrent les esprits contre ces innovations, en affirmant surtout que les Quatre-Cents voulaient à tout prix la paix avec Sparte. Thrasylle et Thrasybule, vaillants capitaines athéniens, se rendant les interprètes du vœu général, déclarèrent que tout ce qu'on avait fait à Athènes était nul, et qu'il fallait rétablir la démocratie; ils ne répondirent aux ambassadeurs envoyés par les Quatre-Cents que par l'injonction de se démettre sur-le-champ de leur pouvoir usurpé. Supposant tout de suite qu'Alcibiade, qui s'était vu trahi par le parti aristocratique, ne demanderait pas mieux que de contribuer à sa ruine, ils le ramenèrent en triomphe de Magnésie au camp de Samos, dont ils lui remirent le commandement suprême.

Athènes ne dut pas même à cette tyrannie momentanée le seul bienfait qu'elle produise d'ordinaire, l'anéantissement des factions; leur fureur s'était plutôt accrue et le sang coulait. Si la flotte péloponésienne eût attaqué la ville en ce moment, celle-ci aurait eu d'autant moins de chances de salut que l'ennemi avait reçu les renforts des Phéniciens, et qu'on attendait ceux de la Perse. Le découragement parvint à son comble lorsque cette flotte eut battu celle des Athéniens près d'Érétrie, et que, par suite, Rappel d'Alcl- l'Eubée se fut révoltée. Bientôt un décret ordonna qu'Alcibiade fût rappelé et purgé de l'anathème dont il avait été frappé ; du reste, ses bons offices avaient déjà détourné Tissapherne d'envoyer des secours aux Péloponésiens. La tyrannie des Quatre-Cents fut abolie après quatre mois d'existence, les institutions de Solon remises en vigueur, et tout salaire supprimé à ceux qui rempliraient une charge publique.

biade.

410.

A ce moment, Alcibiade brille de son plus grand éclat, et l'Hellespont voit les Athéniens vainqueurs dans trois batailles successives. Les Spartiates, qu'ils défont sur mer et sur terre, à Cyzique,

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