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AVANT-PROPOS

DE L'AUTEUR.

Je n'ai de prétention ni à la gloire littéraire, ni à aucune renommée politique. Lorsque j'ai écrit par sentiment ce que je publie aujourd'hui par devoir, j'étais loin de songer à faire un livre.

J'ai vu la plus grande, la plus puissante reine de l'univers devenir la plus misérable de toutes les créatures humaines; elle avait sucé le lait de ma mère, et l'a comblée d'une bonté qui, si j'ose le dire, a toujours eu quelque chose de filial. Assise sur le trône de France, elle avait voulu que je devinsse Français; elle m'avait obtenu de son royal époux une place de confiance, et jusqu'à la fin elle m'a accordé ce qui valait mieux pour moi que toutes les places du monde, le privilége de lui faire une cour assidue. Jusqu'à la fin l'archiduchesse d'Autriche, la reine de France a daigné appeler du nom de frère son humble et dévoué serviteur. J'ai vu successivement son bonheur et ses tribulations, sa bienfaisance et son courage, ses grâces et ses vertus, les justes adorations qui lui étaient décernées et les outrages sacriléges qui l'ont assaillie. Je me suis trouvé dans plusieurs de ces momens

ployait tout-à-coup aux regards du public cette force d'ame qu'admirait la vertu, et qui en imposa souvent au crime. Enfin je l'ai vue et entendue pour la dernière fois le 10 août 1792. Le 10 août elle a vu, dirigé et récompensé mon zèle; le 10 août j'avais espéré mourir à ses pieds; le 10 août elle me parlait encore par l'organe de Madame Élisabeth, en faisant ce funeste trajet du château des Tuileries à la salle de l'Assemblée, c'est-à-dire, lorsqu'elle était déjà entrée dans l'avenue de la mort. Mes yeux ne l'ont quittée qu'à l'instant où la porte de cette Assemblée, déjà si criminelle, s'est fermée sur toute l'auguste famille : et si mes bra- / ves camarades, les grenadiers du bataillon des Filles de Saint-Thomas, eussent été secondés, cette porte eût été enfoncée avant que le canon des rebelles ne vînt rendre toute résistance inutile.

Quand la reine était conduite au donjon du Temple, il était bien juste que son serviteur fidèle fût jeté dans les cachots de la Force. Pourquoi, grand Dieu! le salut et la ruine, la vie et la mort n'ont-elles pas été distribuées différemment? Plût au ciel que j'eusse été enseveli dans ces massacres du 2 septembre auxquels on m'avait dévoué, et que, pour le bonheur du monde, on eût sauvé les jours et brisé les fers du roi et de la reine de France, de leurs enfans, de toute la famille de Henri IV!

tion française, ont si souvent confondu la raison humaine, au milieu des massacres du 2 septembre, j'ai dû la conservation de ma triste existence à l'intérêt qu'a excité mon dévouement pour ma protectrice, dans une ville où elle-même ne devait plus rencontrer que des monstres pour l'assassiner, et pas un serviteur ni un ami qui pût la défendre.

Je ne pouvais plus appartenir à un tel pays; surtout je ne pouvais pas exécuter l'horrible condition qu'on avait exigée de moi pour me laisser vivre; plutôt que de m'enrôler dans les recrues de la commune régicide, plutôt que de tirer mon épée contre tous mes souverains légitimes, je l'aurais plongée dans mon propre cœur.

Je n'ai donc plus songé qu'à trouver moyen de m'échapper vers ma première et désormais unique patrie; vers ce siége de la loyauté comme de la bravoure, de la sensibilité comme de l'honneur ; vers ce pays qui, de tout temps, s'était glorifié d'avoir donné le jour à Marie-Antoinette, et qui alors pleurait amèrement d'avoir envoyé un tel trésor sur une terre devenue si peu digne de le posséder.

Obligé de me jeter sur une barque du Havre, j'ai eu pour premier refuge l'hospice commun des malheureux, la Grande-Bretagne. Je n'y suis resté que le temps nécessaire pour rendre mes devoirs au ministre de mon souverain, aux principaux défenseurs, aux vrais amis du roi et de la reine de

de moyens

des pensées, des douleurs de cette courageuse et infortunée princesse, le duc de Choiseul, a voulu me conduire lui-même à Bruxelles, et m'a présenté à madame l'archiduchesse Marie-Christine. Hélas! je n'avais que trop de d'exciter l'intérêt de Son Altesse Royale. J'ai satisfait à toutes ses questions. Mes récits ont fait couler ses larmes, mais en même temps ont enflammé son zèle pour la délivrance de l'auguste prisonnière qui était sa sœur.

Le 14 décembre 1792, j'ai eu l'honneur d'être choisi par son excellence le comte de Metternich pour porter à S. M. l'empereur mon maître la première nouvelle, ou du moins le premier espoir de l'accession de l'Angleterre à la ligue formée contre les tyrans de la France et les geôliers de son roi.

Combien de fois, pendant ma route, ai-je regardé, avec des yeux mouillés de larmes qui n'étaient plus amères, les dépêches dont j'étais porteur! Combien de fois me suis-je dit à moi-même : Je tiens dans mes mains le salut du roi et de la reine de France!

Hélas! un mois était à peine écoulé, lorsqu'est arrivée à Vienne la nouvelle du parricide exécrable commis, dans la capitale de son royaume, sur la personne sacrée du vertueux Louis XVI. J'ai senti tous les glaives de douleur qui avaient été plongés au même instant dans le coeur de sa mal

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