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C'est par des choses aimables, et toujours dites à propos, que Marie-Antoinette captivait, avec une sorte d'ivresse, le cœur de tous les Français.

On parlait de l'accueil favorable et distingué qu'elle avait fait à M. le duc de Choiseul; elle dit plaisamment à madame de Noailles : « Ma mère >> nous avait tant parlé du cocher de l'Europe (1), » que j'ai cru devoir le recevoir comme un ami de » ma famille. »

Le duc du Châtelet fut introduit à son tour. Madame la comtesse de Périgord dit à la dauphine que M. le duc du Châtelet avait l'honneur d'être allié à la maison de Lorraine. «< Mon frère, répond » avec finesse la jeune dauphine, assure qu'il y a >> six cents ans que sa famille a cette prétention. » Du reste, un bon serviteur du roi doit avoir un » mérite plus réel que celui d'être mon parent. »

Le caractère du dauphin était un mélange de douceur et de sévérité. Ayant des mœurs pures, une conduite réglée, à l'abri de ces grandes passions toujours si funestes, il annonçait déjà ce qu'un jour il devait être, bon père, bon époux, bon roi.

La nature, ainsi que l'a dit madame de Poli

(1) Surnom donné à M. de Choiseul par Catherine II, impératrice des Russies, parce qu'elle lui attribuait l'honneur de diriger tous les cabinets de l'Europe. (Note de Weber.)

gnac, avait formé Marie-Antoinette pour être assise sur un trône. Une taille majestueuse, une beauté noble, une manière de porter sa tête, difficile à dépeindre, inspiraient le respect. Ses traits, sans être réguliers, avaient, ce qui vaut mieux, un agrément infini. La blancheur de son teint les embellissait, et donnait à son visage un éclat éblouissant. Les manières les plus séduisantes ajoutaient encore à tant de charmes; et dans cette première fleur de sa jeunesse, l'élégance et la vivacité de ses mouvemens, la franche et naïve expression d'un bon coeur et d'un esprit naturel, avaient de quoi plaire particulièrement aux Français d'alors. Elle charma son époux, le roi et sa famille, la cour et la ville, les grands et le peuple, tous les rangs, tous les sexes et tous les âges.

Une circonstance bien douloureuse, et qui dès lors fut interprétée comme un funeste présage, lui fournit trop tôt l'occasion de manifester la bonté de son coeur. Je veux parler du terrible accident arrivé dans la rue Royale, le jour de la fête que donna sur la place de Louis XV la ville de Paris, pour le mariage du dauphin et de l'archiduchesse. Une misérable prétention fut la cause de cette catastrophe. Le prévôt des marchands, chef du corps de ville, réclama le droit d'exercer la police de la fête, qui eût été laissée bien plus sûrement à l'intelligente activité et à la longue habitude de M. de Sartines. Des gardes de la ville inexpérimentés étalèrent des habits brillans, dans les postes où des

soldats moins magnifiques eussent rempli un service plus utile. Aucun ordre ne fut établi pour l'entrée ni pour la sortie de la place, pour la file des voitures, ni pour l'écoulement de la foule. Le feu d'artifice tiré, il y eut un véritable conflit entre la colonne de peuple arrivant du boulevart pour entrer sur la place Louis XV, et celle qui débouchait de la place pour gagner les boulevarts. A chaque minute, chaque colonne grossissait par tout ce qui venait s'y joindre, soit du quai des Tuileries, soit de la rue Saint-Honoré. Déjà le danger était imminent pour ceux surtout qui, se trouvant à la tête des deux colonnes, étaient pressés les uns contre les autres de toute la force qui poussait derrière eux en sens contraire. Dans ce moment le feu prit aux échafauds du feu d'artifice, qui environnaient la statue du roi. Les pompiers avec leurs lourdes machines et leurs robustes chevaux, vinrent se faire jour à travers cette foule immense, déjà si comprimée; quelques voitures privilégiées voulurent profiter du passage une fois ouvert : le désordre fut à son comble. Le jardin des Tuileries eût pu offrir un dégagement; le pont était retiré, et tout ce qui se trouvait sur le bord du fossé poussa avec d'autant plus d'impétuosité vers la rue Royale. Les cris de la terreur s'élevèrent de partout; hélas! et les cris des mourans s'y joignirent aussitôt. Plusieurs malheureux tombèrent en étant refoulés sur les bascôtés de la rue; ceux-là en entraînèrent d'autres dans leur chute quiconque tombait était foulé aux

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ordinaires de sa police. Il arrêta les malheurs qu menaçaient de devenir innombrables; mais un tro grand nombre était sans ressource. En dégagean ces monceaux de malheureux qui avaient été précipités l'un sur l'autre, on en trouva cinquantetrois qui étaient morts, et six fois autant qui étaien ou expirans ou cruellement blessés. Ceux-ci furent transportés et secourus dans toutes les maisons voisines on en sauva à peu près les deux tiers. Les morts furent rangés l'un après l'autre à l'entrée du boulevart, de sorte que toutes les voitures qui défilaient aller aux illuminations des remparts,

pour

ne pouvaient y arriver qu'en longeant ces cinquante-trois cadavres. Le lendemain on les exposa dans le cimetière de la Madelaine, où leurs tristes familles vinrent les reconnaître, et où ils furent ensevelis dans cette même terre qui depuis..... Mais n'anticipons pas sur ces terribles destinées.

On peut juger de la consternation que dut répandre alors un tel malheur. M. le dauphin était accablé. La dauphine était inconsolable. On la surprit plusieurs fois fondant en larmes. Et peut-être on ne nous dit pas tout! répéta-t-elle souvent. Elle ne se trompait pas. L'obscurité des victimes permit d'en diminuer beaucoup le nombre dans les comptes rendus à la cour. Marie-Antoinette et son époux donnèrent tout ce qu'ils avaient pour secourir les survivans infirmes et les familles des morts. Tout

le monde connut, tout le monde se sentit soulagé, en répétant la lettre du dauphin au lieutenant de police: « J'ai appris les malheurs arrivés à mon » occasion : j'en suis pénétré. On m'apporte en ce >> moment ce que le roi me donne tous les mois. » pour mes menus plaisirs : je ne puis disposer que » de cela; je vous l'envoie. Secourez les plus mal>> heureux (1). »

La douleur s'était amortie, et l'impression qu'avait produite la sensibilité du jeune et auguste couple était presque la seule qui restât de ce cruel événement, lorsque le dauphin et la dauphine firent leur entrée publique dans la capitale.

Ce jour fut pour Marie-Antoinette un triomphe de toutes les minutes. Elle était ravissante de

(1) Il est impossible de concevoir où M. de Montjoye a pu prendre ce qu'il dit dans sa Vie de Louis XVI : « qu'on compta des » cadavres dans les Champs-Élysées, sur le quai des Tuileries, » et jusque sur le Pont-Royal. C'est un fait notoire, ajoute-t-il, » qu'on vit dans la durée de cette calamité des hommes, l'épée » nue à la main, se jeter dans la mêlée et frapper tous ceux qui » s'opposaient à leur passage. » Il semble entendre le récit poétique de Théramène :

On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,

Un dieu qui d'aiguillons pressait leurs flancs poudreux.

Et M. de Montjoye prétend, d'après ces allégations, conjecturer, avec assez de vraisemblancé, « que ceux qui ont fait la révolution de 1789 la désiraient dès lors en 1770, et cherchèrent à faire un premier essai de leurs forces, en profitant d'un grand rassemblement pour plonger la masse du peuple dans un accès de désespoir. » C'est, en vérité, écrire avec trop peu de discernement. Nous avons interrogé une foule de Français sur ce fait notoire

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