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mouillées le soir. Ils ont une telle croyance que nul ne peut mourir qu'à son jour, qu'ils dédaignent de s'armer, et, pour maudire leurs enfants, ils disent : « Ainsi sois-tu maudit comme le Franc qui s'arme par peur de la mort. » En guerre, ils ne portent rien que l'épée et le glaive. Presque tous sont vêtus de surplis, comme les prêtres; leur tête est entortillée de toiles, qui leur vont sous le menton. Ce sont laides gents et hideuses à regarder, car leurs cheveux et leur barbe sont tout noirs. Ils vivent du lait de leurs troupeaux, et achètent aux riches les herbages de leurs prairies pour nourrir leurs bêtes. Nul ne saurait dire quel est leur nombre; car il y en a au royaume d'Égypte, au royaume de Jérusalem, dans tous les autres pays des Sarrasins et des mécréants auxquels ils payent chaque année de grands tributs.

«< A mon retour d'outremer, ajoute Joinville, j'ai vu dans notre pays, des chrétiens déloyaux qui suivaient la loi des Bédouins et disaient que nul ne peut mourir qu'à son jour, et cette créance est si déloyale qu'autant vaudrait dire que Dieu n'a pouvoir de nous secourir; car ils seraient fous ceux qui serviraient Dieu, si nous pensions qu'il n'a pouvoir de prolonger notre vie et de nous garder de mal et de mauvaises chances, et devons-nous croire qu'il a pouvoir pour toutes choses faire. »

Les informations rapportées à saint Louis par les messagers que le roi avait envoyés, avec des présents, au puissant souverain des Tartares, offrent un grand intérêt et donnent matière à de sérieuses réflexions. Il y a sans doute quelques erreurs dans le récit de Joinville; mais les faits principaux ne sauraient être niés.

« Ces messagers mirent un an à chevaucher avant de parvenir jusqu'aux chefs, ou plutôt à l'un des lieutenants (de Gengiskhan), et ils trouvèrent les pays assujettis par eux ravagés, plusieurs cités détruites et de grands monceaux d'os de morts. Ils s'enquérirent comment les Tartares étoient parvenus à une telle puissance et pourquoi ils avoient tant détruit et tant tué de gens. Ils répondirent que le peuple des Tartares payoit auparavant tribut et redevance aux rois de Perse et autres rois ; et que les rois tenoient les Tartares en tel mépris que, lorsqu'ils leur apportoient leurs tributs, ils ne vouloient pas les recevoir devant eux, mais leur tournoient le dos. Il y eut parmi ces Tartares un homme sage qui parcourut toutes les plaines, et leur fit voir la servitude où ils étoient, et les engagea à aviser aux moyens d'en sortir. »>

Joinville rapporte le mode à la fois démocratique et fataliste' qu'ils employèrent pour l'élection d'un souverain des

Le récit de Guillaume de Tyr, antérieur de plus d'un siècle à Joinville, et Alberic dans sa chronique, à l'année 1059, racontent, au sujet des Turcs ou Turcomans, un mode semblable d'élection.

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Aigris des humiliations qu'ils avaient endurées, jusqu'alors, du roi de Perse, les Turcomans se comptèrent et virent que par leur nombre ils pourraient défier la Perse et toute autre nation, du moment où ils seraient unis. Pour créer un souverain élu du consentement de tous, ils inscrivirent la population entière (describentes suorum universam multitudinem) et y firent choix de cent familles des plus illustres, avec ordre à chacune d'elles d'apporter une flèche dont la réunion formerait un faisceau de cent flèches. Un enfant pris au hasard y choisit, sous un voile épais, une seule flèche; et il fut convenu que le nom de la tribu qui s'y trouverait inscrit indiquerait celle où le roi serait pris. La tribu Seldjucide ayant été désignée par le sort, les membres de cette famille, au nombre de cent, inscrivirent les noms les plus recommandables chacun sur une flèche; un enfant en fit sortir au hazard le nom de Seldac. » Guillaume de Tyr, liv. 1 §7. - Albéric, Chronique, an 1059.

pote, qui n'accepta le pouvoir qu'après avoir fait jurer aux Tartares « par celui qui a fait le ciel et la terre, obéissance à ses commandements; et tous jurèrent de ne point ravir le bien à aucun d'entre eux, ni de se frapper, sous peine d'avoir le poing coupé, ni d'attenter aux femmes ou aux filles, sous peine de perdre le poing ou la vie. Quant à nos ennemis, leur dit-il, si nous les déconfisons, que le massacre dure trois jours et trois nuits, que nul n'ose toucher au gain, mais ne songe qu'à gens occire; quand nous aurons vaincu, je vous départirai le gain. >>

Les Tartares, après avoir défait et chassé le roi de Perse, qui s'en vint en fuyant jusqu'à Jérusalem, firent prisonnier l'empereur de Constantinople Gautier de Brienne, et proclamèrent comme leur tributaire le roi de France, en sorte que saint Louis se repentit fort de leur avoir envoyé une ambassade avec des présents.

Il résulte de ce récit que les Tartares étaient faibles et méprisés, mais que les outrages et l'injustice les révoltèrent: ce qui causa cette grande invasion qui dévasta l'Asie et mit l'Europe en péril.

Les Chinois, ce peuple inoffensif que l'Europe attaque et méprise, et envers qui l'Angleterre chrétienne enfreint les lois de l'équité et de l'humanité, ne pourraient-ils pas aussi sortir de leur apathie?

Ils sont industrieux, ils ne craignent pas la mort; leur population, toujours croissante, est de quatre cents millions: qu'un chef, un Gengis-Khan, un Napoléon se mette à leur tête, qu'il fanatise le pays au nom de la religion, de la liberté, de la nationalité, drapeaux au-dessous desquels fermentent les passions humaines, que les arts meurtriers de l'Europe remplacent les antiques usages auxquels

ce vieux peuple croit de son intérêt de rester encore asservi, et ne pourrait-on pas revoir une de ces invasions formidables qui mettraient de nouveau l'Europe en péril?

Et la postérité ne dirait-elle pas: ELLE L'A BIEN MÉRITÉ?

III.

OPINIONS DIVERSES SUR JOINVILLE

ET SES MÉMOIRES.

C'est seulement dans ces derniers temps que les littérateurs se sont occupés de Joinville, et moins peut-être qu'ils ne l'auraient dû. Laharpe n'en dit pas un mot dans son Cours de littérature.

Voltaire, qui ne connaissait que l'édition si imparfaite de Pierre de Rieux, et qui par conséquent regardait le texte primitif de Joinville comme n'existant plus, et qu'on n'entendrait aujourd'hui que très-difficilement, ne s'occupe de Joinville que sous le rapport historique, et reconnaît combien << tout ce que raconte un homme de son caractère a de poids. » Mais jugeant le texte qu'il consultait comme une traduction infidèle faite au temps de François Ier, il ne pouvait y attacher, sous le rapport littéraire, l'importance que mérite cette histoire telle que nous la possédons aujourd'hui.

C'est donc à refuter la proposition que les émirs auraient faite dans une assemblée, de choisir saint Louis pour leur soudan, qu'il s'applique principalement : « Si l'on considère, « dit-il, combien il est hors de toute vraisemblance que des << musulmans songent à se donner pour roi un chrétien

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