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estranges, qui puis ne revindrent au roy de grant pièce 1. Lendemain de la Penthecouste le vent fu cheu2; le roy et nous qui estions avec li demourez, si comme Dieu voult, feismes voille derechief, et encontrames le prince de la Morée et le duc de Bourgoingne* qui avoit séjourné en la Morée. Le jeudi après Penthecouste ariva le roy devant Damiete, et trouvames là tout le pooir du soudanc sur la rive de la mer, moult beles gent à regarder; car le soudane porte les armes d'or, là où le soleil féroit3, qui fesoit les armes resplendir. La noise 4 que il menoient de leur nacaires 5 et de leurs cors sarrazinnoiz, estoit espoventable à escouter.

Le roy manda ses barons, et pour avoir conseil que il feroit. Moult de gens li loèrent que il attendit tant que ses gens feussent revenus, pour ce que il ne li estoit pas demouré la tierce partie de ses gens; et il ne les en voult onques croire. La reson pourquoy, que il dit que il en donroit cuer à ses ennemis; et meismement que en la mer devant Damiete n'a point de port là où il peut sa gent attendre, pour ce que un fort vent n'es preist et les menast en autres terres, aussi comme les autres avoient, le jour de Penthecouste.

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Acordé fu que le roy descendroit à terre le vendredi devant la Trinité, et iroit combatre aus Sarrazins, se en eulz ne demouroit 7. Le roy commanda à monseigneur Jehan de Biaumont que il feist bailler une galie à monseigneur Erart de Brienne et à moy, pour nous descendre et nos chevaliers, pour ce que les grans nefz n'avoient pooir de venir jusques à terre. Aussi comme Diex voult, quant je reving à ma nef, je trouvai une petite nef que madame de Baruch**, qui estoit cousinne

arabe qui signifie timbale. -6 N'es: ne les. 7 S'ils n'évitaient le combat, 8 Pooir pouvoir

Pièce espace de temps. Cheu tombé. - 3 Féroit: frappait. Noise bruit. - 5 Nacaire, mot * Le duc de Bourgogne avait passé l'hiver en Morée : il paraît probable qu'il revenait alors de Constantinople, où il était allé pour satisfaire à la promesse qu'il avait faite à l'empereur Baudouin, dès l'an 1238, de le secourir, ainsi que nous l'apprend Albéric des Frois-Fontaines en sa chronique. ** Eschive de Montbéliard, fille de Gautier de Montbéliard.

germainne le conte de Monbeliart et la nostre, m'avoit donnée, là où il avoit huit de mes chevaus. Quant vint au vendredi, entre moy et monseigneur Erart, touz armés alames au roy pour la galie demander, dont monseigneur Jehan de Biaumont nous respondi que nous n'en arions point.

Quant nos gens virent que nous n'ariens point de galie, il se lessèrent cheoir de la grant nef en la barge de cantiers, qui plus plus, qui miex miex. Quant les marinniers virent que la barge de cantiers se esfondroit pou à pou, il s'enfuirent en la grant nef et lessèrent mes chevaliers en la barge de 'cantiers. Je demandai au mestre combien il li avoit trop de gens, et si li demandai se il menroit bien nostre gent à terre, se je le deschargoie de tant gent; et il me respondi : « Oyl; » et je le deschargai en tel manière que par troiz foiz il les mena en ma nef où mes chevaus estoient. En dementres que je menoie ses gens, un chevalier qui estoit à monseigneur Erart de Brene, qui avoit à non Plonquet, cuida descendre de la grant nef en la barge de cantiers, et la barge esloigna, et chéi en la mer et fu noyé.

Quant je reving à ma nef, je mis en ma petite barge un escuier que je fiz chevalier, qui ot à non monseigneur Hue de Wauquelour, et deux moult vaillans bachelers, dont l'un avoit non monseigneur Villain de Versey, et l'autre monseigneur Guillaume de Danmartin, qui est[o]ient en grief courine 3 l'un vers l'autre, ne nulz n'en pooit faire la pez, car il s'estoient entrepris par les cheveus à la Morée; et leur fiz pardonner leur maltalent 4 et besier l'un l'autre, par ce que leur jurai sur sains que nous n'iriens pas à terre à tout leur maltalent. Lors nous esmeumes pour aler à terre, et venimes par delez la barge de cantiers de la grant nef le roy, là où le roy estoit ; et sa gent me commencèrent à escrier, pour ce que nous alions plus tost que il ne fesoient, que je arivasse à l'ensaigne saint Denis * qui

Dans la chaloupe, dans le plus grand nombre, et au mieux qu'ils purent. Menroit: mènerait.

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3 Courine haine. - 'Maltalent : mauvaise volonté, rancune.

5 Sains reliques. -6A tout avec.

* C'est-à-dire, au vaisseau qui portait l'enseigne de Saint-Denis. Cette en

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en aloit en un autre vaissel devant le roy; mès je ne les en cru pas ainçois nous fiz ariver devant une grosse bataille de Turs', là où il avoit bien sis mille homes à cheval. Si tost comme il nous virent à terre, il vindrent, ferant des esperons, vers nous. Quant nous les veismes venir, nous fichames les pointes de nos escus 2 ou sablon, et le fust de nos lances ou sablon et les pointes eulz. Maintenant que il virent ainsi comme pour aler par mi les ventres, il tournèrent ce devant darières et s'en fouirent 3.

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Monseigneur Baudouin de Reins, un preudomme qui estoit descendu à terre, me manda par son escuier que je l'attendisse; et je li mandai que si feroie-je moult volentiers, que tel preudomme comme il estoit, devoit bien estre attendu à un tel besoing; dont il me sot bon gré toute sa vie. Avec li nous vindrent mille chevaliers ; et soiés certain que, quant je arrivé, je n'oz ne escuier, ne chevalier, ne varlet que je eusse amené avec moy de mon pays, et si ne m'en lessa pas Dieu à aidier.

A nostre main senestre 4 arriva le conte de Japhe*, qui estoit

piques dans le ventre, ils firent volteface, et s'enfuirent. 4 Senestre: gauche.

1 Turs Turcs. -2 Escus: boucliers. Aussitôt qu'ils nous virent dans une posture à leur donner de nos seigne de Saint-Denis n'était autre chose que l'oriflamme dont la forme, semblable à celle des bannières de nos églises, était carrée, fendue par le bas en divers endroits, ornée de franges et houppes et attachée par le haut à un bâton en travers : elle était de soie ou de taffetas couleur de flamme. Comme l'état religieux ne permettait pas que les moines maniassent les armes, les comtes de Vexin, avoués et protecteurs de Saint-Denis, étaient chargés de porter l'oriflamme dans les guerres particulières, entreprises pour la défense des droits de l'abbaye. Nos rois, devenus maîtres du comté de Vexin, héritèrent de cette charge, et, en cette qualité, la firent porter dans toutes leurs guerres. Ce fut Louis le Gros qui, le premier, la reçut des mains de l'abbé pour aller à la rencontre de Henri V, roi d'Angleterre, débarqué en France avec ses troupes.

* Ce comte de Jaffa était celui qui avait succédé au comte Gautier de Brienne, fait prisonnier par le sultan du Caire et les Karismiens, à la bataille de Gaza, l'an 1244. Il se nommait Jean d'Ibelin et était seigneur de Baruth du chef de Balian d'Ibelin son père : il avait pour mère Eschive.

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cousin germain le conte de Monbeliart, et du lignage de Join. ville. Ce fu celi qui plus noblement ariva; car sa galie ariva toute peinte dedens mer et dehors, à escussiaus' de ses armes, lesqueles armes sont d'or, à une croiz de gueules patée : il avoit bien trois cens nageurs en sa galie, et à chascun de ses nageurs avoit une targe3 de ses armes, et à chascune targe avoit un penoncel de ses armes batu à or 4. En dementières que il venoient, il sembloit que la galie volast, par les nageurs qui la contreingnoient aus avirons, et sembloit que foudre cheist 5 des ciex, au bruit que les pennonciaus menoient, et que les nacaires, les tabours et les cors sarrazinnois menoient, qui estoient en sa galie. Si tost comme la galie fu ferue ou sablon si avant comme l'en li pot mener, et il et ses chevaliers saillirent de la galie moult bien armez et moult bien atirez, et se vindrent arranger de coste nous.

Je vous avoie oublié à dire que, quant le conte de Japhe fu descendu, il fist tendre ses paveillons; et si tost comme les Sarrazins les virent tendus, il se vindrent touz assembler devant nous, et revindrent, ferant des esperons, pour nous courre sus; et quant il virent que nous ne fuirions pas, il s'en r'alèrent tantost arières.

A nostre main destre, bien le trct à une grant arbalestrée 6, ariva la galie là où l'enseigne Saint-Denis estoit ; et ot uns Sarrazin, quant il furent arrivez, qui se vint ferir entre eulz, ou pour ce que il ne pot son cheval tenir, ou pour ce que il cuidoit que les autres le deussent suivre; mès il fu tout decopé.

Quant le roy oy dire que l'enseigne Saint-Denis estoit à terre, il en ala grant pas par mi son vessel 7, ne onques pour le le

Escussiaus : écussons. - 2 Nageurs matelots. 3 Targe: rondache-Batu à or: brodé.5 Cheist:

chût, tombât. 6 A la distance d'un grand trait d'arbalète. - Vessel vaisseau.

de Montbéliard, dont nous avons parlé plus haut. On lui a attribué longtemps la rédaction et mise en français des Assises de Jérusalem, dont il est maintenant presque prouvé que Philippe de Navarre fut l'auteur. Il

mourut en 126.

gat* qui estoit avec li, ne le voult lessier et sailli en la mer, dont il fu en yaue jusques aus esseles; et ala l'escu au col et le heaume en la teste et le glaive en la main, jusques à sa gent qui estoient sur la rive de la mer. Quant il vint à terre et il choisi les Sarrazins, il demanda quele gent s'estoient; et en li dit que c'estoient Sarrazins; et il mist le glaive desous s'esselle et l'escu devant li, et eust couru sus aus Sarrazins, se ses preudeshomes qui estoient avec li, li eussent souffert.

Les Sarrazins envoièrent au soudanc par coulons messagiers ** par trois fois, que le roy estoit arrivé; que onques message n'en orent, pour ce que le soudanc estoit en sa maladie; et quant il virent ce, il cuidièrent que le soudanc feust mort et lessièrent Damiete. Le roy y envoia savoir par un messager chevalier. Le chevalier s'en vint au roy, et dit que il avoit esté dedans les mesons au soudanc, et que c'étoit voir. Lors envoia querre le roy le legat et touz les prelaz de l'ost, et chanta l'en hautement : Te Deum laudamus. Lors monta le roy et nous touz, et nous alames loger devant Damiete. Mal apertement 2 se partirent les Turs de Damiete, quant il ne firent coper le pont qui estoit de nez, qui grant destourbier nous eust fait; et grant doumage nous firent au partir, de ce que il boutèrent le feu en la fonde 3, là où toutes les marchandises estoient et tout l'avoir de poiz: aussi avint de ceste chose comme qui auroit demain bouté le feu, dont Dieu le gart! à PetitPont 4.

Or disons donc que grant grace nous fist Dieu le tout puissant, quant il nous deffendi de mort et de peril, à l'ariver là où nous arivames à pié, et courumes sus à nos ennemis, qui estoient à cheval.

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Odon, évêque de Tusculum, qui a écrit une relation d'une partie de ce voyage.

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