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influence traditionnelle sur les affaires d'Orient.

La paix a été signée. Mais qu'on ne s'y trompe pas; cette paix n'est qu'une trève. Les grandes questions qui couvent dans le monde iront inévitablement se vider sur un théâtre plus vaste et plus éloigné. On sait que la Chine, en proie depuis plusieurs années à une formidable insurrection, à d'affreuses commotions intestines, est menacée d'une dissolution prochaine. Ce royaume immense doit exciter bien autrement l'intérêt de l'Europe que l'empire ottoman. Bientôt la politique sera forcée de détourner ses regards de Constantinople pour les fixer sur Péking.

Autrefois on avait peu à se préoccuper de ces incroyables Chinois, relégués au bout du monde, et menant, derrière leur grande muraille, une vie toute mystérieuse. On se contentait de savourer leur thé, d'admirer leur porcelaine et de rire des magots venus de cette bizarre contrée. La religion seule prenait la Chine au sérieux, et lui envoyait à toutes les époques, et sans se jamais décourager, de nombreux prédicateurs de l'Évangile. Cette propagande chrétienne fut poursuivie avec ardeur et

persévérance par une foule de missionnaires dont saint Thomas, premier apôtre de l'Inde, ouvrit l'imposant cortége.

Au moyen âge, malgré les vives préoccupations occasionnées par une longue lutte de la puissance spirituelle de Rome contre la puissance temporelle de l'Empire, le saint-siége ne cessa point d'attacher son regard éminemment paternel sur ces régions déshéritées de la foi. Nous verrons Grégoire IX, Innocent IV, Clément IV, Nicolas III, Nicolas IV, Clément V, Jean XXI, Jean XXII et Benoît XII, prêcher des croisades et ordonner des missions, selon qu'ils pensaient devoir exercer en Asie une influence belliqueuse ou une influence pacifique. Nous verrons, à cette époque réputée barbare, les rois de France inaugurer les principes de notre politique vis-à-vis des populations orientales, et faire retentir le bruit de la valeur française jusque dans les armées de Tchinguiz-Khan, au milieu des plaines de la Mongolie.

Aujourd'hui que les prodiges de la vapeur et de l'électricité ont fait disparaître en quelque sorte l'immensité des mers et la vaste étendue des continents, nous voilà à peine séparés de cet Empire Céleste qui compte plus de trois cent

millions d'habitants, et qui renferme tous les éléments d'une incomparable prospérité (4). Lorsqu'on aura percé l'isthme de Suez, nous serons proches voisins de l'Inde, de la Chine, de la Tartarie et du Thibet, de ces innombrables populations qui, depuis que le monde existe, ont toujours cherché à vivre et à se développer en dehors de nos idées et de nos croyances. Les événements marchent vite, et ce miraculeux rapprochement aura lieu demain... et après-demain que verra-t-on ? Que se passera-t-il lorsque le génie européen et le génie asiatique seront en présence et pourront se mesurer face à face?

Il n'est peut-être pas inopportun d'appeler l'attention de la France sur la haute Asie. Il n'est pas trop tôt pour se préparer aux grands événements qui peuvent déjà se prévoir. Si la France veut conserver le rang qu'elle occupe dans le monde, elle doit examiner attentivement les symptômes de la crise asiatique, étudier ces populations lointaines, et rechercher la position qu'il lui conviendra de prendre, lorsque le moment d'agir sera venu.

Il faut le dire, car nous sommes profondé

(1) Le trajet de Paris à Canton peut s'effectuer actuellement en cinquante jours. ',

ment convaincu qu'il n'y a pas de temps à perdre, d'autres nations sont déjà préparées dès longtemps à exercer une influence considérable sur les affaires de l'extrême Orient. L'Angleterre, outre ses immenses possessions dans les Indes et dans le détroit de la Sonde, a formé sur les côtes mêmes du Céleste Empire, à Hong-Kong et à Schang-Haï, de formidables établissements, d'où elle pourra dominer par sa puissante marine les destinées de la Chine, lorsque son intérêt l'exigera. On connaît l'influence prépondérante de son commerce et de sa diplomatie, dont les nombreux agents étudient avec zèle et succès les mœurs, l'histoire et la langue des Chinois.

D'un autre côté, l'empire du Milieu est cerné par la Russie, depuis le Turkestan jusqu'au Khamtchatka, tout le long des frontières de la Sibérie, où l'on voit s'échelonner d'innombrables postes russes, qui étendent insensiblement leur domination vers la grande muraille, parmi les tribus errantes de la Tartarie. On sait que le gouvernement de Saint-Pétersbourg, pendant même qu'il paraissait uniquement absorbé par l'héroïque défense de Sébastopol, profitait de la guerre civile qui bouleverse la Chine, pour explorer le cours de l'Amour et s'établir dans les

ports les plus importants de ce magnifique fleuve. Une mission russe, officiellement établie à Péking, peut tenir le csar au courant de tout ce qui se passe dans l'Empire Céleste, et lui préparer des agents politiques très-versés dans les usages et dans les langues du haut Orient.

C'est sans doute dans la prévision des événements qui ne peuvent manquer de se manifester prochainement dans ces contrées, que nous avons vu tour à tour l'Angleterre, la Russie et les États-Unis envoyer des escadres au Japon, pour essayer d'entrer en relation avec cet empire, qui, lui aussi, sera nécessairement entraîné par le mouvement qui doit mettre en branle l'Europe et l'Asie.

Il est certain que les puissances dont nous venons de parler se préoccupent de la révolution qui a bouleversé l'empire chinois jusque dans ses fondements et qui fera naître pour la politique de l'Europe les complications les plus graves qui aient jamais été. Ces puissances cherchent à faire prévaloir leur influence, à se fortifier dans la haute Asie, avec une activité dont on n'est pas peut-être assez frappé.

La France n'a pas, comme l'Angleterre et la Russie, étendu sa domination jusque dans le voi

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