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CHAPITRE IV.

I. Un missionnaire français en Tartarie.

souverain des Tartares. — II. Caractère de ce fameux conquérant.

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Tehinguiz-Khan proclamé

Sa mort.

Ses croyances religieuses. Élec- III. Invasion des Tartares en Géorgie.

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Grégoire IX et la reine Rhouzoudan.

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Frédéric Barberousse.

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IV.

Mongols en Pologne et en Russie. Saint Louis et la reine Blanche. Béla IV, roi de Hongrie. Aventures du chanoine de Varadin. Grégoire IX fait prêcher la croisade contre les Tartares. Grégoire IX et Frédéric Barberousse. V. Religion des Tartares mongols. Innocent IV au concile général de Lyon. On décrète qu'il sera envoyé aux Tartares des ambassadeurs missionnaires.

I.

Un missionnaire français suivait, il y a peu d'années, dans les steppes de la Tartarie, une caravane mongole qui conduisait à Khiakta, sur les frontières de Sibérie, une longue file de chameaux chargés de marchandises chinoises. Un jour la caravane s'arrêta dans une vaste plaine, non loin des sources de l'Onan, un des grands affluents du fleuve Amour. Le campement choisi par ces pasteurs nomades était une immense prairie, où rien ne venait briser la monotonie des hautes herbes que le vent faisait ondoyer comme une mer. L'horizon était borné de tous côtés par une couronne de montagnes d'une teinte jaunâtre, et dont les cimes couvertes de neiges éternelles resplendissaient aux rayons du soleil.

Un peu avant la nuit, les Mongols ramenèrent du pâturage leurs nombreux chameaux. Ils les firent accroupir côte à côte, de manière à former comme un mur crénelé autour du campement. Puis on s'occupa, dans chaque tente, à faire bouillir le thé du soir, auquel on ajouta, selon l'habitude, pour le rendre plus substantiel, du sel, du beurre et quelques grasses tranches de queue de mouton ou de bosse de chameau. En attendant que le potage tartare eût subi toutes les épreuves d'une longue préparation, on fumait du tabac chinois et on s'abandonnait à ces interminables causeries qui ont toujours tant de charmes pour les enfants du désert... Le chef de la caravane disait au missionnaire français: - Frère, ces beaux pâturages, ces hautes montagnes qui les entourent, ces sources de l'Onan, où nous venons d'abreuver nos chameaux, toute cette contrée est pour nous pleine de glorieux, de saints souvenirs. C'est ici que fut le berceau de la puissance mongole. Nos savants lamas aiment souvent à nous raconter comment nos ancêtres, qui n'étaient d'abord qu'une faible tribu, devinrent les maîtres du monde et subjuguèrent des nations dont les noms mêmes nous sont maintenant inconnus. Dans ces temps anciens, tous les Mongols étaient guerriers, et leur multitude était innombrable. Aujourd'hui, tu le sais, frère, on ne rencontre plus dans toutes les directions que de vastes solitudes; aujourd'hui les descendants de Tchinguiz et de Timour sont devenus des pâtres errants... Le chef de la caravane ne sut pas raconter au missionnaire français l'épopée grandiose des gigantesques guerres de ses pères, il n'avait qu'une idée confuse de l'antique puissance de sa nation... Et ce

pendant, à cette même place où ces Mongols, groupés autour d'un grand feu d'argols (1), fumaient nonchalemment leur longue pipe, pendant que leurs chameaux ruminaient en paix l'herbe du désert,... on avait vu autrefois, il y avait plus de six cents ans, des hommes de la même race, impétueux, inquiets et ne respirant que combats, délibérer sur la conquête du monde entier.

C'était au printemps de l'année 1206. Témoutchin, après la mort de Ung-Khan et la destruction du royaume des Kéraïtes, avait convoqué un Kouriltaï ou assemblée générale des chefs de toutes les tribus. On devait se réunir tout près des sources de l'Onan. Au jour fixé pour la tenue de ce champ de mai, la cavalerie tartare se trouvait rangée par nombreux escadrons derrière les tentes des chefs, au-dessus desquelles flottaient des banderoles de diverses couleurs, suivant la tribu dont elles dépendaient. Tous ces guerriers pleins de fougue et de turbulence s'agitaient sur leurs coursiers, allaient et venaient en tumulte, s'interpellaient brusquement les uns les autres, et le son guttural de leur langage, étrangeté de leur costume, l'aspect dur et farouche de leur physionomie, tout portait dans cette assemblée le caractère d'une indomptable barbarie. Au milieu du camp on avait placé un étendard. C'était une longue pique à laquelle étaient suspendues les unes au-dessus des autres neuf blanches queues de yak (2).

(1) On appelle argol, en Tartarie, la fiente des animaux, lorsqu'elle est desséchée et propre à être brûlée.

(2) Ces sortes d'étendards portent en Chine le nom de tou, et c'est sans doute de ce mot qu'est venu le toug ou étendard des Turcs. « C'est,

Un subit et profond silence se fit dans l'assemblée aussitôt que parut Témoutchin, le chef suprême de ces tribus à moitié sauvages. Témoutchin était alors âgé de quarante-quatre ans; l'habitude du commandement absolu et des combats les plus atroces donnait à sa figure basanée un air altier, dur et impitoyable. Il avait au service de sa volonté de fer un corps endurci par de longues privations et dont la large carrure excitait l'admiration de ses compagnons d'armes. Témoutchin était, à coup sûr, doué d'une intelligence supérieure; mais il plaisait surtout par ses allures d'athlète. Ces hordes barbares, qu'il avait su dompter et qu'il faisait mouvoir à son gré, ne voyaient en lui que le représentant de la force brute et de la puissance matérielle. Les Toolholos ou bardes mongols, qui déjà commençaient à célébrer ses exploits, se préoccupaient peu du génie militaire du grand guerrier; ils vantaient plutôt, dans leurs chants, la force de sa voix, qui retentissait comme le tonnerre dans les montagnes, et la vigueur de ses mains, semblables à de larges pattes d'ours, avec lesquelles il brisait un homme en deux aussi facilement qu'une flèche. Ils contaient que, dans les nuits d'hiver, il se couchait nu près d'un brasier composé de grands arbres; il ne sentait ni les étincelles, ni les tisons qui tombaient sur son corps, prenant ces brûlures, à son réveil, pour des piqûres d'insectes.

<«<dit Cuvier, avec la queue du yak, espèce de buffle de petite taille, dont « la queue est entièrement garnie de longs poils, comme celle du che«<val, animal originaire des montagnes du Thibet, qu'on a fait d'abord « ces étendards qui sont encore en usage parmi les Turcs. » (Règne animal, tom. I, p. 270.)

Tel était l'homme qui présidait l'assemblée générale des chefs mongols. Lorsqu'il eut pris place sur une sorte de trône recouvert de peau de tigre et de renard, comme pour exprimer que la ruse et la cruauté allaient présider aux conquêtes de l'armée tartare, on vit s'avancer un vieillard revêtu de longs habits jaunes et dont la physionomie était pleine d'exaltation. C'était un devin de grand renom: on l'appelait Bout-Tengri ou l'image de Dieu: Il ne parlait jamais, disait-il, que sous l'inspiration d'Hormoustha, et tous ses discours étaient considérés comme des oracles. Ce devin prit solennellement la parole et dit à Témoutchin, qu'après avoir vaincu et détruit plusieurs souverains qui portaient le titre de Gour-Khan (1), c'està-dire de khan universel, il ne lui convenait pas d'adopter la même qualification, dont l'éclat était à jamais terni; que le ciel ordonnait qu'il prît le titre de Tchinguiz-Khan (2) ou de khan des forts... Aussitôt que le Bout-Tengri eut cessé de parler, une clameur immense s'éleva au milieu du camp, et toutes les tribus tartares s'écrièrent de concert: Dix mille années de vie à Tchinguiz-Khan (3)!

II.

Tehinguiz-Khan, c'est-à-dire le souverain des forts, n'était naguère que le chef de quelques misérables

(1) Le mot Gour en mongol rend l'idée de totalité.

(2) Tchink en mongol veut dire fort, ferme, et la particule quiz exprime le pluriel.

(3) D'Ohsson, Hist. des Mongols, tom. I, p. 99.

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