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Tandis que le ministère cherchait à atténuer les mauvais effets de la crise financière, la crise des subsistances continuait à désoler certaines contrées, et de temps en temps on apprenait que de nouvelles émeutes avaient éclaté sur certains points du territoire. Bientôt la Cour d'assises de Loir-et-Cher fut saisie d'une accusation qui amenait devant elle une trentaine d'individus qui avaient pris part aux troubles de Buzançais et autres communes environnantes. Les détails de ce procès furent navrants on raconta le sac et le pillage de maisons particulières, les meurtres commis sur deux propriétaires; en un mot on n'omit rien de ce qui pouvait faire ressortir la culpabilité des accusés. Cinq d'entre eux furent condamnés à la peine capitale, d'autres aux travaux forcés. Le roi n'accorda aucune commutation de peine; l'échafaud se dressa sur la place de Buzançais, et cinq têtes furent coupées successivement au milieu des cris, des larmes, des sanglots; des milliers d'habitants accourent pour assister à ce triste spectacle. Le gouvernement avait voulu, par un exemple terrible, mettre un terme aux émeutes.

L'incendie de l'arsenal maritime de Cherbourg vint éclairer de sa sombre lueur l'échafaud de Buzançais : il semblait qu'une main maudite s'acharnait à nos arsenaux; ainsi, il y avait peu de temps d'écoulé depuis que le Mourillon avait été la proie des flammes, moins de temps encore que la poudrière d'Alger avait fait explosion. C'est le 17 mars qu'eut lieu cet incendie. Le feu s'étant déclaré à onze heures du soir, le préfet maritime se transporta immédiatement sur les lieux, afin de diriger les secours, qui furent à peu près inutiles; la plupart des bois entassés dans les magasins devinrent la proie des flammes, et les pertes de l'État furent considérables. La rumeur publique insinua alors que l'incendie était dû à la malveillance et qu'on devait l'attribuer à quelques employés dilapidateurs qui avaient trouvé de la sorte un moyen d'apurer leurs comptes et d'éviter la cour d'assises.

Alors que la Chambre des députés discutait encore son adresse, M. Duvergier de Hauranne faisait paraître un écrit fort remarquable, en faveur de la réforme électorale. M. Du

vergier de Hauranne avait longtemps appartenu à l'école doctrinaire, et avait eu avec M. Guizot d'étroites relations; mais, depuis quelques années, il s'était rapproché de l'opposition, et avait fini par faire cause commune avec elle. M. Duvergier de lauranne était connu par l'indépendance de son caractère, par la vivacité de son esprit, par son désintéressement politique; on ne l'avait jamais vu rien demander pour lui, ni pour les siens, et il usait avec libéralité de sa grande fortune. Lorsqu'il venait dire, dans sa brochure sur la réforme électorale: « Le gouvernement représentatif est en péril, il s'agit de le sauver, » on savait bien qu'il le pensait comme il le disait, que ce n'était pas un cri factice qu'il poussait, mais un cri douloureux que lui arrachait sa conscience. M. Duvergier de Hauranne ajoutait en suite: « Ce n'est pas, comme en 4830, la violence qui le menace, c'est la corruption qui le mine,» et cette assertion, il la corroborait par un ensemble de faits convaincants. Selon M. Duvergier de Hauranne, il n'y avait plus rien de bon à attendre, soit de la majorité parlementaire, soit de ceux qui la dirigeaient; c'était donc au pays à parler. Le ministère lui paraissait entraîné lui-même par les passions qu'il avait suscitées. S'agissait-il de restreindre nos droits, on lui prêtait un appui sans limites, mais voulait-il toucher à une question d'intérêt matériel, il se trouvait lié, garrotté; il ne lui était pas permis de réviser nos tarifs protecteurs, de blesser les intérêts des grandes compagnies. « Qui ne se rappelle, disait-il, les injonctions menaçantes dont le trône se vit assailli, quand la France courut le danger d'une union plus intime avec la Belgique, son ancienne province ? »

On ne pouvait pas contester la véracité des faits allégués par M. Duvergier de Hauranne; aussi il arriva que divers journaux ministériels avouèrent franchement que le mal qu'il signalait existait, mais ils le déclarèrent incurable. L'opposition, si elle arrivait au pouvoir, ne pourrait pas, disaient-ils, y apporter remède. Le tort était bien plus aux choses qu'aux hommes, et c'était vainement qu'on voudrait réagir contre une situation qu'ils considéraient comme rationnelle et nécessaire.

M. Duvergier de Hauranne, tout aussitôt après que sa bro.

chure eut paru, déposa, sur le bureau de la Chambre des députés, une proposition de réforme électorale. Son article premier portait : « que tout Français, jouissant des droits civils et payant cent francs de contributions directes au principal, serait électeur; l'article 2, que si le nombre des électeurs d'un arrondissement électoral ne s'élevait pas à quatre cents, le nombre devait être completé en appelant les citoyens les plus imposés. »

Les dispositions de cet article 2 avaient pour objet de porter remède à un abus criant, qui se remarquait dans la composition de certains colléges électoraux: ils étaient devenus de véritables bourgs pourris; plusieurs d'entre eux n'avaient pas même deux cents électeurs, tandis qu'on en comptait jusqu'à deux mille dans d'autres arrondissements.

On avait pris l'arrondissement tel qu'il avait été constitué administrativement pour l'unité électorale (loi de 1831), mais sans tenir compte des différences énormes de fortune, de population, qui existaient entre ces divers arrondissements. M. Duvergier de Hauranne demandait en outre, dans sa proposition, l'adjonction, aux listes électorales, de la seconde liste du jury, ce qu'on appelait alors les capacités ; il demandait aussi que la Chambre se composât de 528 députés.

La proposition de M. Duvergier de Hauranne amena de graves incidents parmi les conservateurs. Le ministère avait obtenu une immense majorité dans le vote de l'adresse; mais cette majorité était loin d'être homogène; nous avons vu dans le cours de la discussion de l'adresse M. de Castellane exprimer, au nom des conservateurs progressistes, des craintes sur notre situation financière. M. de Castellane et ses amis, quand vint la proposition de M. Duvergier de Hauranne, annoncèrent formellement qu'ils ne se prêteraient pas aux vues du ministère, qui était décidé à ne pas en souffrir la discussion; et quand elle vint dans les bureaux, ils en assurèrent la lecture par leurs votes. Le ministère fulmina contre eux les plus vifs reproches, mais sans les décider à changer de ligne de conduite. Ainsi il se formait en 1847, dans la Chambre des députés, une fraction opposante, qui avait beaucoup d'analogie avec la fraction Agréo

qui, sous le ministère Villèle, avait vainement voulu contenir les ultrà-royalistes de cette époque : les conservateurs progressistes ne parvinrent pas davantage à contenir les ultrà-conservateurs.

Le ministère, à l'ouverture de la session, marchait avec assez d'union, du moins il ne transpirait rien au-dehors des dissidences qui pouvaient exister dans son sein. Bientôt elles se révélèrent à la suite de la mort du ministre de la justice, M. Martin, du Nord.

Il était tombé malade dans les premiers jours de janvier. On crut d'abord qu'il se rétablirait assez promptement; mais, dans le cours de février, il dut abandonner son portefeuille et quitter Paris pour prendre l'air de la campagne.

On songea à lui donner un successeur; les ministériels purs mirent en avant M. Hébert, procureur-général près la Cour royale de Paris. M. Hébert était un doctrinaire, ferme et décidé, grand admirateur de M. Guizot; on a pu voir, dans le procès intenté à M. Dupoty, qu'il ne reculait devant aucune interprétation légale aussi subtile qu'elle pût être.

Les nombreux gages de dévouement qu'il avait donnés à la cour lui avaient acquis une certaine notoriété, et l'avaient particulièrement recommandé à la faveur du roi : semblable choix n'était pas fort rassurant pour la paix publique, et ce n'était pas M. Hébert qui pouvait servir à la conciliation. Les progressistes l'avaient parfaitement compris; aussi mirent-ils en avant un autre candidat, mais leurs efforts furent vains. On apprit à Paris, le 12 mai, la mort de M. Martin, du Nord, et, le 46, le Moniteur annonça que M. Hébert était nommé ministre de la justice.

Le Moniteur contenait aussi la nomination de M. de Carné à des fonctions importantes au ministère des affaires étrangères. M. de Carné, ancien légitimiste, s'était peu à peu jeté dans les rangs de l'opposition libérale, puis avait fini, comme on voit, par se rallier c'était encore là un trafic de conscience.

Ainsi, le ministère, par ces deux nominations, prouvait qu'il n'entendait renoncer en aucune manière aux moyens de corruption et d'intimidation qu'on lui avait tant reprochés. Mais

bientôt il eut à se repentir gravement d'avoir si ouvertement bravé l'opinion.

M. Hébert était vice-président à la Chambre des députés. Il y eut lieu, par suite de ses nouvelles fonctions, à lui donner un successeur; le candidat du ministère fut un nommé M. Duprat, député fort insignifiant, mais très-dévoué à M. Guizot; l'opposition porta M. de Malleville, qui fut nommé après trois tours de scrutin, à la majorité de 178 voix contre 173. Cette nomination était d'autant plus significative que M. de Malleville était fort partisan d'une réforme. Le lendemain même de ce vote M. Duvergier de Hauranne déposa sur le bureau de la Chambre des députés sa proposition sur la réforme. Elle était fort modérée dans ses prétentions, car c'est à peine si son adoption aurait augmenté le nombre des électeurs de cent ou cent vingt-cinq mille, et l'abaissement du cens, qu'il réclamait à 100 francs, ne constituait en réalité qu'une réduction de 21 à 25 francs, en considérant les centimes additionnels.

On sut bientôt, qu'en principe, le gouvernement était opposé à toute réforme, et qu'il repousserait systématiquement la proposition de M. Duvergier de Hauranne: pareille obstination surexcita de nouveau les passions des partis. De même qu'il s'était opéré certaines modifications parmi les conservateurs depuis les dernières élections, de même il s'en fit une assez importante dans le sein du parti républicain. Les républicains modérés crurent que le moment était venu de faire un mouvement vers la gauche constitutionnelle, et en même temps de prendre une position plus forte, plus rationnelle au point de vue de la légalité. Ce fut pour faciliter cette prise de position que M. Carnot, député de l'extrême gauche et fils du célèbre conventionnel, publia un petit écrit ayant pour titre : Les Radicaux et la Charte.

M. Carnot sollicitait le pays à faire un mouvement en faveur de la légalité, qu'il soutenait être complètement viciée par voie d'interprétation, et il se trouvait aussi, sur ce point, d'accord avec M. Duvergier de Hauranne, ou, si l'on veut, avec le tiersparti. Quand on examine avec attention le mouvement qui se fit alors dans le sein du parti démocratique, on voit qu'une

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