Imatges de pàgina
PDF
EPUB

qu'il a tâché de réfuter les critiques trop rigoureuses que ce poëme a essuyées.

On a vu que dans la préface de l'Homme des Champs j'avois déja réfuté quelques unes de ces critiques qu'il me soit permis de répondre aux principales objections que l'on a faites sur cette nouvelle production.

On m'a reproché, comme une chose fort grave, de n'avoir pas annoncé dans les premiers vers le plan de cet ouvrage. On pourroit réfuter d'un mot cette critique en observant que le législateur de la poésie française, dans le plus régulier et le plus justement célebre des poëmes didactiques, n'a présenté aucun plan. Cette autorité est tellement respectable que je n'en connois pas qu'on puisse lui opposer: mais ce qui est bien plus extraordinaire, c'est que des censeurs bien plus séveres encore ont prétendu que ce plan n'existoit pas parcequ'il n'épas annoncé. Je me crois donc obligé de rappeler ici que le poëme a pour objet, 1o l'art de se rendre heureux à la campagne, et de répandre le bonheur autour de soi par tous les moyens pos

toit

d

sibles; 2o de cultiver la campagne de cette culture que j'ai appelée merveilleuse, et qui s'éleve audessus de la routine ordinaire; 3o de voir la campagne et les phénomenes de la nature avec des yeux observateurs; 4° enfin de répandre et d'entretenir le goût de ses occupations et de ses plaisirs champêtres en les peignant d'une maniere intéressante. Ainsi le sage, l'agriculteur, le naturaliste, le paysagiste, sont les quatre divisions de ce poëme. Cette seule exposition doit suffire à ceux qu'il n'est pas impossible de contenter.

On a prétendu que ces divisions ne tenoient pas essentiellement les unes aux autres: si on a voulu dire que chacune pouvoit être traitée séparement, on a eu raison, sans rien prouver contre le plan de l'auteur. Virgile auroit pu faire un poëme sur les vignes, un autre sur les moissons, d'autres encore sur les vergers et sur les abeilles; quoique ces objets puissent se séparer, cela ne prouve point qu'il ait eu tort de les réunir dans ses Géorgiques.

C'est sur-tout du quatrieme chant que l'on a dit qu'il étoit étranger à l'ouvrage : mais quand on a intitulé un poëme l'Homme des Champs, on a le

droit d'y rassembler tout ce que le titre peut admettre, et le poëte champêtre ne devoit pas y être oublié. Si j'avois omis cette derniere partie, n'entendez-vous pas les critiques s'écrier: Quoi! vous parlez de l'art de se rendre heureux dans les champs, d'en perfectionner la culture, d'en observer les beautés et les richesses, et vous oubliez celui de les chanter! vous oubliez les Virgile, les Thomson, les Gesner, qui ont fait des peintures si intéressantes et si délicieuses, que sans elles il sembleroit manquer quelque chose à la nature! c'est faire injure à la fois à la campagne et à la poésie.

Au lieu de multiplier ainsi ces sortes de critiques, dont je crois avoir prouvé l'injustice sans être aigri contre leurs auteurs, peut-être eût-il été plus équitable et plus naturel de remarquer que tous les chants de ce poëme sont parfaitement distincts les uns des autres, et que le sujet en est absolument neuf dans toutes les langues, et particulièrement dans la nôtre.

[ocr errors]

Au reste je ne suis pas étonné de la sévérité avec laquelle cet ouvrage a été traité par une partie de

la société. On sait que les derniers ouvrages d'un

auteur sont toujours l'objet de la critique; mais, par une sorte de compensation, les premiers obtiennent alors un degré d'estime qu'on leur avoit refusé à leur premiere apparition. Ce n'est point un effet de la justice ni de la bienveillance; c'est la malveillance au contraire qui, des premiers ouvrages d'un écrivain, fait les accusateurs des derniers. Il semble que, dans l'empire des lettres, les premieres productions naissent déshéritées jusqu'à ce qu'un nouvel ouvrage leur ait rendu le droit d'aînesse. Lorsque la traduction des Géorgiques parut, elle fut accueillie par une foule de critiques. La publication du Poëme des Jardins rendit à cet ouvrage une estime qu'on ne lui accordoit que pour la refuser au poëme qui le suivit. L'envie aime à trouver la dégénération et l'affoiblissement du talent dans les nouveaux écrits d'un auteur qui a quelque célébrité. L'Homme des Champs, à son tour, valut au poëme qui l'avoit précédé cette sorte d'indulgence malveillante. Lui-même a besoin d'être suivi d'un autre ouvrage, condamné, par sa nouveauté, à réunir sur lui toute la sévérité des critiques.

On a souvent observé qu'un des grands malheurs de la littérature, et de ceux qui la cultivent, c'est l'animosité qui marche toujours à leur suite. Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est qu'on la rencontre le plus souvent dans ceux qui courent la même carriere. Malheur à ceux dont l'imagination peut descendre des objets les plus élevés aux tracas des petites passions, indignes d'un homme de lettres! je crois voir ces mouches brillantes de toutes les couleurs de la lumiere, qui, après s'être jouées aux rayons du soleil, descendent dans la fange, et salissent elles-mêmes tout ce qu'elles touchent: l'abeille ne fait que de la cire et du miel, et ne se repose que sur des fleurs.

Au reste, si l'on a pu diminuer le foible mérite de ces ouvrages, on n'a pu me priver du plaisir extrême que j'ai goûté en les composant: mon imagination, entourée de tout ce que la nature a de plus doux, de plus brillant, et de plus riche, s'est reposée avec délices sur les idées consolantes qu'elle inspire. Voilà la jouissance que tout le monde m'envie, et la seule qu'on ne puisse m❜ôter.

On pardonnera cette justification de l'Homme

« AnteriorContinua »