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à peine suffisante pour l'industrie du pays; mais le plus important de tous les retours pour lesdites caravanes, c'est celui des esclaves noirs qui figurent toujours pour une bonne moitié des valeurs rapportées du Soudan. J'ajouterai même, en passant, que la principale cause qui a détourné et qui éloigne fatalement encore de l'Algérie les caravanes du Soudan, n'est autre que l'interdiction de cet odieux trafic des nègres qui donne aujourd'hui à ce pays déjà favorisé par la concurrence des manufactures anglaises, une supériorité incontestable pour le commerce de l'Afrique centrale. A ce sujet, pas d'illusion possible : quels que soient les encouragements et les facilités que la sollicitude du gouvernement français ait déjà donnés et cherche à donner encore aux négociants algériens pour rétablir l'ancien courant d'échanges avec le Soudan, il y a là pour ceux-ci, sinon un empêchement absolu, au moins un fort désavantage auquel l'abolition de l'esclavage au Maroc, malheureusement très-peu probable de nos jours, pourrait seule remédier.

Suivant les affirmations mille fois répétées de Mardochée, le voyage de Timbouktou par Akka et Tendouf, n'a absolument rien d'effrayant pour tout Européen bien constitué, patient et résolu, disposé à se soumettre aux privations de la vie du désert, et aux coutumes des gens avec lesquels il lui faudrait être en contact. Ne pouvant m'emmener moi-même, le rabbin voulait attendre ici que je lui confie quelqu'un de ma famille ou de mes amis pour me prouver, par les faits, la vérité de ses assertions, et je lui ai promis de chercher cet homme et de le prévenir aussitôt que je l'aurai trouvé. Ses projets vont du reste bien au delà de Timbouktou, qui à ses yeux ne saurait plus être aujourd'hui que le point de départ d'une intéressante aventure. Il est persuadé qu'il existe une route menant directement au Caire en suivant un cours d'eau qui relie le Niger au Nil, et il offre de faire cette route,

seul ou accompagné, quand on le voudra. Il raconte à ce sujet l'histoire suivante que lui ont maintes fois rapportée les habitants de Timbouktou les plus dignes de confiance.

« Il y a une vingtaine d'années, sous le règne d'Ahmadou père d'Ahmed-Ahmadou, quelques nègres Bambara armèrent quatre embarcations pour remonter le fleuve aussi loin que possible et en découvrir la source. On les vit passer à Cabra; ils naviguèrent pendant deux mois, mais doucement, et, au bout de ce temps, ils trouvèrent le passage barré par un immense rocher couvert d'herbes. et de reptiles. Ne pouvant pas transporter leurs barques, ils les abandonnèrent et passèrent au delà du rocher où ils retrouvèrent le fleuve sur les bords duquel ils marchèrent à pied jusqu'à leur arrivée au Caire. Là, ils devinrent musulmans, et ils s'en allèrent à la Mecque avec les Hadjy. A leur retour par le désert de Tripoli, de Ghadamès et du Touat, ils se rendirent directement chez Ahmadou auquel ils se firent connaître comme musulmans, et dont ils invoquèrent l'appui pour revendiquer des Bambara leurs familles et leurs biens. Ceux-ci refusèrent, et telle fut la cause première d'une longue guerre entre les Foullan et les Bambara. >>

Je n'ai traduit et je ne rapporte ce récit, je l'avoue, que par acquit de conscience envers mon rabbin qui n'a cessé, durant tout son séjour ici, de revenir là-dessus avec une ténacité qui, du moins, ne m'a laissé aucun doute sur la sincérité de sa croyance, et plus encore, sur les tentatives que ses instincts de prédestiné lui feront sûrement entreprendre, si les circonstances l'y poussent tant soit peu.

Pour en revenir à Timbouktou, dont la population et les chefs, les Bekkay, sont très-inoffensifs comme l'ont successivement confirmé Laing, Caillié, le docteur Barth et H. Duveyrier lui-même, Mardochée croit qu'un ou quelques chrétiens y seraient d'autant plus en sûreté aujour

d'hui, que la plupart des marchands marocains qui, en réalité, avaient seuls ou principalement causé des inquiétudes sérieuses au docteur Barth, et lui avaient fait courir à lui-même de si graves dangers, sont morts ou rentrés au Maroc pour n'en plus sortir (1). Le terrible chef des Berabych, l'assassin du major Laing, n'existe plus, et son fils qui lui a succédé serait non-seulement fort humain, mais encore disposé à protéger les étrangers, ainsi que le cheïkh d'Araouan, Mohammed-Ould-Ahmed - el-Habyb l'aurait fait entendre au rabbin. Enfin, il est bien probable, en effet, que la tolérance religieuse, désormais admise à l'égard des Juifs, ne ferait pas défaut aux premiers chrétiens qui sauraient se conduire avec prudence, et auraient à cœur de n'introduire avec eux que des bons exemples et des bienfaits.

Et cependant, pourrais-je être ici autre chose que l'écho de ces nouvelles? Assurément non, et Dieu me garde d'assumer sur moi la responsabilité de la vie d'un seul de mes compatriotes. Je crois fermement à la possibilité du voyage de Timbouktou par Akka et Tendouf, tel que le rabbin Mardochée le propose, et ma confiance me paraît être pleinement justifiée par tout ce que j'ai pu apprendre à Mogador sur cette mystérieuse partie du Sahara, objet constant de mes recherches pendant mes heures de loisir. Sans doute, ces connaissances, je dirais presque cette expérience, nous permettraient d'augmenter le nombre des chances de succès, et nous empêcheraient au moins de renouveler les fautes de l'infortuné Davidson si rigou

(1) Mardochée a évalué comme il suit le nombre des commerçants étrangers établis à Timbouktou:

Touaty habitants ou originaires du Touat... environ 600
Marocains: de Fès ou du Tafilet...

Tripolitains....

Algériens et Tunisiens..

SOC. DE GÉOGR. AVRIL-MAI 1870.

...

20 à 25

6 à 7

néant.

A B.

XIX.-24

reusement dévoilées dans l'opuscule de M. DrummondHay, Western-Barbary (1); mais que de conditious à remplir et de précautions à prendre n'y aurait-il point encore, pour ne pas succomber victime de l'inclémence du climat ou de la méchanceté des hommes !

C'est donc un simple devoir que je remplis aujourd'hui, en soumettant à l'appréciation de mes chefs et de mes maîtres des renseignements qui m'ont paru avoir leur utilité, et en signalant au bienveillant intérêt de la Société de géographie, et à la notoriété de mes confrères africains, le pauvre juif d'Akka qui m'a chargé de leur offrir ses services, et de leur faire connaître son nom et son adresse:

Le rabbin Mordokhaï-Aby-Serour, à Timbouktou.

EXPLORATIONS EN TURQUIE D'EUROPE
(1869)

PAR GUILLAUME LEJEAN (2)

Ma campagne de 1869 a duré du 28 avril au 23 décembre. Elle a compris toute l'Albanie, l'Epire, la Thessalie, une portion de l'Herzégovine et de la Bulgarie occidentale.

Parti d'Antivari, j'ai pris Scutari pour premier centre de travail et j'ai fait divers voyages préparatoires à Gousinié, à Dulcigno, chez les Mirdites et au pays de Matia. Ces premiers travaux m'ont permis de lever en détail la carte des districts d'Antivari, Dulcigno, Scutari, moins les montagnes voisines du Drin, et le bassin supérieur du Lim. J'ai fait diverses ascensions importantes, parmi lesquelles

(1) Traduit par Mme L. Sw. Belloc. 1 vol. Chez Arthus Bertrand. Paris, 1844.

A. B.

(2) Communication adressée à la Société dans sa séance du 18 mars 1870:

celles du Roumia, près Antivari, du Mali Cheint ou MonteSanto des Mirdites, du Mosina, du Vicitor, du Prokleti ou mont Maudit de Chala, enfin du Maranaï qui domine la plaine de Scutari. Grâce à ces ascensions, j'ai pu lever la carte du pays fort accidenté qui va du Maranaï à la mer, et dessiner le cours du Drin, de la Boïana et du Kiri, qui laissait fort à désirer dans les cartes antérieures. J'ai aussi levé village par village la Mirditie, qui n'a pas encore été l'objet d'un travail de ce genre, car le tracé qu'en a donné M. de Hahn n'a été fait que sur renseigne

ments.

Ainsi préparé, je suis parti pour Prisren par Pouka, et après une percée en Bulgarie, je suis revenu par Djakova, Ipek, Detchani et les montagnes catholiques. Cette excursion, qui a été très-fructueuse, offrait quelques difficultés, car on se battait dans les montagnes et jusque dans les villes de la plaine. Ce voyage m'a permis de lever, pour la pre mière fois, le réseau compliqué des montagnes libres entre Djakova et le Montenegro, aussi bien que la plaine du Drin supérieur et ses innombrables villages, dont les cartes les plus détaillées n'ont donné jusqu'ici qu'une vingtaine.

Voici quel a été l'itinéraire de mon excursion en Bulgarie de Djakova à Pristina, Kourchoumli, Prekoplie, Nich, Pirot, Berkovatz, Belotinza, Vratza, Sophia, Samakovo, Dubnitza, Kiustendil, Egri Palanka, Kumanovo, Uskup, Kalkandil, Prirsen. J'avais déjà fait, en 1867 et 1868, une partie de ces routes, mais mes travaux, gênés par diverses circonstances, avaient été fort incomplets.

Cette fois, j'ai pu me rendre maître de tout ce qui m'était encore inconnu dans le Balkan occidental. Cette chaîne est loin d'être aussi simple dans son ossature que le figurent les cartes. Ainsi, entre la plaine de Sophia et celle de Berkovatz, règne un plateau de 6 à 8 lieues de large sillonné de chaînons généralement parallèles, à peu

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