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France, de l'Angleterre et de l'Allemagne, vient d'appliquer ses observations savantes aux vastes réseaux des fleuves de son pays, et il a jeté pour la première fois une vive lumière sur cette grande question. M. Moraes a assigné pour la première fois au San-Francisco le caractère que sa position centrale lui donne dans le vaste empire dont il est destiné à multiplier les richesses. M. Jose de Moraes est lieutenant du corps des ingénieurs, et son rapport est exposé avec une rare lucidité.

Communications, etc.

LETTRE DE M. DESGODINS A M. FRANCIS GARNIER, LIEUTENANT DE VAISSEAU.

Dôle, Jura, le 20 décembre 1869.

L'abbé Desgodins, mon frère, missionnaire au Tibet, parti de France en 1855, a fait, après avoir exploré le versant sud des Himalayas à l'époque de l'insurrection des Indes, plusieurs tentatives pour pénétrer au Tibet par différentes vallées, entre autres par celle du Sutledje dans laquelle il est remonté jusqu'à la lamaserie de Kanam, audessus de Chini, c'est-à-dire bien au delà des possessions anglaises; n'ayant pu réussir dans son entreprise, il se rendit à Canton, pénétra en Chine jusqu'au lac Tongting où il fut arrêté et ramené sur le littoral. Une seconde fois, au moment de la prise de Pékin, il réussit, après un très-long voyage entravé par les rebelles, à parvenir au Se-tchouen à l'extrême limite du Tibet dans lequel il pénétra avec plusieurs de ses compagnons jusqu'à Tchamou-to dans la province du Kham; il dépassa même un peu cette ville située sur le Lan-tsang--Kiang, qui porte le nom de Mé-Kong dans sa partie inférieure. Refoulé par les obstacles politiques et l'opposition religieuse des Lamas du pays, il suivit le Ou-Kio depuis sa source jusqu'à sa jonction avec le Lou-tse-Kiang à Men-Kong. Tolérés pendant près de trois ans à Bonga, où ils avaient pu fonder un établissement, les missionnaires virent un jour leurs constructions réduites en cendres par un mouvement populaire, l'un d'eux perdit la vie et les autres durent se réfugier en Chine, de l'autre côté de la limite.

L'abbé Desgodins se trouve aujourd'hui à Ger-Ka-lo, près des salines, sur la partie moyenne du Mé-Kong. Pendant les trois années de son séjour à Bonga, son ministère l'appela à parcourir toutes ces contrées à peu près du 32° au 28° degré de latitude nord; il parcourut environ la même étendue d'ouest en est, en passant alternativement de l'un des deux grands fleuves à l'autre, la Salouen et le Mé-Kong. Il n'a pas manqué pendant cette période de prendre des renseignements de toute nature, principalement au point de vue de la géographie : j'en suis dépositaire, et je compte les publier aussitôt que j'aurai mis de l'ensemble dans tous ceux que je recueille dans ses lettres. Il m'a adressé notamment en 1869 une carte des pays qu'il a parcourus: elle est fort en désaccord avec celle d'Andriveau Goujon, qui ne fait remonter l'origine du MéKong qu'au 27° degré, on trouve même une différence plus grande dans l'atlas de Dufour, qui ne la porté qu'au 23o, bien que sur une carte du même auteur elle soit portée au 27. Outre ces contradictions, on peut encore citer d'autres exemples, car certains géographes font jeter le grand fleuve qui passe au sud de Lassa (capitale du Tibet), les uns dans le Bramapoutra, et les autres dans l'Irrawady; et le plus curieux, c'est que dans un même atlas d'un même auteur, telle feuille donne le premier système, et telle autre le second. C'est cet état d'incertitude sur les notions géographiques de pays où peu d'Européens ont pu entrer qui aura déterminé, en partie, la haute pensée de Son Excellence le marquis de Chasseloup-Laubat, alors ministre de la marine, en décidant le voyage d'exploration scientifique dont vous faisiez partie, et dans lequel a malheureusement succombé M. de la Grée auquel vous avez succédé.

Je lirai avec infiniment d'intérêt le compte rendu officiel de l'expédition quand vos travaux seront terminés et publiés; déjà j'ai suivi assidûment les relations qui ont été

faites par M. de Carné dans la Revue des deux mondes; La carte ci-jointe de mon frère, tout imparfaite qu'elle puisse être, n'étant pas rattachée à un point certain par des observations astronomiques, peut avoir, cependant, un certain intérêt pour vous, au moins comme indication des contrées que vous n'avez pu traverser; aussi ai-je pris le parti de vous en adresser une copie, en même temps que l'extrait d'un voyage qu'il a fait sur les points qui se rapprochent davantage de ceux auxquels il vous a été donné de parvenir, notamment Taly-fou (Yunnan) (1). Combien l'abbé aurait été heureux de recevoir des compatriotes dont il avait appris la noble et grande entreprise, par moi et par un journal de Saïgon, dans lequel il avait lu que l'expédition scientifique se rapprochait et était déjà parvenue au 18° degré de latitude, ce qui lui donnait à espérer qu'un jour elle pourrait remonter jusqu'à lui! C'est la pensée qu'il exprimait dans une lettre du 13 mars 1868, et il se proposait, dans ce cas, d'ajouter à la réception la plus cordiale, tous les renseignements qu'il aurait pu mettre à votre disposition.

Je crois donc, Monsieur, rentrer parfaitement dans ses intentions en vous adressant ces documents dont vous ferez tel usage qu'il vous conviendra; vous pourriez y puiser quelques renseignements dans l'intérêt de la science géographique, susceptibles d'être mentionnés dans votre relation, et dans ce cas si vous ne le jugiez pas hors de propos, j'aimerais que vous indiquassiez l'origine, de manière que le public vît, qu'outre leurs travaux apostoliques, les missionnaires cherchent encore à se rendre utiles par des observations générales, sans cesser de payer de leur personne dans l'intérêt de l'influence française. En retour, je vous serai très-reconnaissant de me donner la latitude et la longitude de Talyfou que sans

(1) Il conviendra, pour publier les croquis envoyés par M. Desgodins, d'attendre qu'ils aient pu être complétés et coordonnés, (Red.)

doute vous avez déterminée ;elle me servirait à y rattacher la carte de mon frère, autant qu'il serait possible pour le moment; peut-être pourra-t-il plus tard se servir de ce point de repère pour y rattacher son croquis, soit par une triangulation, soit en évaluant en journées de marche la distance du point où il se trouve.-Je lui ai déjà adressé les moyens de reconnaître la latitude d'un lieu; quant à cette première partie de la question, il pourra la résoudre à l'avenir assez approximativement; mais quant à la seconde, la longitude (moins essentielle, il est vrai, pour reconnaître à quelle hauteur le Mé-Kong prend sa source), c'est une opération bien plus compliquée et pour laquelle la théorie ne suffit pas. Eût-il les instruments nécessaires, il est douteux qu'il puisse y parvenir de longtemps; mais s'il pouvait toutefois s'exercer assez au maniement du sextant pour réussir à prendre les angles nécessaires, en envoyant en France les données des calculs qu'il ne peut certainement pas exécuter lui-même, il arriverait ainsi à déterminer la position des différents points principaux, de Tcha-mou-to, par exemple, située vers le 32° degré présumé, au nord de la carte. S'il lui était donné un jour de reprendre la route de Lassa, but assigné à ses efforts, ce serait déjà un demi-résultat, en attendant qu'il pût en faire autant dans cette dernière ville, car elle n'est pas connue que je sache d'une manière certaine. En effet, je n'ai trouvé sur les catalogues de longitude et de latitude que celles qui se rapportent aux points du littoral, mais non pour les villes de l'intérieur.

Comme je suppose, Monsieur, que vous êtes membre de la Société de géographie, je serais flatté que vous voulussiez bien communiquer ces notes à messieurs vos collègues. Je suis du reste tout à votre disposition pour rechercher dans les lettres de mon frère, si vous aviez quelque question particulière à faire sur un sujet qui se rapporte à l'objet de cette correspondance; à moins, toutefois, qu'il ne vous

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