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jouir en paix du fruit de leur cruauté; mais Toutka protége son peuple. Elle suscita chez nos ennemis des divisions intestines, fit croître des arbres au milieu de leurs plantations, de sorte qu'à la fin ils chassèrent Quetzuleoatl, auquel ils attribuaient tous leurs maux. Il voulut retourner au ciel, mais Toutka avait suscité contre lui le courroux du dieu du feu, le plus puissant de tous, et il ne put reprendre son rang parmi les divinités. Ne trouvant pas à s'embarquer sur la mer, qui était aussi le domaine d'une déesse ennemie, il marcha vers l'Est et se construisit une hutte. Pendant trois ans la terre trembla sous les coups de sa hache puissante; puis, quand il y alluma du feu, on pouvait, de toute la terre, voir ce feu sortant par la pointe du toit. Il brûla ainsi tous les arbres de la plaine jusqu'à Quecheri (ou Kesri) la ville du nord. Puis, désespéré de ce trop long séjour sur la terre, il se changea en un immense serpent à plumes, se roula autour de sa hutte et s'endormit du sommeil éternel. Ce fut alors que ceux de Quecheri s'approchèrent pour enlever sa dépouille; mais, au premier coup qu'ils lui portèrent, le serpent blessé se mit à remuer et à se rouler sur lui-même au point de creuser le sol sur plus de cent lieues.

ils

Dès lors, personne n'osa plus s'approcher du gouffre où dormait Quetzuleoatl. Peu à peu les pluies le comblèrent et en firent un lac; mais cela avait demandé bien des années et la mémoire de ces événements s'était perdue lorsque les Karuos voulurent tenter de rentrer dans leur ancienne patrie dont ils étaient alors séparés par le lac ; avaient fait des bateaux et se préparaient à s'embarquer; mais Quetzuleoatl, qui dormait au fond, leur manifesta sa présence, en faisant apparaître du feu au sommet de soh ancienne hutte qui s'était changée en pierre et était cou verte d'arbres. On l'appelait, dès ce moment, à Karuo, Omotl-tepetl. Dès lors, les Karuos restèrent de l'autre côté du lac, qu'ils n'ont jamais tenté de franchir, et où ils habi

tent encore, ne laissant dans leur ancienne patrie qu'un souvenir, le nom de Karuo (aujourd'hui Rious ou Nicaragua) donné à leur ancienne capitale, et ceux de Kiri (aujourd'hui Belen) et de Kecheri (aujourd'hui Grenade), leurs anciennes villes.

Plus tard, les habitants de Karuo devinrent ennemis avec ceux de Kiri, et ceux-ci leur barrèrent le chemin qui me nait à Kecheri, avec laquelle ils avaient de grandes relations de commerce. Ils songèrent alors à s'embarquer sur le lac et à aller par eau à Kecheri. Mais à peine furentils embarqués, que Quetzuleoatl souleva les eaux d'une façon effrayante, et, une nuit, on vit apparaître deux feux énormes, l'un près de son ancienne hutte, où était sa tête (le Madeira), et l'autre près de Kecheri, où était sa queue (le Mombacho). L'un et l'autre vomirent pendant plusieurs années des pierres enflammées qui formèrent des îles dans le lac et des montagnes sur la terre ferme. Enfin tout s'éteignit, mais on n'osa plus naviguer sur le lac et l'on fut forcé d'anéantir les Kiris, pour pouvoir arriver à Kecheri. On trouva l'ancien chemin barré par la nouvelle montagne d'où descendait un ruisseau bouillant qu'il fallait traverser (Och-moyo, rivière fumante).

Ce n'est que longtemps après que vinrent par la mer d'autres hommes, blancs, encore mieux armés, et qui disposaient à volonté du tonnerre. La nation était alors commandée par Nek-Karuo, qui se soumit le premier. Ce fut ensuite le tour de Nek-Kecheri. Ils durent embrasser la religion de la croix avec toute la nation, sous peine des plus horribles supplices. Ceux d'entre nous qui ne voulurent pas s'y soumettre s'aventurèrent de nouveau sur le lac, et vinrent habiter l'île Omotepe formée par la hutte pétrifiée de Quetzuleoatl (actuellement Pueblo de los Angelos). Ils y conservèrent leur religion jusqu'au moment où ceux d'un village que des convertis étaient venus fonder à l'est de l'île (Pueblo grande), sous la conduite d'un

prêtre de la religion nouvelle, vinrent leur faire la guerre, anéantir leur village (los Angelos), les contraindre à briser leurs idoles, à les enterrer ou à les jeter à l'eau. La population se transporta alors à Moyoyalpa (la butte fumante), où elle se convertit et demeure encore aujourd'hui.

Ainsi, d'après ce récit obscur, un volcan se forme seul d'abord. C'est celui d'Omotepe. Il existe depuis longtemps, lorsque apparaissent le Mombacho et le Madeira. Or, l'observation scientifique est ici d'accord avec la tradition. Le volcan d'Omotope est le plus ancien; il a eu des éruptions successives dont on pourrait presque compter le nombre et qualifier la nature sur les coulées qui, aujourd'hui encore, rayonnent de son sommet. Il a jeté des cendres, des laves, des scories, des ponces, des basaltes par petits fragments, etc. Les cendres sont toujours à l'ouest, parce que, plus légères, elles y ont été poussées par l'alizé. Toutes ces déjections sont dans un état de décomposition qui fait supposer une date excessivement ancienne, même pour l'éruption la plus récente. Quant au Madeira, rien n'est plus facile que de constater qu'il est le frère jumeau du Mombacho; ce sont exactement, absolument, les mêmes caractères géologiques et la même date. Une seule éruption probablement pour chacun, car les produits lancés par chaque volcan sont parfaitement homogènes dans tous les sens; mais cette éruption fut très-longue, eu égard à la quantité des matériaux projetés. Le sommet est défiguré de la même manière dans chacun, car le volume et le poids des blocs qui ont été lancés devaient détruire les lèvres du cratère d'éruption. Les matériaux les plus lourds sont dans l'un et dans l'autre, jetés sur le sudouest, au Mombacho formant les îles de Grenade et celles de Zapatera, au Madeira formant celles de Sanate, Solen et autres qui sont au sud-ouest du lac. La nature des roches est la même; ce sont des blocs de basalte, dont quelques-uns si énormes que l'imagination est épouvantée

en songeant à la force de l'explosion qui a pu projeter de pareils débris. Tout cela a été brûlé, presque en fusion. Les arêtes de ces basaltes sont encore très-vives, preuve d'une éruption relativement récente (1); à Omotepe, au contraire, ils sont tous ou arrondis, ou décomposés à la surface, ou comblés, couverts par une terre végétale provenant de débris de végétaux accumulés pendant des siècles. C'est là la cause pour laquelle les îles de Grenade, de Zapatera, et celles du sud du lac, n'offrant que très-peu de terre et n'étant qu'une accumulation de blocs en désordre, ne sont habitées que par de petites familles isolées qui y vivent d'un petit coin de terre, heureuses d'y rencontrer cet isolement cher à l'Indien, et qui, pendant longtemps, a été son arme unique contre les persécutions religieuses ou avides des Espagnols. C'est aussi pour cela que Madeira, qui est tout pierres, est inhabitée, tandis qu'à Omotepe, au contraire, il y a trois villages considérables, un grand nombre de maisons éparses et de lieux dits, et que toute la marge du lac est couverte de grandes cultures. L'intérieur même de l'île serait cultivé, les populations encore plus nombreuses, s'il y avait de l'eau; car les terrains du flanc même de la montagne sont encore plus fertiles que les bords. Mais le manque d'eau force les populations à se ranger le long du lac (2).

Rien, pourtant, ne serait plus facile que d'obtenir de l'eau dans la montagne en creusant des tunnels perpendiculaires à la génératrice du cône. Le pic est souvent cou

(1) Ces basaltes entraînés ont formé les rapides du San Juan et haussé la chute del Castillo. Pendant longtemps le Madeira et l'Omotepe out été séparés par un canal; de même aussi, à Zapatera, il y avait un canal qui traversait à l'île derrière le massif du Boquete; qu'il y ait eu abaissement du lac ou exhaussement du sol, ces faits sont récents, c'est-à-dire presque contemporains de la conquête.

(2) Omotepe a eu aussi une éruption de basaltes, mais leurs arêtes sont arrondies aujourd'hui.

SOC. DE GÉOGR. -MARS 1870.

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vert de nuages, au point qu'au sommet c'est presque un marais et qu'il y a un petit lac; les eaux absorbées passent au-dessous du sol arable, sur les couches du lac encore existantes; il serait facile de les atteindre.

Mais je quitte ces occupations étrangères à mon sujet. La tradition de la formation postérieure du lac est d'accord avec la théorie que j'émettais dans ma première lettre. Cela n'y ajoute guère, mais enfin c'est bon à noter.

Ce qu'elle dit de Quetzalcoualt est parfaitement conforme à la mythologie mexicaine, et il est difficile de ne pas reconnaître, dans les premiers conquérants, les nahuâtlṣ dont M. Squier, du reste, a démontré largement la migration vers le sud, la conquête qu'ils firent de la côte du Pacifique, où ils existent encore, au Salvador, avec leurs mœurs et leur langue primitive. On trouve à Omotepe de nombreuses antiquités, et, malgré la faiblesse de mes ressources, j'ai pu m'en procurer quelques-unes assez intéressantes; mais avec de l'argent on en réunirait un grand nombre qui probablement jetteraient un puissant intérêt sur l'archéologie nicaraguienne.

Ces antiquités sont principalement des fers de lance, armes et outils divers en silex rouge; des colliers de perles cylindriques en une pierre verte excessivement dure, parfaitement polie; on se demande avec quoi ils perçaient le trou; d'autres perles en poterie, et d'autres en une composition calcaire recouverte d'une gomme laque encore très-dure; des idoles diverses, quelques-unes très-grandes, des vases divers, quelques-uns très-fins et d'une forme gracieuse; il en est qui portent pour ornements des monstres et des dessins fantastiques; un très-grand nombre portent un vernis couvert de peintures bizarres qui paraissent pourtant se produire avec une certaine régularité; ce sont peut-être à la fois des plats et des manuscrits. En tout cas, ces caractères ne ressemblent à rien de ce que l'on trouve au Mexique; enfin, des vases appelés buruga,

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