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Elle pleure sur la royauté de son fils; mais le malheur ne l'accable point. Elle se relève sous ses coups plus forte et plus magnanime. L'enfant dont elle partage la fortune, elle le presse sur son sein; elle le sent vivre, elle le voit, elle entend sa douce parole; ses larmes se sèchent parfois sous le baiser filial qu'il lui donne; il sourit, et son âme rayonne; ses douleurs de reine sont adoucies par ses consolations de mère. Elle lui dit avec

amour:

« Dieu versa ses trésors sur ta royale enfance:
Doué par la nature au jour de ta naissance,
La beauté, la grandeur, se mêlèrent en toi;
La fortune t'a fait, mon fils, pour être roi.
Les roses et les lys brillent sur ton visage,
Ta bonté doit toucher autant que ton jeune âge;
Mais la fortune impure, hélas! nous a trahis;
Elle se prostitue à tous nos ennemis;

Elle va, prodiguant sa faveur adultère,

Courtisane éhontée, aduler Jean-Sans-Terre! »

Mais elle n'a pas tout perdu sur la terre; on lui a laissé son enfant; sa maternité c'est son diadème indélébile; c'est une couronne dont elle est fière; c'est le sceau de grandeur et de divinité que Dieu mit à la femme, à cet être faible qui devient fort en se sentant renaître, en donnant une moitié de son âme, une partie de son sang. Cet amour est intarissable; il résiste à toutes les épreuves; il survit à toutes les déceptions, à toutes les blessures, à toutes les offenses. Emanation immortelle, l'amour d'une mère pour son enfant, c'est le symbole terrestre et touchant de l'amour de Dieu pour l'humanité.

Constance, c'est la personnification de l'amour maternel. L'univers la délaisse, les ruines s'amassent autour d'elle; mais Arthur vit; l'espoir de lui rendre un trône est perdu, mais elle peut l'entourer d'amour et de soins. Mon Dieu, elle ne vous maudit point; car elle sait qu'il est une affliction plus grande dont vous pourriez frapper son cœur de mère; elle sait que ses entrailles pourraient être déchirées par la mort de son enfant..... il vit!..... Pauvre reine! malheureuse mère! cette immense douleur la frappera : on arrachera l'arbuste à sa racine, l'enfant à sa mère. Arthur sera livré à son bourreau; et

l'on dira à Constance d'espérer encore! Mais alors le désespoir la submergera, la mort sera sa seule consolatrice; et elle répondra, frappée au cœur :

<< Courage! dites-vous; non, tout espoir égare,

La mort seule guérit, la mort seule répare!

La mort, la mort est douce! O mort! viens me frapper!

De ta corruption je veux m'envelopper,

J'aime comme un parfum ton odeur de cadavres.
Toi, haine des heureux, laisse ceux que tu navres;
Viens à moi qui t'appelle et qui veux reposer!
Tes os blancs de squelette, oh! je veux les baiser!
Je placerai mes yeux sous tes paupières vides,
Et les vers détachés de tes membres livides
Formeront des anneaux à l'entour de mes doigts;
Ta poussière à ma bouche étouffera ma voix,
Afin que tout mon corps change et se décompose,
Et t'égale en horreur dans sa métamorphose.
Viens en grinçant des dents; je croirai qu'à mes vœux
Tu souris ; seul amour qui reste aux malheureux,
O mort! viens dans mes bras! de toi je suis jalouse:
Viens, je te donnerai le baiser d'une épouse!

Quand dans mon désespoir j'invoque le trépas,
Non, je ne suis pas folle! oh! je ne le suis pas !
Je sais, dans ma douleur qu'on traite de démence,
Que, veuve de Geoffroy, je me nomme Constance,
Arthur, mon jeune fils, est à jamais perdu!
Non, je ne suis pas folle! et mon cœur éperdu
Dans son amer chagrin regrette la folie,
Qui trompe le malheur et fait que l'on oublie !
Enseignez-moi comment le désespoir conduit
A cet état de l'âme où la raison nous fuit?
Et je vous bénirai! la démence console :
Je ne souffrirais plus, mon Dieu! si j'étais folle;
J'oublìrais mon enfant, ou croirais le revoir
Dans quelque simulacre offert à mon espoir.
Non, je ne suis pas folle, et sens une par une
Les diverses douleurs que donne l'infortune.

On dit que, dans le ciel où nous devons renaître,
Nos parents, nos amis, pourront nous reconnaître ;

S'il en était ainsi, je reverrais mon fils,

Le plus beau des enfants, ô mon Dieu ! que tu fis;
Mais le ver du malheur, qui le ronge et le creuse,
Me défigurera sa forme gracieuse,

A sa beauté native enlèvera sa fleur;

Comme un spectre, flétri sous le poids du malheur,
On le verra plier et se traîner livide,

Jusqu'au jour où le corps de l'âme reste vide;
Alors quand, dans le ciel ainsi ressuscité,
Mon fils m'apparaîtra sans fraîcheur, sans beauté,
Moi qui le vis si beau, moi son sang, moi sa mère,
Je le méconnaîtrai, dans ma douleur amère.
Ainsi, jamais, jamais, même au monde futur,
Je ne pourrai revoir mon fils, mon bel Arthur!

De mon enfant absent ma douleur tient la place,
Repose dans son lit, me rappelle sa grâce,
M'accompagne partout, prend son regard charmant,
En empruntant son corps revêt son vêtement;
C'est l'image d'un fils qu'appelle en vain sa mère!

Ma douleur, c'est Arthur; et ma douleur m'est chère! »

Constance, c'est la reine et la mère modèle. Reine, elle est plus forte que le malheur; elle veut la gloire de son fils; elle cherche à lui reconquérir sa couronne. Mère, en perdant son enfant, elle appelle la mort. Comme la mère de l'Écriture, elle ne veut pas être consolée.

LOUISE COLET, née REVOIL.

La tendresse maternelle ne s'exprima jamais avec plus d'éloquence que dans ce beau passage, que madame Louise Colet vient d'interprêter d'une manière si touchante, et que nous croyons devoir reproduire dans la belle imitation qu'en a faite madame Desbordes - Valmore.

On accourt; on veut voir la mère infortunée
D'Arthur; et la Pitié muette, consternée,
Pleure, et n'ose répondre à ses profonds sanglots;
Et la prison mobile emporte sur les flots
Arthur, le jeune Arthur, l'espoir de son veuvage,

Cet enfant-roi, tombé dans l'esclavage.

Inconsolable, errante aux rivages déserts,
De longs gémissements elle frappe les airs;
Comme une aigle éperdue à son nid enlevée,
Quand le lâche vautour, usurpateur affreux,
Cherchant un festin ténébreux,

Dans l'ombre a dévoré la royale couvée.
Sur le sable où la nuit répand un voile obscur,
L'écho mourant répond: Arthur! mon cher Arthur!.....
Un heureux de la terre, un sage, un insensible,
Ne voit dans ses clameurs qu'un fol égarement:
Påle, elle ouvre les yeux, le regarde un moment,
Et repousse en ces mots cette voix inflexible:

<< Il me parle! et jamais il n'a connu mon fils!
Il n'entend pas mon âme; il me croit insensée!
Eh! que me rendra-t-il pour tous mes biens ravis?
Que dit-il? je ne sais; mais sa voix m'a blessée.
Oh! tais-toi! j'aime mieux écouter ma douleur :
Elle parle d'Arthur; elle a ses jeunes charmes,
Elle a ses derniers cris, ses sanglots et ses larmes,
Ses suppliantes mains, son effroi, sa pâleur;
Elle est..... ce qu'il était! Oui, cette ombre fidèle
Au milieu de la nuit me réveille, m'appelle,
M'embrasse, et m'apparaît avec ses traits chéris!
Laissez-moi l'adorer : elle me rend mon fils;
Elle me rend sa voix! je l'écoute, je pleure;
Je la suis comme Arthur, au son triste de l'heure;
Et sous son vêtement, quand je l'ai rencontré,
Elle m'en a fait voir le fantôme adoré! >>

<< Toi, tu n'as pas de fils? je le vois, j'en suis sûre :
Effrayé pour toi-même, et plaignant ma blessure,
Tu te fondrais en pleurs, tu ne pourrais parler.
Non, tu n'as pas de fils!..... Peux-tu me consoler!
Toi seul n'es pas ému de mes plaintes amères!
Quand je parle d'Arthur, tout m'entend, tout frémit.
Les Anges attentifs pleurent aux cris des mères;
Dieu même en les frappant les regarde et gémit:
Il est père, il est Dieu. Dans sa miséricorde
Il forme de nos pleurs l'espoir qu'il nous accorde :
On m'a volé mon fils; et Dieu me le rendra.
Mais ici!..... plus jamais nous n'y serons ensemble.
On m'a volé mon fils, on l'emmène..... il mourra.....
Et je ne verrai plus d'enfant qui lui ressemble ! »

«Que ne suis-je insensée!..... en mes rêves confus
Je serais, comme toi, froide, austère, farouche;
Et le doux nom d'Arthur, exilé de ma bouche,
Fuirait de ma mémoire; et je n'aimerais plus !
Je préfère la mort à ce songe immobile;
Je veux aimer toujours ce que j'ai tant aimé,
Arthur, mon cher Arthur, qu'en ta pitié stérile
Tu ne m'as pas nommé! »

« Oh! parle-moi d'Arthur! mais tu ne peux m'entendre. Hélas! ce que le ciel a formé de plus tendre,

Son miracle d'amour est-il connu de toi?

C'est le cœur d'une mère : et je le porte en moi,

Et je n'ai plus d'enfant! et sa grâce enchaînée,

Et ses pas inégaux que je guidais encor,
Loin de ma destinée

Ont emporté son sort!

Et ce bel arbrisseau, dont la tige brisée
Promettait à ma vie un ombrage si beau,

Va languir sans amour, sans soleil, sans rosée,
Sans fleur pour mon tombeau !.....

Va, je ne suis pas insensée! >>

<< Ma raison tout entière éclate dans mes pleurs :

Elle approuve, elle ordonne, elle accroît mes douleurs ;

Et c'est un crime à toi de la dire éclipsée.

Qui donc était sa mère?..... oh! moi..... c'était bien moi!
Ces pleurs..... ce sont mes pleurs qui tombent devant toi :
Peux-tu les démentir? Sans joie et sans parure,

Comme un saule mourant traîne sa chevelure,
Vois mon front se courber: sous ce voile de deuil,
C'est la mère d'Arthur qui se traîne au cercueil.
Suis-je insensée? Eh bien! à ce nom qu'on lui donne,
C'est la mère d'Arthur qui meurt et qui pardonne!
Et si tu n'es ému, si ton cœur est glacé,
Va, c'est toi qu'il faut plaindre et nommer insensé! »

<< Et vous qui me disiez, dans vos leçons pieuses,
Qu'au delà du tombeau Dieu nous rend nos amours,
Ma mère, ouvrez les cieux : vos mains religieuses
Vont recevoir mon fils; gardez-le-moi toujours!
J'irai bientôt, bientôt !..... Mais si l'affreuse Envie
Veut le faire périr,

Souffrant, décoloré, détruit, il va mourir !

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