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ait

Qu'on dispose les choses de manière qu'il n'y pas un homme dans l'Empire qui, avec de l'intelligence et du travail, ne puisse, s'il en a la fantaisie, gagner cent mille écus de rente, j'entends fort bien l'utilité de pareilles dispositions.

Mais lorsqu'il est démontré que, sur vingt-cinq millions d'habitans en France, il y en a plus des deux tiers qui n'ont pas une subsistance assurée de trois sous par jour, le décret qui inviterait tous les citoyens à porter désormais leur dépense annuelle à dix mille francs ne serait-il pas une plaisanterie infiniment déplacée? Serait-il plus sage le décret qui appellerait à jouir de toute autre faculté qui ne se trouverait pas plus en leur pouvoir que la rente de dix mille livres? En conscience, est-ce respecter les hommes que de leur prodiguer des titres ou des droits dont ils sont incapables de sentir le prix, et dont ils ne sauraient jouir réellement qu'autant qu'ils en abusent?

S'il y a beaucoup d'inconvéniens à n'admettre qu'un trop petit nombre de privilégiés au partage des différentes fonctions publiques, il n'y en a pas moins assurément à vouloir que tous les citoyens en soient également susceptibles.

D'abord, tant qu'il existera des riches et des pauvres, ce droit qu'on paraît accorder à tous indistinctement n'est qu'un droit idéal; au lieu d'être un avantage pour tous, ce ne sera que l'instrument d'une force aveugle dont quelques particuliers plus ou moins adroits, plus ou moins

entreprenans, plus ou moins audacieux, feront toujours l'usage le plus funeste.

L'ambition du pouvoir politique, dominant par sa nature tous les autres genres d'ambition, les absorbera tous. L'industrie et les arts y perdront leurs ressources les plus précieuses. Tel qui se serait contenté d'être le premier artisan de son quartier, en voudra ètre le commissaire ou le capitaine. Tel dont l'ambition eût été d'obtenir une petite place à côté de Racine, de Fénélon ou de Molière, prétendra désormais aux honneurs de la législature ou de la municipalité, car sa paresse et son intérêt y trouveront beaucoup mieux leur compte. Donner à tous indistinctement le droit de citoyen, les rendre ensuite tous susceptibles des dignités publiques, c'est le moyen d'avilir la liberté même, c'est faire sérieusement ce que Mercier proposait à Louis XVI, de déclarer tous ses sujets ducs et pairs. A ce prix, qui se soucierait encore de l'être ?

Ce fut précisément lorsqu'il n'y eut plus à Rome aucune distinction entre les Patriciens et les Plébéiens que bientôt après il n'y eut plus de citoyens; on ne vit plus que des clients et des chefs de parti, dans la suite un seul despote et des millions d'esclaves.

On paraît avouer que la puissance publique a besoin d'un chef suprême pour avoir une action plus sûre et plus rapide. On est peut-être encore de meilleure foi lorsqu'on veut bien consentir

que ce chef soit héréditaire, afin que la première place de l'Empire ne soit pas au moins l'objet perpétuel des passions les plus orageuses et des rivalités les plus menaçantes.

Mais que sera-ce donc que ce chef suprême s'il ne tient pas en effet toutes les clefs de la force publique dans ses mains, si, après avoir établi la responsabilité la plus sévère pour tous les agens qu'il emploie, on ne lui laisse cependant aucun moyen de les employer d'une manière efficace, si par l'ordre établice premier dépositaire de la puissance publique se trouve environné d'une multitude de petites puissances subalternes dont les forces sont toujours en mesure pour arrêter, suspendre et contrarier la sienne? N'est-ce pas le réduire à n'être qu'un vain fantôme, une décoration brillante à la vérité, mais beaucoup trop chère, si ce précieux ressort de plus ou de moins ne devait pas influer davantage sur la perfection de la grande machine politique?

Sans ces corps intermédiaires que le président de Montesquieu regardait comme intimement liés à l'essence de toute monarchie modérée, le Monarque aura toujours ou trop ou trop peu de puissance sur le peuple; il en est ou trop près ou trop loin. Trop près, il ne lui faut que du caractère, des talens ou de la fortune pour en devenir le despote; trop loin, il devient étranger à ses destinées, et l'Empire gouverné sous son nom n'est bientôt plus qu'une République mal

ordonnée.

Le jour de la première représentation de la reprise de Brutus a été encore un grand jour d'angoisse et de sollicitude pour toute la Municipalité. On avait triplé, quadruplé la garde ordinaire, M. le Commandant général avait reçu l'ordre de faire marcher des patrouilles à pied et à cheval dans toutes les avenues du quartier, et M. le Maire crut devoir honorer lui-même le spectacle de sa présence, ainsi que M. de Mirabeau, qui, s'étant laissé apercevoir dans une petite loge aux quatrièmes, reçut bientôt une députation du parterre, décrétée par acclamation, pour le prier de descendre aux premières, ce qu'il fit au bruit des applaudissemens les plus agréables à son oreille civique, ceux de ce bon parterre et de cette bonne troupe soldée. Peut-être était-ce encore par attention pour cet illustre Député qu'on eut si grand soin ce jour-là de faire désarmer tout le monde à la porte du spectacle et d'y consigner nommément toutes les espèces de cannes et de bâtons. Le premier acte, un des plus beaux sans doute, mais un des plus courts qu'il y ait au Théâtre, dura plus d'une heure, parce qu'à chaque applaudissement qui n'était pas dans le sens de la Révolution il s'élevait des cris et des hurlemens si horribles, que ce n'était qu'après un assez long intervalle que les acteurs pouvaient parvenir à se faire entendre. Après cette première lutte, ce que nous appelons l'aristocratie se vit réduite forcément au silence

pendant plus de deux actes; mais à la fin du quatrième, quand Brutus dit à son fils:

Je mourrai comme toi,

Vengeur du nom romain, libre encore et sans Roi,

le sans Roi ayant été sifflé, et ce sifflet ayant été hué avec rage, un homme au milieu de l'orchestre, emporté par un élan d'indignation, se lève et crie tout haut: Quoi! l'on ne veut donc plus de Monarchie en France ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Vive le Roi !.... L'accent avec lequel ces derniers mots furent prononcés parut électriser toute l'assemblée, les loges, l'orchestre, les balcons, le parterre même; tout le monde se lève, les chapeaux volent en l'air et la salle retentit pendant quelques minutes du cri de vive le Roi. N'estce pas une fatalité assez remarquable que ce soit là le plus grand effet qu'ait produit cette première représentation de Brutus, préparée avec tant de fracas et si bien appuyée de toutes les puissances de la démagogie?

A la seconde, les Comédiens ont fait placer d'un côté le buste de Voltaire, de l'autre celui de Brutus, auquel on a adressé ces vers:

O buste respecté de Brutus, d'un grand homme!
Transporté dans Paris tu n'as pas quitté Rome.

Au dénouement on a mis en action le tableau de David; au moment où l'on annonce à Brutus la mort de son fils, ce père infortuné se place sur un fauteuil antique comme le Brutus du peintre,.

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