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y resta jusqu'à ce qu'on eût averti le maître de la maison que Feveh était venu le voir. On fut quelque temps sans revenir. Les jeunes gens qui accompagnaient le Prince commencèrent à s'ennuyer, et dirent que Monsieur n'était guère poli de faire attendre si long-temps le Prince; mais Fevel répondit que M. Bouche-d'Or était fort occupé des affaires du Czar; j'ai peut-être mal pris mon temps: il n'en coûte pas beaucoup à des jeunes gens comme nous d'attendre, et je ne dois pas oublier que dernièrement encore M. Bouched'Or attendit lui-même assez long-temps dans mon antichambre sans se fåcher. Le digne vieillard ne tarda pas d'arriver avec beaucoup d'empressement, et demanda mille pardons au Prince. Celui-ci l'embrassa et lui dit: Il est bien facile d'excuser celui dont les services fidèles, et qui m'ont été racontés tant de fois par mes parens, doivent occuper sans cesse ma pensée. Bouched'Or s'inclina profondément, et répondit la larme à l'œil: Que vos discours sont doux à mon cœur ! leur charme prolongera mes jours.... Le Czarowitsch déjeuna chez ce bon vieillard, dans une galerie qui avait vue sur un grand lac. En regardant par la fenêtre depuis le banc où il était assis, il aperçut une petite nacelle, et dans la nacelle un pêcheur qui se promenait sur l'eau. Le Czarowitsch eut la fantaisie de se promener avec lui; il se leva, cria au pêcheur d'aborder, et fut se placer dans son petit canot. Alors beaucoup de gens accoururent sur le rivage; les uns disaient

qu'il était dangereux de s'exposer dans un si petit esquif; d'autres, que le bateau était vieux ; d'autres, qu'il penchait déjà ; d'autres, qu'il était pouri; d'autres encore, qu'on était menacé d'un orage; enfin tandis que l'on ne cessait d'inspirer au Prince des frayeurs de toute espèce, il prit la rame des mains du pêcheur, et dit: Le pêcheur n'est-il pas un homme comme moi? Il était dans le canot, et le canot le portait à merveille. Feveh est un homme comme lui, il peut s'y promener également sans risque. J'ai été élevé dans la crainte de l'Etre-Suprême, et je ne connais point d'autre crainte. A ces mots, Feveh s'assit dans l'esquif, se mit à ramer, et vogua ainsi long-temps, quoique le temps fût peu favorable. Il regagna heureusement le rivage d'où il était parti, fit ses adieux à Bouche-d'Or, mit le pied gauche dans l'étrier, se jeta légèrement sur son cheval, et revint au grand galop. Bouche-d'Or, à qui la visite du Prince avait causé une extrême joie, dit le soir à ses amis: Feveh, entre beaucoup d'autres dons précieux, a celui de savoir parler de la manière la plus propre à s'assurer tous les cœurs, sans laisser apercevoir jamais qu'en parlant à quelqu'un il croit lui faire grâce. Le Czarowitsch n'a aucune apparence d'orgueil; il aime son prochain comme lui-même, et, sachant bien qu'il est un homme, il pense toujours, lorsqu'il s'adresse à quelqu'un, que c'est à un homme comme lui qu'il parle : mais il n'est personne, même en le voyant pour la première fois, qui n'éprouve pour lui une sorte

d'attrait: je ne sais quelle douce confiance que cePrn ce inspire à tout le monde par cette bonté facile et naturelle dont l'empire est si doux..... Ce sont les paroles remarquables que Bouched'Or dit le soir devant ses amis à la louange de Feveh. Le lendemain ils voulurent les répéter exactement, mais ils n'en purent jamais venir à bout. Il est dans le monde des gens d'un naturel curieux, qui savent bien attraper tantôt le commencement, tantôt la fin, tantôt le milieu d'un discours, mais qui ne le saisissent jamais en entier. Bouche-d'Or avait des envieux qui, ayant entendu raconter très-imparfaitement ce qu'il avait dit sur le jeune Prince, ne manquèrent pas de le rapporter tout de travers au Czarowitsch, et lui dirent que Bouche-d'Or, entre autres observations peu flatteuses pour le Prince, avait remarqué que Monseigneur Feveh avait beaucoup d'orgueil. Feveh les écouta du plus grand sang - froid et leur répondit: Je suis constamment occupé à me corriger de mes défauts, et je suis très-obligé à Bouche-d'Or de ce que ses remarques m'en fourniront une nouvelle occasion. Il ne changea cependant en rien sa manière d'être avec Bouched'Or, et fut bientôt informé de la vérité du fait.

Un jour d'été, le Prince fut voir un riche négociant dans l'intention de s'instruire de la nature de son commerce. Le négociant, que cette visite flatta d'autant qu'il ne s'attendait guère à cet honneur, voulut lui en témoigner sa reconnaissance suivant l'usage d'alors, en lui faisant apporter de

superbes présens, des coupes d'argent dans des bassins de vermeil, des bourses de brocart remplies d'or, des fourrures précieuses, de magnifiques tapis de Perse. On vit paraître en même temps la fille du généreux hôte, c'était une veuve jeune et belle, elle était vêtue de noir, et l'on voyait sur son visage l'impression de la tristesse la plus inté ressante; elle vint déposer ces présens aux pieds du Czarowitsch. Son père supplia le Prince de les accepter, en ajoutant : Daignez pardonner la tristesse de ma fille aux persécutions qu'elle éprouve de la part des parens et des créanciers de sou époux. J'accepte volontiers, répliqua le Prince, tous vos présens, et je les donne à votre fille pour dot,

désirant qu'elle retrouve bientôt un époux digne d'elle et qui sache préférer ses vertus à sa beauté et à ses richesses. Revenu chez lui, Feveh apprit que son écuyer était tombé de cheval et s'était blessé dangereusement le pied; il fut le voir, envoya chercher le chirurgien, et tandis qu'on pansait sa blessure, il remplit sa botte d'argent et dit : Donnez ceci à mon écuyer, il y trouvera de quoi payer les secours dont il a besoin. Ce fut dans ce même temps-là, ou du moins peu de temps après, que les peuples de la Plaine Dorée firent une invasion dans les terres du Czar, se rendirent maîtres de plusieurs villages et en emmenèrent les habitans. Le Czar fit lever des troupes qui furent employées à poursuivre ces brigands. L'armée les ayant forcés à se retirer, elle envoya au Czar avec ceux de ses sujets qu'elle venait de délivrer plu

sieurs prisonniers faits sur ses ennemis. Il faut, dirent alors quelques Seigneurs de la Cour, il faut traiter les prisonniers que l'on a faits sur les Peuples de la Plaine Dorée aussi durement qu'ils ont traité les nôtres. Ces discours étant venus jusqu'aux oreilles du Prince Feveh, il dit : Nous conviendrait-il d'imiter un mauvais procédé? Que les peuples de la Plaine Dorée apprennent de nous l'humanité qu'on doit à ses ennemis. Plût au Ciel que l'on pût trouver parmi nous l'exemple de toutes les vertus!

Ce fut vers la fin de cette année que le Czarowitsch prit une femme et en eut des enfans qui lui ressemblèrent. Quelques années après, il voyagea dans plusieurs contrées et rapporta dans sa patrie une foule de connaissances intéressantes. Feveh et tous ses descendans parvinrent à un âge fort avancé. Son nom est encore béni de la Nation dont il fut le père.

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