Imatges de pàgina
PDF
EPUB

YNKLE ET YARIKO, supplément aux œuvres de Gessner. (Par M. de Meister.) Brochure in-18.

Gessner lui-même avait dit de l'auteur de ce petit ouvrage, en parlant à M. l'abbé Bertola de la traduction des Nouvelles Idylles, faite par le même ; ... Giurerei che che abbia guardato il più delle volle non nelle mie poesie, ma nel fondo della mia anima. (Je jurerais qu'il a regardé le plus souvent, non dans mes poésies, mais dans le fond de mon âme.) ( Elogio di Gessner, p. 75.

Le Czarowitsch Feveh, second Conte russse (1).

On dit que la Sibérie fut habitée autrefois par un peuple nombreux, actif et riche, que ce peuple eut pour Czar un Prince qui descendait des Ouans de la Chine, et qui se nommait Taoau. C'était un homme rempli de sagesse et de vertu, il aimait ses sujets comme un père aime ses enfans, il n'accablait personne de charges trop pénibles, et ménageait chacun en particulier le plus qu'il pouvait suivant les circonstances. Il méprisait souverainement toute espèce de faste et de luxe; cependant l'on ne voyait rien dans sa Cour qui ne fut tout-à-fait agréable, et rien qui ne répondit à sa dignité. Le Czar, avait une Czarine, et la beauté de cette Princesse était aussi distinguée que les qualités de son esprit et de son cœur; elle ne songeait qu'à plaire à son époux et suivait en (1) Atribué à l'impératrice Catherine II.

toutes choses l'exemple de ses vertus. Ils passèrent plusieurs années dans l'union la plus douce et la plus tendre, mais ils n'avaient point d'enfans, et cette privation leur rappelait souvent ce qu'on a dit tant de fois, qu'il n'est dans ce monde point de bonheur parfait.

La Czarine, d'une santé fort délicate, éprouvait souvent des accidens qui donnaient au Czar beaucoup d'inquiétude. Il fit venir des contrées les plus lointaines comme des contrés voisines tout ce qu'il y avait alors de médecins célèbres, qui raisonnaient à perte de vue sur la maladie, et qui d'ailleurs, rarement d'accord entre eux, finissaient pourtant tous par lui prescrire des remèdes composés d'une si grande quantité d'herbes et de drogues de toute espèce, que la liste seule de ces ingrédiens remplissait des pages entières du papier dont on se servait alors. La Czarine, les Dames et les Demoiselles de sa Cour ne pouvaient voir sans effroi, sans dégoût, ce triste amas de bouteilles et de fioles qu'on ne cessait de porter à la pauvre Princesse: ces drogues, disait la Czarine, ont un goût détestable; la seule vue, disaient les Dames de la Cour, en est repoussante. Le Czar, qui doutait infiniment du bon effet que devait produire le mélange bizarre de tant de jus, de tant d'élixirs différens, ne put cacher plus longtemps son inquiétude à ses amis. On dit communément qué des Princes sages ne manquent jamais de bons conseils, c'est ce que l'on vit bien encore ici; un des grands de la Cour nommé Bouche d'Or

dit au Czar: Mon bon maître, pourquoi vous tourmenter? vous semble-t-il que ces drogues font plus de mal que de bien à la Czarine? ehbien, il ne vous en coûtera qu'un mot, faites-les jeter, et moi j'irai vous chercher un homme habile à guérir toutes sortes de maux, il aura bientôt rétabli la santé de la Princesse; il n'est pas ici, mais il demeure dans une solitude qui n'est pas fort éloignée.

Ce discours soulagea les peines du Czar et remplit son cœur des plus douces espérances. On dépêcha bien vite un messager à notre ermite. II habitait au milieu de la forêt dans une petite maison couverte de chaume. Le messager ayant frappé à la porte, il entendit aboyer un petit chien, et l'instant d'après il vit quelqu'un à une lucarne. Qui frappe là? Je suis envoyé par le Czar, répondit le messager; le maître est-il au logis? Il y est, dit l'homme, à la lucarne, et il vint ouvrir. Étant entré, le messager trouva le maître du logis lisant au coin de son feu; il se leva pour le recevoir; informé que le Czar le demandait, il s'habilla sur-le-champ, monta à cheval, et se rendit avec son guide à la Cour, Quand il fut présenté au Czar, celui-ci commença par lui demander quel était son nom', ensuite quelle était sa patrie. A la première question il répondit: Je m'appelle Cathos; à la seconde il dit qu'élevé à la Cour du Prince Sangor, il y avait essuyé beaucoup de persécutions de la part des méchans, qui par envie l'avaient calomnié auprès de son maître; il se

plaignit d'avoir perdu sa fortune et ses amis, et de s'être livré ensuite aux plus injustes traitemens; il ajouta que, ne sachant point dissimuler ou parler autrement qu'il ne pensait, science indispensable à la Cour du Prince de Sangor, il avait choisi dans la forêt une demeure soli taire où il s'occupait à étudier les vertus des plantes pour les faire servir dans l'occasion au soulagement de son prochain. Cathos n'eut pas plutôt fini son discours que le Czar le mena chez la Czarine. Ils la trouvèrent couchée, les pieds étendus sur des coussins d'édredon, avee une couverture de velours cramoisi doublée d'une superbe peau de renard noir. Elle était fort pâle, les yeux presqu'éteints, elle se plaignait de tiraillemens dans les jambes, d'insomnie et de dégoût pour toute espèce de nourriture. Le solitaire s'informa de sa manière de vivre, et apprit qu'elle passait le jour et la nuit dans des appartemens chauds, qu'elle ne faisait aucun exercice, ne prenait jamais l'air, et mangeait à toute heure, tantôt de ceci, tantôt de cela, qu'elle dormait le jour, et passait les nuits à causer avec les Dames et les Demoiselles de sa Cour, qui l'une après l'autre lui frottaient les pieds, lui faisaient des contes, et lui rapportaient ce que chacun faisait ou ne faisait pas, ce que chacun disait ou ne disait pas. Notre médecin des bois prit la liberté de dire au Czar: Mon cher maître, défendez à votre Czarine de dormir le jour, de causer la nuit, de manger et de boire, excepté aux heures ordinaires

[ocr errors]

du dîner et du souper; ordonnez-lui de se lever de bon matin pour ne se coucher que la nuit ; assurez-la que se couvrir les pieds dans une chambre chaude est un usage très-nuisible; engagez-la enfin à se promener à pied, en voiture, et sur toute chose à respirer souvent un air pur et frais.

Le Czar tâcha de persuader la Czarine à suivre les ordonnances du médecin des bois; mais elle fit beaucoup de difficultés, disant : Je suis accoutumée à vivre ainsi, comment pourrais-je changer mes habitudes et ma manière d'être ? Les prières du Czar l'emportèrent pourtant enfin sur ces malheureuses habitudes. On tira tout doucement notre Czarine de dessous ses couvertures de velours doublées de renard noir, on la fit lever de son lit; dans les commencemens l'on était obligé de la soutenir sous les bras; enfin elle essaya de marcher toute seule. Quelque temps après on la plaça dans un traîneau attelé de six rennes à cornes dorées et dont les harnois étaient garnis d'hermine avec des boucles de rubis. La Czarine fit ainsi une promenade de deux heures; revenue à la maison, elle mangea et dormit fort bien; bientôt l'on vit son teint reprendre toute sa fralcheur, ses yeux brillaient comme l'étoile du matin; elle reparut aussi belle que jamais, et les Dames et les Demoiselles de sa Cour transportées de joie firent une chanson qui commençait

ainsi :

Bon peuple, réjouissez-vous,
Grands et petits apprenez tous

« AnteriorContinua »