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mort le 1er novembre 446, délivra la ville d'un dragon monstrueux. Dans la vieille église collégiale qui lui avait été consacrée, on voyait même, suspendu à la voûte, ce fantastique animal; c'était tout simplement un cétacé auquel on avait ajouté des cornes. La légende ne doit pas sans doute être prise à la lettre, et par le dragon qu'anéantit le prélat il faut entendre le paganisme, dont il détruisit les derniers vestiges.

Au-dessus des évêques est placée dans la mémoire des Parisiens sainte Geneviève, qu'ils ont choisie pour patronne; elle était née à Nanterre en 422; son père se nommait Severus et sa mère Gerontia. Malgré la tradition qui en fait une bergère, l'auteur de ses actes, qui écrivait seulement dix-huit ans après elle, prouve, par tous les détails qu'il donne, qu'elle appartenait à une famille aisée. Saint Germain d'Auxerre entendit parler des vertus précoces de la jeune fille, et en lui remettant une médaille de cuivre où la croix était empreinte : « Ne souffrez pas, dit-il, que votre cou ou vos doigts soient chargés d'or, d'argent ou de pierreries; car si vous avez la moindre parure du siècle, vous serez privée des ornements éternels. »

Plus tard, Geneviève se consacra solennellement à Dieu, au pied des autels, par-devant Vilicus, successeur de saint Marcel. Attila, konong ou roi des Huns, ravageait les Gaules, et l'apparition de quelques détachements de ces troupes barbares jeta la consternation parmi les Parisiens; ne se croyant pas en sùreté dans leur ile, ils se mirent à embarquer précipitamment leurs meubles et leurs trésors pour tâcher de les soustraire à la rapacité de l'ennemi.

Les hommes les plus vaillants étaient consternés et ne songeaient pas un seul instant à la résistance. Geneviève assembla les femmes et les exhorta à employer toute leur influence pour empêcher l'abandon de la cité pure et sans tache, où jamais ennemi du Christ n'avait pénétré; elle les persuada aisément, et elles prièrent Dieu avec elle, afin qu'il réveillat la foi et le patriotisme éteints dans le cœur de leurs frères ou de leurs époux. Dans l'intérieur de leurs demeures, elles reprochaient aux hommes leur pusillanimité et leur faiblesse. Leurs efforts furent vains et ne firent qu'irriter les Parisiens contre Geneviève. Elle essaya inutilement de les arrêter. « Pourquoi fuyezvous? leur disait-elle; celui qui dit à la mer: Sépare tes flots, et au Jourdain Remonte vers ta source, ne saura-t-il pas élever une digue entre vous et le torrent? Votre ville sera conservée, et celle où vous voulez vous retirer sera pillée et saccagée par les barbares; ayez confiance en Dieu; implorez son secours, et ne trahissez pas par votre fuite la cause du ciel et de la patrie.

Quelques-uns se laissèrent entraîner par ces paroles; mais la multitude l'accabla d'outrages, l'appelant fausse prophetesse et sorcière. « Elle veut notre ruine, disait l'un; elle endort par ses maléfices les meilleurs citoyens », disait l'autre. Aux murmures succédaient les vociférations: « A la Seine! criait-on; à la Seine l'hypocrite! Qu'elle soit punie de ses mensonges! »>

Au moment où Geneviève semblait avoir tout à craindre, elle fut sauvée par l'armée de l'archidiacre d'Auxerre, dont l'évêque, saint Germain, venait de mourir. Ce saint homme avait toujours eu pour les vertus de Geneviève une vénération profonde. Il lui avait légué par testament des eulogies (présents de choses bénies en signe d'union et d'amitié), que l'archidiacre était chargé de lui remettre.

Cette circonstance changea le cœur des Parisiens, ils renoncèrent à leurs mauvais desseins et résolurent d'écouter les conseils de Geneviève et ceux de l'archidiacre. Les voyant disposés à une vigoureuse défense, les Huns décampèrent en une seule nuit et se jetèrent sur d'autres parties de la Gaule. Quand on vit l'événement confirmer la prédiction de Geneviève, le mépris qu'on avait pour elle fit place à une si grande estime, qu'on ne voulait plus rien entreprendre sans son avis. Quelques historiens croient que la retraite d'Attila fut déterminée par une démarche personnelle de la sainte, qui n'hésita pas à aller à la rencontre du Fléau de Dieu.

En 475, s'il faut en croire l'auteur de la Vie de sainte Geneviève, les Franks établirent autour de Paris un blocus qui dura cinq ans! Tempore quo obsidio Parisiis, qui quinque per annos, ut aiunt, perpessa est à Francis. C'est le seul historien qui mentionne ce siége, et encore ne le rapporte-t-il que sur un oui-dire (ut aiunt. Le fait est donc douteux; mais il est admissible que la proximité des hordes franques, la terreur qu'elles inspiraient, les ravages qu'elles exercèrent dans les campagnes, les entraves qu'elles apportèrent aux relations

furent les causes de la famine dont eurent à souffrir les Parisiens; elle fut telle que les pauvres tombaient morts dans les rues. Geneviève, émue de compassion, s'embarqua sur la Seine avec quelques compagnes dévouées : elle remonta jusqu'à Troyes, d'où elle se rendit à Arcis-sur-Aube, et revint avec onze bateaux chargés de céréales. Les pauvres, qui l'attendaient avec impatience, reçurent d'elle du pain dont elle dirigeait la cuisson et la distribution.

CHAPITRE V.

Paris sous les Mérovingiens.

Des historiens supposent que sainte Geneviève eut beaucoup de part à la conversion du chef frank Chlodovich ou Clovis; mais ce ne furent ni les conseils de la pieuse vierge ni même ceux de Clotilde qui déterminèrent le barbare à renoncer au culte d'Odin. Sans révoquer en doute la sincérité de ses nouvelles convictions, il est permis de croire qu'il fut guidé par quelques considérations mondaines, et qu'il fit le même raisonnement que Henri IV. Les Franks, qu'Apollinaire Sidoine dépeint comme des monstres pour lesquels la paix était une calamité, las des expéditions périodiques qu'ils entreprenaient dans le seul but du pillage, avaient la velléité de se fixer. Ils ne se contentaient plus de revenir à la fin de chaque année boire de la cervoise et courir le cerf dans les forêts de la Germanie. La religion catholique se trouvait en présence de l'hérésie d'Arius, du paganisme, qui résistait encore çà et là, et des croyances scandinaves. Elle manquait de soutien; pas un seul chef d'État ne la professait; les populations des bords de la Seine et de la Loire pouvaient, d'un moment à l'autre, être troublées dans le libre exercice de leur culte; en outre, en butte aux incursions de hordes dévastatrices, elles n'avaient point de sécurité. Les évêques, qui, au milieu de la désorganisation de l'empire d'occident, étaient les seules autorités respectées, jetèrent les yeux sur la vaillante tribu de Clovis, qui, composée seulement de quatre mille guerriers, avait dispersé près de Soissons les milices romaines. Les évêques firent des ouvertures à Clovis, et saint Remy, évêque de Reims, eut d'abord assez d'influence pour lui faire épouser une catholique. Aussitôt qu'il eut reçu le baptême, il fut reconnu roi, sans résistance, par toutes les cités gauloises qui avaient constitué l'alliance défensive, connue sous le nom de Confédération armoricaine. Les leudes et les arimanes franks s'emparèrent des terres vacantes, et commencèrent à se civiliser. Le pater fut traduit pour eux en langue franque fater unser du vist in himilum, kauuihit si namo din; piqhueme rihhi din, etc. Clovis favorisa le clergé, et fit bâtir sur le mont Leucotitius une basilique en l'honneur des apòtres saint Pierre et saint Paul, où il fut enterré, et on grava sur sa tombe une magnifique épitaphe, où l'on célébrait son courage, ses talents administratifs et sa dévotion. Cette dernière qualité ne l'avait pas empêché d'assassiner ou de faire assassiner ses parents: Sighebert, roi de Cologne ; Cararic, roi de la Morinie; Regnacaire, roi de Cambrai, et son frère Riquaire; Regnomer, roi du Mans.

Dans le partage des domaines de Clovis, Childebert fut roi de Paris, Théodoric roi de Metz, Clotaire roi de Soissons, et Chlodomir, roi d'Orléans. Ce dernier étant venu à mourir, ses trois enfants se retirèrent au palais des Thermes, auprès de Clotilde, leur grand'mère; l'aîné n'avait pas plus de dix ans. Childebert et Clotaire se réunirent au palais, qui existait dès lors à l'extrémité occidentale de la Cité, et pour s'assurer la possession de l'héritage de leur frère défunt, ils convinrent d'égorger leurs neveux.

Il fallait d'abord s'en emparer, et Clotilde eut l'imprudence de les confier à un messager qui vint les demander, sous prétexte de les élever à la royauté. Lorsqu'ils furent entre les mains de leurs oncles, Arcadius, sénateur d'Auvergne, fut dépêché à Clotilde, avec des ciseaux et une épée:

« Très-glorieuse reine, lui dit-il, nos seigneurs, tes fils, attendent ta volonté sur ce qu'ils doivent faire des enfants; doivent-ils vivre les cheveux coupés ou mourir ? »

Les cheveux dans toute leur longueur étaient chez les Franks le signe caractéristique de la race royale. Clotilde, indignée, répondit :

« J'aime mieux les voir morts que tondus! »

Dès qu'il eut appris cette réponse, Clotaire prit l'aîné des

enfants et lui enfonça un couteau sous l'aisselle. Le second se jeta aux pieds de Childebert, en disant : « Très-bon père, à mon secours! que je ne sois pas tué comme mon frère! » Childebert s'atendrissait.

« C'est toi, s'écria Clotairê, qui a pris cette résolution, et tu recules aujourd'hui ! Sois fidèle à ta parole, ou tu mourras pour lui. »

Alors Childebert repoussa l'enfant, qui fut immédiatement massacré; on tua aussi les nourrices et les serviteurs des deux victimes. Un troisième échappa, grâce à l'assistance de quelques leudes. Le plus jeune des fils de Chlodomir, nommé Chlodoald, tonsuré prématurément, entra dans un monastère situé sur la rive gauche de la Seine, et dont saint Séverin était abbé; c'est ce prince dépossédé que l'Église honore sous le nom de saint Cloud.

Les églises et les chapelles s'étaient multipliées dans Paris. Childebert jeta les fondements de l'abbaye de Saint-Vincent, consacrée par saint Germain, évêque de Paris, dont elle prit plus tard le nom. La population catholique avait tant de zèle, qu'elle sauva tous les édifices religieux des ravages d'un incendie terrible, qui éclata, en l'an 547, dans les maisons dont était couvert le pont jeté sur le petit bras de la Seine.

Clotaire et son fils Charibert conservèrent Paris comme capitale; mais ce dernier n'ayant laissé que deux filles, le royaume de Paris fut absorbé. Sigebert, roi de Metz; Chilpéric, roi de Soissons, et Gontran, roi de Bourgogne, convinrent seulement qu'aucun d'eux n'entrerait dans l'ancienne capitale sans le consentement des autres. Les derniers Mérovingiens ne se montrèrent que par intervalle à Paris, et mieux eût valu qu'ils n'y vinssent pas du tout. En 584, Chilpéric, voulant assurer un brillant cortège à sa fille Rigonthe, qui allait en Espagne épouser Récarède, fils du roi des Visigoths, fit enlever des personnes appartenant aux familles les plus notables de Paris. L'idée d'un aussi long voyage effraya tellement les malheureux qu'on y condamnait que quelques-uns se tuèrent de désespoir.

La même année, Frédégonde, femme de Chilpéric, perdit un fils, dont elle attribua la mort aux maléfices de quelques sorcières, qui furent mises en prison, livrées à la torture et condamnées à la roue ou au bûcher.

Quand Chilpéric fut mort, sa veuve Frédégonde ne se crut pas en sûreté à Soissons. La grande lutte avait commencé entre les Franks de l'Occident (ne-oster rike), qui étaient déjà à moitié Romains, et les Franks de l'Orient (oster-rike), qui représentaient une nouvelle couche d'envahisseurs germaniques. Dans un moment où le parti neustrien était aux abois, Frédégonde avait fait assassiner le roi austrasien Sigebert par deux émissaires, armés de couteaux empoisonnés. Craignant la vengeance de Childebert II, fils de la victime, elle quitta Soissons précipitament, emportant entre ses bras son propre fils Clotaire, âgé de quatre mois seulement; elle se réfugia chez l'évêque de Paris Ragnemode, homme pieux et paisible, qui était en grande estime pour avoir fait mettre en prison un débitant de fausses reliques. Une fois installée à l'évêché, qui était alors à la pointe orientale de la Cité avec une basilique et une chapelle dédiée à St. Etienne, Frédégonde implora le cours de Gontran. Ce roi de Bourgogne, satisfait de son lot, régnant sur des sujets d'humeur pacifique, flottait indécis entre les Austriens et les Neustriens, qu'il trouvait probablement à peu près aussi sauvages les uns que les autres. Frédégonde lui envoya dire: «Que monseigneur vienne prendre le royaume de son frère; j'ai un petit enfant que je veux confier à sa garde, en m'humiliant moi-même à sa postérité.

Gontran partit de Chalon-sur-Saone et vint à Paris, non sans défiance. Pour s'assurer des intentions des Parisiens, un dimanche, après la messe, il dit aux fidèles, réunis dans la cathédrale: «O vous qui étes ici présents avec vos femmes, je vous conjure de vous rallier sincèrement à moi, et de ne pas me tuer comme vous avez tué mes frères: laissez-moi élever mon neveu, afin qu'après ma mort il reste quelqu'un de ma race pour vous protéger » Cette harangue fut favorablement accueillie. Et Childebert de Metz, s'étant présenté aux portes de Paris, les habitants, par leur bonne contenance, le déterminèrent à rétrograder.

Pendant plusieurs siècles, à partir de cette époque, Paris n'eut qu'une histoire individuelle. L'an 586, un incendie ravage la pointe occidentale de la Cité; en 614, le 18 octobre, un concile est tenu dans l'église des Apôtres, sur la montagne SainteGeneviève; en 634, Eloi, orfévre du roi Dagobert, fonde le

monastère de Sainte-Aure et l'église de Saint-Paul, qui faillirent être détruits trois ans plus tard dans un troisième et effroyable incendie.

L'an 651, il y eut à Paris une famine épouvantable. L'évêque Landry, que l'Église a canonisé, se signala par son dévouement; il commença dès lors à organiser pour les pauvres et pour les malades l'hôpital que nous connaissons sous la dénomination d'Hôtel-Dieu.

Landry mourut le 6 juin 655. Son successeur fut Chrodobert, qui, étant mort prématurément, fut remplacé par Sigebrand ou Sigobrant. Il serait important pour l'histoire de Paris d'obtenir quelques détails sur la conduite de ce dernier; mais il est seulement mentionné incidemment par deux écrivains anonymes, qui ont raconté la vie de sainte Bathilde, et dont on trouvera les opuscules dans le recueil de Jean Bollandus (Anvers, 1643, in-folio, tome II, pages 732 et suivantes). Ils disent qu'après avoir fond le monastère de Chelles, Bathilde, femme de Clovis II, aspirait à s'y renfermer, mais que les grands s'opposaient à son dessein; ils l'auraient combattue avec persévérance sans une émeute soulevée par l'arrogance de l'évèque Sigebrand (nisi commotio quædam acciderat de misero Sigebrando episcopo, cujus superbia inter Francos meruit mortis ruinam). Les seigneurs le firent tuer sans jugement (indiscussum et contra legem); puis, s'il faut en croire les anonymes, dans la crainte que la pieuse reine ne songeàt à venger le prélat, ils la laissèrent s'enfermer dans son cloître.

La même année, Paris fut dépeuplé par une épidémie dont un fait nous met à même d'apprécier l'intensité. Dans le monastère fondé par saint Éloi, suivant le témoignage de son biographe, sainte Aure mourut avec cent soixante religieuses. L'an 767, un concile fut tenu à Paris pour condamner les iconoclastes.

CHAPITRE VI.

Paris sous les Carlovingiens.

Quoique abandonné par les derniers Mérovingiens et par les empereurs, Paris, où dominait la puissance ecclésiastique, ouvrait des écoles, embellissait ses édifices religieux, et progressait avec indépendance. Au milieu des désordres qui donnèrent la prépondérance à l'élément germanique, la ville fut administrée par des comtes, dont les plus anciennement connus sont : Gairin, en 710; Gairef.id, en 737; Gérard, en 759. Étienne, qui vivait en 802, était, conjointement avec Pardulfe, abbé de Saint-Denis, envoyé impérial (missus Dominicus) pour les territoires de Paris, Meaux, Melun, Provins, Étampes, Chartres et Poissy. A Paris, le comte avait pour conseillers des échevins (du mot tudesque schepen, juge, magistrat), qui étaient nommés par lui avec l'assentiment des notables. Ils furent convoqués pour entendre la lecture des capitulaires que Charles le Grand leur envoyait d'Aix-la-Chapelle, et qu'ils signèrent en promettant de les observer à jamais.

Louis le Débonnaire vint faire un tour à Paris en 814; il visita avec curiosité l'église Saint-Etienne, l'abbaye de SainteGeneviève et l'abbaye de Saint-Germain des Prés, où étaient enterrés quelques rois mérovingiens. L'abbé Irminon lui fit les honneurs de ce monastère colossal, dont il a énuméré dans un précieux registre, connu sous le titre de Polyptique, les propriétés, en hommes, en terres et en bestiaux.

Les chroniqueurs mentionnent, vers l'année 821, un débordement de la Seine qui vint sur la rive droite battre les murs d'une chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste, et envahit un monastère voisin, situé à l'endroit où un certain Étienne Haudri fonda plus tard l'hôpital des Haudriettes; les eaux firent irruption dans une chambre où était conservé précieusement le lit de sainte Geneviève, et le laissèrent intact en se retirant.

Deux conciles eurent lieu à Paris en 825 et 829. Dans le premier, on décida qu'il ne fallait pas briser les images, mais qu'il ne fallait pus non plus les adorer; dans le second, il fut décrété que les biens des églises cathédrales seraient divisés par égales parties entre l'évêque, le clergé, les pauvres et la fabrique.

L'existence pacifique de Paris, qui restait étranger aux dissensions des fils de Charlemagne, fut troublée par les incursions des Normands. C'étaient les derniers représentants des races barbares qui, s'élançant du nord à la recherche de terres plus

VIII

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fécondes et de climats moins rigoureux, avaient successivement désolé l'Europe occidentale. Ils remontèrent la Seine jusqu'à Paris, où ils arrivèrent la veille de Pâques, le 28 mars 845; les habitants s'étaient retranchés dans la Cité. Le chef normand Ragener pilla l'abbaye de Saint-Germain des Prés; mais voyant ses soldats accablés de fatigue et atteints de la dyssenterie, il jugea plus sage, au lieu de tenter une bataille, de faire des propositions d'accommodement. L'empereur Charles le Chauve, qui était venu camper au pied de la butte Montmartre, acheta la retraite des pirates moyennant 7,000 livres d'argent. Ce succès n'était pas fait pour les amener à résipiscence, et ils reparurent au mois d'août 856. Ils gravirent la montagne Sainte-Geneviève, pillèrent l'abbaye, et ne renoncèrent à leurs projets de désolation qu'après avoir reçu une nouvelle somme d'argent.

On s'en croyait débarrassé; mais le jour de Pâques, 6 avril 861, pendant que les moines de Saint-Germain des Prés chantaient matines, les Normands se ruèrent dans le couvent, assommèrent tous ceux qui eurent l'audace de leur barrer le passage, emportèrent tout ce qu'ils purent et mirent le feu au cellier; perte irréparable, s'ils n'avaient sans doute bu le vin. Charles le Chauve donna de l'argent pour réparer ce désastre, et fit bâtir en avant de la Cité (extra urbem) un pont plus grand que les autres (majorem pontem), qui devait servir de digue et de rempart flottant. Rassurés par ces précautions, les religieux de Sainte-Geneviève rapportèrent solennellement à Paris les reliques de leur patronne, qu'ils étaient allés cacher à Draveil; ceux de Saint-Germain des Prés rapportèrent de Nogent-l'Artaud le corps de saint Germain, le chef de sainte Nathalie, ainsi que des ossements de saint Georges et de sainte Aurèle. En ces temps de croyances naïves, quand une invasion de barbares était signalée, la grande préoccupation n'était pas de leur dérober un vil métal. Avant de sauver la caisse, et

même les vases sacrés, les dévots s'occupaient d'abord de soustraire aux profanations les restes vénérés des hommes de dévouement qui étaient morts pour leur foi.

Hildebrand, évêque de Séez, menacé par la bande normande de Rollon, dont les déprédations faisaient trembler la contrée qui fut depuis la Normandie, transporta à Paris les reliques de sainte Opportune, qui durent être déposées dans l'endroit où fut tracée plus tard la rue de ce nom. Gozlin, abbé de SaintGermain des Prés, sur la nouvelle d'une quatrième approche des Normands, fit transférer dans l'intérieur de la Cité le corps de saint Germain, des morceaux du bois de la vraie croix, des os de saint Marcel et de saint Cloud, et après avoir accompli ses devoirs de prêtre, il se prépara à combattre en soldat et à seconder Eudes, fils de Robert le Fort, qui était alors comte de Paris. Quarante mille barbares remontèrent la Seine, répartis dans sept cents embarcations, sans compter un si grand nombre de nacelles que toute la flotte couvrait le fleuve depuis Meudon jusqu'au centre de Paris.

Un premier assaut fut donné dans la matinée du 27 novembre 885, et dirigé contre une tour de charpente et de maçonnerie située à l'extrémité du pont dont Charles le Chauve avait commandé la construction, et qui pouvait être à peu près à l'endroit qu'occupe, en 1860, le pont des Arts. Les Normands furent repoussés; mais le lendemain ils revinrent à la charge avec une nouvelle ardeur. Les Parisiens firent pleuvoir sur eux de la poix fondue, de l'huile bouillante, et quand ils les eurent chassés, ils travaillèrent avec ardeur à réparer les brèches de leurs tours. Les assiégeants, furieux, massacrèrent sans miséricorde les hommes, les femmes, les vieillards et les enfants disséminés le long de la rive droite de la Seine, depuis l'église de Saint-Germain l'Auxerrois jusqu'à la place actuelle de a Concorde.

Le 28 janvier 886, les Normands bâtirent un beffroi; on ap

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pelait ainsi une tour de bois, montée sur seize roues et munie à sa base de béliers qui battaient en brèche les fortifications des assiégés. Les deux ingénieurs qui avaient inventé cet appareil furent tués au commencement de l'action; mais, loin de se rebuter, les barbares se montrèrent le lendemain, à l'abri sous des peaux de bœufs fraîchement égorgés, afin de se garantir de l'huile et de la poix bouillantes. En même temps, leurs embarcations tentaient de franchir le pont de Charlesle Chauve. Les cloches des nombreuses églises ou chapelles de la Cité sonnèrent pour appeler les citoyens à la défense de la patrie.

Encore une fois les barbares furent contraints à la retraite. Le jour suivant, ils s'occupèrent de combler les fossés de la tour en y jetant des pierres, des fascines, et même des prisonniers massacrés. L'évêque Gozlin lança une flèche, et celui qui présidait à l'attaque tomba mortellement atteint. Le 31 janvier, sans renoncer à battre la tour en brèche, les Normands dirigèrent contre le pont des brûlots remplis de branchages enflammés; mais le pont reposait sur des piles de maçonnerie, et les progrès de l'incendie furent arrêtés.

On était en hiver; les eaux du fleuve mugissaient, et pendant la nuit du 6 février 886, la Seine emporta la partie méridionale de la digue de Charles le Chauve. La tour fut aussitôt investie et embrasée. Les défenseurs capitulèrent; mais pendant qu'un nommé Ervé était allé chercher dans la Cité une rançon, le combat recommença. Un des combattants, Abbon, qui a laissé un poëme latin sur ce mémorable événement, raconte que les seigneurs enfermés dans la tour, se voyant sur le point d'être brûlés, lâchèrent les éperviers apprivoisés, dont ils se servaient à la chasse.

Quisque rogis proprios flatus, ne clade perirent, Accipitres loris permisit abire solutis.

L'honnête Ervé, qui était revenu de la Cité en rapportant la rançon de ses camarades, trouva onze des principaux Parisiens massacrés. On l'épargna d'abord, parce qu'à sa bonne mine on le prit pour le roi, mais il augmenta le lendemain le nombre des héroïques citoyens qu'Abbon ne fait aucune difficulté de mettre au nombre des martyrs.

Au mois de mars, Henri, duc de Saxe, vint au secours des assiégés.

Saxio vir Hænricus fortisque, potensque,

Venit in auxilium Gozlini præsulis urbis.

La précipitation fut fatale à ce renfort, qui prit aux Normands quelques bœufs et quelques chevaux, mais qui ne parvint pas à les disperser. Aussitôt qu'il se fut retiré, les assiégeants changèrent de tactique. Ils s'emparèrent des petites îles en amont et en aval de la Cité; mais quand ils voulurent pénétrer au centre de la ville, ils éprouvèrent une vigoureuse résistance qui les décida à transformer le siége en blocus.

L'évêque Gozlin mourut le 16 avril, et ne fut pas d'abord remplacé. Son neveu, l'abbé Ebles, se chargea de diriger la défense, car à cette époque les ecclésiastiques n'hésitaient pas à couvrir d'un casque leur tête tonsurée, et les légendes carlovingiennes ont pour héros l'archevêque Turpin. Eudes, comte de Paris, avait quitté la ville pour se rendre auprès de l'empereur Charles le Gros et lui demander des renforts. Les assiégés attendaient son retour avec impatience: décimés par la faim, ils ne pouvaient se ravitailler qu'en faisant des sorties, soit pour enlever à l'ennemi quelques têtes de bétail, soit pour introduire dans l'ile un détachement des grands troupeaux qui paissaient sur la rive droite, que le poëte Abbon appelle : le rivage Saint-Denys:

Nostra Dionysii tondebant littora sancti
Pecora.....

Le comte Eudes reparut au mois de juillet avec des troupes dont Charles le Gros avait confié le commandement au comte Adélame. Il rentra dans la ville, malgré l'opposition des Normands, et peu de jours après Henri de Saxe campait sur la et il rive droite de la Seine. Eudes était d'origine saxonne, avait lieu de compter sur le zèle d'un ancien compatriote; par malheur, en poussant une reconnaissance autour du camp des pirates scandinaves, Henri tomba avec son cheval dans une fosse profonde, qu'on avait artistement couverte de branchages et de gazon. Il se blessa grièvement, fut achevé par des soldats en embuscade, et les troupes qu'il avait amenées reprirent la route du Rhin, sans se soucier davantage du sort des Parisiens.

Encouragés par cet avantage, les Normands livrèrent un terrible assaut à la pointe orientale de la Cité, et pénétrèrent dans la place. Le courage des habitants fut admirable; et pour le surexciter on promena dans leurs rangs les châsses de sainte Geneviève et de saint Germain, évêque de Paris. L'ennemi fut encore repoussé; et au mois d'octobre, Charles le Gros vint en personne le battre entre Montmartre et la Seine. Cependant, ne considérant pas sa victoire comme décisive, l'empereur entra en arrangements, et s'engagea à payer 700 livres pesant d'argent au 1er mars 887.

Les Normands ne manquèrent pas au rendez-vous qui leur était assigné; et quoique Charles le Gros demeurât à Francfort, il leur envoya scrupuleusement la rançon qui leur avait été promise. Néanmoins, comme la ville de Paris avait été comprise seule dans la stipulation, et qu'ils avaient pu précédemment, au prix de grands sacrifices et malgré le traité, faire remonter leurs barques jusque dans l'intérieur de la France, ils pensèrent qu'ils étaient en droit de tout ravager, à l'exception de Paris.

Comme le dit Abbon, c'était l'heure du dîner; le style du cadran solaire marquait midi, et le digne neveu de Gozlin, l'abbé Ebles, dînait chez l'évêque Anschéric, lorsqu'il apprit la perfidie des Normands, qui remontaient la Seine dans des intentions évidemment déprédatrices. Il se lève de table, prend un arc et perce d'une fièche le chef de l'expédition. Les Normands intimidés s'arrêtent; ils demandent pardon, se présentent en amis, et sont reçus dans la ville. Une semaine après, presque tous décampaient clandestinement en se dirigeant vers Meaux. Les Parisiens indignés s'emparèrent des pirates qui restaient et en massacrèrent cinq cents. Leurs compagnons furent sauvés par l'intervention de l'évêque de Paris, auquel Abbon reproche de ne les avoir pas tous tués:

Fœderis Antistes causa permisit abire Anschericus tentos, potius occidere debens.

CHAPITRE VII.

Paris sous les premiers Capétiens.

Les expéditions des Normands eurent un résultat immense. Tandis que l'empire de Charlemagne se démembrait, une partie de la population comprit la nécessité de constituer un gouvernement pour défendre contre les hommes du Nord la civilisation naissante. Des monuments de la fin du XIXe siècle attestent que la langue française, quoique très-informe, avait déjà tout son caractère propre, et qu'une séparation profonde s'était opérée entre l'ancienne Gaule et la Germanie. En 888, Eudes, comte de Paris et duc de France, fut reconnu roi à Compiègne, et dès lors la nationalité française eut une base. Le nouveau roi fixa sa résidence à Paris, où il fit commencer, en face du palais, l'église collégiale de Saint-Barthélemi. Les derniers descendants du grand empereur d'Aix-la-Chapelle reconquirent un moment le pouvoir; mais après la mort de Louis le Fainéant, Hugues Capet se fit proclamer roi par les seigneurs. La ville de Paris devint alors le centre du mouvement politique et intellectuel de la France. Ses écoles commencèrent à être fréquentées par des jeunes gens de tous les pays. Son clergé devint plus puissant que jamais. La noblesse, qui se groupa autour du tróne dans le vieux palais de la Cité, s'affermit dans la possession héréditaire des fiefs, et dicta des lois aux monarques qui, par la bouche de Hugues Capet, avaient promis de ne jamais rien faire sans la consulter: Regali potentia in nullo abuti volentes, omnia negotia reipublicæ in

consultatione et sententia fidelium nostrorum deposuimus Les échevins et leur chef, qui ne tarda pas à prendre le titre de prévôt des marchands, se mirent à améliorer l'édilité et à donner une impulsion au commerce, laissant le gouvernement de la ville à un prévôt, dont le tribunal était au grand Châtelet. Les principales maisons présentaient alors un rez-de-chaussée voûté, dont les arceaux entrecroisés retombaient sur de grosses colonnes. Au premier étage régnait une fenêtre continue, séparée par des colonnes quadrilatérales. Le toit était plat, couvert de tuiles vernissées. Parfois la grande ouverture du premier étage était divisée en une suite de cintres ornés de zigzags byzantins. Les maisons de pierre étaient d'ailleurs assez rares, et la plupart des habitations étaient en bois.

Jehan de Garlande, écrivain du xre siècle, parle avec admiration des produits de toute espèce étalés dans les boutiques parisiennes. Il s'extasie sur la beauté des épées à pommeau en boule que débitaient les fourbisseurs (exeruginatores). Les boucliers (pluscularii) s'enrichissaient en vendant des boucles, des ardillons, des poitraux et des mors. A la porte SaintLazare, les archiers fabriquaient des arbalètes, des arcs d'érable, d'if ou de viorne, et des flèches de frêne. Sur le grand pont étaient établis les marchands de lanières et chevestres. Les étalagistes avaient devant eux des couteaux de table (cultellos ad mensam), des kanivets, des greffes, des styles et des écritoires dans leurs gaines. Des bottiers ambulants promenaient sur une perche des souliers et des estivaux. Des spéculateurs forains apportaient au marché du savon, des miroirs et des fusils (piraudia vel fusillos): c'était ainsi qu'on appelait les briquets d'acier.

Louis VI, ou le Gros, forcé de lutter constamment contre les grands vassaux de l'ancien duché de France, qui entouraient Paris, habita cette ville, dont à une certaine époque ses ennemis ne lui permettaient point de sortir. Il finit cependant par réduire tous les seigneurs. Cette vie agitée ne lui laissa pas de loisir pour élever des monuments. Toutefois, deux grands faits signalent son règne. Le premier est l'établissement des communes ; le second l'importance que prit l'école de Paris. A cette époque paraissent Pierre Lombard, surnommé le Maître des sentences; Pierre Comestor, Guillaume de Champeaux, qui illustra l'abbaye, nouvellement fondée, de Saint-Victor. Mais tous ces noms sont effacés par celui de Pierre Abailard, élève et adversaire de Guillaume de Champeaux. Abailard ouvrit, d'abord dans la Cité, puis sur la montagne Sainte-Geneviève, cette école célèbre où, pour la première fois, se manifesta en théologie l'esprit de libre examen. Abailard fonda la liberté de penser, et donna à l'intelligence humaine un essor qui ne s'est plus arrêté.

Paris dut beaucoup à Philippe-Auguste et à saint Louis. Le premier traça une enceinte dans laquelle il enferma le bourg de Saint-Germain l'Auxerrois, le beau Bourg, le bourg l'Abbé, le bourg Thibourt, les cultures Sainte-Catherine et Saint-Gervais, et l'ermitage de Notre-Dame-des-Bois, qui fut consacrée plus tard à Sainte-Opportune. Il fit du Louvre un château régulier avec un donjon central, qui fut construit sur un terrain appartenant au clergé de Saint-Denis de la Chartre. Des lettres du mois d'août 1204 accordèrent à cette église trente sols d'indemnité.

Le Louvre n'était encore considéré que comme une sorte de maison de campagne; le roi continuait à résider à l'extrémité occidentale de la Cité, quoique les pluies et le froid en rendissent le séjour peu agréable en hiver; les chariots qui roulaient dans la rue de la Barillerie remuaient une boue dont les émanations choquèrent Philippe-Auguste : il manda le prévôt des marchands et les bourgeois pour leur enjoindre de faire paver les rues avec de forts carreaux de pierre travail qui, faute de ressources, s'exécuta avec tant de lenteur qu'il n'était pas achevé au moment de la révolution de 1789.

Ce fut Philippe-Auguste qui, selon Rigord, « établit à Paris, en 1182, deux grandes maisons, vulgairement appelées halles, afin que tous les marchands pussent venir vendre sans craindre la pluie, et être à l'abri des vols. Ces halles furent entourées d'un mur, et l'on disposa entre le mur et les halles des étaux couverts; » des places étaient assignées dans les halles aux vendeurs de cuirs et de soutiers, aux lingères, aux fripiers.

Par un acte du mois de mars 1208, Philippe-Auguste donne à la Maison-Dieu de Paris, pour les pauvres qui s'y trouvent, toute la paille de sa chambre et de sa maison (omne stramen

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