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Estoient foulés en la boue et navrés vilainement desdits bandés; ne nul n'osoit les regarder, ne parler ensemble en mi les rues, tant les doubtoit-on pour leur cruauté, et à chascun disoit : «Faux traistre, chien Bourguignon! je renie Dieu se « vous ne serez pillé. »

« Et ce temps estoit toujours le roi malade et inferme; et ils tenoient son aisné fils, qui estoit duc de Guyenne et avoit espousé la fille du duc de Bourgogne, dedans le Louvre, de si prés, que homme ne pouvoit parler à lui ne nuit ne jour que eux; dont le pauvre commun de Paris avoit moult de destresse au cœur, qu'ils n'avoient aucun chef qui pour eux parlast; mais autres ne pouvoient faire. Ainsi gouvernèrent lesdits bandes tout octobre, novembre, décembre, janvier mil quatre cents tr. ize. »

CHAPITRE XIII.

Réaction contre les Armagnacs. Horribles massacres.
Capeluche le bourrean.

La captivité du duc Charles d'Orléans, fait prisonnier à la déplorable défaite d'Azincourt (25 octobre 1415); la mort du connétable d'Albret, qui commandait, celle des deux fils aînés de Charles VI, assurèrent toute l'autorité au comte Bernard d'Armagnac, qui s'étant fait nommer connétable et surintendant des finances, régna par la terreur et les exactions. Une première conspiration se trama pour le renverser; elle devait éclater le jour de Pâques de l'an 1416; mais la femme de Michel Laillier, changeur parisien, la dévoila à Bureau de Dammartin, qui avertit immédiatement la cour. Tanneguy du Chastel, prévot de Paris, fit occuper le quartier des Halles où devaient se réunir les conjurés; les uns s'enfirent, les autres furent exécutés en public ou jetés à la Seine pendant la nuit. Un chanoine de Paris, Guillaume Dorgemont, auquel la charge de chancelier était promise, fut condamné à 80,000 écus d'amende, mitré, prêché publiquement, et enfermé pour le reste de ses jours au pain et à l'eau.

Malgré ce triomphe du connétable, son antagoniste, le duc de Bourgogne faisait chaque jour des progrès, en promettant exemption des aides, tailles, dimes, gabelles et autres vexations dont le pauvre peuple était grevé. Reims, Châlons, Troyes, Auxerre avaient arboré la croix de saint André et chassé les collecteurs d'impots. Une seconde conspiration se forma en faveur du duc; mais elle fut dénoncée par un pelletier de la rue Saint-Jacques, et quand un détachement bourguignon, commandé par Saveuse, s'approcha de la porte Bordelles qu'on devait lui ouvrir, il trouva des troupes vigilantes sur les remparts. Il fut blessé, et ses partisans de l'intérieur pendus, exilés, torturés ou incarcérés. Les exactions du connétable, qui envoyait d'énormes sommes dans son comté, devinrent plus onéreuses que jamais.

« D'aucuns de ses gens d'armes, suivant le Journal d'un Bourgeois de Paris, furent pleins de si grande cruauté et tyrannie, qu'ils rostirent hommes et enfans au feu quand ils ne pouvoient payer leur rançon; et quand on s'en plaignoit au connétable ou au prévost, leur réponse étoit : « S'ils n'y fussent pas allés, et ce fussent les Bourguignons, vous n'en parlassiez pas. Ainsi commença tout à enchérir à Paris, car deux œufs coustoient quatre deniers parisis; un petit fromage blanc, sept ou huit blancs; la livre de beurre, onze ou douze blancs; un petit hareng saur de Flandre, trois ou quatre deniers parisis; et ne venoit quelque chose de dehors à Paris, pour les gens d'armes dessusdits. Ainsi estoit Paris gouverné faussement; et tant hayoient ceux qui gouvernoient ceux qui n'estoient pas de leur bande, qu'ils proposèrent que, par toutes les rues de Paris, ils les prendroient et tueroient sans mercy, et les femmes ils noyeroient; et avoient prinses par force les toiles de Paris aux marchands et autres sans payer, disant que c'estoit pour faire des tentes et des pavillons pour le roi, et c'estoit pour faire des sacs pour noyer lesdites femmes. Et encore plus, ils proposèrent que avant que les

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Bourguignons venussent à Paris, ne que la paix se fist, ils vendroient Paris au roy d'Angleterre; et tous ceux qui pas ne devoient mourir, devoient avoir un escu noir à une croix rouge; et en firent faire plus de seize mille, qui depuis furent trouvées en leurs maisons. Mais Dieu, qui sçait les choses abscondées, regarda en pitié son peuple, et esveilla fortune, qui en sursaut se leva comme chose estourdie et mis les pans à sa ceinture, et donna hardement à aucuns de Paris de faire scavoir aux Bourguignons que ils tous hardizement venussent le dimanche ensuivant, qui estoit vingt neufviesme jour de may, à heure de minuit, et ils les mettroient dedans Paris par la porte Saint-Germain, et que point n'y eust de faute, et que pas ne leur faudroient pour mourir, et que point ne doubtassent fortune; car bien sceussent que toute la plus grande partie du peuple estoit des leurs. En icelle septnaine s'esmeurent les Bourguignons de Pontoise, et vinrent au jour dit et à T'heure à Grenelle; et là comptèrent leurs gens, et ne se trouvèrent que environ six ou sept cents chevaux, quand fortune leur dit que avec eux feroit la journée.

« A donc prinrent cœur et hardement, et vinrent à la porte Saint-Germain entre une heure et deux devant le jour, et en estoit chef le seigneur de l'Isle-Adam, et le beau sire de Bar; et entrèrent dedans Paris, vingt neuviesme jour de mayt criants : « Nostre Dame! la paix! Vive le roy et le dauphin! et la paix ! » Et tantost fortune, qui avoit nourri lesdites bandes, vit que nul gré ne lui savoient de son bien; vint avec lesdits Bourguignons à toutes manières, et du commun de Paris, et leur fit rompre leurs portes et effronder leurs trésors, et piller; et tourna sa roue si despitement en soi vengeant de leurs ingratitudes, pource que de paix n'avoient cure grand. Tout joyeux estoit qui se pouvoit mucer en cave, ou en cellier, ou en quelque destour. Et quand le prévost de Paris, nommé Tanneguy du Chastel, vit fortune ainsi contre lui, et que les Bourguignons taschoient à emprisonner les autres en plusieurs prisons diverses, et le commun piller, vint à Saint-Paul, print le dauphia, aisné fils du roi, et s'enfouy a tout (avec lui) droit à Melun, ce qui moult troubla la ville de Paris. »

Ce fut le fils de Pierre Le Clerc, aîné, marchand de fer sur le petit pont et quartenier de la porte Buci, Perrinet Le Clerc, qui, dans la nuit du 28 au 29 mai 1418, ouvrit la porte aux Bourgignons. Presque instantanément la ville entière s'émut, et à l'aube du jour, deux cent mille hommes avaient pris la croix de saint André. Tous les Armagnacs qui eurent l'imprudence de se montrer furent immolés à la rage des Parisiens.

«Le peuple, ajoute le Journal d'un bourgeois, moult échauffé contre les bandes, vint par toutes les hôtelleries de Paris quérant les gens et ladite bande; et quant qu'ils en purent trouver, de quelque état qu'il fust, prisonnier ou non, aux gens d'armes étoient amenés en mi la rue, et tantòt tués sans pitié de grosses haches et d'autres armes.

« Et n'étoit nul homme à celui jour, qui ne portoit quelque armes dont ils frappoient lesdits bandits en passant par emprès, despuis qu'ils étoient tous morts étendus.

« Et femmes et enfants, et gens sans puissances qui ne leurs pouvoient pas faire, ils maudissoient en passant par emprès, disant!

<< Chiens, traître, vous êtes mieux que à vous n'appartient: encore en y eut que plut à Dieu, que tous fussent en tel état! « Et si n'eussiez trouvé à Paris rue de nom, où n'eust aucune occision; et en moins qu'on n'iroit cent pas de terre despuis que morts estoient, ne leur demeuroit que leurs broyes; et estoient en tas comme porcs au milieu de la boue, qui moult grand pitié estoit; car pour fu ceste sepmaine pour qu'il ne pleust moult fort.

« Et furent ceste journée, dimanche vingt-neuf may, à Paris, morts à l'épée ou autres armes, en mi les rues, sans aucuns qui furent tués ès-maisons, cinq cents vingt-deux hommes; et plut tant fort ceste nuit, que onques ne sentirent nulle malle odeur; mais furent lavés par force de la pluie leurs plaies, que au matin n'y avoit que sang bete (caillé) ne ordures sur leurs plaies.

Le connétable, les membres de son conseil et ses principaux amis furent incarcérés. « Le 12 juin, raconte Monstrelet, les communes gens de Paris de petit état, jusqu'à soixante mille ou plus, environ quatre heures après midi, et tous armés, doutant, comme ils disoient, que les prisonniers qui étoient détenus ne fussent mis à délivrance, nonobstant le désenhortement du nouvel prevôt de Paris et plusieurs autres

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seigneurs, embâtonnés de vieils maillets, haches, cognées, massues et moult d'autres bâtons dissolus, en faisant grand bruit, criant: Vive le roi et le duc de Bourgogne ! s'en allèrent à toutes les prisons de Paris, c'est à savoir au Palais, à St-Magloire, à St-Martin-des-Champs, au Grand-Châtelet, au Temple, et autres lieux où étoient les prisonniers, rompirent lesdites prisons, tuèrent chepier (geôlier) et chepière, et tous ceux qu'ils y trouvèrent, jusqu'au nombre de seize cents ou environ. Desquels furent les principaux le comte d'Armagnac, connétable de France, maître Henri de Marle, chancelier du roi, les évêques de Coutances, de Bayeux, d'Evreux, de Senlis et de Saintes; le comte de Grand-Pré, Remonet de la Guerre, l'abbé de St-Cornille de Compiègne, messire Hector de Chartres, messire Enguerrand de Martinet, Charlot Poupart, argentier du roi, les seigneurs de la chambre de Parlement, des requêtes, du trésor, et généralement tous ceux qui étoient èsdites prisons; desquels plusieurs y étoient pour débats ou pour dette, mêmement tenant la partie de Bourgogne... Et dura cette cruelle occision jusqu'au lendemain dix heures devant midi. Et pour tant que les prisonniers du GrandChâtelet étoient garnis d'armures et de traits, ils se défendirent moult fort et navrèrent et occirent plusieurs d'icelles communes; mais le lendemain, par feu, fumée et autres assaut furent pris; et en firent les dessus dits saillir plusieurs du haut des tours avai, et les autres les recevoient sur leurs piques et sur les pointes de leurs bâtons ferrés, et puis les meurtrissoient paillardement et inhumainement. »

Le Journal d'un bourgeois de Paris confirme ces horribles détails. «Et ne laissèrent en prison de Paris, sinon au Louvre, pour ce que le roy y estoit, quelques prisonniers qu'ils ne tuassent par feu ou par glaive. Et tant tuèrent de gens à Paris, que hommes que femmes, despuis ceste heure de minuit jusqu'au lendemain douze heures, qu'ils furent nombrés mille cinq cents dix-huit. Et furent occis le connétable, le chancelier, un capitaine nommé Remonet de La Guerre, maistre Pierre le Gayant, maistre Guillaume de Paris, l'évesque de Coutances, fils du chancelier de France, en la court de Darrière devers la coulture; et furent deux jours entiers au pied du degré du Palais sur la pierre de marbre, et puis furent enterrés ces sept à Saint-Martin en ladite court de Darrière la culture, et tous les autres à la Trinité; entre lesquels morts furent trouvés tués quatre évesque du faux et damnable conseil, et deux des présidents du parlement. »

Juvénal des Ursins est encore plus circonstancié :

« La reyne et le duc de Bourgnongne envoyèrent à Paris un advocat du parlement, nommé maistre Philippes de Morvillers, et un chevalier nommé messire Jean de Neuchastel, seigneur de Montagu, dont plusieurs à Paris étoient bien joyeux. Car on avoit espérance qu'ils estoient venus pour mettre justice sus, et que meurtre, pillerie et roberie cesseroient; mais la chose fut bien autrement, car le douziesme de juin aucuns firent une commotion à Paris, et estoit un des capitaines, un nommé Lambert. Et si estoient retournés à Paris des bouchers et autres du temps passé, et estoit ledit Lambert un potier d'estain, demeurant en la Cité. Ils allèrent aux prisons du Palais et entrèrent dedans et en icelles prirent le comte d'Armagnac, connestable de France; messire Henri de Marle, chancelier de France, et un nommé Maurignon, qui estoit audit comte. Ils les tirèrent hors de la conciergerie du Palais emmy la cour, et là les tuèrent bien inhumainement, et trop horriblement, et les despouillèrent tout nuds, excepté des chemises; mesme il y en eut qui ne furent pas contents de les voir morts et tués; mais leur ostoient cruellement des courroyes du dos, comme s'ils les eussent voulu escorcher. De là ils s'en vinrent au grand Chastelet, au bout du pont des Changeurs, où il avoit grande foison de prisonniers; les uns montèrent en haut aux prisonniers, les autres demeurèrent en bas, tendans leurs bastons, javelines, espieux et espées, avec autres bastons pointus, les pointes contrement: or ceux d'en haut faisoient saillir lesdits prisonniers par les fenestres, sur iceux bastons tranchans et pointus, et les détrenchoient encores depuis qu'ils estoient morts; de là ils s'en allèrent au petit Chastelet, où estoient l'évesque de Coustances, l'évesque de Sanlis et plusieurs autres notables gens, tant d'église que autre, lesquels pareillement furent tous tués et détrenchés : ledit évesque de Coustances avait foison d'or sur luy, lequel il offroit, évidant pour ce eschapper... mais rien n'y vallut, et perdit sa vie et son or. Semblablement firent-ils à Saint-Martin-des-Champs, à Sainct

Magloire et au Louvre. Bref, il y en eut bien de seize cens à deux mille ainsi inhumainement meurtris et tués; par la ville mesme en tuoit-on beaucoup. Mais ce fut grande pitié des pauvres Genevois, qui n'estoient que soudoyers, qu'on chassoit hors des maisons où ils estoient emmy les rues, et là les tuoiton. Quand ils eurent fait ces dits meurtres, on prit des charrettes et des tombereaux, et mettoient les corps morts dedans, et les menoient ou faisoient mener aux champs; mesme on en attachoit aucuns par les pieds à une corde et les trainoit-on par la ville jusques hors des portes, et là on les laissoit : de cette sorte et en ceste manière y fut traisné un notable docteur en théologie, evesque de Senlis. Et quiconque avoit un bons bénéfice et office, estoit tenu Armagnac, et mis à mort incontinent; et le faisoient faire mesme ceux qui vouloient avoir les bénéfices ou offices. Or ne tuoit-on pas seulement les hommes, mais les femmes et enfans; mesme il y eut une femme grosse qui fut tuée, et voyoit-on bien bouger ou remuer son enfant en son ventre, sur quoy aucuns inhumains disoient : « Regardez «< ce petit chien qui se remue! » Or, les morts qu'ils tenoient pour Armagnacs, ils réputoient indignes de sépulture. Des cydessus tués ainsi que dit est, la plus part fut jetée aux champs où là ils furent mangés des chiens et oiseaux, mesmes aucuns leur faisoient avec leurs cousteaux, de leurs peaux une bande pour monstrer qu'ils estoient Armagnacs. Il y en eut plusieurs qui estoient prisonniers pour debtes, ou par excès par eux faits, qui estoient bien joyeux de cette entrée, afin qu'ils fussent délivrés par ce moyen. Aussi y en eut-il qui, par haine d'aucuns, furent mis en prison comme Armagnacs, qui estoient toutefois aidans et favorisans le party du duc de Bourgogne, lesquels furent tous tués. »

On pouvait croire la fureur populaire apaisée. La reine entra dans Paris avec le duc de Bourgogne; le gouvernement fut réorganisé, et l'on acheva d'emprisonner les derniers Armagnacs. Toutefois, une cause bien cruelle entretint l'irritation: les campagnes dévastées ne suffisaient point à l'alimentation de la grande ville. Le Parlement s'assembla sous la présidence de Philippe de Morvillier, et appela en consultation le prévôt de Paris, le recteur de l'Université, le prévòt des marchands, les échevins et les bourgeois notables, afin d'aviser le moyen de fournir des vivres à la capitale.

Pendant qu'ils délibéraient, la disette poursuivait ses ravages, et les habitants exaspérés l'attribuaient à la faction vaincue; la foule se porta au Palais, guidée par le bourreau Capeluche, qui fut reçu par le duc de Bourgogne et lui donna une poignée de main; elle demandait qu'on transféra, pour plus de sûreté, vingt prisonniers de la Bastille au Châtelet. Ces vingt malheureux furent livrés et égorgés; mais, furieux de l'humiliation publique qu'il avait subie en donnant la main à l'exécuteur des hautes œuvres, Jean sans Peur le fit arrêter et décapiter aux halles de Paris. Capeluche avait pour successeur son valet encore inexpérimenté, et il fut obligé de lui enseigner la manière dont il devait s'y prendre pour lui trancher la tête.

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Tant d'anarchie favorisait la marche des Anglais; ils furent bientôt aux portes de la capitale, qu'ils trouvèrent peu disposée à leur résister. L'infàme assassinat de Jean sans Peur par le dauphin Charles, révolta tous les honnêtes gens. Le traité signé à Troyes le 21 mai 1420, et par lequel Charles VI reconnaissait pour héritier le roi d'Angleterre, à l'exclusion de son propre fils, indigna la nation qui vit dans cet acte l'abdication totale d'une monarchie incapable et tombée en enfance. Les Parisiens courbèrent la tête sous le joug britannique, et il leur eût été difficile de résister, car des gens de tous les partis avaient tour à tour succombé dans une série de sanglantes représailles. En outre, la famine ravageait la cité; on entendait retentir sur les places publiques ces douloureuses lamentations: « Je meurs de faim et de froid!» Les rues étaient désertes et les bêtes fauves y venaient pendant la nuit. Les Cours des Miracles, où se rassemblaient ordinairement les vagabonds et les bandits, demeuraient elles-mêmes inoccupées. En ces tristes circonstances, la population parisienne ne fit

aucune tentative pour le dauphin. Lorsque le roi en démence eut terminé sa trop longue carrière, bien qu'un Anglais, Jean Plantagenet, duc de Bedford, frère cadet de Henri V, présidât aux funérailles, le prévôt des marchands et les échevins y tinrent le poële de drap d'or, et il n'y eut que de faibles réclamations quand un héraut d'armes cria sur la tombe à peine fermée : «Vive Henri de Lancastre, roi de France et d'Angleterre. »

Nous ne voyons pas que Paris ait souffert de la domination anglaise. On prêta volontiers, à l'Hôtel de Ville, entre les mains du prévôt des marchands, serment de fidélité à Henri VI, auquel plusieurs notables portèrent à Londres les hommages de la capitale. Ils partageaient l'avis du chancelier Jean Leclerc, qui, dans une assemblée du corps municipal de la magistrature et de l'Université, avait dit, le 20 novembre, que Charles, soi-disant dauphin, s'il avait eu jamais quelques droits, les avait perdus par l'horrible attentat commis en sa présence et de son commandement. Quoique le duc de Bedford eût modestement défendu de célébrer la victoire remportée à Verneuil sur des troupes françaises, toutes les autorités parisiennes allèrent en procession à Notre-Dame pour y rendre des actions de grâces. «La bataille de Verneuil, dit un contemporain, fut le jeudy dix-septiesme jour du mois d'aoust, l'an mil quatre cent vingt-quatre, et le vendredy en suivant dix-huitiesme jour dudit mois, fit-on les feux partout Paris et moult grande feste pour la perte des Armagnacs, car on disoit qu'ils s'étoient vantés que se ils eussent eu le dessus de nos gens, qu'ils n'eussent épargné ne femmes, ne enfants, ne hérauts, ne ménestriers, que tout ne fust mort à l'espée.

« Le jour de la Nativité de Nostre-Dame, en septembre, vint le régent à Paris et fut Paris paré partout où il devoit passer, et les rues parées, nettoyées; et furent au-devant de lui ceux de Paris vestus de vermeil; et vint environ cinq heures après disner, et allèrent une partie des processions de Paris aux champs au-devant de lui jusques outre la Chapelle de SaintDenys, et quand ils encontrèrent, si chantèrent hautement: Te Deum laudamus et autres louanges à Dieu. Ainsi vint dedans Paris bien aconvoyé de processions et de ceux de la ville, et partout où il passoit, on crioit hautement: Noel! Quand il vint au coin de la rue aux Lombards, là joua un homme desguisé le plus habilement que on avoit oncques veu.

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Item devant le Chastelet avoit un moult bel mystère du vieil Testament et du nouvel, que les enfans de Paris firent; et ce fut fait sans parler ne sans signer, comme si fussent images enlevées contre un mur. Après, quand il eut moult regardé le mystère, il s'en alla à Nostre-Dame, où il fut reconnu comme ce fust Dieu, car les processions qui n'avoient pas esté aux champs, et les chanoines de Nostre-Dame le receurent à la plus grand honneur, en chantant hymnes et louanges que ils purent, et jouoit-on des orgues et des trompes, et sonnèrent toutes les cloches. Bref, on ne vit oncques plus d'honneur faire, quand les Romains faisoient leur triomphe, qu'on lui fit à ceste journée et à sa femme, quis tous jours alloit après lui, quelque part qu'il allast. »

C'est pour les fêtes de cette année que fut inventé, sur l'emplacement du futur boulevard de Sebastopol, un divertissement qui a conquis sa place dans toutes les fêtes publiques de la capitale: « Le jour de Saint-Leu et Saint-Gilles, qui fut un samedy, premier jour de septembre, proposèrent aucuns de la paroisse faire un esbattement nouveau et le firent, et fut tel ledit esbattement.

Ils prindrent une perche bien longue de six toises ou près, et la fichèrent en terre, et au droit bout du hault mirent un panier et dedans une grasse oie et six blancs, et oignirent trèsbien la perche, et puis fut crié que qui pourroit aller querre ladite oie en rampant contre mont sans aide, la perche et panier il aurait, et l'oie et les six blancs; mais oncques nul, tant sceut-il bien gripper, n'y put avenir; mais au soir un jeune varlet qui avoit grippé le plus hault eut l'oie, non pas le panier, ne les six blancs, ne les perches, et fut fait cela droit devant Quinquempoix, en la rue aux Ours. »

L'auteur qui enregistre la création du mât de Cocagne, rapporte aussi «que le lundi 21 juin 1428, le duc de Bedford donna au Palais à Paris une des plus sompteuses fêtes qu'on cût encore vues, que toutes personnes, de quelque condition qu'elles fussent, y étoient reçues à diner; que le régent, sa femme et la chevalerie furent servir en vin et en viande selon leur état : premièrement le clergé, comme évêques, prélats, abbés, prieurs et docteurs en toutes sciences; ensuite le parlement, le prévòt

de Paris, le Châtelet, le prévôt des marchands, les échevins et bourgeois; et enfin le commun de tous états, et que furent à ce diner plus de huit milliers séans à table. »

Quand l'intervention extraordinaire de Jeanne Darc eut ravivé l'esprit national, quand Charles VII eut été sacré à Reims, Paris n'en resta pas moins aux Anglais. Un assaut tenté par la pucelle, le 8 septembre 1429, fut repoussé sans peine. Les habitants, sur l'émotion desquels le parti de Charles VII avait compté, ne bougèrent pas, et laissèrent faire les gens d'armes que dirigeaient Créquy, Bonneval et l'évêque de Thérouanne. En revanche, le 17 décembre 1431, ils se portèrent en foule au sacre du jeune Henri VI.

Toutes les rues qu'il traversa étaient tapissées, et des théâtres dressés çà et là. Un nouveau repas solennel se fit dans la grande salle du palais; et le 21 décembre, dans un lit de justice tenu par le nouveau roi, l'élite des habitants prêta un nouveau serment au seigneur Henri comme vray roy de France, en promettant d'employer tous pouvoirs à la garde tuition et deffense de sa bonne ville de Paris.

Les dispositions des Parisiens ne tardèrent pas à changer. Le duc de Bedford, aussi habile politique que bon capitaine, mourut le 14 décembre 1435. Les Anglais, bloqués dans Paris, multipliaient les taxes pour se faire des ressources, et sévissaient avec une extrême rigueur contre quiconque osait murmurer. Six bourgeois, Michel Laillier, Jean de La Fontaine, Pierre de Lancrois, Thomas Pigache, Nicolas de Louviers et Jacques de Bergières conçurent le projet de livrer Paris à Charles VII, dont ils obtinrent des lettres d'amnistie générale, datées de Bourges le 27 février 1436. Le 13 avril, le connétable de Richemond, le maréchal de l'Isle-Adam et le bâtard d'Orléans furent introduits dans la ville par le faubourg SaintJacques. Marhier, prévôt de Paris, et le gouverneur Wilby se retranchèrent dans le quartier des Halles avec les troupes anglaises; mais ils en furent promptement chassés. Michel Laillier s'avança sur le pont Notre-Dame avec un étendard aux armes de France à la rencontre du connétable, qui dit aux bourgeois :

« Mes bons amis, le bon roi Charles vous remercie cent mille fois, et moi de par lui, de ce que si doucement lui avez rendu la maitresse cité de son royaume; et si quelqu'un a mépris par devers monsieur le roi, soit absent ou présent, il lui est tout pardonné. »

Le 12 novembre, Charles VII rentra à Paris sous un dais dont les bâtons étaient portés par les échevins et le corps des

marchands.

A la suite des magistrats municipaux marchait une mascarade représentant les sept péchés mortels combattus par les trois vertus théologales et les quatre vertus cardinales. Un enfant habillé en ange descendit des remparts de la porte Saint-Denis, tenant un écu d'azur à trois fleurs de lis d'or, et chanta :

Très-excellent roi et seigneur,

Les manans de votre cité,
Vous reçoivent en tout honneur,
Et en très-grande humilité.

Charles VII habita l'hôtel des Tournelles, bàti par Pierre d'Orgemont en 1390, et où étaient mortes la duchesse de Bedford et la reine Isabeau.

Les bons sentiments qu'avaient exprimés à leur seigneur les manants de la Cité lui parurent favorables à la levée d'une forte contribution, comme disent les contemporains, que nous suivons pas à pas; car en dehors de leurs appréciations l'histoire n'est qu'un arrangement systématique, « on fit à Paris, au mois de septembre 1438, la plus estrange taille qui oncques cust esté faite; car nul en tout Paris n'en fut excepté, ne évesque, abbé, prieur, moine, nonnaine, chanoine, prestre bénéficié ou sans bénéfice, ne sergens, ménestriers, ne les clercs des paroisses, ne aucune personne de quelque estat qu'il fust. Et fut premièrement fait une grosse taille sur les gens de l'Eglise, et après sur les gros marchands et marchandes; et payoient l'un 4,000 francs, l'autre 3,000, ou 2,800, 600, chascun selon son estat; après aux autres moins riches, à l'un 100 francs ou 60, 50 ou 40; trestout le moindre paya 20 francs ou au-dessus; les autres plus petits au-dessoubs de 20 fr. ou au-dessus de 10 fr., nul ne passoit 100 sols ne moins de 40 sols parisis. Après ceste douloureuse taille firent une autre taille très-deshonnête; car les gouverneurs prindrent ès églises les joyaux d'argent, comme encen

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soirs, plats, burettes, chandeliers, croix; bref, de tous vaisseaux d'église qui d'argent estoient, ils prenoient sans demander; et en après ils prindrent la greigneur partie de tout l'argent monnoyé qui estoit au trésor des confrairies. Bref, ils prirent tant de finances à Paris que à peine en seroit homme cru. >>

Charles VII ne tarda pas à quitter la capitale: il n'aimait rien de ce qui le gênait dans ses plaisirs et dans sa tranquillité; c'était presque à regret qu'il avait accepté l'assistance d'une jeune inspirée, et plusieurs dépositions faites dans le procès de Jeanne Darc prouvent qu'il lui avait plusieurs fois conseillé de le laisser en paix et de renoncer à ses projets. Un vieil ami de la monarchie, Juvénal des Ursins, écrivait à Charles VII : « Vous voulez toujours être caché en châteaux, méchantes places et manière de petites chambrettes, sans vous montrer et ouir les plaintes de votre pauvre peuple. » Il quitta Paris le 3 décembre 1438, « sans que nul bien y fist pour lors, et sembloit qu'il ne fust venu seulement que pour voir la ville. » D'ailleurs, la capitale était décimée par la famine et par la peste; il mourut cette année à l'Hôtel-Dieu cinq mille personnes, et dans la ville plus de quarante-cinq mille hommes, femmes et enfants. Au mois de novembre, des loups ròdèrent dans Paris, emportèrent des chiens et dévorèrent un enfant sur la place aux Chats, derrière les Innocents. Pendant le mois de septembre de l'année suivante, quatorze personnes furent mangées par les loups entre Montmartre et la porte Saint-Antoine; et le 16 octobre ces animaux furieux étranglèrent quatre femmes et blessèrent dix-sept personnes. La guerre se prolongeant, l'Ile-de-France était presque inculte, « toute peuplée de gens pires que ne furent oncques Sarrasins, comme il apparoit par les énormes péchés et tyrannie qu'ils faisoient au pauvre peuple. » Les Parisiens étaient accablés de subsides; ils accueillirent pourtant par des acclamations le roi Charles lorsqu'il revint parmi eux en 1441. Après la prise de Pontoise, il

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amenait avec lui des prisonniers anglais qui furent promenés dans Paris, enchaînés deux à deux par le cou; ceux de ces malheureux que l'on jugeait à même de payer une rançon furent épargnés; on jeta les autres dans la Seine après leur avoir lié les mains et les pieds.

Charles VII s'empressa de retourner à son château de Mehun-sur-Yèvre, « à cette fin qu'on ne lui demandoit quelques relâches de maletoltes, dont tant y avoit en France, et aussi par une grosse taille que les gouverneurs vouloient cueillir, laquelle ils cueillirent, fust tor ou droit. » Le duc d'Orléans y vint peu de temps après « pour prendre une lesche sur la pauvre ville, sans nul bien faire pour la paix ne pour autres choses quelconques. » Le roi ne se montra plus dans la capitale. Sa maîtresse Agnès Sorel y fit une apparition sur la fin d'avril 1448; mais elle fut mal reçue.

« Parce que le peuple de Paris ne lui fit telle révérence, comme son grand orgueil demandait, elle ne le put céler, et dit au départir que ce n'étoient que vilains, et que si elle eût deviné qu'on ne lui eût fait plus grand honneur, elle n'y eût jamais mis le pied. »

CHAPITRE XV.

Paris sous Louis XI.

L'avénement de Louis XI fut accueilli par les Parisiens comme l'aurore d'une meilleure administration. On fit au nouveau roi, le 31 août 1461, une de ces fêtes magnifiques qui attestent que, malgré ses pertes, Paris avait conservé d'immenses ressources. Lorsque le roi arriva devant l'église Saint-Lazare, un hérault, qui prenait le nom de Loyal Coeur, et qui portait sur la poitrine le vaisseau d'argent de la ville, présenta au roi cinq dames à

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cheval, richement habillées, dont chacune figurait une lettre du mot Paris. Louis XI était accompagné des ducs d'Orléans et de Bourgogne, de Bourbon et de Clèves, des comtes de Charolais, d'Angoulême et de Saint-Paul, et d'une multitude de gentilshommes parés, ainsi que leurs chevaux, de drap d'or, de fourure d'hermine, de velours et d'orfévrerie. Sur le rempart, près de la porte Saint-Denis, était un vaisseau d'argent portant les figures allégoriques des trois états. Entre la Justice et l'équité, à la hune du mât, s'ouvrait un lys d'où sortait un roi en grand costume, guidé et protégé par deux anges. Les étranges décorations, échelonnées depuis la porte Saint-Denis jusqu'à Notre-Dame, sont ainsi décritent par Jean de Troyes :

"Et un peu avant dedans ladite ville estoient, à la fontaine du Ponceau, hommes et femmes sauvages, qui se combattoient et faisoient plusieurs contenances; et si y avoit encore trois bien belles filles faisant personnages de syrennes, toutes nues; et leur véoit-on le beau tétin droit séparé, rond et dur (qui estoit chose bien plaisante); et disoient de petits motets et bergerettes. Et près d'eux jouoient plusieurs bas instruments qui rendoient grandes mélodies. Et pour bien raffraischir les entrans en ladite ville, y avoit divers conduits en ladite fontaine jettant lait, vin et ypocras, dont chacun buvoit qui vouloit; et un peu au dessoubs dudit Ponceau, à l'endroit de la Trinité, y avoit une Passion par personnages et sans parler, Dieu estendu en la croix, et les deux larrons à dextre et à sénestre. Et plus avant, à la Porte-aux-Peintres, avoit autres personnages richement habillés. Et à la fontaine Saint-Innocent y avoit aussi personnages de chasseurs, qui accucillirent une bische illec estant, qui faisoient moult grand bruit de chiens et de trompes de chasses. Et à la boucherie de Paris y avoit eschaffaux figurés à la bastille de Dieppe. Et quand le roy passa, il se livra illec merveilleux assaut de gens du roy à l'encontre des Anglois estants dedans ladite bastille, qui furent

prins et gagnés, et eurent tous les gorges coupées. En le retour de la porte de Chastelet y avoit de moult beaux personnages, et outre ledit Chastelet, sur le Pont-aux-Changes, y avoit aultres personnages, et estoit tout tendu par-dessus : et à l'heure que le roy passa, on laissa voler parmy le pont plus de deux cents douzaines d'oiseaux de diverses sortes et façons, que les oyselleurs de Paris laissèrent aller, comme ils sont tenus de ce faire pour ce qu'ils ont sur ledit pont lieu et place à jour de feste pour vendre lesdits oyseaux. Et par tous les lieux en ladite ville par où le roy passa celle journée, estoit tout tendu au long des rues bien notablement : et ainsi s'en alla faire son oraison en l'église Notre-Dame de Paris, et puis s'en retourna souper en son Palais royal à Paris, en la grande salle d'icelui, lequel souper fut moult beau et plantureux; et coucha celle nuit audit Palais. »

Quand la reine vint à Paris, le 1er septembre 1467, elle fut fêtée autant que son époux; elle était venue en bateau et vint débarquer au terrain, c'est-à-dire au pied du chevet de NotreDame. Les présidents et conseillers du parlement, l'évêque de Paris l'attendaient sur le rivage; les notables étaient allés à sa rencontre dans des embarcations ornées de tentures de soie et des tapisseries, avec des troupes de musiciens et de chanteurs. La ville lui offrit un beau cerf de confitures.

« Il avait les armes d'icelle noble reyne pendues au col, et si y avoit plusieurs autres beaux drageoirs tous pleins d'épiceries de chambres et belles confitures, grande quantité aussi y avait de fruits nouveaux de moult de sortes; violettes fort odorantes jetées et semées tout parmy le bateau, et vin à tous venants y fut baillé et distribué, tant que on en voulait avoir et prendre. Et après qu'elle eut faite son oraison à Notre-Dame de Paris, elle se rebouta en son bateau et s'en vint descendre à la porte devant l'église des Célestins, où aussi elle trouva dessus ladite porte de moult beaux personnages, et elle des

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