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leur Cartouche.

Un certain Du Chastelet, gentilhomme poitevin et soldat aux gardes françaises, était affilié à la bande de Cartouche; ses absences nocturnes éveillèrent chez son hôtesse des soupçons dont elle fit part à Pacosme, aide-major du régiment; il manda immédiatement Du Chastelet.

— Mon ami, lui dit-il, je sais de bonne part que tu es associé de Cartouche et que tu as eu part aux derniers meurtres qui se sont faits; avoue-le, ou tu es perdu, il n'y a pas de milieu.

Du Chastelet fut interdit de ce discours, et il ne put s'empêcher de pâlir; cependant il nia tout, et affecta même de répandre des larmes.

Mais Pacosme ne fut pas la dupe de ces artifices; il le pressa, il lui fit différentes interrogations coup sur coup, et il le tourna adroitement de tous les côtés. Enfin, il le réduisit à un embarras pitoyable, et jugeant par là qu'il était criminel, il ne le ménagea plus. «Quand on ne m'aurait pas prouvé que tu es coupable, dit-il, je le découvre assez aux différents changements de ton visage et de tes yeux; ainsi il est inutile que tu le nies. Songe seulement qu'il faut te résoudre à me dire où est Cartouche, ou bien à être roué vif dans vingt-quatre heures, et que si tu ne choisis pas tout à l'heure, je choisis pour toi. » Cet officier offrit cette cruelle alternative d'un ton ferme qui fit trembler Du Chastelet. Il avoua tout, après avoir hésité encore un peu, et il déclara qu'il devait aller joindre Cartouche à neuf heures du matin, et qu'il le ferait prendre si on lui donnait une escorte suffisante pour cela. Pacosme n'hésita pas, et il lui donna sur-le-champ un sergent et trente soldats pour l'accompagner dans cette entreprise. Du Chastelet les conduisit au cabaret du Pistolet, et il ordonna à un d'eux d'avancer le premier, et de demander au cabaretier s'il avait quelqu'un logé chez lui. On fit à ce soldat une réponse négative. Du Chastelet entra dans l'instant et demanda s'il y avait quatre dames; c'était le mot du Guet ce jour-là. L'hôte répondit alors qu'il n'avait qu'à monter, et il monta en même temps, suivi de six des siens.

Cartouche, qui s'était couché à deux heures, était encore au lit, et trois de ses amis étaient avec lui et se levaient; ils furent saisis les premiers, et le sergent les donna à garder à six de ses hommes. Craignant ensuite que Cartouche ne se tuât avec ses pistolets ou qu'il tuât quelqu'un, il fit semblant de ne l'avoir pas vu, et cria tout haut: :— « Ah! quelle fatalité! Cartouche est échappé, et nous l'avons manqué encore! » Ce stratagème fit croire au voleur qu'effectivement on ne l'avait pas aperçu; il s'enveloppa dans ses couvertures et se glissa sous le lit. C'était là que le sergent l'avait attendu, et ce fut là qu'il le prit, sans qu'il pût faire la moindre résistance. On le lia surle-champ; on ne lui donna pas même le temps de s'habiller. On prit ensuite ses pistolets, qu'on avait trouvés chargés sur une planche, près de son lit, et on le conduisit, avec ses trois associés, chez le ministre Le Blanc.

Grandval a dit dans son poëme du Vice puni :

On se doute, on soupçonne avec grande apparence,

Qu'avec Duchastelet il est d'intelligence.

Un officier connu fait venir ce dernier;

Il lui dit qu'il sait tout, et qu'il a beau nier,
Qu'il sera rompu vif, s'il ne livre Cartouche.
Soudain, la larme à l'œil, les sanglots à la bouche,
Le soldat, dans deux jours, promet de le livrer,
Pourvu que de sa grâce on daigne l'assurer.

Comme il l'avait promis, il sçut tenir parole,
Se comporta si bien, joua si bien son rôle,
Agit si prudemment, qu'avec trente soldats,
Commandés d'un sergent, il ne le manqua pas.

Qui pourrait exprimer la joie universelle Que causa dans Paris cette grande nouvelle, Dès qu'on sçut qu'on tenait ce lion si rusé! La prise d'une ville en aurait moins causé.

Le cabaret du Pistolet n'existe plus; la maison qu'il occupait porte le n° 33 de la rue des Couronnes et a longtemps passé pour être hantée par des esprits infernaux; on croyait y entendre des bruits mystérieux, et des lueurs fantastiques s'y allumaient pendant la nuit; aussi est-elle encore désignée sous le nom de Maison du Diable.

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Dans une maison de la Haute-Borne fut transporté, le jeudi 24 octobre 1776, Jean-Jacques Rousseau, renversé par le chien de messire Louis Le Pelletier de Saint-Fargeau. Le philosophe venait d'herboriser sur les collines, et s'estimait heureux d'avoir serré dans sa boîte de fer-blanc le pieris hieracioides, le buplerum sulcatum, et surtout le crasticum aquaticum. J'étais, raconte-t-il, sur les six heures, à la descente de Ménilmontant, presque vis-à-vis du Galant-Jardinier, quand des personnes qui marchaient devant moi s'étant tout coup brusquement écartées, je vis fondre sur moi un gros chien danois qui, s'élançant à toutes jambes devant un carrosse, n'eut pas même le temps de retenir sa course ou de se détourner quand il m'aperçut. Je jugeai que le seul moyen que j'avais d'éviter d'être jeté par terre était de faire un grand saut si juste que le chien passât sous moi tandis que je serais en l'air. Cette idée, plus prompte que l'éclair, et que je n'eus ni le temps de raisonner ni le temps d'écouter, fut la dernière avant mon accident. Je ne sentis ni le coup ni la chute, ni rien de ce qui s'ensuivit, jusqu'au moment où je revins à moi.

« Il était presque nuit quand je repris connaissance. Je me trouvai dans les bras de trois ou quatre jeunes gens qui me racontèrent ce qui venait de m'arriver; le chien danois, n'ayant pu retenir son élan, s'était précipité sur mes deux jambes; et, me choquant de sa masse et de sa vitesse, m'avait fait tomber la tête en avant; la mâchoire supérieure, portant tout le poids de mon corps, avait frappé sur un pavé très-raboteux; et la chute avait été d'autant plus violente qu'étant à la descente, ma tête avait donné plus bas que mes pieds. Le carrosse auquel appartenait le chien suivait immédiatement et m'aurait passé sur le corps si le cocher n'eût à l'instant retenu ses chevaux.

« Voilà ce que j'appris par le récit de ceux qui m'avaient relevé et qui me soutenaient encore lorsque je revins à moi. L'état auquel je me trouvai dans cet instant est trop singulier pour n'en pas faire ici la description.

« La nuit s'avançait. J'aperçus le ciel, quelques étoiles et un peu de verdure. Cette première sensation fut un moment délicieux. Je ne me sentais encore que par là. Je naissais dans cet instant à la vie, et il me semblait que je remplissais de ma légère existence tous les objets que j'apercevais. Tout entier au moment présent, je ne me souvenais de rien; je n'avais nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venait de m'arriver; je ne savais ni qui j'étais, ni où j'étais; je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquiétude. Je voyais couler mon sang, comme j'aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m'appartînt en aucune sorte. Je sentais dans tout mon être un calme ravissant, auquel, chaque fois que je me le rappelle, je ne trouve rien de comparable dans toute l'activité des plaisirs connus.

« On me demanda où je demeurais; il me fut impossible de le dire. Je demandai où j'étais; on me dit : « A la HauteBorne »; c'est comme si l'on m'eût dit au mont Atlas ! Il fallut demander successivement le pays, la ville et le quartier où je me trouvais; encore cela ne put-il suffire pour me reconnaître; il me fallut tout le trajet, de là jusqu'au boulevard, pour me rappeler ma demeure et mon nom! »>

Bernardin de Saint-Pierre donne sur cet accident des détails remplis d'intérêt :

«Tous mes lecteurs ont entendu parler de l'abominable aventure dont il a été si cruellement la victime à la butte de Mesnilmontant. Il fut rencontré par le chien danois de M. de Saint-Fargeau, qui, voulant rejoindre le carrosse de son maître, avait dans sa course la vitesse d'une balle de fusil. Il passa entre les jambes du malheureux Rousseau, qui tomba le visage sur le pavé, sans avoir eu le temps de se garantir avec ses mains. La chute fut d'autant plus malheureuse, qu'il descendait la butte, et conséquemment qu'il tomba de plus que sa hauteur. Je cours chez lui le lendemain matin. En entrant, je

fus saisi d'une odeur de fièvre véritablement effrayante. Il était dans son lit. Je l'aborde: jamais sa figure ne sortira de ma mémoire. Outre l'enflure de toutes les parties de son visage, qui, comme l'on sait, en change si fort le caractère, il avait fait coller de petites bandes de papier sur les blessures de ses lèvres; ces blessures étaient en long, de façon que ces bandes allaient du nez au menton.

<«< Mon effroi fut proportionné à l'horreur de ce spectacle. Après m'avoir rendu compte de l'accident, je vis avec grand plaisir qu'il excusait le chien; ce qu'il n'eût pas fait, sans doute, s'il eût été question d'un homme il aurait vu infailliblement dans cet homme un ennemi qui depuis longtemps méditait ce mauvais coup; il ne vit dans le chien qu'un chien, qui, me dit-il, a cherché à prendre la direction propre à m'éviter; mais, voulant agir aussi de mon côté, je l'ai contrarié; il faisait mieux que moi, et j'en suis puni. »>

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Longue, escarpée et sinueuse, la chaussée de Ménilmontant a, comme sa voisine, sa chronique particulière; mais cette chronique ne remonte qu'au siècle dernier.

Populaire à sa base et aristocratique au sommet, cette fraction du vingtième ne nous rappelle à mi-côte que des souvenirs de poésie et de réforme. En bas, en effet, près des anciennes barrières, des guinguettes joyeuses où sont venues danser plusieurs générations; plus haut, l'hôtel où les époux Favart cultivaient les Muses; un peu plus haut encore, une villa où les apôtres de Saint-Simon ont prêché leurs doctrines; enfin, au sommet, le parc Saint-Fargeau où S. M. Louis XV venait parfois se désennuyer des trop faciles bonheurs du parc aux cerfs. Mais cette aristocratie du faite de la montagne ne devait pas tenir contre la contagion révolutionnaire, puisque Le Pelletier de Saint-Fargeau, le dernier seigneur du lieu, périt, comme nous l'avons vu, sous le poignard d'un assassin, pour avoir voté la mort de Louis XVI.

Entre le public des guinguettes de la Courtille et les habitués des guinguettes de Ménilmontant, il y avait une grande différence: ici, en effet, on venait en famille passer la journée du dimanche, et c'était aux bals du Galant-Jardinier ou des Barreaux Verts que l'artisan du siècle dernier fisait connaissance de sa prétendue; à la Courtille, au contraire, les bals du Bouf Rouge, du Sauvage et de la Carotte filandreuse, n'étaient guère fréquentés que par des ivrognes et des filles de mauvaise vie : à Ménilmontant donc, les amours modestes et les gentils diners sous la tonnelle; au hal de Belleville, les orgies et les batailles entre gens qui jouaient du couteau ou se mordaient comme des bouledogues. An cabaret du père Desnoyers il y avait, pour faire la police, un homme à moitié sauvage, d'une force athlétique, et que l'on avait surnommé l'Ours; quand arrivait quelque conflit entre buveurs, on làchait sur les combattants cette espèce de bête humaine, qui en prenait un sous chaque bras et allait les porter dans la

rue.

Aux Barreaux Verts de Ménilmontant, quand un cavalier entrait an bal, on lui donnait à la porte une rose artificielle qu'il mettait à sa boutonnière; voulait-il danser, il allait présenter cette rose à la demoiselle qui lui convenait, et celle-ci, prenant la fleur, l'attachait à son corsage, ce qui signifiait dès lors qu'elle était invitée; c'était gracieux au possible: ici donc, travail et poésie; de l'autre côté, le vice et la boue!

A l'endroit le plus escarpé de la chaussée, un peu plus haut que la rue du Ratrait, se trouve à gauche un charmant hôtel du xvm siècle, dont le portique à colonnes, ouvert sur un parc plein d'ombre et de ramages, a l'air d'un temple grec avec son bois sacré : c'était autrefois l'hôtel Favart; c'était là que le spirituel écrivain, surnommé par ses amis le Solitaire de Belleville, vivait loin du bruit avec sa femme, actrice aimée du public, et quelques intimes parmi lesquels on remarquait l'abbé Voisenon, et surtout l'un des plus illustres personnages de l'époque, le maréchal de Saxe, vainqueur de Fontenoy.

Le comte Maurice de Saxe, alors maréchal de France, était

fils naturel de l'électeur Auguste II, un instant roi de Pologne, et de la comtesse Konigsmark.

Né en 1696, il était entré au service à l'âge de douze ans, et avait eu pour maître en l'art de la guerre cet Eugène de Savoie, qui avait fait payer si cher à Louis XIV son dédaigneux accueil le comte avait assisté au siége de Bellegrade; il était alors âgé de vingt et un ans. En 1720, le jeune guerrier était venu prendre du service en France, où son talent militaire fut apprécié et son avancement rapide.

Il venait d'être promu au grade de maréchal de camp, lorsqu'il donna tout à coup sa démission et passa en Courlande, dont il fut nommé duc, grâce à la protection de la duchesse douairière, Anne Svanowna, depuis impératrice de Russie; mais sa nomination n'ayant pas été reconnue par l'impératrice Catherine Ire, le nouveau duc revint en France, où il fut reçu à bras ouverts, et obtint en 1743 le bâton de maréchal : deux ans plus tard, il remportait sur le duc de Cumberland la victoire décisive de Fontenoy.

Après la guerre, le roi Louis XV récompensa le maréchal par la donation du duché de Chambord avec 40,000 livres de rentes. Le grand capitaine visitait presque tous les jours les époux Favart à Ménilmontant, et ce fut pendant un de ses voyages quotidiens qu'eut lieu son aventure avec le forgeron de Belleville.

Au bas de la montagne alors fouillée en maints endroits par les plâtriers, était établi le père Martin, maréchal-ferrant de profession. Un jour que le comte Maurice se rendait à che val à Ménilmontant, il s'arrête devant la forge et demande à Martin de referrer sa monture. « Volontiers, Monseigneur,» répond l'artisan, et après avoir examiné la dimension du pied de la bête, il prend un fer ébauché à l'avance et s'apprête à le mettre au feu. « Ah! mais un instant, compère, dit en plaisan. tant le cavalier qui était doné d'une force extraordinaire, c'est de mauvaise marchandise que tu me donnes là, vois plutôt!» Et lui prenant le fer des mains, il le casse en deux et en jette les morceaux à la ferraille.

Pensant que, sans doute, il y avait dans le fer une paille qu'il n'avait pas vue, le forgeron en prend un autre et veut le mettre à la forge. « Halte-là! lui dit de nouveau le comte en riant, voyons si celui-ci vaut mieux que l'autre. » Et ce disant, il le prend de la même manière que le précédent et le casse en deux avec la même facilité. « Pardon! pardon! reprend Martin d'un air goguenard en voyant le maréchal s'apprêter à en prendre un troisième, pour que Monseigneur trouve le fer convenable, je sais ce qu'il lui faut! » Et ayant aussitôt mis le fer dans sa forge, il souffle, et l'en retire tout rouge au bout d'un instant. «Si le cœur vous en dit maintenant, monsieur le maréchal, lui dit-il, allez-y tout à votre aise! » Et l'autre de s'en défendre cette fois, et le forgeron de faire tranquillement sa besogne. Mais ce qu'ignorait le comte, c'est qu'en fait de force musculaire il avait affaire à un rude jouteur, car le maréchal-ferrant était renommé parmi ses confrères pour sa force prodigieuse; aussi bien grande est la surprise du noble cavalier lorsque, lui ayant donné un écu de six livres pour l'indemniser de sa plaisanterie : « Mais votre sit nomen ne vaut rien, Monseigneur, lui dit l'ouvrier en cassaut en deux la pièce dont il jette les morceaux à la ferraille; c'est du plomb, et voilà tout!» « Diable! » s'écrie Maurice de Saxe, qui ne pouvait en croire ses yeux; et il lui rend un autre écu de six livres. « Pas meilleur que le premier,» répond le maréchal-ferrant en le brisant de la même manière et en jetant encore les débris au rebut.

« Ma foi, c'est bien joué, mon gaillard, reprend le vainqueur de Fontenoy, tu me rends la monnaie de ma pièce! » Et pour couper court à une expérience qui menaçait de lui coûter bien cher, il prend le parti de donner au forgeron une pièce d'or dont le diamètre n'offrait pas assez de prise, et qui ne pouvait être brisée comme les précédentes.

Le même comte Maurice de Saxe se trouvant à Londres, et ayant rencontré un boueux dont le tombereau obstruait la voie publique, l'invite à se déranger; mais celui-ci, large d'épaules et solide du poignet, se contente de lui faire la grimace. Aussitôt le maréchal saute en bas de son carrosse, empoigne l'insolent par la nuque et le fond de sa culotte, puis le jette, comme un paquet de linge sale, dans son tombereau rempli de boue liquide. Inutile d'ajouter que le charretier sørtant tout penaud de sa baignoire s'empresse de détourner ses chevaux et de laisser passer la voiture du maréchal de

France.

Maurice de Saxe mourut en 1750; il n'était âgé que de cinquante-quatre ans.

L'abbé Voisenon, autre commensal de l'hôtel Favart, offrait le type le plus complet des abbés de boudoir : il était enjoué, spirituel et mondain. Il était entré dans les ordres comme cela se faisait alors, non par vocation, mais par mesure de convenance; aussi se souciait-il fort peu du bréviaire, il aimait mieux cultiver les Muses et la beauté, comme l'on disait alors. Il se souciait, du reste, également très-peu des honneurs ecclésiastiques, puisqu'il refusa la mitre épiscopale; mais il n'eut pas le même dédain pour les grandeurs d'un autre ordre, car ce fut à force de brigues plutôt que par son talent qu'il parvint à l'Académie, en 1767. Voisenon avait des allures courtisanesques qui offusquaient même les gens de son époque, où l'on était cependant fort indulgent en pareille matière; il adula tous les ministres et toutes les favorites, la Pompadour et la Dubarry recurent tour à tour ses hommages et ses vers.

Quant à Favart, le propriétaire de cette royale villa, il était né à Paris, en 1710, d'une famille rémoise. Il avait commencé à se faire connaître dans les lettres en composant des pièces pour l'Opéra-Comique, où il amens la vogue, et dont il fut ensuite nommé directeur; mais ce théâtre ayant été supprimé en 1745, à la demande des Italiens jaloux de ses succès, il alla diriger une troupe ambulante qui suivit en Flandre l'armée du maréchal de Saxe, et, nouveau Tyrtée, il excita souvent l'enthousiasme des soldats par ses compositions héroïques. A son retour, il travailla pour les Italiens et le Théâtre-Français; on a de lui plus de soixante pièces remplies d'esprit, de gaieté et de délicatesse; les plus connues sont : la Chercheuse d'esprit, Annette et Lubin, Ninette à la cour, la Fée Urgèle, la belle Arsène, etc.

Il était marié à Mlle Duronceray, charmante actrice que le galant maréchal de Saxe poursuivait, dit-on, de ses assiduités; on prétend même que c'était pour éviter ses visites trop fréquentes que Favart s'était retiré à Belleville; mais était-ce là un obstacle pour le conquérant de la Courlande et le vainqueur de Fontenoy?...

Favart mourut en 1792, laissant un fils qui hérita de sa fortune, mais non de sa célébrité.

Aujourd'hui l'hôtel Favart est occupé par des sœurs de SaintVincent-de-Paul; c'est un hospice pour les orphelins.

En continuant à gravir les pentes de Ménilmontant, on rencontre après la rue de Calais un vaste bâtiment d'architecture sévère, mais dont les appartements ont été convertis en ateliers et en petits logements: c'était là qu'habitaient les saint-simoniens il y a bientôt trente ans.

Comme toutes les choses nouvelles, le saint-simonisme fut l'objet des calomnies et des sarcasmes de gens qui n'en connaissaient pas la portée. C'était, disait-on, le sybaritisme, la débauche organisée à l'état de religion.

Les saint-simoniens étaient tout simplement les adeptes d'une école philosophique humanitaire dont le chef était mort quelques années auparavant victime de ses convictions.

Le comte Henri de Saint-Simon, né à Paris en 1760, dans une position de fortune des plus brillantes, y était mort en 1825, dans la plus complète indigence. Penseur généreux, rêvant la régénération de l'humanité, il sacrifia sa vie et ses richesses à ce rêve sublime : cette idée lui fit supporter avec un calme héroïque le froid, la folm, en un mot, toutes les misères de ses derniers jours. C'était un de ces hommes dont les pensées, regardées encore aujourd'hui comme des utopies, seront plus tard, sans doute, appréciées à leur juste valeur; il eut le tort très-grave de croire au bon sens des hommes de son époque.

C'est donc à la propagation des principes de ce pauvre phi-. lanthrope qu'une réunion de jeunes gens s'était consacrée après 1830, et c'était de Ménilmontant que la doctrine devait partir pour faire le tour du monde. Dans cette belle demeure, dont les jardins étaient très-étendus, les saint-simoniens avaient essayé de réaliser une société telle qu'ils la rêvaient, basée sur ce principe à chacun selon sa capacité; à chaque capacité selon ses œuvres. Après un procès qui fit grand bruit, les adeptes furent obligés de se disperser, et les uns, traversant l'Allemagne et la Hongrie, s'embarquèrent pour l'Égypte: c'est un de ces illustres exilés qui, voguant sur un navire commandé par Garibaldi, a jeté au cœur du marin les premières étincelles de ce feu sacré qui en fait le héros de l'indépendance.

Les autres adeptes du saint-simonisme rentrèrent alors dans la vie privée, et presque tous sont devenus des artistes, des ingénieurs ou des écrivains distingués. Nous pouvons citer, entre autres, Fournel, Stéphane Flachat, Émile Pereire, Michel Chevalier, Émile Barrault, Louis Jourdan; Charles Romey, auteur d'une Histoire d'Espagne: Gustave d'Eichtal; Adolphe Guéroult, rédacteur en chef de l'Opinion nationale; Charles Duveyrier, auteur de Michel Perrin et de plusieurs autres pièces remarquables; Xavier Raymond et de Broë, rédacteurs du journal des Débats.

C'est aux saint-simoniens de Ménilmontant qu'a été composée par Félicien David la gracieuse rêverie: Voltigez, hirondelles.

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En descendant de Belleville par le Ratrait, on aperçoit, à 2 kilomètres devant soi, un village aux blanches habitations entrecoupées de jardins, dominées au premier plan par un champêtre clocher dont la pyramide d'ardoises se détache en bleu sur le fond vert des arbres : ce pays, c'est Charonne avec son église, qui, vue de la campagne, est au niveau du sol, mais qui, du côté du village, se trouve, par suite d'abaissements successifs, perchée avec son cimetière à la hauteur d'un troisième étage; il faut donc monter une quarantaine de marches pour arriver au portail.

En face et toujours sur ce même piedestal est l'ancienne mairie, avec ses jardins suspendus, s'il vous plaît, comme ceux de Babylone; encore une merveille du monde à peu près inédite.

L'église de Charonne, une des plus anciennes de la banlieue, n'était primitivement qu'un oratoire, qui aurait été construit, d'après la chronique, par saint Germain d'Auxerre avant son second voyage en Angleterre, oratoire qui, selon la coutume d'alors, reçut le titre de chapelle.

Sous les Mérovingiens, on nomma chapelle l'endroit où les rois de France faisaient garder la chape de saint Martin; mais au bout d'un certain temps, cette dénomination fut appliquée à toutes les églises qui n'étaient ni cathédrales, ni collégiales, ni paroisses, ni abbayes et ni prieurés. Les canonistes les ont appelées chapelles sub dio pour les distinguer de celles qui se trouvaient faire partie d'une église plus grande, et que l'on nommait chapelles sub tecto.

Depuis l'époque de saint Germain, il n'est plus question de Charonne jusqu'à la troisième race, où il en est parlé à propos de donations faites par Hugues Capet et son fils Robert au monastère de Saint-Magloire.

Une chronique rimée du xe siècle nous apprend ensuite qu'en 1230 il y eut à Charonne une devineresse dont les oracles étaient fort en vogue. Voici ce qu'en dit cette chronique:

L'an mil deux cent et vingt et dix,

Fut Dammartin en flamble mis.
Et sachiez que ce l'an même,

Fut à Charonne la deveine.

Pauvre Pythonisse, qui aura dû mourir par le fagot!

Mais que devait être Charonne à cette époque? Quelques chaumières éparses dans les champs, un ou deux couvents dans les endroits les mieux choisis, et puis l'église sur la hauteur!... Au commencement de notre siècle, ce n'était encore qu'un petit pays de 600 âmes: il y en avait 15,000 au moment de l'annexion.

En 1643, plusieurs établissements religieux y furent fondés par Marguerite de Lorraine, femme de Gaston d'Orléans, entre autres celui des Filles de la Paix, dont la maison, située rue Riblette, est occupée par un pensionnat dirigé par des sœurs. Lors des troubles de la Fronde, Louis XIV et Mazarin étaient à Charonne, assistant du haut de Fontarabie au combat du faubourg Saint-Antoine, où l'armée royale, commandée par Turenne, aurait écrasé celle des frondeurs, que commandait le prince de Condé, si Mlle de Montpensier, qui, elle aussi, re

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gardait la bataille du haut de la Bastille, n'eût fait tirer le canon de la forteresse sur les troupes du roi.

Le 30 mars 1814, Charonne, attaqué par les Russes, fut vaillamment défendu par les Français, qui, malgré l'infériorité du nombre, étaient parvenus à les repousser, quand deux nouvelles divisions ennemies étant survenues par les hauteurs de Belleville, les défenseurs décimés furent contraints d'évacuer le village. Voilà, en quelques lignes, le bilan historique de Cha

ronne.

Les ci-devant boulevards extérieurs, dont nous avons parlé à propos de Belleville et de Ménilmontant, changent de physionomie subito en arrivant à Charonne, et cette physionomie s'y trouve quatre fois modifiée dans ce qui nous reste à parcourir jusqu'à la barrière du Trône.

A partir de la barrière des Amandiers jusqu'à celle du Grand-Charonne, plus de bal, plus de saltimbanques, plus de tapage; mais des corbillards, des cochers vêtus de noir, des nécrophores, tout l'attirail enfin des pompes funèbres; puis des cabarets pour aller manger le pain et le fromage de condoléance, et faire l'oraison funèbre du pauvre défunt que l'on vient de porter à son dernier gîte. Ici, on ne vit que par les morts: la Toussaint est la fête du lieu, et les moments d'épidémie sont jours de liesse pour ce quartier vampire; nous sommes au Père-Lachaise, où nous reviendrons tout à l'heure. Vient ensuite l'ex-barrière du Grand-Charonne, où l'on est enfin sorti des couronnes d'immortelles et des pierres tumulaires; mais là non plus, pas de bruit, on y venait en famille faire la dinette, et voilà tout. Le seul établissement un peu marquant était celui des Noces de Cana, ainsi nommé sans doute parce que l'on y voyait se renouveler le miracle de l'Évangile.

Le Petit-Charonne, plus rapproché des quartiers populeux, était beaucoup plus tapageur; on y dansait peu, mais on y bu

vait sec et dru; les mannequins, les crochets, etc., déposés à la porte des cabarets, indiquaient suffisamment quel genre de clientèle venait s'y désaltérer. Le cabaret des Quatre-Drapeaux est, en l'espèce, un prototype que nous recommandons aux

amateurs.

En approchant de la barrière du Trône, la scène change encore trombones, cornets, ophicléides, toute la monstrueuse cuivrerie de M. Sax lance en l'air ses notes éclatantes; nous arrivons aux bals du Petit Chapeau, du Grand Vainqueur, de l'Aigle Impériale et des Corybantes, fréquentés par les troupiers des casernes circonvoisines et le beau sexe des quelques maisons également circonvoisines. C'est Mars qui fait polker Vénus, sans que Vulcain y trouve à redire.

En fait de monuments, Charonne n'a que son église, édifice modeste qui date du XVIIe siècle: cette église, bâtie à la place de l'oratoire de saint Germain, lui est dédiée; à l'intérieur comme au dehors, rien de remarquable!

Sur la route de Bagnolet, route qui semble l'avenue d'un parc, on voit, enchâssé dans un bâtiment sans goût, un gracieux pavillon du XVIIe siècle, précédé d'un parterre qu'encadre une grille hémicycloide de la même époque. C'était la salle de billard du château des ducs d'Orléans, château dont nous parlerons dans notre histoire des environs, au chapitre de Bagnolet. Cette salle, sous son propriétaire actuel, n'a pas changé de destination; mais l'habitation dont elle dépend n'est guère digne d'un pareil bijou.

Il y a aussi, sur la place de la Réunion, place circulaire entourée d'arbres, une fontaine de bronze avec une vasque; mais la pauvre nymphe du lieu attend depuis plus d'une année qu'il plaise au conseil municipal de la faire entrer en fonctions. Près de là sont les écoles de la commune, édifice d'architecture très-simple, mais qui s'harmonise à merveille avec sa destination.

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Mais si Charonne est pauvre en édifices, il possède un établissement qui est pour cette partie de la capitale un gage de prospérité future: nous voulons parler de la gare du chemin de fer de ceinture. Cette ligne importante, qui sert de trait d'union entre Bordeaux et Lille, entre Marseille et Cherbourg, qui, en un mot, est pour Paris la clef de toutes les lignes, possède à Charonne une gare qui y a attiré déjà beaucoup d'industries. En effet, des fabriques de parfumeries, de savons de toilette, de bougies, de boutons, etc., sont venues s'y établir l'une après l'autre; il y a même dans la rue de Belleville un dépôt de meules de toutes espèces qui, sans la proximité du débarcadère, ne serait certes pas venu s'y installer. Mais l'établissement le plus considérable que ce voisinage ait attiré dans cette partie du XX arrondissement est l'usine que la maison Houy-Navarre a fait construire à la croix Saint-Simon pour l'exploitation de son brevet.

Cette maison, dont la spécialité consiste à fabriquer des papiers et des toiles à polir, a remplacé le verre dont on se sert ordinairement pour ce genre de fabrication par un agent plus résistant et plus incisif : c'est la meulière de Saint-Yon, la plus dure des pierres après l'émeri, que l'on y broie pour les poudres. Il est vrai que, pour fixer sur le papier ou sur l'étoffe un agent de cette nature, il fallait un enduit spécial; maiscet établissement, par le collage dont il a le secret, donne à la meulière, aussi bien qu'à l'émeri, toute l'adhérence possible.

En dehors de ces industries d'importation moderne, Charonne en a une qui remonte aux dernières années du XVIIe siècle, c'est la culture des orangers.

Avant la Révolution, ce village avait des couvents et de riches maisons de campagne qui toutes avaient des serres remplies d'orangers; en outre, c'était là que se trouvait l'orangerie du château de Bagnolet. Lors de la crise révolutionnaire, quand la

noblesse émigra et que les cloîtres furent déserts, tous ces arbustes furent vendus à l'encan et acquis par des campagnards, qui s'en sont créé une industrie très-productive; car par la fleur et ses feuilles, l'oranger donne plus de bénéfices dans notre pays que dans les climats où son fruit vient à maturité. Il est vrai que par le logis et le chauffage de l'hiver, que par l'entretien des caisses et les travaux de l'été, cette culture occasionne des frais. Néanmoins, nous connaissons un de ces arboriculteurs qui, bon an, mal an, se fait 5,000 fr. de bénéfices nets avec ses orangers.

Tout près de la nouvelle carrière de Bagnolet confinant à la route stratégique se trouve une vaste carrière à plâtre dont l'exploitation se fait à ciel ouvert; c'est la carrière du sieur Collet, qui, d'un bout de l'année à l'autre, emploie plusieurs centaines d'ouvriers; c'est une des plus importantes exploitations de ce genre: les produits en sont très-estimés.

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Les carrières à plâtre, qui de temps immémorial constituent l'une des principales industries de la banlieue, avaient jadis une réputation affreuse carrière était synonyme de coupe-gorge, de repaire à voleurs, etc. que d'exagérations dans tout cela! Il est évident que les fours à plâtre, qui brûlent continuellement, offraient la nuit un gîte à une foule de pauvres diables sans asile et souvent sans place; mais il aurait fallu des scélérats bien mal avisés pour avoir leur quartier général dans des lieux où d'un instant à l'autre ils pouvaient être surpris par la police.

Les habitués des carrières étaient, nous l'avons dit, de pauvres gens qui venaient s'y coucher et souvent y faire leur maigre cuisine. Certainement que parmi ces hôtes se glissaient parfois des malfaiteurs qui pensaient y trouver un abri sûr, mais ils comptaient sans les rondes nocturnes de la police, et si l'on fermait les yeux sur la présence de ceux que l'on savait y venir par économie, on ne manquait pas de happer les indi

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