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Le côté droit de la magnifique avenue qui part du rond-point de l'ancienne barrière de Clichy et se dirige, en se bifurquant, vers Clichy ou vers Saint-Ouen, a été séparé des Batignolles pour être réuni au XVIII arrondissement. De même que le côté gauche, il abonde en cafés élégants, en restaurants fréquentés, surtout le dimanche, par une foule pour laquelle les salles les plus vastes deviennent trop étroites. Là est la métropole de ces établissements d'importation normande, où l'on ne vend que des tripes à la mode de Caen. Ce mets, longtemps inconnu dans Paris, y a tout à coup fait fortune, mais le restaurant de Jouanne, aux Batignolles, passe pour conserver le mieux les grandes traditions de l'art culinaire du Calvados; c'est aussi le seul qui ne se soit jamais relâché de la sévérité des principes. Les débitants de tripes parisiens peuvent offrir à leur clientèle d'autres plats du jour; chez Jouanne, on ne prépare que les intestins du boeuf. Quelques familles, séduites par cette grande renommée, viennent naïvement s'abattre chez Jouanne, pour y faire un diner régulier. Quand les convives sont attablés, le chef de l'expédition dresse le menu, et crie, à la cantonade : « Garçon! un potage! »> - Monsieur, il n'y en a pas.

- Comment! Vous voulez dire peut-être qu'il n'y en a plus? Non, Monsieur, nous ne faisons jamais de potages.

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En ce cas, donnez-moi un fricandeau au jus.

Il n'y en a pas.

Un filet aux olives.

Il n'y en a pas.

Mais vous n'avez donc rien? Au moins, vous nous donnerez bien une omelette?

Non, Monsieur.

Mais que mange-t-on donc ici?

Des tripes à la mode de Caen.

Jamais, chez ce prototype des spécialistes, on n'a vu que du gras-double accommodé de la même manière sur les bords de l'Orne et de l'Odon.

Près de l'avenue de Clichy, où règne une animation perpétuelle, se trouve un séjour de silence et de deuil, le cimetière du Nord, dit de Montmartre.

L'annexion faisait légalement aux cimetières une fàcheuse position. Le décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) est formel: « Aucune inhumation n'aura lieu dans les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques, et généralement dans aucun des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leur culte, ni dans l'enceinte des villes et bourgs. Il y aura, hors de chacune de ces villes ou bourgs, à la distance de 35 à 40 mètres au moins de leur enceinte, des terrains spécialement consacrés à l'inhumation des morts. » Le décret d'annexion exigeait donc, comme corollaire, un décret qui reléguât les cimetières à 35 mètres au moins, non-seulement des fortifications, mais encore de la zone militaire. Dans l'état actuel des choses, en face d'habitudes prises

Imprimerie de J. Claye, rue Saint-Benoit, 7.

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et enracinées, l'administration ne pouvait songer à détruire immédiatement de grandes nécropoles, comme elle avait détruit autrefois les cimetières paroissiaux. Un arrêté du préfet de la Seine, en date du 20 décembre 1859, contre-signé par M. Charles Merruau, secrétaire-général de la préfecture, assigna :

1o Le cimetière du Nord, dit de Montmartre, aux inhumations des ler, II, VIIIe IXe et Xe arrondissements;

2o Le cimetière de l'Est, dit Père-Lachaise, aux inhumations des III, IV, XI, XIIe et XX arrondissements;

3o Le cimetière du Sud, dit du Mont-Parnasse, aux inhumations des V, VI, VII®, XIIIe et XIVe arrondissements;

4o Le cimetière des Batignolles, aux inhumations du XVII® arrondissement;

5o Le cimetière de Montmartre, à celles du XVIIIe arrondissement;

6o Le cimetière de la Villette, à celles du XIX arrondissement;

7° Les cimetières de Grenelle et de Vaugirard à celles du XVe arrondissement.

La circonscription du cimetière de Grenelle embrasse la partie de l'arrondissement située à l'ouest d'une ligne allant de la Seine à l'enceinte fortifiée par la ligne d'axe de l'avenue de Suffren, de l'avenue Lowendal, de la Croix-de-Nivert et de la rue de Sèvres.

La circonscription du cimetière de Vaugirard comprend tout le surplus du XVe arrondissement.

8° Les cimetières d'Auteuil et de Passy aux inhumations du XVI arrondissement.

La circonscription du cimetière d'Auteuil est déterminée par la Seine, l'enceinte fortifiée et la ligne d'axe du chemin des Tombereaux et de la rue de Boulainvilliers.

La circonscription du cimetière de Passy comprend tout le surplus du XVIe arrondissement.

Les cimetières de la Chapelle, de Belleville, de Charonne et de Bercy sont supprimés.

Que de place tiennent les cimetières sur notre sol et dans notre civilisation! Sans manquer de respect aux dépouilles inanimées des parents, des amis qui nous ont été chers, ne pourrait-on, en leur rendant hommage, se dispenser d'établir au milieu des villes des foyers pestilentiels? Faut-il absolument confier à la terre, cette dépositaire infidèle, des corps qu'elle dissout, qu'elle livre aux vers, et dont elle envoie une partie dans les airs en émanations délétères, comme pour augmenter plus vite son butin?

Avant l'ère chrétienne, les morts de qualité étaient brûlés; on n'enterrait que les esclaves. Dans la religion nouvelle, dont l'égalité était la base, les classes supérieures abandonnèrent le privilége d'être mises en cendres et enfermées dans des cippes ou columbaria. Nobles et serfs, riches et pauvres, furent indistinctement enterrés. Certes, pour les hommes qui consentaient à traiter en frères les malheureux qu'avaient décimés les murènes de Pollion et les lions du Colisée, à remplacer un droit absolu de propriété par un système de redevances, ce ne furent pas là les plus grands sacrifices. Le plus pénible, sans doute, fut la renonciation au droit d'être brûlé. Ils auraient pu s'envoler en fumée vers les cieux. Le caput mortuum, le résidu solide qu'ils auraient laissé sur la terre, et non dessous,

pourquoi descendre? - aurait tenu dans une urne; le moribond, dans ses illusions, aurait pu s'imaginer que ses cendres seraient parfois baignées des pleurs d'une épouse désolée et d'un héritier attendri. Au lieu de cela, il lui fallait pourrir dans la boue et dans les ténèbres!

L'idée d'une décomposition lente, froide, obscure, excite une instinctive répulsion; l'esprit ne saurait s'y arrêter sans trouble, sans horreur.

L'humanité s'afflige des maladies qu'engendrent ou qu'entretiennent les miasmes qui se dégagent des tombeaux.

L'économie politique demande compte de tant d'hectares improductifs.

Au point de vue moral et physique, les inhumations ne sontelles pas condamnées, du moins telles qu'on les pratique? Nous ne sollicitons point le rétablissement de la crémation; mais la science ne fournit-elle pas mille autres moyens, beaucoup moins dispendieux, de réduire un corps inerte à sa plus simple expression? Un peu de chaux y suffirait, et sauverait les dépouilles humaines du déshonneur d'être changées en funnier et dévorées par des larves immondes.

En attendant que, dans l'intérêt commun des vivants et des

morts, les cadavres soient préservés d'une destruction lente, qu'ils soient pour ainsi dire escamotés, on jette sur eux des pierres et des fleurs. Le cimetière du Nord est à la fois un jardin et un musée.

Le jardin est charmant; les arbres, toujours verts, répandent dans les allées une ombre et une fraicheur continues; les roses, les pervenches, les géraniums, les fuchsias, poussent avec une luxuriance qu'on trouve rarement en dehors des lieux réservés aux inhumations. Les merles, les pinsons, les moineaux, gazouillent à l'envi en sautillant de branches en branches, et quelques rossignols font leurs nids dans les plus épais massifs.

Le musée consiste en monuments assez généralement uniformes, mais dont quelques-uns, toutefois, se distinguent par leur excentricité. Tous ne sont pas d'un goût irréprochable; la douleur la plus vraie et la plus sincère peut avoir ses égarements, et se traduire par des exhibitions peu sensées d'objets en verre filé, de couronnes en fleurs artificielles, de reliques déposées sous des globes de pendule. Respectant la tendresse jusque dans ses erreurs, n'examinons ni le choix des emblèmes, ni le style des épitaphes, et contentons-nous d'explorer le cimetière du Nord pour y chercher les tombes des hommes qui ont bien mérité de leur patrie.

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Une des tombes les plus anciennes du cimetière est celle de Philippe-Henri, marquis de Ségur, maréchal de France, ministre d'État, gouverneur du comté de Foix, commandant en Franche-Comté et chevalier des ordres du roi, né à Paris le 20 janvier 1724, décédé à Paris le 3 octobre 1801.

Une couronne d'immortelles et des palmes sont jetées sur la tombe d'Armand Marrast, membre du gouvernement provisoire, président de l'Assemblée nationale, né à Saint-Gaudens le 5 juin 1801, mort le 10 mars 1852.

Le tombeau de la famille Cavaignac renferme la dépouille mortelle de Jean-Baptiste, député à la Convention, mort en exil à Bruxelles le 24 mars 1823; Godefroy, décédé le 5 mai 1845, à quarante-cinq ans, et Eugène, décédé le 28 octobre 1857, à l'âge de cinquante-cinq ans. On n'a inscrit sur la tombe de ce dernier aucun des titres qui le recommandent à l'attention de la postérité. Il était né le 15 octobre 1802; admis à l'École polytechnique le 1er septembre 1820, il était entré en 1824 au 2e régiment du génie. Il avait gagné ses grades en Afrique, où l'avait illustré la défense de Tlemcen et celle de Cherchell. Après 1848, il avait été nommé général de division et gouverneur de l'Algérie. Nommé représentant du peuple par les departements de la Seine et du Lot, il se trouva investi du pouvoir dans les circonstances les plus difficiles. Il appartient à l'avenir de le juger er dernier ressort. Ses obsèques furent les plus brillantes dont le cimetière Montmartre ait été témoin. Une brigade d'infanterie et un escadron de chasseurs escortaient le convoi, auquel assistaient d'anciens ministres, d'anciens représentants ou fonctionnaires de la République, ainsi que des émigrés d'Italie, de Pologne, de Hongrie et d'Espagne. Aucune statue n'a été élevée au chef du pouvoir exécutif de 1848; mais les mausolée où il repose porte l'image en bronze de son frère Godefroy, œuvre admirable de François Rude, assisté de son jeune élève Christophe, qui a modelé les draperies.

Godefroy Cavaignac est là, couché, immobile, dans les plis de son linceul, sur la pierre même qui scelle son tombeau, le corps étendu droit, les pieds joints, la tête renversée en arrière, fixe, la poitrine haute, les bras allongés, les mains légèrement roidies, la droite posée sur une plume et la garde d'une épée. C'est déjà la mort, mais tiède, calme, semblable au sommeil, et l'on dirait un ami qui vient de vous serrer la main avant de défaillir et de s'affaisser pour toujours; un athlète fatigué qui étend ses membres et laisse retomber sa tête pour le repos éternel. La tète surtout vit et respire dans son immobilité même; c'est un portrait d'une ressemblance austère, d'une vérité idéale; la physionomie et le caractère s'y creusent profondé ment, et toute sa personne y resplendit. On s'arrète fasciné, attendri, exalté devant cette statue que ne glace point le lin

ceul, et qui nous parle de la mort avec tant de majesté et de
candeur.

Cette statue n'est pas seulement une conception belle de simplicité et de sentiment, c'est une œuvre savante et sévère, composée et traitée avec tout le scrupule et tout le génie de l'art. La symétrie monumentale de la ligne est tempérée par d'heureuses et légères ondulations. La figure entière se déploie grandement, et les plis dessinent même les parties qu'ils recouvrent. Le nu et la draperie se partagent et ne scindent point la forme; le nu est d'une étude serrée, d'une beauté large, d'un nerf saillant; et ce qui l'a fait encore ressortir davantage, c'est le travail même de la draperie qui voile à demi le reste de la figure. Cette draperie, fine, souple et transparente, est à elle seule un travail précieux; l'outil ajoute beaucoup à l'habileté de la disposition.

Une foule d'hommes célèbres sont réunis dans le cimetière du Nord. Le maréchal Lannes, duc de Montebello, repose dans les caveaux du Panthéon; mais son cœur est conservé au cimetière Montmartre dans une chapelle de famille. Manin et sa fille Emilia y dorment loin de leur chère Vénétie, qui gardera éternellement leur souvenir.

En parcourant les sentiers pittoresques du lieu funèbre, nous trouvons les tombeaux de l'amiral Charles Baudin, né le 21 juillet 1784, mort le 7 juin 1854; de Voyer-d'Argenson, millionnaire qui, à la tribune comme dans ses ouvrages, se fit l'avocat des classes laborieuses; de Michel-Ange Buonarotti, qui trempa dans la conspiration Babeuf, et qui en a écrit une intéressante et fidèle relation; de Charles-Antoine Teste, qui, dès ses premières années, était persécuté par la réaction thermidorienne cause des idées politiques de sa famille, et qui leur resta invariablement dévoué jusqu'au dernier soupir; de Charles Fourier, ce grand utopiste qui a mêlé tant d'idées utiles à tant de rêveries. Un poëte aimé des dames, GabrielMarie-Jean-Baptiste Legouvé, est enseveli à côté de sa femme, née Élisabeth Sauvanl, dont les qualités et les vertus contribuèrent à lui inspirer son meilleur ouvrage : le Mérite des Femmes.

Guyon Lethière, né à la Guadeloupe en 1760, a sa tombe à gauche de l'entrée, au pied du mur de clôture. Élève de Doyen, ce peintre n'a rien produit de mieux que son grand tableau de Junius Brutus condamnant ses fils, envoi de Rome. Il est mort le 22 avril 1832, en mettant la dernière main à un tableau de Virginius poignardant sa fille.

Dans un mausolée dont Félix Duban a sculpté les couronnes de fleurs et de lauriers, Paul Delaroche a suivi sa femm", fille d'Horace Vernet. Un caveau renferme les restes de deux peintres regrettables, Alfred Johannot, mort en 1837, Tony Johannot, mort en 1852. Plus loin est le caveau de F.-Léon Bénouville, mort le 14 février 1859, à l'âge de 38 ans. Dans cette galerie d'artistes figurent Greuze, Me Haudebourg Lescot; le sculpteur Pigale, auteur du fameux mausolée du maréchal de Saxe qu'on admire dans le temple de Saint-Thomas de Strasbourg; Amable-Paul Coutan, sculpteur, décédé le 30 mars 1837, à l'âge de 45 ans. Parmi les architectes, signalons François-Charles Gau, architecte de l'église Sainte-Clotilde, de la Banque, des hospices de Paris, voyageur en Palestine, auteur des Antiquités de la Nubie, continuateur de Le Mazois sur les ruines de Pompéi, né en 1789, mort en 1853.

Un monument d'une originalité remarquable est celui de Pierre-Léonard Laurécisque, architecte des palais de l'ambassade de France, de l'église Saint-Louis et de la chancellerie à Constantinople, né le 20 avril 1797. Son nom, ceux de sa femme et de son jeune fils sont inscrits sur le socle. Au-dessus se dresse une façade dans le marbre de laquelle sont sculptées trois boîtes pareilles à celles qui renferment des momies. A la place qu'occupent habituellement les têtes égyptiennes, se détachent les portraits de l'architecte, de sa femme et de son enfant. Deux urnes et deux hibous complètent la décoration. Sur un soubassement, arrondi aux extrémités, s'élève une pierre qui se termine à plein cintre et que surmonte une croix ouvragée. Aux deux côtés sont des hibous de bronze qui tienneat au bec des serpents. Au centre est le buste d'Artot, né en 1815, mort en 1847. Il se distingua comme compositeur et comme instrumentiste; et le sculpteur lui a donné pour attributs un violon, un archet, et un cahier de musique.

Voici un nom qui rappelle les souvenirs du vieux Paris; c'est celui de Paul Nicquet, que son épitaphe qualifie d'ancien mar

chand. Il est mort le 4 août 1829, laissant à ses héritiers, rue aux Fers, un débit d'eau-de-vie et de liqueurs ouvert jour et nuit. Le comptoir était à l'extrémité d'une allée, dans un enfoncement. En face régnait un banc où s'asseyaient les consommateurs. L'allée qui commençait à la rue aboutissait à une petite cour au fond de laquelle était une sorte de chenil jonché de paille; c'était la couche des buveurs malheureux. Quelques gens de lettres, en quête d'émotions ou attardés à la suite d'un diner trop copieux, avaient découvert Paul Nicquet. Ils avaient fraternisé avec sa curieuse clientèle, et il y eut une époque où l'étranger qui visitait Paris, après avoir vu la colonne Vendôme et la girafe, ne manquait pas de dire à son cicérone : « Conduisez-moi chez Paul Nicquet! >>

On lit sur une tombe le nom de Me Garneray, décédée le 13 janvier 1858, à l'âge de 72 ans. Qui se douterait que cette modeste épitaphe rappelle un crime mystérieux? Cette vénérable dame logeait rue des Martyrs, n° 20. Un jour on la trouva étranglée dans son lit, au milieu d'un appartement dont les meubles commençaient à brûler; un voleur homicide avait évidemment allumé ce commencement d'incendie. Les soupçons se portèrent sur le concierge, qui fut renvoyé absous après une longue et minutieuse instruction, mais qui devint fou de désespoir d'avoir été injustement accusé. Les recherches de la police n'ont fait découvrir aucunes traces de l'assassin de Mae Garneray.

me

Plusieurs réfugiés polonais, grâce aux largesses d'un de leurs compatriotes, ont trouvé un asile dans le cimetière Montmartre. Les sentiments qui les animaient à leurs derniers mements se résument dans ce vers tracé sur une tombe :

Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor!

Le plus remarquable des monuments consacrés à la mémoire des exilés de la Pologne, est celui sur lequel on lit : «< Ci-git Léon Stampowski, maréchal de la noblesse d'Uzika en Podolie, fondateur des tombeaux polonais au cimetière Montmartre, né en 1794, mort en 1855. » Les angles du socle de pierre sur lequel est gravée cette inscription, portent quatre trophées composés d'armes, d'étendards, de boulets et d'écussons. Ils soutiennent les cercucils en pierre de plusieurs autres officiers polonais.

Pour avoir une idée de l'architecture russe, regardez cette chapelle couverte de peintures et de dorures; elle est érigée à la mémoire de la princesse Soltikoff, qui mourut à Paris le 21 janvier 1845. Nous trouvons encore dans le cimetière du Nord, Marc-Antoine Julien, fondateur de la Revue encyclopédique; Auguste Julien, son fils, auteur de Recherches sur les proverbes et rédacteur du Siècle, où il a laissé de sincères regrets; Billecoq, bâtonnier de l'ordre des avocats; Numance, comte de Girardin, né le 13 mars 1794, mort le 6 novembre 1855; le colonel Soubeiran d'Hauterville, né le 27 juillet 1770, mort le 28 juillet 1848; le pianiste Kalbrenner; Adolphe Nourrit, dont la carrière fut si éclatante et la fin si triste; Moreau Cinti, professeur au Conservatoire, décédé le 30 mars 1860, à soixante et un ans; l'acteur Dazincourt; Claude-Fortuné Ruggieri, artificier du roi, né en 1777, mort en 1841.

Dans le cimetière israélite s'élève une tombe ornée des symboles les plus compliqués. On y voit une barque, un homme et une femme, un serpent qui se mord la queue, un trépied, un triangle environné de rayons : c'est le mausolée de Marc Ledarride, officier d'état-major de l'ancienne armée, grand conservateur de l'ordre maçonnique pour la France, grand dignitaire des puissances suprêmes de l'ordre dans divers royaumes étrangers, grand commandant des chevaliers défenseurs de la maçonnerie, et possédant tous les rites, décédé le 1 avril 1840.

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donnant aux défunts, au plus juste prix, les qualités désirables de bon père, bon époux, etc. Les marchandes présentent aux passants des couronnes d'immortelles, comme si tous ceux qui rodent sur ce boulevard se dirigeaient inévitablement vers le cimetière du Nord. Hâtons-nous de nous éloigner de cette exploitation de la mort et de gravir la butte Montmartre.

C'est le belvéder de Paris. Lorsque vous avez fait la pénible ascension de cette hauteur, vous avez la satisfaction de voir à vos pieds la capitale de la France. Les domes, les clochers, les colonnes, les palais se dégagent dans une brume lumineuse au-dessus des toits innombrables. Les rues les plus larges disparaissent; on ne distingue qu'un amas de maisons que l'on pourrait croire juxtaposées. Le bassin de Paris se développe avec sa circonférence de collines, et la vue est d'une étendue telle que les presbytes ou même les myopes voient parfaitement, avec un télescope, la tour de Montlhéry.

L'immense cité que nous contemplons doit en grande partie sa splendeur et sa magnificence à l'humble butte où nous sommes placés; sans Montmartre, Paris ne serait rien; pour qu'une importante capitale put être créée sur les rives sinueuses de la Seine, il était nécessaire qu'on trouvât à proximité de la pierre et du plâtre. Or la pierre est en abondance à Gentilly, à Montrouge, à Arcueil, à Ivry, à Villejuif, et Montmartre est une mine inépuisable de gypse.

On ne sait comment s'est formée cette éminence, mais elle présente au géologue plus d'intérêt que beaucoup d'autres localités. Dans ce terrain diluvien, à la création duquel l'eau douce et la mer ont également contribué, il a été découvert des coquilles fluviatiles, des tortues, des crabes, des balanites et des brochets, des huitres et des truites, des spars et des raies. Parmi les quadrupèdes dont les ossements ont été observés par Cuvier, au sortir des carrières de Montmartre, les zoologistes out remarqué cinq espèces de palæotheriums, des civettes, des sarigues, des dasypus, des anoplotheriums, des oiseaux et des reptiles des latitudes tropicales. Dans la première couche de calcaire ont été trouvés des palmiers pétrifiés. Toutefois, ces richesses, précieuses pour le Muséum d'histoire naturelle, sont les moindres trésors de Montmartre. Sa fortune est due à son plâtre, qu'on exporte jusqu'en Amérique, et qui était renommé dès le XVIe siècle. Dans un poëme latin intitulé Lutetia, composé par Raoul Bouterais de Chateaudun, avocat au grand conseil, et imprimé chez Rollin en 1622, on lit des vers dont voici la traduction :

« Là où les compagnons de saint Denis furent mis à mort, sur le sommet d'une montagne, existe encore un village qui prend son nom du martyre de ces amis du Christ. C'est de ce lieu qu'on tire la pierre, et là même qu'on cuit le plâtre si utile et si souvent employé dans la construction de nos maisons, que par l'éclatante blancheur dont il les revêt, Paris semble une ville de plâtre. C'est au constant usage de cette matière froide et qui brave les atteintes de la flamme que notre cité doit sa tranquillité contre les accidents du feu et n'éprouve que de rares incendies.

«Les montagnes de la Bohême enfantent, après de nombreux hivers, le cristal durci dans leur sein; la Germanie nous donne le cuivre; les plaines d'Espagne nous fournissent l'acier; du flanc des Pyrénées nous arrachons le marbre.

« Toutes ces richesses de la terre sont d'un plus rare emploi et moins communs que notre modeste plâtre, dont la riche veine croit sans cesse dans une carrière inépuisable.

« Le plâtre! cette substance qui prend toutes les formes, qui, mêlé avec de l'eau, se liquéfie, et bientôt, se durcissant, se prête à toutes les inventions, à tous les caprices du génie, et, comme une circ molle et complaisante, devient sous la main de l'habile ouvrier tout ce qu'il lui plaît d'en faire, soit ornement, soit relief ou statue, et à qui il ne manque pour égaler le marbre qu'un peu plus de dureté et de solidité. »

Les anciens auteurs appelaient indifféremment la colline le mont de Mars et le mont de Mercure. Chacune de ces divinités y avait un temple, et l'historien Sauval affirme qu'il a reconnu des vestiges de constructions romaines. Il prétend même qu'en 1618 se voyait encore dans une niche une idole mutilée; peutêtre était-ce celle dont parle Hilduin, chroniqueur du 1x siècle. Il rapporte que saint Denis, saint Rustique et saint Éleuthère, qui étaient venus prêcher l'évangile dans les Gaules, furent dépouillés de leurs vêtements et fouettés aux pieds de l'idole de Mercure avant d'être conduits au supplice. (Omnes sancti martyres nudi casi et suis vestibus reinduti e regione idoli Mer

curii ad locum constitutum educti ad decollationem, sunt genua flectere jussi.)

En souvenir de cet événement dont les hagiographes fixent la date au 9 octobre 287, le mont de Mars ou de Mercure s'appela bientôt mont des Martyrs. Une charte de Dagobert, confirmée par Robert en 996, donne à l'abbaye de Saint-Denis des propriétés qui s'étendent jusqu'au mont des Martyrs, où l'illustre confesseur de Dieu a terminé ses jours (Usque ad montem Martyrum, ubi ipse perexcellentissimus Domini testis agonem suum explevit.)

Les deux temples païens furent remplacés par deux chapelles: la principale était consacrée à saint Denis, la seconde, Edicula, parva ecclesia, à ses compagnons. Cette dernière était à mi-côte, faisant face à Paris, s'appelait la chapelle du Martyre ou du Saint-Martyr; elle avait une crypte qui, comme nous le verrons tout à l'heure, eût mérité d'être conservée à titre de monument historique.

En l'année 885, Charles le Gros, marchant au secours de Paris qu'assiégeaient les Normands, planta ses tentes sur le versant méridional du mont de Mars. C'est ce que nous apprend Abbon, poëte contemporain:

....Tentoria figens,

Sub Martis pedibus montis, speculamque secundùm.

Peu à peu le nom de mont des Martyrs s'est syncopé en celui de Montmartre, qui a prévalu sur l'ancienne dénomination. Frodoard, chanoine de l'église de Reims, dit dans sa chronique, qu'en l'an 944 une trombe extraordinaire s'abattit sur Montmartre une maison romaine, qui avait bravé les siècles, fut renversée de fond en comble, et les poutres qui en furent arrachées par l'ouragan démolirent les murailles d'une église voisine. Au milieu de la tempête, le peuple crut voir des démons quí, sous la forme de cavaliers, couraient sur la montagne et détruisaient les vignes et les moissons.

Nous voyons par là qu'à Montmartre, comme à Auteuil et dans d'autres localités de l'ancienne banlieue, la vigne était cultivée; seulement le vin de Montmartre n'était connu qu'à cause de ses qualités diurétiques, constatées par ce proverbe trivial qu'on nous pardonnera de citer:

C'est du vin de Montmartre, Qui en boit pinte en pisse quatre.

Suivant la chronique de Baudry, grand chantre de la cathé drale de Cambrai, Othon II, empereur d'Allemagne, faillit être pris, en 977, à Aix-la-Chapelle, par les Français. Il jura que, pour se venger, il irait chanter un Alleluia dans l'église de Montmartre, et il y vint en effet l'an 980; mais Hugues Capet le força promptement à prendre la fuite.

Pourtant l'Alleluia fut chanté.

En 1096, Bouchard IV, seigneur de Montmorency, possédait la principale église de Montmartre, le cimetière, le tiers de la dîme et d'autres biens que tenaient de lui comme vassaux Vaultier Payen et sa femme Hodierne. Il les céda aux Bénédictines de Saint-Martin-des-Champs, auxquelles fut également abandonnée la chapelle du Saint-Martyr, comme Chronique du prieuré royal, dont nous avons fait l'histoire en parlant du IIIe arrondissement: Parva ecclesia quæ in colle montis Martyrum est et a vulgo appellatur Sanctum Martyrium.

porte la

Louis le Gros et sa femme Adélaïde ou Alix de Savoie, fondèrent sur la butte Montmartre un couvent de Bénédictines. Par des actes, dont les curieux peuvent trouver le texte dans les Antiquités de Paris du père Dubreul, les moines de Saint-Martin-des-Champs acceptèrent Saint-Denis-de-laChartre en échange de tout ce qu'ils possédaient à Montmartre. Une nonvelle église, qui existe encore aujourd'hui, fut consacrée, le 21 avril 1147, par le pape Eugène III, qui officia solennellement, en ayant pour diacre saint Bernard et pour sous-diacre Pierre le Vénérable. L'édifice fut placé sous le vo cable de l'apòtre saint Pierre; mais le dimanche qui suivit l'Ascension, Eugène III revint consacrer l'abside et deux chapelles latérales, qui, sous l'invocation de Notre-Dame et de saint Denis, furent réservées à l'usage exclusif des Bénédic tines. La reine Adélaïde ou Alix de Savoie désira être enterrée dans l'église de Montmartre. Son mausolée, qui fut transféré en 1643 sous le chœur, portait cette épitaphe:

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