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Le XVII arrondissement se compose exclusivement de terrains annexés. Si la superficie qu'il couvre avait été antérieurement dans Paris, il est probable qu'elle serait déserte; mais les propriétaires parisiens ont parfois d'insatiables exigences; les droits d'octroi augmentent dans une proportion notable les dépenses quotidiennes. Que font les malheureux retenus à Paris par leurs occupations et qui n'entrevoient point la possibilité de joindre, comme on dit vulgairement, les deux bouts? Ils sont placés dans une alternative des plus cruelles : il faut aller vivre de peu à la campagne et perdre sa place, ou la conserver pour mourir de faim à Paris.

Des individus soumis à ce dilemme ont peuplé Sablonville, les Ternes, Monceaux et les Batignolles.

Une fois que l'on avait franchi le mur bâti par les fermiers généraux, on arrivait dans une sorte de paradis relatif, où les barrières et les péages étaient inconnus, où les avantages incontestables de la vie indépendante et sauvage s'alliaient aux bénéfices de la civilisation. De nombreux émigrants prirent le baton de voyage et se dirigèrent vers la zone affranchie des droits d'octroi sur la viande, les vins, les cidres, les bières, les vinaigres, les huiles, la houille, le bois à brûler, le plâtre, etc. Ainsi se constituèrent des villages, dont le véritable fondateur est l'octroi de Paris. Ils lui doivent une extension qu'ils n'au

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raient jamais acquise, si, comme le demandaient les hommes les plus avancés en économie politique, des taxes nouvelles avaient remplacé les impôts perçus aux barrières sur la consommation.

Sablonville, dont une partie seulement a été réunie à la capitale, s'est élevé peu à peu dans l'aride plaine des Sablons, qu'on avait tenté vainement d'utiliser. Louis XV y passait tous les ans, dans les premiers jours de mai, la revue des gardes françaises et des gardes suisses; en ces occasions, il venait de Versailles par Sèvres, traversait le bois de Boulogne et entrait aux Sablons par la porte Maillot.

Les érudits présument qu'auprès de la porte Maillot était au moyen âge un jeu de mail, et que les amateurs de cet exercice, encore répandu en 1860 dans la partie méridionale de la France, lançaient des boules de buis, avec des masses recourbées, sur le rond-point des Sablons.

La Convention créa un camp dans la plaine des Sablons, par ce décret en date du 13 prairial an II (1er juin 1794): « Art. 1er. Il sera envoyé à Paris, de chaque district de la république, six jeunes citoyens, sous le nom d'élèves de l'École de Mars, de l'âge de seize à dix-sept ans et demi, pour y recevoir, par une éducation révolutionnaire, toutes les connaissances et les mœurs d'un soldat républicain.

« Art. 2. Les agents nationaux des districts feront, sans délai, le choix de six élèves parmi les enfants des sans-culottes.

« La moitié des élèves sera prise parmi les citoyens peu fortunés des campagnes; l'autre moitié dans les villes, et, par préférence, parmi les enfants des volontaires blessés dans

Imprimerie de J. Claye, rue Saint-Benoit, 7.

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les combats ou qui servent dans les armées de la république. « Art. 3. Les agents nationaux choisiront les mieux constitués, les plus robustes, les plus intelligents et qui ont donné des preuves constantes de civisme et de bonne conduite.

« Ils seront tenus de faire imprimer et afficher dans le district le tableau des citoyens qu'ils auront choisis.

« Art. 4. Les élèves de l'École de Mars viendront à Paris à pied et sans armes; ils voyageront comme les défenseurs de la république, et recevront l'étape en route.

«L'un d'eux sera chargé par le district d'une surveillance fraternelle sur ses collègues en route, et sera responsable de leur conduite.

«Art. 5. Les agents nationaux des districts sont autorisés à leur donner l'état de route nécessaire pour se rendre à Paris; ils prendront des mesures telles que les élèves de leur arrondissement soient en route dix jours après la réception du décret par la voie du Bulletin.

«Art. 6. Il ne sera pas reçu d'élèves dans l'École de Mars après le 20 messidor.

« Art. 7. L'École de Mars sera placée à la plaine des Sablons, près Paris.

« Les élèves y trouveront à leur arrivée un commissaire de guerre chargé de les recevoir et de les placer.

« Art. 8. La commune de Paris, à raison de sa population, fournira quatre-vingts élèves; l'agent national de la commune les choisira selon les mêmes conditions que ceux des districts, et en soumettra la liste à l'approbation du comité de salut public.

« Art. 9. Les élèves de l'École de Mars seront habillés, armés, campés, nourris et entretenus aux frais de la république.

« Art. 10. Ils seront exercés au maniement des armes, aux manoeuvres de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie. «Ils apprendront les principes de l'art de la guerre, les fortifications de campagne et l'administration militaire.

«Ils seront formés à la fraternité, à la discipline, à la frugalité, aux bonnes mœurs, à l'amour de la patrie et à la haine des rois.

« Art. 11. Les élèves resteront sous la tente tant que la saison le permettra.

« Aussitôt que le camp sera levé, et en attendant qu'ils aillent faire leur service aux armées, ils retourneront dans leurs foyers, où ils seront admis à d'autres genres d'instruction, suivant l'aptitude et le zèle qu'ils auront montrés.

«Art. 12. L'École de Mars est placée sous la surveillance immédiate du Comité de salut public, qui est autorisé à prendre toutes les mesures nécessaires pour l'exécution du présent décret; et, pour remplir l'objet de cette institution révolutionnaire, il choisira les instituteurs et agents qui doivent être employés près des élèves, et les plus propres à leur donner les principes et l'exemple des vertus républicaines. »

Ce décret fut exécuté avec un zèle stimulé par les dangers de la France: la plaine se couvrit de tentes; les magasins nationaux fournirent des fusils, des piques, des outils, des ustensiles de toute sorte. Les jeunes gens, qui affluèrent, reçurent chacun un uniforme et un sabre; puis ils commencèrent à se former à l'art de la guerre, sous la direction d'instructeurs expérimentés.

Le camp des Sablons fut levé à la fin de 1794. Le 23 octobre (2 brumaire an 11), Guyton fit à la Convention un rapport sur les exercices, les manœuvres et les études auxquelles les élèves avaient été soumis; et l'assemblée, en vertu de l'art. 11 du décret précédent, rendit un second décret qui ordonnait qu'ils retourneraient dans leurs foyers. Le Comité de salut public était autorisé à placer dans les armées de la république ou à employer dans d'autres fonctions ceux des élèves et de leurs instituteurs qui y seraient propres. Les dernières dispositions du décret portaient :

«La Convention nationale déclare qu'elle est satisfaite de la conduite des élèves de l'École de Mars et de leurs progrès dans les différents genres d'instruction qui leur ont été donnés, ainsi que du zèle des instructeurs et agents qui ont concouru à former cet établissement.

«La Convention attend des élèves de l'École de Mars qu'ils conserveront les vertus républicaines qu'on leur a inspirées, et que, par leur entier dévouement à la patrie, ils s'acquitteront envers elle du bienfait qu'ils en ont reçu.

« Le présent décret et le rapport seront insérés au Bulletin de correspondance, imprimés et distribués. Il en sera remis un

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Une route qui part de la porte Maillot et se prolonge jusqu'à Saint-Denis traverse au sud-ouest du XVII arrondissement, une partie des fortifications; on la nomme le chemin de la Ré volte, quoique sa tranquillité n'ait jamais été troublée par la moindre insurrection. Au mois de mai 1750, un exempt de police enleva un enfant dans le faubourg Saint-Antoine, probablement pour quelques peccadilles : la mère éplorée ameuta ses voisins; des malveillants répandirent le bruit absurde que la police enlevait les enfants; que ces malheureux étaient sacrifiés, et que leur jeune sang servait à composer d'affreux bains, au moyen desquels on rendait un peu de force au roi et à ses courtisans épuisés par la débauche. Dans plusieurs quartiers, et principalement au faubourg Saint-Antoine, des agents de police furent maltraités. Menacé dans son hôtel par un attroupement, le lieutenant de police Berrier prit la fuite; ses serviteurs, effrayés, crurent devoir, pour calmer l'effervescence, ouvrir la porte à deux battants. Tandis que la foule hésitait à entrer, les gardes françaises et suisses, la maison du roi et les compagnies de mousquetaires survinrent, dispersèrent les mutins et s'emparèrent des plus récalcitrants, qui furent envoyés à la potence.

Instruit de cette échauffourée, soit qu'il appréhendât quelque attentat, soit qu'il voulut priver les Parisiens de sa présence, Louis XV, qui devait se rendre de Saint-Denis à Compiègne, évita de traverser la capitale; il fit contruire à la hâte ce chemin de la Révolte, auquel la catastrophe du 13 juillet 1842 a donné une si triste célébrité.

Le duc d'Orléans devait aller à Saint-Omer inspecter des régiments désignés pour le corps d'armée d'opération sur la Marne, puis rejoindre sa femme aux eaux de Plombières.

A onze heures du matin, il monta seul dans un cabriolet à quatre roues en forme de calèche, attelé de deux chevaux à la Daumont. C'était une voiture excellente, qui avait été visitée avec soin dans la matinée.

L'intention du prince, en quittant les Tuileries, était d'aller au château de Neuilly faire ses adieux à sa famille; il avait l'habitude de suivre l'avenue qui est perpendiculaire à la porte Maillot; mais, le 13 juillet, il suivit la route transversale qui coupe le village de Sablonville pour regagner l'ancien chemin de Neuilly jusqu'à la cour d'honneur du parc.

L'atmosphère était brûlante; quand les chevaux haletants arrivèrent devant la porte Maillot, le postillon ne les maitrisait plus qu'avec peine, quoique son porteur eût seul pris le galop. Naturellement, entre les deux routes, l'une perpendiculaire, l'autre diagonale, qui s'offraient à eux, ils prirent celle qu'ils avaient l'habitude de suivre, et, à ce moment, comme cela arrive souvent aux chevaux qui sentent les approches leur écurie, leur vitesse augmenta. Le porteur donna même quelques ruades dans son palonnier. Attaché très-court, ainsi

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ture s'arrêtait.

Le prince était resté sans connaissance; on le transporta dans l'arrière-boutique d'un épicier nommé Cordier. Le maître de la maison, le postillon, les trois ouvriers le déposèrent sur deux matelas, la tête près du fourneau où l'on faisait ordinaiment la cuisine. Plusieurs médecins accoururent, et le prince fut saigné, mais sans que son état s'améliorat; la blessure qu'il avait à la tête comprenait à la fois la contusion, la déchirure, la fracture, l'écartement des sutures, toutes les lésions imaginables; l'évanouissement se prolongeait, et le mourant ne faisait entendre que quelques mots incohérents prononcés en langue allemande.

Bientôt arriva la famille royale; sans attendre leur voiture, Louis-Philippe et la reine se rendirent à pied dans le triste séjour où l'héritier du trône agonisait. Ils furent suivis des princesses Adélaïde et Clémentine, du duc d'Aumale et du duc de Montpensier, du maréchal Soult, du maréchal Gérard, des ministres de la justice, des affaires étrangères, de l'intérieur, de la marine, des finances et de l'instruction publique. Le chancelier de France, le préfet de police, les généraux Pajol et Aupick furent introduits dans un espace laissé libre près de la maison et entouré d'un cordon de sentinelles.

Le docteur Pasquier fils, premier chirurgien du duc d'Orléans, n'avait point dissimulé à Louis-Philippe la gravité de la situation. Debout, immobile, le roi suivait en silence les progrès du mal; la reine et les princesses étaient à genoux près du lit. Un témoin oculaire de cette scène déchirante, le docteur Vincent Duval, en a raconté en ces termes les lugubres péripéties:

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Appelé le premier auprès du prince royal après sa funeste chute, je crois devoir publier le récit détaillé des circonstances qui ont accompagné sa mort. Dans la précipitation du premier moment, quelques faits ont été omis ou dénaturés. Je garantis l'exactitude de ceux qui suivent.

« A mon arrivée dans la maison où l'on avait porté le prince, je trouvai déjà auprès de lui M. Not, qui était venu sur les lieux au moment de l'accident. M. Ley arriyait en même temps que moi. Nous fûmes les seuls médecins qui assistèrent le blessé de onze heures et demie à une heure; c'est à cet instant qu'arriva M. le docteur Putel, de Neuilly.

« Le prince était étendu sur deux matelas. «Sa tête, penchée sur sa poitrine, se balançait alternativement à droite et à gauche, selon les mouvements qu'on imprimait au corps. La respiration était profonde et suspireuse; les yeux à demi fermés, le regard éteint comme celui des agoni

sants.

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Après avoir enlevé les vêtements du prince et l'avoir placé convenablement, nous examinàmes ses membres et la voûte du crane, et nous ne trouvâmes aucun signe sensible de fracture, ni crépitation, ni saillie, ni dépression. La région frontale présentait une contusion s'étendant de la racine des cheveux au sourcil droit. La face dorsale du corps de la main gauche offrait également des traces de contusion et d'un gonflement trèsnotable; il y avait du sang dans la bouche et dans l'oreille droite.

Les premières indications ayant été remplies, on pratiqua une saignée qui amena peu de changement. Cependant le pouls se releva et le malade exécutait quelques mouvements. Le

prince cherchait surtout à détacher la bande de la saignée, et certains indices portaient à croire qu'il était vivement sollicité par le besoin de satisfaire la fonction urinaire. La région hypogastrique était légèrement météorisée. Ces manifestations de sensibilité et d'intelligence semblaient indiquer que le prince avait quelque conscience de son état. Mais l'autopsie nous a fait connaître des lésions d'une telle gravité du côté du centre nerveux encéphalique, qu'une seule d'entre elles suffirait nonseulement pour suspendre ou anéantir les facultés de relation, mais même pour être suivie instantanément de la mort. La violence du choc avait été telle, que si une partie de la force contondante n'avait été absorbée par l'ébranlement, la désarticulation et la fracture des os, le prince aurait inévitablement été comme foudroyé sous le coup.

«Nous avions donc devant nous tout l'appareil phénoménal qui caractérise les commotions cérébrales au troisième degré, c'est-à-dire une de ces complications chirurgicales contre lesquelles toutes les ressources de la science sont impuissantes. Quelles étaient l'étendue et la profondeur du mal? Fallait-il agir ou rester spectateur impassible de cette terrible scène, à laquelle nous avons assisté pendant cinq heures? Hélas! l'autopsie est venue tristement révéler l'inutilité de nos soins. Le prince était perdu.

« Nous recourùmes aux lotions réfrigérantes sur la région frontale, aux aspirations stimulantes, aux frictions sèches. Le coma persistait: pas un signe d'intelligence, toujours des mouvements automatiques. Il était midi. Ce fut dans ce moment qu'arriva le roi, accompagné de la reine, de Mae Adélaïde, de la princesse Clémentine, suivi de M. le maréchal Gérard, de MM. les lieutenants généraux Atthalin, Gourgaud, Rumigny, et de M. Gabriel Delessert.

«La reine se précipita à genoux au pied du grabat où était étendu son malheureux fils. Jamais désolation et amour de mère n'éclatèrent en expressions plus déchirantes. Au milieu de cette scène de désespoir, le roi seul sut maîtriser sa profonde douleur. Sa Majesté demanda si l'on avait reconnu quelques fractures. Ce fut avec hésitation qu'une réponse négative fut donnée.

« Alors le roi, engageant les médecins à continuer leurs soins à son fils, s'approcha de la reine, chercha à la consoler et à la rassurer, en lui rappelant plusieurs accidents semblables qui lui étaient arrivés à lui-même.

« Cependant l'état du malade allait toujours en s'aggravant : soixante sangsues furent appliquées à la base du crâne. Ce fut pendant cette opération que le prince prononça quelques paroles fugaces, sans suite et en allemand. Il cherchait aussi à arracher les sangsues, comme s'il était sensible à la douleur qu'elles causaient. Il était alors une heure et demie; les sinapismes furent appliqués.

« Le pouls, qui avant la saignée était bas, dépressible, filiforme, avait repris un rhythme presque normal; toutefois, la respiration devenait de plus en plus difficultueuse, bruyante, entrecoupée; l'illustre blessé s'agitait et exécutait des mouvements brusques. Bientôt les mouvements automatiques cessèrent pour faire place à un autre appareil de symptômes. Les membres inférieurs, qui jusqu'alors avaient été immobiles, flasques, devinrent le siége d'un tremblement général, auquel succédèrent des contractions désordonnées, convulsives.

« Les articulations se fléchissaient brusquement, puis s'étendaient par intervalles irréguliers. Peu à peu les mouvements devinrent moins fréquents et cessèrent enfin, laissant dans les parties comme une roideur tétanique. Je remarquai une tension dans les masseters et un mouvement spasmodique des mâchoires. La respiration devenait stertoreuse; le pouls baissa de nouveau et devint filiforme... l'anxiété et le découragement étaient sur tous les visages.

« La reine était toujours agenouillée au pied du lit de son fils mourant, invoquant le ciel, suppliant Dieu d'accorder un instant de connaissance à son fils. En échange de ce bienfait, elle offrait toute son existence. Autour de cette reine, de la meilleure des mères, se pressait son illustre famille, dont la consternation était non moins grande. Rien n'égalait la désolation du duc d'Aumale, qui s'écriait sans cesse : « Oh! quand Joinville saura ce malheur!... » La désolation du duc de Montpensier était aussi bien vive.

« Le roi contemplait cette scène d'affliction avec une résignation plus poignante encore que toutes les douleurs. Le ma

réchal Gérard, les généraux Atthalin, Gourgaud, Rumigny et M. le préfet de police Delessert veillaient à l'exécution de tous les ordres que le roi donnait lui-même. Leur activité suppléait à tout dans ce triste moment. Les médecins, profondément émus, osaient à peine lever les yeux sur ces grandes infortunes; car partout on ne rencontrait que regards contristés qui interrogeaient, et pas une lueur d'espoir à offrir!

« MM. les ministres et de hauts fonctionnaires arrivèrent sur ces entrefaites. On introduisit aussi auprès du prince MM. les docteurs Destouches, médecin de la maison du roi à Neuilly, et Deschaumes, des Ternes. Ils ne tardèrent pas à être suivis de MM. Pasquier fils, premier chirurgien du prince, et Pasquier père, premier chirurgien du roi, et quelque temps après de M. Blandin. M. Pasquier fils, s'étant fait rendre compte de ce qui avait été fait, approuva les moyens qu'on avait employés, procéda immédiatement à l'application d'un grand nombre de ventouses scarifiées et sèches sur le tronc et les membres.. Des frictions éthérées et ammoniacales secondèrent ces moyens. « Vers les deux heures, M. le curé de Neuilly, que la reine avait demandé à plusieurs reprises, vint administrer l'extrêmeonction à Son Altesse Royale.

« L'état du prince continuait à s'aggraver, les convulsions prirent une nouvelle intensité, les membres, les inférieurs surtout, étaient agités de mouvements convulsifs violents; leurs muscles étaient le siége d'un frémissement spasmodique continuel. La respiration devenait de plus en plus difficile, le pouls radial disparut bientôt, et vers trois heures on n'apercevait plus que vaguement les pulsations des carotides; le globe oculaire, à demi voilé, était immobile, la pupille dilatée et fixe. Une échymose s'était déclarée autour de l'œil droit.

« On suspendit un instant toute médication; le roi et la reine crurent voir dans cette détermination un indice de la fin prochaine du prince; ils se précipitèrent soudainement vers leur fils, l'embrassèrent à plusieurs reprises en sanglotant, et lui firent de déchirants adieux. Puis les princes et les princesses vinrent aussi couvrir de leurs embrassements l'illustre mourant. La reine, au milieu de ses transports douloureux, répétait sans cesse : « Oh! comment annoncera-t-on ce malheur à cette « pauvre Hélène? » Quelques moments après, la duchesse de Nemours arriva, partageant la désolation de sa famille.

« La mort était imminente. Pendant cette longue, cette pénible agonie, on recourut encore à l'emploi de quelques moyens dérivatifs. Le pouls carotidien était extrêmement faible, et même cessait d'être sensible par intervalles; le visage pâle, les lèvres violacées. La respiration, devenue râleuse, allait aussi en s'affaiblissant, et était même suspendue par moments. Plusieurs fois on crut le prince mort; puis une inspiration profonde, luctueuse, arrachait du doute, et était de nouveau suivie d'une suspension complète de tout phénomène vital.

« Ce fut une lutte pénible et affreuse, dans laquelle on voyait cette précieuse existence se ruiner et s'éteindre dans les plus cruelles alternatives. Il y avait dans les oscillations de ce souffle mourant tant de hautes destinées!... A quatre heures et demie, l'auguste agonisant rendait le dernier soupir.

« Le clergé fut introduit, et tout le monde s'agenouilla... Nous avons vu là, dans un misérable galetas, le plus triste et le plus solennel spectacle qu'on puisse contempler. Le roi, la reine, princes et princesses, ministres de la couronne et ministres de Dieu, tous les plus grands dignitaires de l'Etat, agenouillés autour d'un grabat, sur lequel gisait l'héritier présomptif du trône de France, pour lequel, dans ce moment lugubre, on récitait les prières des morts.

« Il est impossible de dire toutes les douleurs qui, dans ce moment suprême, ont éclaté. Il serait surtout difficile de dire laquelle des deux souffrances était la plus grande, ou de celle de cette reine qui, comme mère, pouvait pleurer, gémir et se désoler... ou de celle de cet auguste père qui devait opposer une royale résignation à la plus profonde affliction qui puisse accabler une âme humaine. »

Lorsque tout fut fini, la dépouille mortelle du duc d'Orléans fut placée sur une litière recouverte d'un drap blanc. La reine refusa de monter en voiture, et déclara qu'elle accompagnerait le corps de son fils jusqu'à la chapelle du palais de Neuilly, où elle désirait qu'il fût exposé. On fit venir, pour former la haie sur le passage du cortége funèbre, une compagnie d'élite du 17 régiment d'infanterie légère, qui avait accompagné naguère le duc d'Orléans dans l'expédition des Portes-de-Fer.

Le convoi se mit en route à cinq heures. Le lieutenant général Athalin marchait en avant de la litière, que portaient quatre sous-officiers.

Derrière le corps suivaient à pied : le roi, la reine, M Adélaide, la duchesse de Nemours, la princesse Clémentine, le duc d'Aumale, le duc de Montpensier.

Venaient ensuite le maréchal Soult, les ministres, le maréchal Gérard, les officiers généraux, les officiers du roi et des princes et toute la foule des assistants.

Le convoi parcourut ainsi l'avenue de Sablonville, franchit la vieille route de Neuilly, et entra dans le parc royal, qu'il traversa dans toute sa longueur. Le roi n'avait voulu céder à personne le droit de conduire ce premier deuil de son fils ainé. Ferdinand-Philipppe-Louis-Charles-Henri-Joseph d'Orléans était né à Palerme, le 3 septembre 1810. Elevé dans l'exil, il avait été porté par les événements à un rang auquel sa naissance même ne lui permettait point d'aspirer. La couronne lui était promise; les qualités de son cœur et de son intelligence l'avaient rendu populaire; il était plein de force et de jeunesse; et, victime d'une fatale imprudence, l'héritier du trone venait expirer dans l'arrière-boutique d'un épicier!

CHAPITRE III.

La Chapelle Saint-Ferdinand. Acquisition de la maison Cordier. - Inauguration de la chapelle. -Les deux pendules. Statues par Triquetti et la princesse Marie.

Le corps du duc d'Orléans fut transféré dans les caveaux de Dreux; mais il fut décidé qu'une chapelle serait élevée à la place où il avait rendu le dernier soupir. La maison de M. Cordier et quelques propriétés limitrophes furent acquises, au prix modique de 110,000 francs. Les plans de l'édifice furent arrêtés entre Lefranc, architecte du domaine privé, et Fontaine, architecte des bâtiments de la couronne. La première pierre fut posée le 21 août 1842, et les travaux furent poussés activement.

La chapelle fut inaugurée le 11 juillet 1843. Dès neuf heures, la route de la Révolte, depuis le bastion du parc royal jusqu'au rond-point de la porte Maillot, était occupée par les brigades de gendarmerie de Neuilly, de Boulogne et de Vincennes, et nar dix escouades de sergents de ville, ayant à leur tête le préfet de police et plusieurs commissaires de police, entre autres celui du 1er arrondissement de Paris.

A dix heures, la troupe s'échelonna sur la route, depuis le parc royal jusqu'à l'avenue de Neuilly, et fit reculer les curieux jusqu'à la porte Maillot.

Le roi et la famille royale se rendirent à la chapelle par la route de la Révolte; leur cortége se composait de huit voitures; celle où se trouvait la duchesse d'Orléans était en deuil.

A dix heures et demie, l'office fut célébré par l'archevêque de Paris, assisté d'une partie de son clergé et de celui de la commune de Neuilly.

Louis-Philippe, la reine et la famille royale, en grand deuil, s'agenouillèrent sur le premier rang des fauteuils disposés en avant du maître-autel. Les princesses avaient la tête enveloppée d'un voile. Tous les regards se portaient particulièrement sur la duchesse d'Orléans, plongée dans un sombre et morne recueillement.

Derrière la famille royale, on revoyait presque toutes les personnes qui avaient assisté, un an auparavant, à la longue agonie du prince.

Après la bénédiction intérieure et extérieure de la chapelle, les cierges furent placés sur l'autel, et l'archevêque de Paris, ayant revêtu la chape de deuil, dit une messe basse.

A la suite de la bénédiction, le roi, la reine et les princesses visitèrent les appartements qui avaient été disposés dans un édifice voisin de la chapelle, tant pour eux que pour le desservant et le sacristain. Sur la cheminée de la salle principale, une pendule en marbre noir représentait la France pleurant sur une colonne brisée qui portait les chiffres F. P. O., et reite date 13 juillet 1842. L'aiguille du cadran marquait l'heure à laquelle le duc d'Orléans s'était précipité de sa voiture: midi moius dix minutes. Dans une autre salle, une se

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