Imatges de pàgina
PDF
EPUB

F

de vivre dans cette opulence monacale passée depuis en pro

verbe:

"

« Samedy,» dit-il, « quatre de ce mois, Jour du bien-heurenx saint François, "Sa feste fut solennisée,

"Et sa vertu timpanizée

"Par tout plein de grands orateurs
Qui plus, qui moins, prédicateurs,
Surtout, aux récolets d'Irlande,
« Dont l'églize n'est guère grande,
« Et leur convent, en vérité,

a Plus remply de nécessité,

• Manquement, souffrance et misère,
Que pas un autre monastère,
Dénué pauvre et languissant;

« Et, cecy soit dit en passant

Pour exciter les saintes âmes

Des gens pieux, des bonnes dames,
D'employer leur zèle chrétien

A leur faire, ou donner du bien. »

Par suite de l'insuffisance des bâtiments, eu égard aux beboins du service, la maison fondée par saint Vincent de Paul fut réunie à celle de la rue des Récollets par un décret rendu sur le rapport du ministre de l'intérieur en date du 9 thermido an (17 juillet 1794). A l'époque de la suppression totale des communautés et congrégations religieuses, le département des hôpitaux administra les Incurables, qui, jusqu'alors avaient été régis par des associations particulières. Par un arrêté en date du 22 brumaire an n (12 novembre 1793), on plaça un proviseur à la tête de l'hôpital; des séculiers de l'un et de l'autre sexe furent employés au service général. Pendant le cours de la première année, les bâtiments furent augmentés, afin que l'on put recevoir un plus grand nombre d'individus.

Néanmoins, on ne pouvait en recevoir au delà de soixante. Ce fut la Convention nationale qui décida, par un décret, que l'ancien couvent des Récollets, situé dans le même faubourg et à peu de distance du Saint-Nom-de-Jésus, ferait partie de l'hôpital. Cet établissement était destiné à recevoir les personnes âgées ruinées à la suite des événements politiques, et que de graves infirmités mettaient dans l'impossibilité de pouvoir suffire à leurs besoins. Il fut également décidé que les admissions dans l'établissement seraient divisées en deux classes trois cinquièmes des vieillards reçus devaient payer une pension qui était de 300, 400 ou 500 fr., selon la position des intéressés, ou bien ils faisaient l'abandon d'une partie ou de la totalité des débris de leur fortune. Pour les deux autres cinquièmes, l'admission était gratuite. On recevait des personnes des deux sexes et même des ménages. Les uns et les autres étaient tenus d'apporter un mobilier complet et le linge nécessaire à leur usage. La population totale de l'établissement fut fixée à cinq cents individus. En l'an x, l'hospice des Vieillards prit le nom d'hôpital des Incurables (hommes). Ce fut vers cette époque que l'administration, dénuée de ressources, se vit dans la nécessité de confier la direction de l'établissement à des entrepreneurs qui spéculèrent honteusement sur la vie et la santé des vieillards confiés à leurs soins. Les logements étaient insalubres, malpropres; la nourriture à peine suffisante et de mauvaise qualité. De semblables abus furent réprimés, et une administration toute paternelle, désireuse de contribuer avant tout au bien-être moral et physique des incurables, succéda bientôt au régime des entrepreneurs.

L'établissement ainsi reconstitué subsista sous l'empire et la restauration. En 1856, la charitable solicitude de l'impératrice voulut y ajouter un vaste bâtiment appelé pavillon Eugénie, [qui fut construit à ses frais. Il peut recevoir environ 280 lits, en y comprenant l'infirmerie. Un ingénieux système de conduite, alimenté par la Seine, fait monter l'eau jusqu'au troisième étage.

Le local est vaste, aéré, chauffé depuis le mois de novembre jusqu'en avril; et, dans le détail des constructions de l'intérieur du bâtiment, toutes les dispositions ont été prises pour contribuer au bien-être et au repos des vieillards. Vingt-cinq sœurs de Saint-Vincent de Paul sont employées aux diverses parties du service de l'établissement.

Les conditions actuelles d'admission sont les suivantes : 1° Etre inscrit au bureau de bienfaisance; 2° avoir été domicilié au moins pendant deux ans dans le département de la Seine; 3° être âgé de soixante ans et avoir des infirmités incurables. L'admission est gratuite. Les vieillards admis à l'hos

149

pice font trois repas par jour et ont droit à 32 centilitres de vin. I's jouissent d'une pleine liberté, pourvu qu'ils se conforment aux règlements de la maison.

Un local servant d'atelier est disposé pour recevoir ceux d'entre eux auxquels leurs infirmités permettent d'exercer un état manuel tel que celui de cordonnier, tailleur, etc. Ils ont le droit de disposer du produit de leur travail, et peuvent ainsi améliorer leur position dans la mesure de leurs forces.

L'aspect de l'établissement n'a rien de triste: il se compose d'un vaste bâtiment qui se prolonge parallèlement à la rue des Récollets; à droite se trouve le pavillon Eugénie, et à gauche l'ancien local occupé autrefois par les religieux du monastère des Récollets, dont l'église renfermait le mausolée de Mme de Créquy, femme du duc de Sully, ministre de Henri IV, et celui du duc de Roquelaure. Au no 150 de la rue du faubourg SaintMartin s'ouvrait l'entrée du couvent, devenue plus tard celle de l'hôpital des Incurables. A cette hauteur se trouvait, il y a quelques années, sur la rue du faubourg Saint-Martin, un mur presque entièrement dégradé et qui menaçait ruine; c'était de ce côté la clôture de l'hospice. Depuis, l'administration de l'Assistance publique l'a remplacé par des maisons de construction moderne; des boutiques y ont été installées, ce qui a donné la vie et le mouvement à ce quartier auparavant triste et désert. En 1848, cette entrée a été supprimée, elle existe maintenant rue des Récollets; elle est fort simple et n'a rien qui attire l'attention. Il est question d'y établir une grille reliée à ses extrémités par deux pavillons d'une construction élégante. En face du corps de logis principal se trouve un vaste jardin ombragé dans quelques-unes de ses parties et qui sert de promenade aux habitants de l'hôpital. Par une belle journée de printemps, lorsque le soleil vient égayer cette verdure, il est intéressant d'observer ces vieillards à la démarche lente et pénible, et dont les forces semblent renaître à cette vivifiante chaleur. Les uns se promènent à pied, d'autres, plus infirmes, dirigent de leurs bras affaiblis une petite voiture dans laquelle ils sont placés, et qui leur permet de se transporter sans fatigue d'un lieu à un autre.

En général, leur physionomie est calme et parfois souriante. Quoique au déclin de l'existence, la plupart d'entre eux mettent en pratique ce sage précepte qu'ont poétisé ces vers de SaintÉvremond:

Attendant la rigueur de ce commun destin,

Mortel! aime la vie et n'en crains pas la fin.

Hélas! s'il était permis d'entrevoir le passé et de fouiller dans l'existence de ces vieillards, que de luttes, que de déceptions, que d'amertumes on y trouverait! Il en est qui ont occupé de brillantes positions, l'avenir pour eux était rayonnant, et un jour, je ne sais quel mauvais destin est venu détruire tant de beaux rêves, tant d'espérances brisées dont le souvenir leur fait encore battre le cœur... à l'hospice des Incurables où ils sont venus abriter les derniers jours que Dieu leur a comptés sur la terre.

Quand on sort de l'hospice des Incurables, on aperçoit sur le mur d'un petit pavillon occupé par le concierge un tableau noir sur lequel se trouvent collés des carrés de papier. Nous nous sommes approchés; voici ce que contenait l'un d'entre

eux :

SALLE SAINT-MARTIN, N° 9.

JACQUES ANDRÉ N.....

Ivresse. Récidive.

Quinze jours de consigne.

Telle est la pénalité infligée aux contrevenants.

:

« Vieille histoire de la vie, nous sommes-nous dit avec M. Delattre, le spirituel auteur des Voyageurs en chemin de fer, la mère Nature, en naissant, nous a munis de deux facons dans l'un, une liqueur active, vivifiante, pleine de gaieté et d'ivresse; dans l'autre, une boisson fade, incolore comme l'eau. Ce vieillard n'est-il pas excusable, au banquet de la vieille se, de vider trop brusquement le flacon des fortes aspirations, des divines illusions, en laissant de côté le mélancolique flacon d'eau insapide? N'est-ce pas reposer, dans un moment d'oubli, ses cheveux gris sur l'oreiller vermeil de sa jeunesse pour s'endormir dans les rêves d'autrefois? »

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Nous avons dit que la maison de Saint-Lazare, à laquelle apartenait l'enclos Saint-Laurent, avait été primitivement une léproserie.

La lépre, caractérisée par d'affreux ulcères, par le gonflement des membres, par le développement de tubercules monstrueux sur le visage, avait, de temps immémorial, désolé l'Orient. Les chapitres xm et xiv du Lévitique renferment la description de cette effroyable maladie, l'indication des moyens curatifs, et la prescription des sacrifices pour la purification des lépreux. On suppose qu'il s'agit d'un de ces misérables dans le chapitre xvi de l'évangile de saint Luc: « Il y avait un homme riche, qui était vêtu de pourpre et de lin, et qu'on traitait magnifiquement tous les jours. Il y avait aussi un pauvre homme appelé Lazare, couché à sa porte, tout couvert d'ulcères, qui eût bien voulu se pouvoir rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche; mais personne ne lui en donnait, et les chiens venaient lui lécher ses plaies. » L'évangile ajoutant que le pauvre, après sa mort, fut porté par des anges dans le sein d'Abraham, les premiers Pères de l'Église n'hésitèrent pas à le canoniser, et en firent tout naturellement le patron des épreux. Sous son invocation se constitua, pendant les Croisades, un ordre de chevalerie qui se voua à l'as sistance des lépreux et à la défense des pèlerins.

Rien de positif sur l'origine de la léproserie de Saint-Lazare, dont les titres furent dispersés pendant la domination des Anglais, comme le constatent des lettres de Charles VI en date du 1er mai 1404. Cet établissement, gouverné par un prêtre qui prenait la qualité de prieur, était-il un couvent régulier? Après avoir feuilleté une multitude d'in-folios, saint Victor se prononce pour la négative. Les termes de prieur et de couvent n'avaient pas toujours, au moyen âge, l'acception positive qu'ils ont acquise depuis; le mot religiosi ne signifiait pas toujours des religieux, mais une société de personnes pieuses engagées dans l'état ecclésiastique, ou vivant en communauté, quoique séculières. Telle était sans doute la communauté que composaient ceux qui sont qualifiés par plusieurs chartes de maîtres et frères, tant sains que malades, de la maison de Saint-Lazare. Nicolas de La Marre, dans son Traité sur la police (t. I, p. 607), avance qu'en 1137 des chevaliers de Saint-Lazare, chassés par les Sarrasins, vinrent se placer sous la protection de Louis VII. On lit dans la Gallia christinaa (t. VII, col. 1045), que douze chevaliers de l'ordre de Saint-Lazare furent ramenés de la Palestine par Louis VII, en l'an 1150; et qu'il leur donna une maison et une chapelle qui furent dès lors sous l'invocation de Saint-Lazare. Suivant le Paris ancien et nouveau que Jean Lemaire publia en 1685, le titre de Saint-Lazare fut donné à l'abbaye de Saint-Laurent en 1197. Toutes ces allégations sont inexactes.

1° Lorsque Louis le Jeune revint de la terre sainte, l'hôpital de Saint-Lazare existait depuis plus de quarante ans; et, s'il fut donné par lui aux chevaliers hospitaliers, ce n'est pas d'eux qu'il a pris son nom, puisqu'il le portait auparavant; 2o on ne trouve aucune preuve de ce don; il n'existe pas la moindre trace que les chevaliers de Saint-Lazare aient joui de cette maison, qu'ils l'aient conservée, ni qu'ils l'aient cédée, soit volontairement, soit par autorité; 3° il résulte d'actes authentiques et nombreux que la léproserie de Saint-Lazare n'était pas un

Couvent.

Le premier auteur qui en fasse mention est un moine de Saint-Denis, Odon de Deuil, secrétaire de Louis VII, et auteur d'une chronique que le père Chifflet a recueillie dans son livre Sancti Bernardi genus illustrata (Dijon, 1660, in-folio). Odon raconte qu'en se rendant à Saint-Denis pour y prendre l'oriflamme, Louis le Gros s'arrêta dans la maison des lépreux : Tandem foras progrediens, leprosorum adiit officinas. En 1110, le même roi accorde une foire à la léproserie, à laquelle sa femme, Adélaide de Savoie, faissit d'importantes donations. En 1147, Louis le Jeune reconnaît, par une charte, que les lépreux de Saint-Lazare avaient le droit de prendre annuellement dix muids de vin dans les caves où était déposé le vin du roi, et

leur donne en échange un quartier de bœuf, six pains et quelques bouteilles de vin.

Au moyen âge, l'usage était de déposer à la léproserie de Saint-Lazare les corps des rois et des reines de France lorsqu'on les menait à la sépulture de Saint-Denis. Des prélats se réunissaient à la porte de la maison, psalmodiaient les offices de l'église et confiaient ensuite les dépouilles royales aux hannouars; c'était sous cette qualification bizarre qu'étaient connus les vingt-quatre porteurs de sel de la ville.

Aux entrées solennelles des rois de France à Paris, c'était à Saint-Lazare, dans un corps de logis appelé le logis du roi, qu'il recevait le serment d'obéissance de tous les ordres.

La maison de Saint-Lazare dépendait du chapitre de NotreDame de Paris. Elle était assujettie, envers le clergé et les marguilliers de la cathédrale, à une redevance, dont un manuscrit de l'an 1490 parle en ces termes : « Les marguilliers ont toujours pris, le lundi avant l'Ascension, quand la procession est retournée de Montmartre à Saint-Ladre, XXI sistreuses de vin (chaque sistreuse contenant trois chopines) par les mains des sergents du chapitre; lequel vin les frères Saint-Ladre payent et livrent auxdits sergents. »

Le maître, nommé par l'évêque, était amovible à sa volonté. L'évêque seul avait le droit de visiter la léproserie, de faire des règlements, de les changer, de réformer les abus, de se faire rendre des comptes, etc.; l'on sait que tous ces actes d'autorité étaient exercés, dans les communautés régulières, par le chapitre général et particulier. Enfin, Foulques de Chanac, évêque de Paris, en 1348, donna à la maison de SaintLazare des statuts qui furent confirmés par Audouin, son successeur immédiat. Il y est dit que le prieur sera curé des frères et des sœurs, qu'il administrera les biens, et qu'on le choisira parmi les frères donnés, et cependant ecclésiastique; on appelait donnés (donati, condonati) des personnes libres qui, par dévotion, par répulsion du monde, abandonnaient à un monastère tout ou partie de leurs biens, à la condition d'être logées, nourries et vêtues jusqu'à leur mort; les donnés de Saint-Lazare ne paraissent pas avoir répondu convenablement à la confiance épiscopale, car, en 1515, l'évêque de Paris leur enleva l'administration et leur substitua des chanoines réguliers de Saint-Victor.

C'était bien, dès lors, un couvent; cependant le titre de prieuré, qu'il avait pris indûment au moyen age, lui fut contesté les titres et papiers de la maison furent examinés, en 1560, par des commissaires que le Parlement avait désignés, et un arrêt de règlement, à la date du 9 février 1566, divisa en trois parts le revenu de la maison. Aux termes de cet arrêt, un tiers était affecté au paiement des dettes du prétendu prieuré de Saint-Lazare;

Un tiers à la subsistance des religieux;

Un tiers « à la nourriture et à l'entretènement des pauvres lépreux, » car cette horrible maladie n'était pas complétement éteinte.

L'arrêt du 9 février 1566 conservait à l'évêque de Paris le droit de visite et de réforme. Le chef de la communauté, auquel on accordait dorénavant le titre de prieur, était tenu de lui représenter tous les trois mois les registres de recette et de dépense, et une fois chaque année de lui rendre compte de son administration.

Le fléau de la lèpre céda graduellement aux progrès de la médecine, aux soins hygiéniques, et surtout au développement du bien-être matériel dans toutes les classes. La léproserie devint inutile, et le prieur, nommé Adrien Lebon, offrit cette maison à Vincent de Paul, instituteur et supérieur des prêtres de la Mission.

[blocks in formation]

ques prêtres vertueux et choisis par lui l'aidaient dans ces pieux travaux ; et le fruit qu'ils produisirent dans les terres du comte de Joigny, auquel Vincent de Paul était attaché, fit naître à ce seigneur, ainsi qu'à sa femme, le désir de former à Paris un établissement de ce genre, et sous sa direction. Toutefois, ce projet, conçu dès 1617, n'eut son exécution que quelques années après. Ce fut en 1624 que M. de Gondi, archevêque de Paris, et frère de M. le comte de Joigny, voulant favoriser un projet si utile et si saint, donna à Vincent de Paul la place de principal et chapelain du collége des Bons-Enfants, près de Saint-Victor. Ce prélat destina dès lors ce collége pour la fondation de la nouvelle congrégation, à laquelle il l'unit et l'incorpora par son décret du 8 juillet 1627.

Cependant il restait encore beaucoup à faire pour arriver au but que l'on s'était proposé le collége et les maisons qui en dépendaient menaçaient ruine, et les revenus en étaient trop modiques pour subvenir aux frais de l'établissement.

M. et Me de Joigny sentirent la nécessité d'achever l'œuvre qu'ils avaient si heureusement commencée, et donnèrent une somme de 40,000 livres, tant pour la reconstruction des édifices que pour l'entretien des membres de la communauté. Le contrat, qui est du 7 avril, annonce la piété des fondateurs et l'objet de l'institut, dont les « membres doivent s'occuper de l'instruction des pauvres de la campagne, ne prêcher ni administrer les sacrements dans les grandes villes, sinon en cas d'une notable nécessité, et assister spirituellement les pauvres forçats, afin qu'ils profitent de leurs peines corporelles. »

Les services que la congrégation des Missions rendit dès ses commencents furent si utiles à la religion, que le souverain pontife, par sa bulle du mois de janvier 1632, l'érigea en titre, sous le nom de Prêtres de la Mission; ce qui fut depuis confirmé par lettres patentes du mois de mai 1642, enregistrées au mois de septembre suivant.

Ce fut à cette époque que M. Lebon, prieur ou chef de la maison de Saint-Lazare, en offrit l'administration à saint Vincent de Paul. Celui-ci, vaincu par des instances réitérées pendant plus d'une année, signa, le 7 janvier 1632, un concordat enregistré le 21 mars suivant, et approuvé par la bulle d'Innocent X du 18 avril 1645. De nouvelles lettres patentes du mois de mars 1660, enregistrées le 15 mai 1662, confirmèrent cette transaction.

En plaçant à Saint-Lazare les Prêtres de la Mission, le cardinal de Gondi exigea qu'il y eût au moins douze ecclésiastiques pour célébrer les saints offices et acquitter les fondations; il les chargea de recevoir les lépreux de la ville et des faubourgs, de faire des missions chaque année dans quelques bourgs ou villages de son diocèse, de faire des catéchismes, de confesser, prêcher, et préparer les jeunes ecclésiastiques aux ordinations.

La bulle d'érection portait que les ecclésiastiques qui voudraient y entrer s'obligeraient à ne jamais prêcher dans les villes où il y avait archevêché, évêché ou présidial. Cette congrégation était du corps du clergé séculier; on y faisait cependant les quatre vœux simples, dont on ne pouvait être relevé que par le pape ou le supérieur général.

Saint-Lazare devint le chef-lieu de la Mission et la résidence du supérieur.

Edme Joly, troisième général de la congrégation des Prêtres de la Mission, agrandit considérablement les bâtiments de Saint-Lazare : le terrain ne manquait pas, car l'enclos de cette communauté était le plus vaste de Paris; l'église fut réparée, et le fondateur y fut inhumé au milieu du chœur sous une dalle qui portait cette épitaphe:

Hic jacet, venerabilis vir Vincentius à Paulo, præsbyter, fundator, seu institutor et primus superior, generalis congregationis missionis, nec non puellarum charitatis. Obiit die 26 septembris anno 1660, ætatis verò suæ 84.

Dans l'église, tout rappelait le souvenir du pieux fondateur: la nef était décorée d'un tableau représentant son apothéose. Le frère André de Troy avait peint pour le chœur d'autres tableaux: Saint Vincent de Paul prêchant la mission dans les campagnes; assistant Louis XIII à l'agonie; présidant une conférence ecclésiastique; siégeant au conseil de conscience établi par Anne d'Autriche. On remarquait en outre dans le chœur des compositions de frère André, de Restout, de Baptiste, de Galloche, qui montraient le saint au milieu des galériens; don

nant des instructions aux pauvres de l'hôpital du Saint-Nomde-Jésus; présentant à Dieu les prêtres de sa congrégation; exhortant les dames à secourir les enfants trouvés. Ce dernier sujet a été traité par Paul Delaroche, dont la gravure de Prévost a popularisé le tableau.

Vincent de Paul ayant été béatifié par le pape Innocent XIII, le 13 août 1729, le 29 septembre suivant son corps fut exhumé en présence de l'archevêque de Paris, et déposé dans une chasse d'argent, que l'on plaça sur l'autel de la chapelle de Saint-Lazare.

Sur le premier pilier de l'église, en entrant dans le chœur, à gauche, était une inscription latine où étaient gravées les principales conditions auxquelles la léproserie avait été concédée aux prêtres de la Mission.

La bibliothèque et la pharmacie étaient spacieuses et bien tenues. Au fond du réfectoire, où le général de la congrégation mangeait toujours au milieu de deux pauvres, qui partageaient les mets qu'on lui servait, était un grand tableau représentant le déluge universel. Ce réfectoire pouvait contenir plus de deux cents personnes.

Saint-Lazare était une maison de retraite : les ecclésiastiques s'y renfermaient pour méditer à chaque ordination.

Quelques laiques y venaient pour se livrer à des exercices spirituels.

Enfin de jeunes débauchés, ou autres personnes, y étaient involontairement incarcérées.

Les règles établies pour ce dernier genre de retraites, dans le couvent dont nous nous occupons, sont indiquées par tous les ouvrages sur Paris, publiés au commencement du règne de Louis XV. Ainsi on lit dans l'Etat de Paris, page 379, au chapitre des Retraites forcées :

« 1° Personne ne peut être reçu à Saint-Lazare que sur une lettre de cachet du roi;

« 20 Ce sont les familles elles-mêmes qui sollicitent ces lettres, soit à la police, soit auprès du ministre;

« 30 Un homme qui y serait condamné par une sentence du juge pourrait y être détenu;

«< 4° Les moindres pensions sont de 600 livres, sur quoi on est nourri, éclairé, fourni de gros linge; mais le reste de l'entretien, le chauffage, les médicaments, etc., tombent sur la famille;

«50 Il y a des pensions de 1,000 et 1,200 livres, etc.; proportionnées au traitement dont on convient;

« 6o Les règles et les conditions sont les mêmes pour les aliénés, qui y sont enfermés dans un bâtiment à part;

་་

<< 70 Il y a, pour la conduite spirituelle de ces pensionnaires, un préfet qui répond aux familles et maintient l'observance des règlements, et un directeur qui, dans l'intérieur de cette maison, dit tous les jours la messe, veille sur le spirituel des pensionnaires, les visite, les console, et tâche de leur inspirer les sentiments de religion et d'honneur dont ils peuvent avoir besoin. On leur fournit aussi toutes sortes de bons livres propres à les instruire et à les édifier.

« Il faut joindre à cette retraite forcée, pour les hommes seulement, Bicêtre, faubourg Saint-Marcel, et Charenton, près Paris; pour les femmes seulement, les Filles de la Madeleine, rue des Fontaines, au Marais; Sainte-Pélagie, faubourg SaintMarcel; Sainte-Valère, faubourg Saint-Germain, et la Salpetrière, près du faubourg Saint-Victor. Pour les personnes des deux sexes, mais seulement dans certaines circonstances qui intéressent le gouvernement, le château de la Bastille et celui de Vincennes, près Paris. »

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

La maison de Saint-Lazare fut la première qui ressentit les effets de la Révolution. Le 13 juillet 1789, au moment où la population se disposait à combattre les troupes que la cour avait concentrées sur Paris, le bruit se répandit qu'un dépôt d'armes et de subsistances existait au couvent de Saint-Lazare. Une bande tumultueuse fit irruption dans cette paisible retraite, dont les habitants se dispersèrent immédiatement pour ne plus y revenir.

On ne découvrit que trois fusils rouillés et le fusil à vent du

[graphic][subsumed][merged small]

cabinet de physique; mais on trouva assez'de blé et de farine pour en charger cinquante-deux voitures; elles furent conduites à la halle sous l'escorte de malheureux qui manquaient de pain.

La maison de Saint-Lazare fut transformée en une caserne, puis en une prison, dont les concierges furent Naudet et Senier; les détenus les plus célèbres furent André Chénier et Roucher, exécutés le 7 thermidor an 11, avec Guesmon, ancien conseiller au parlement, le comte de Montalembert, ancien capitaine, le baron de Trenck, le marquis de Bessuignol Rocquelaure pour s'être, au terme de la sentence, déclaré les ennemis du peuple, en entretenant des intelligences avec les ennemis de l'État, en participant aux conspirations et complots du tyran, en avilissant les assignats, en conspirant dans la maison d'arrêt de Saint-Lazare, en cherchant à rompre l'unité et l'indivisibilité de la République.

Roucher, dans un poëme didactique sur les mois, entretenait avec sa fille, du fond de sa prison, une intéressante correspondance, qui fut publiée après sa mort par les soins de M. Guillois, son gendre. Le jour où il reçut son acte d'accusation, il congédia son fils Émile, qui lui avait tenu jusque-là compagnie, et envoya à sa femme son portrait, avec ce quatrain :

"Ne vous étonnez pas, objets charmants et doux,
Si quelqu'air de tristesse obscurcit mon visage;
Lorsqu'un savant crayon dessinait cette image,
On dressait l'échafaud, et je pensais à vous. "

Ce fut à Saint-Lazare qu'André Chénier composa pour Me de Coigny la plus belle de ses élégies:

L'épi naissant mûrit, de la faulx respecté.
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été,
Boit les doux présents de l'Aurore;
Et moi, comme lui jeune et belle comme lui,

Quoique l'heure présente ait de trouble et d'ennui, Je ne veux pas mourir encore...

Quant aux vers qu'il a, dit-on, écrits avant de monter dans la fatale voiture, il y a lieu de supposer qu'ils sont l'œuvre de son éditeur posthume Henri de Latouche.

André Chénier était ancien rédacteur du Journal de Paris, il s'était, dès 1792, déclaré avec violence contre la Révolution; avait fait paraître un grand nombre d'articles en faveur des prérogatives royales; il avait écrit pour Louis XVI. Traduit à la barre de la Convention, il avait glorifié en vers énergiques le crime de Charlotte Corday. Caché à Lucienne, il trahit ses convictions par d'imprudentes paroles, fut arrêté et transféré à Saint-Lazare, d'où il partit pour l'échafaud deux jours seulement avant le 9 thermidor.

Un commissionnaire, attaché à la prison de Saint-Lazare, Cange, surnommé Bon-Enfant, se distingua par un trait de bienfaisance, qui lui valut à la Convention les honneurs de la séance et l'accolade du président. Presque tous les théâtres de Paris firent sur son compte des pièces de circonstance, dont la principale a pour titre : les Détenus, ou Cange, commissionnaire de Lazare, fait historique en un acte et en prose, mêlé d'ariettes, représenté pour la première fois sur le théâtre de l'Opéra-Comique-National, le 28 brumaire an III, paroles de B. J. Marsollier, musique de Dalayrac.

Ce drame historique se passe à la prison même, dans la cour où les détenus insouciants jouent aux barres. Georges, le prisonnier secouru par l'honnête commissionnaire, débita avant le vaudeville final cette tirade caractéristique:

<< Vivent ces hommes qui, comme Cange, honorent leur siècle et nous font voir que dans la classe la moins fortunée on trouve souvent l'humanité, la bienfaisance, les plus respectables vertus! Comme si la nature voulait par là consoler l'es

153

[graphic][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]

pèce humaine de l'apparition de ces êtres malfaisants, qui, placés dans un poste plus élevé, usurpent l'estime de leurs concitoyens, et cachent, sous le masque d'un patriote, le cœur corrompu d'un hypocrite et d'un tyran! >>

L'auteur du Philosophe sans le savoir, de la Gageure imprévue, du Déserteur et de Richard Coeur-de-Lion, Sedaine, qui avait alors soixante-quinze ans, fit imprimer en 1795 un poëme qui obtint un grand succès, malgré la faiblesse de la versification, et dans lequel il raconte la belle action du commissionnaire.

Dans la maison d'arrêt dite de Saint-Lazare,
Un citoyen fut mis, sur un léger soupçon,
Sur un propos, peut-être, indiscret ou bizarre,

Enfin il était en prison.

Cet homme était peu riche, et sa triste famille
Vivait de son travail; mais ce coup désastreux
Les plongea tous les cinq en un malheur affreux.
Pour s'informer du sort des enfants, de leur mère,
Il envoya chez elle un commissionnaire,
Leur dire son état, et s'informer du leur.

Cange est le nom de l'homme; il ne vit que douleur
Au logis indiqué; la femme dont les larmes,
Les cris, le désespoir, les plus vives alarmes!
Mon mari périra, son trépas est certain,
Et ces pauvres enfants qui demandent du pain!
Consolez-vous, dit Cange, un ami de votre homme,
Dans la même prison lui remit une somme ;
Je ne sais pas combien; mais ces cinquante francs
Qu'il m'a dit d'apporter en sont de sûrs garans :
Prenez. Il lui remit l'assignat salutaire,
Qui leur redonne à tous l'aliment nécessaire.
Il retourne au mari. La femme et les enfants
Se portent bien, dit-il; voici cinquante francs
Qu'a remis en ses mains une bonne voisine,
Prenez, servez-vous-en; comme je l'imagine,
Vous en avez besoin.., elle en promet encor.

Deux jours après, c'était le neuf de thermidor;
La France alors en proie à des brigues infâmes,
De nos Catilinas anéantit les trames;
On les vit tous tomber sous le glaive des lois,
Et la France vengée a repris tous ses droits.
Ce grand coup, dont l'éclat écrasa Robespierre,
Ouvrit au même instant les portes des cachots;
Et la justice, enfin rendit à la lumière
Notre bon patriote accusé de complots.

Il sort, il voit le ciel, il vole vers sa femme,
Il la serre en ses bras, caresse ses enfants;
Après mille transports élancés de leur âme,
Après mille propos l'un de l'autre naissants,
Ils se disent entre eux, ces mots intéressants :
Quel est mon cher ami, quel est cet honnête homme
Qui pour nous soulager, t'a remis cette somme?

A moi? Sans doute à toi. - Toi, dis auparavant
Quelle est cette voisine à qui nous devons tant,
Lorsque tu m'envoyas cinquante francs par Cange?
Moi, je n'ai rien reçu d'une voisine.ô ciel!
Rien? - Non. Comment, non?- Non! il me paraît étrange
Que nous ayons reçu ce secours mutuel,
Et presque en même temps: c'est extraordinaire !
Courons interroger le commissionnaire!
Tranquille sur un banc auprès de la prison,

[ocr errors]

Il attendait pour faire une commission;

Il les voit, il s'enfuit, il craignait de paraître
Aux yeux des citoyens qui lui doivent leur être.
Ils le trouvent enfin : mais Cange, dis-nous donc
D'où venait cet argent? Qui nous a fait ce don?
Que vous importe? - Tout, et nous voulons apprendre
Quel est ce bienfaiteur et cet ami si tendre?
Vous ne le saurez pas.
Je ne te quitte pas.

[ocr errors]

- Parbleu, nous le saurons; Voilà bien des raisons; C'est moi. Je vous voyais accablés de misères, J'ai fait ce que j'ai dû, n'êtes-vous pas mes frères? Je n'avais que cent francs, je n'ai pu faire mieux. Des larmes à l'instant coulèrent de leurs yeux :

« AnteriorContinua »