Imatges de pàgina
PDF
EPUB

orné de quatre rangs de colonnes d'ordre toscan. Cet édifice est décoré de statues exécutées par Pajou, Lecomte, Mouchy et Dhuey, ainsi que de peintures en grisaille et à fresque dues au pinceau de Gibelin.

L'emplacement qu'il occupe forme un parallelogramme de 429 mètres de longueur sur 243 de largeur.

L'École militaire fut dissoute le 1er février 1776, rétablie l'année suivante, et enfin définitivement supprimée par un arrêt du 9 octobre 1787. En 1788 on destina ce vaste édifice à remplacer l'Hôtel-Dieu de Paris. L'architecte Brongniart fut chargé d'exécuter les changements nécessaires pour l'exécution de ce plan; mais la révolution vint modifier ces nouvelles dispositions. Le 13 juin 1793, la Convention nationale décréta la vente de tous les biens formant la dotation de cet établissement qui fut transformé en quartier de cavalerie et en dépot de farine.

Le général Bonaparte en fit son quartier général, et pendant quelques années on lut sur la façade de l'Ecole militaire, du côté du Champ-de-Mars, ces deux mots : « Quartier Napoléon. » Devenu empereur, il y établit des régiments de sa garde qui, en 1814, furent remplacés par la garde royale.

A diverses époques on a fait des travaux d'agrandissement à cet établissement déjà si vaste; vers 1849 on y a foré un puits artésien. Il a nécessité des sondages presque aussi importants que ceux exécutés pour le forage de celui de Grenelle, qui n'en est pas éloigné, et qui paraît être alimenté par la même nappe d'eau. De nouveaux travaux d'agrandissement ont été commencés en 1854 à l'École militaire et terminés en 1859.

Le Champ-de-Mars fut primitivement aplani pour servir aux évolutions des élèves de l'École militaire et du régiment des gardes françaises. Il était loin d'avoir alors son étendue actuelle. On y fit, le 27 août 1783, la première expérience d'un ballon de taffetas enduit de caoutchouc et gonflé d'hydrogène carboné. Charles, professeur de physique, lança l'aérostat à cinq heures du soir, en présence d'innombrables spectateurs. Le phénomène de l'ascension étonna tellement les assistants qu'ils restèrent immobiles, malgré une pluie battante, les yeux fixés vers les nues où flottait le ballon, qui alla tomber près de Gonesse, et fut mis en pièces par les paysans.

Lorsque la Commune de Paris, avec l'assentiment de l'A-semblée constituante, eut conçu le projet d'une Fédération générale, des délégués des sections furent chargés de régler le cérémonial de la grande journée. Quatre emplacements leur étaient proposés : la plaine de Saint-Denis, la plaine de Grenelle, la plaine des Sablons et le Champ-de-Mars. Ils choisirent ce dernier; et quinze mille ouvriers furent employés à le niveler; mais on reconnut bientot qu'ils seraient insuffisants, Alors la population se mit à l'œuvre. Les bataillons accoururent, portant la pioche et la pelle, précédés de leurs tambours et répétant la chanson nouvelle de Ça ira. Des femmes, ouvrières, bourgeoises, modistes, dames de la halle, dames de la cour, marchaient pêle-mêle dans les rangs. Les laboureurs des villages voisins arrivèrent sous la conduite de leurs maires. Les invalides, les collégiens, les moines de différents ordres, les corps de métiers, les élèves de l'École vétérinaire et de l'Académie de peinture, les acteurs, les journalistes, les facteurs de la poste, formèrent une armée de 150,000 terrassiers. On voyait, attelés au même chariot, une bénédictine, un invalide, un juge, une nymphe de l'Opéra; les plus jolies filles de Paris, vêtues de robes blanches élégamment rattachées par des ceintures et des rubans aux couleurs nationales, allaient, venaient, chargeaient, piochaient, roulaient, traînaient, et à l'aide de quelques aides officieux, arrivaient au haut des talus, d'où elles redescendaient avec rapidité pour charger de nouveaux matériaux et de nouvelles terres. En vingt jours, la surface irrégulière du Champ-de-Mars fut aplanie; une enceinte circulaire établie et entourée de talus; un arc de triomphe élevé à l'entrée principale; un pont de bateaux jeté sur la Seine, et un vaste amphithéâtre adossé à l'École militaire.

Les fédérés, à mesure qu'ils arrivèrent, firent vérifier leurs pouvoirs à l'Hôtel de Ville, et reçurent une médaille portant ces mots: Confédération nationale. Manuel, administrateur de la police, avait inscrit les noms des citoyens qui étaient jaloux de loger leurs frères. La concurrence fut ardente : c'était à qui recevrait les nouveaux venus; à qui leur ferait les honneurs de la ville. L'Assemblée nationale avait disposé pour eux de toutes les places des tribunes. Louis XVI leur avait ouvert tous les établissements dépendant de la couronne Les théâtres

103

jouaient pour eux à l'envi des pièces de circonstance: le Réveil d'Epimenide, avec une scène nouvelle; le Chêne patriotique ; la Famille patriote, ou la Fédération : le Camp du Champ-deMars: la Fête du grenadier au retour de la Bastille.

Le 13 juillet, la Commune de Paris offrit une oriflamme aux représentants des troupes et quatre-vingt-trois bannières aux députés des départements. Ceux-ci allèrent en corps salver l'Assemblée, qui vota des remerciments pour les services que tous les gardes nationaux du royaume avaient rendus à la liberté et à la Constitution.

Le 14, dès le point du jour, les fédérés s'échelonnèrent de la porte Saint-Martin à la Bastille.

Le cortège se mit en marche à sept heures du matin, par les rues Saint-Denis, la Ferronnerie et Saint-Honoré. Il s'ouvrait par un détachement de la garde nationale à cheval et une compagnie de grenadiers; puis venaient successivement les électeurs de 1789; une compagnie de volontaires; les représentants de la Commune; le comité militaire; une compagnie de chasseurs; les tambours de la ville; les présidents des soixante districts; les députés de la Commune pour la fédération; les soixante administrateurs de la municipalité; un corps de musique et de tambours; le bataillon des enfants; les drapeaux de la garde parisienne: un bataillon de vétérans, organisé tout exprès pour la cérémonie, suivant le plan de M. Caillères de l'Étang; les députés des quarante-deux premiers départements, par ordre alphabétique; le porte-oriflamme; les députés des troupes de lignes; les députés de la marine; les députés des quarante-un derniers départements; une compagnie de chasseurs volontaires et une compagnie de cavalerie. A la place Louis XVI, l'Assemblée nationale, présidée par M. de Bonnay, se plaça entre les enfants et les vétérans, et l'immense convoi prit la route du Champ-de-Mars, où l'attendaient cent soixante mille spectateurs.

Au centre de l'enceinte, sur un stylobate carré, était posé un autel de forme cylindrique, devant lequel se rangèrent en demicercle les doyens d'age des départements et des troupes. A trois heures et demie, l'évêque d'Autun, assisté de soixante aumôniers de la garde nationale, officia et bénit les drapeaux. Puis La Fayette, que le roi avait nommé major de la fédération, tenant de la main droite son épée, dont il appuyait fortement la pointe sur l'autel, dit, au milieu du plus religieux silence: « Je jure d'être à jamais fidèle à la nation, à la loi et au roi ;

[ocr errors]

De maintenir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi ;

«De protéger, conformément aux lois, la sûreté des personnes et des propriétés; la libre circulation des grains et des subsistances dans l'intérieur du royaume, et la perception des contributions publiques, sous quelque forme qu'elles existent; «De demeurer uni à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité ! »

Tous les fédérés s'écrièrent: Je le jure! et saisis d'un transport subit, s'élancèrent sur les marches de l'autel pour voir de près La Fayette, pour l'embrasser, lui serrer les mains. « Cette effusion de tendresse, dit Camille Desmoulins, pensa lui coûter la vie étouffé par les caresses, il était devenu plus blanc que son cheval. » C'était le héros du jour, l'idole de la France constitutionnelle.

L'Assemblée nationale prêta serment. Le roi, placé sous un dais près de l'Ecole militaire, se leva, et tendit le bras droit vers l'autel en disant : « Moi, roi des Français, je jure à la nation d'employer tout le pouvoir qui m'est délégué par la loi constitutionnelle de l'Etat, à maintenir la Constitution et à faire exécuter les lois. »

Des salves d'artillerie annoncèrent la fin de la fête. Le major de la fédération, en se retirant, fut abordé par la femme d'un imprimeur, qui avait récemment publié un libelle intitulé: Vie privée de Blondinet, général des Bluets. Elle se jeta aux pieds de La Fayette, qui la releva, et lui promit la grace de son mari. Les fédérés présents applaudirent; car l'oubli des injures, le sentiment de la fraternité, étaient dans tous les cœurs. Les repas, les illuminations, les danses, les concerts, se prolongèrent pendant plusieurs jours; et les poëtes exercèrent leur verve pour célébrer l'alliance qui venait d'être scellée. Nous connaissons sur ce sujet des couplets de Sedaine, un hymne de Marie-Joseph Chénier, un Poëme séculaire, par de Fontanes, qui, sous l'Empire, fut grand maître de l'université; le Pacte fédératif, par François, peintre, citoyen de

104

[graphic][merged small]

Paris; le Serment des Français, par Charlemagne, in-8° de 14 pages; l'Ode à la nation française, par La Martelière, garde national, in-40 de 4 pages.

Un an plus tard le sang coulait au Champ-de-Mars. Après la fuite de Varennes, le club des Jacobins avait fait rédiger par Laclos et Brissot une pétition pour demander à l'Assemblée constituante de ne rien préjuger sur le sort du roi, sans avoir consulté le vœu des départements. Elle fut signée, le 15 juillet, par environ dix mille patriotes assemblés au Champ-de-Mars; et un arrêté du club des Cordeliers, affiché dans les principales rues, les convoqua de nouveau pour le dimanche 17. On convint qu'on se réunirait sur la place de la Bastille, à 11 heures, et qu'on se rendrait processionnellement à l'autel de la patrie. Li municipalité, instruite du projet, s'empressa de faire afficher un extrait de ses délibérations. Elle invitait tous les bons citoyens à se rallier et à se réunir à la garde nationale, qui, depuis quelques jours, maintenait, avec des soins si louables, la tranquillité publique et le bon ordre. » La Fayette, de concert avec Bailly, donna des ordres pour que, dans la matinée de dimanche, la place de la Bastille fût occupée par plusieurs compagnies du centre.

[ocr errors]

Le dimanche, dès huit heures du matin, l'autel de la patrie était couvert de curieux. Un perruquier et un invalide s'étaient glissés sous les planches de l'escalier que l'un d'eux perçait avec une vrille. On les découvre, on les conduit chez le commissaire de la section du Gros-Caillou. Lorsqu'on leur demande pourquoi ils se sont furtivement glissés sous l'autel, ils donnent pour motifs à leur conduite une curiosité lubrique. Le commissaire les remet en liberté; mais des furieux les accusent d'avoir voulu faire sauter l'autel. L'invalide tombe percé de coups de couteau; le perruquier est pendu à un réverbère; la corde casse; il retombe encore vivant, et sa tête, séparée du tronc avec une scie, est placée au bout d'une pique.

Le récit de ces atrocités parvint presque aussitôt à l'Assemblée constituante, mais d'une manière inexacte. « Deux bons citoyens. dit le président Dupont, viennent d'être victimes de leur zèle. Ils étaient au champ de la Fédération, et disaient au peuple rassemblé qu'il fallait exécuter la loi; ils ont été pendus sur-le-champ. >>

ces mots, un mouvement d'indignation se manifesta sur tous les bancs. Le curé Dillon essaya de le calmer, en disant « que le fait n'était pas tel qu'on l'avait rapporté. Qu'importe, lui répondit Regnault de Saint-Jean-d'Angély; j'ai aussi entendu dire qu'ils avaient été pendus pour avoir prêché l'exécution de la loi; mais que cela soit ainsi ou autrement, leur mort est toujours un attentat qui doit être poursuivi selon la rigueur des lois. Je demande que M. le président s'assure des faits, afin que l'on puisse prendre toutes les mesures nécessaires; et, dussé-je être moi-même victime, si le désordre continue, je demanderai la proclamation de la loi martiale. » Ce qui se passait au Champ-de-Mars n'était pas de nature à provoquer cette mesure extrême. Tout y était calme. Un escadron de cavalerie de la garde nationale avait dispersé l'attroupement qui promenait les tetes des victimes. Desmottes, aidede-camp de La Fayette, insulté par quelques exaltés, en avait fait arrêter quatre, sans éprouver de résistance. Les clubistes, repoussés de la Bastille, arrivaient au lieu du rendez-vous par bandes peu nombreuses. A une heure, un commissaire des Jacobins vint annoncer que l'Assemblée constituante avait statué sur le sort de Louis XVI; que, par décret de la veille, il avait été seulement suspendu de ses fonctions royales; et qu'une nouvelle pétition devenait indispensable. On nomma aussitôt quatre commissaires, au nombre desquels se trouvaient Danton et son secrétaire Robert, éditeur du Mercure national. La femme de ce dernier, Mile de Kéralio, était à ses côtés, et prit part à la rédaction du placet démocratique. Il

105

[graphic][merged small]

était adressé aux représentants de la nation, et se terminait par ces mots : « Tout nous fait la loi de vous demander, au nom de la France entière, de revenir sur votre décret, de prendre en considération que le délit de Louis XVI est prouvé; que ce roi a abdiqué; de recevoir son abdication, et de convoquer un nouveau corps constituant, pour procéder d'une manière vraiment nationale, au jugement du coupable, et surtout au remplacement et à l'organisation d'un nouveau pouvoir exécutif. »

Quand la pétition fut achevée, Danton la lut, et de vifs applaudissements l'accueillirent. Des exemplaires en furent déposés sur les trépieds qui garnissaient les quatre angles du soubassement de l'autel, et ce fut à qui apposerait son nom le premier. On compta, parmi les signataires, des électeurs, des officiers municipaux, et plus de deux mille gardes nationaux de tous les bataillons de Paris et de la banlieue. On continuait à signer, quand parurent trois officiers municipaux, MM. Le Roux, Regnault et Hardy, ceints de leurs écharpes, et escortés de la compagnie du centre du bataillon de Bonne-Nouvelle, sous les ordres de M. Bellisaire. Une députation quitta l'autel et s'avança à leur rencontre. « Messieurs, dit l'un d'eux, nous sommes charmés de connaître vos dispositions. On nous avait dit qu'il y avait ici du tumulte; on nous avait trompés. Nous ne manquerons pas de rendre compte de ce que nous avons vu.» On leur demanda la liberté des quatre individus afrêtés le matin; ils répondirent qu'il fallait s'adresser à la municipalité, et en se retirant, ils emmenèrent avec eux douze commissaires chargés de présenter cette requête.

Pendant ce temps, la Grève se couvrait de troupes; la première et la seconde division de la garde nationale l'occupaient, et s'entretenaient avec émotion des rassemblements du Champde-Mars. On racontait avec horreur les assassinats commis au Gros-Caillou; on parlait de brigands soudoyés, d'insultes faites

à la garde nationale; on prêtait aux pétitionnaires l'intention d'anéantir l'Assemblée nationale. Les administrateurs de la Commune crurent le salut de la ville compromis, et prirent la résolution suivante :

« Le corps municipal, informé que des factieux réunis au champ de la Fédération mettent la tranquillité publique en péril;

« Considérant qu'il est responsable de la sûreté des citoyens; que déjà deux meurtres ont été commis par des scélérats; «Que la force armée, conduite par les autorités légitimes, ne peut effrayer les bons citoyens, les hommes bien intentionnés ;

« Arrête que la loi martiale sera publiée à l'instant; que la générale sera battue; que le canon d'alarme sera tiré; que le drapeau rouge sera déployé;

« Ordonne à tous les bons citoyens, à tous les soldats de la loi, de se réunir sous ses drapeaux, et de prêter main-forte à

ses organes;

« Arrête, en outre, qu'il transportera sur-le-champ sa séance à l'hôtel de l'École royale militaire pour y remplir ses devoirs. >>

Quand les douze commissaires entrèrent à l'Hôtel-de-Ville, l'arrêté du corps municipal était déjà connu; le drapeau rouge flottait au-dessus de l'horloge, et les gardes nationaux chargeaient leurs armes. Le maire se mit à la tête de la municipalité et des troupes, et marcha sur le Champ-de-Mars. Il y entra, le soir, à huit heures moins un quart, par la porte qui fait face à Chaillot, avec La Fayette, Charton, commandant de la première division, et un colonel portant le drapeau rouge. Une seconde colonne déboucha par la rue Saint-Dominique, et une troisième par la grille de l'Ecole. Tous les témoignages s'accordent sur deux points: c'est qu'à son apparition, la garde nationale fut provoquée, et qu'elle ne prit pas le temps de faire

des sommations. En la voyant, on cria: A bas le drapeau rouge! à bas les baionnettes! Des pierres furent lancées; un coup de pistolet fut tiré, et la balle, passant devant Bailly, traversa la cuisse d'un dragon qui s'était joint à la garde nationale. Une première décharge fut faite en l'air; une seconde, nécessitée par de nouvelles attaques, mit des séditieux en fuite, et en renversa plusieurs. Le nombre des victimes n'a jamais été bien connu. Bailly l'évalue à dix ou douze; Weber à une trentaine; Prud'homme à cinquante; le marquis de Ferrières à quatre cents. Du côté des gardes nationaux un seul homme resta sur la place.

Tel fut le Massacre du Champ-de-Mars, que Bailly expia, sur l'échafaud, et La Fayette en exil. Quatre ou cinq mille gardes nationaux y participèrent; les autres n'avaient pas répondu à l'appel, ou faisaient cause commune avec les pétitionnaires. La deuxième division, qui occupait les environs de l'École militaire, s'abstint de tirer, et protégea même les fuyards.

M. Thiers, dans son Histoire de la Révolution, a fait un récit fantastique de ce déplorable événement. Il nous représente La Fayette brisant, le matin, les barricades déjà élevées; deux invalides égorgés; Bailly faisant les sommations d'usage: tous faits contredits par les documents contemporains; comme le procès-verbal de la municipalité; les Révolutions de Paris, n° 106; les Mémoires de Bailly, t. 1; l'Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. VI, p. 238; mais M. Thiers apprécie avec sagacité les causes du conflit. « Le roi, la majorité de l'Assemblée, la garde nationale, les autorités municipales et départementales, étaient d'accord alors pour établir l'ordre constitutionnel, et ils avaient à combattre la démocratie au dedans, l'aristocratie au dehors. L'Assemblée et la garde nationale composaient cette nation moyenne, riche, éclairée et sage, qui voulait l'ordre et les lois; et elles devaient dans ce moment s'allier naturellement au roi, qui, de son côté, semblait se résigner à une puissance limitée. Mais s'il leur convenait de s'arrêter au point où elles en étaient arrivées, cela ne convenait pas à l'aristocratie, qui désirait un bouleversement, ni à la populace, qui voulait acquérir et s'élever da

vantage. »

Il faudrait un volume spécial pour raconter les brillantes revues, les fêtes splendides qui ont eu lieu au Champ-de-Mars le 10 août 1793; on y célébra l'acceptation de la constitution républicaine. Le 2 décembre de la même année, on y vit défiler quatorze chars représentant les quatorze armées qui combattaient héroïquement pour la défense de la patrie. La solennité du 9 juin 1794, en l'honneur de l'Etre suprême, commencée aux Tuileries, vint finir au Champ-de-Mars, où la Convention prit place sur une montagne factice pour présider au défilé de vieillards, d'hommes, de jeunes gens et de jeunes filles choisis dans les quarante-huit sections de Paris.

Napoléon Ier, après son couronnement, reçut au Champ-deMars le serment des députations de l'armée auxquelles il distribua des aigles, le 10 novembre 1804. Louis XVIII, le 7 septembre 1814, y distribua à son tour des drapeaux blanes aux gardes nationaux. Quand l'empereur fut revenu de l'ile d'Elbe, il tint au Champ-de-Mars, le 1er juin 1815, l'assemblée désignée sous le nom de Champ-de-Mai.

Une des fêtes données dans cette vaste enceinte est tristement célèbre : dans la soirée du 15 juin 1837, des milliers de Parisiens s'étaient portés au Champ-de-Mars pour voir le simulacre de la prise d'Anvers. Lorsque les dernières fusées furent éteintes, la foule se précipita tumultueusement vers les grilles, et plusieurs personnes périrent étouffées. L'aTuence, qui ne manque jamais de se rendre aux revues, pouvait faire appréhender le retour de semblables accidents; aussi s'est-on décidé à combler les fossés. Le Champ-de-Mars n'est maintenant entouré que d'un mur à hauteur d'appui, et toute sa superficie a été nivelée, principalement du côté du quai, où elle formait des ondulations et où on a vu longtemps les tombeaux de quelques victimes des journées de Juillet 1830.

Entre le Champ-de-Mars et l'esplanade des Invalides est le quartier du Gros-Caillou. Ce Gros-Caillou servait d'enseigne à une maison de débauche, et sa masse siliceuse était tellement dure qu'il fallut employer la poudre pour la mettre en pièces. Sur l'emplacement de la maison mal famée, Chalgrin éleva une église, auprès de laquelle un hópital militaire fut fondé, en 1765, par les soins du maréchal duc de Biron, colonel des gardes-françaises.

Le quartier du Gros-Caillou renferme le dépôt des marbres du gouvernement, avec des ateliers où les principaux sculpteurs exécutent les commandes qui leur sont faites par l'État. On trouve encore le long du quai d'Orsay le magasin central des effets d'habillements et d'équipements militaires; puis la manufacture des tabacs, qui entre pour plus d'un tiers dans la préparation du tabac à fumer ou à priser, des feuilles à macher, des cigares de 5 et de 10 centimes; les autres viennent de l'étranger. Elle fabrique aussi des cigarettes dont l'exploitation peut être avantageuse, puisque, avec un kilogramme de 12 fr. en tabac du Levant et du Maryland, on peut faire 750 cigarettes, lesquelles, vendues à 2 centimes et demi la pièce, donnent un produit de 17 fr. 75 c. ou un bénéfice de plus du double de la valeur de la matière première.

Condamnée par la plupart des médecins, la consommation du tabac s'est propagée en dépit de leurs réclamations. Les manufactures de Paris, du Havre, de Morlaix, de Toulouse, Bordeaux, Tonneins, Marseille, Lyon, Lille et Strasbourg, contiennent pour une valeur de plus de 80 millions de francs de tabacs, qui se manipulent sous la direction d'employés supérieurs choisis parmi les élèves de l'École polytechnique.

La France consomme par année 26 millions de kilogrammes de tabac. La vente des tabacs est confiée à 39,000 buralistes, qui sont soumis à un cautionnement de 50 à 1,500 fr.; l'État leur fait une remise de 20 millions, de sorte que chaque débitant fait un bénéfice moyen de 510 fr. Celui des contributions indirectes est énorme: il s'est élevé, en 1856, à 128 millions de francs. La somme acquise au Trésor, provenant de la vente du tabar, du 1er juillet 1814 au 31 décembre 1856, est de 2 milliards 784,233,173 fr.

[blocks in formation]

Ne nous éloignons pas des quartiers du Gros-Caillon et des Invalides sans entrer dans quelques détails sur l'institution peu connue des Jeunes Aveugles.

Ce n'est que vers la fin du dernier siècle qu'on a songé à systématiser au profit des enfants affligés de cécité, les éléments d'instruction qu'avaient su s'approprier cà et là quelques aveugles plus intelligents que les autres; l'honneur de cette découverte revient à un Français, Valentin Hauy, frère du célèbre minéralogiste, né en 1745, au village de Saint-Just, en Picardie. Après avoir patiemment élaboré, pendant quelques années, sa méthode, il l'appliqua à un aveugle-né, appelé Lesueur. Son succès fut rapide et éclatant, et bientot les secours de la Société philanthropique mirent l'ingénieux inventeur à mème de pouvoir étendre à d'autres enfants le bienfait de cette instruction nouvelle.

L'Institution se trouva ainsi créée vers 1785; l'année suivante Valentin Hay quitta la maison qu'il habitait rue Coquillière, avec quelques jeunes aveugles dont il avait commencé l'éducation, pour se transporter dans un local plus favorablement disposé, situé rue Notre-Dame des Victoires, en face de l'emplacement aujourd'hui occupé par la Bourse; c'était la maison qui portait le n° 18, et l'on peut la considérer comme le berceau véritable de l'Institution. Le nombre des pensionnaires s'élevait à douze; il y avait, en outre, des externes qui doublèrent bientôt le nombre des élèves. L'établissement était administré concurremment par son fondateur et par une commission de membres de la Société philanthropique. De fréquents exercices publics runissaient un nombreux concours d'assistants émerveillés des progrès des jeunes disciples de Valentin Hauy. A la fin de 1786, la cour elle-même voulut en être té moin, et l'Institution se transporta à Versailles, le 26 décem¡ re, avec vingt-quatre élèves de l'un et de l'autre sexe, qui recueillirent les plus vifs témoignages de la satisfaction des augustes spectateurs.

En 1791, l'Assemblée nationale mit, par un décret du 21 novembre, l'Institution, qui comptait déjà cinq années d'existence, à la charge de l'Etat et lui assigna pour demeure, l'ancien couvent des Célestins, voisin de l'Arsenal, dont une partie était réservée aux sourds-muets. Une somme de vingt-quatre mille francs devait être affectée à l'entretien des maîtres et des élèves. Mais parmi les agitations sanglantes qui ne tardèrent

pas à éclater, l'Institution fut oubliée, et Haûy eut besoin de tous les efforts de son zèle actif et persévérant, pour pouvoir la soutenir pendant les années qui s'écoulèrent jusqu'à l'an m (1795). A cette époque, le gouvernement vint encore à son aide. Une loi du 10 messidor de cette année constitua de nouveau l'Institution établissement national, sous le titre d'AveuglesTravailleurs, en statuant qu'il serait fondé quatre-vingt-six bourses, une par département, avec allocation d'une somme de 500 francs pour chaque bourse. On avait donné à l'établissement, vers la fin de l'année précédente, pour séjour une propriété nationale, dite maison Saint-Catherine ou des Catherinettes, située rue des Lombards. Là encore l'Institution eut beaucoup à souffrir par suite de cette pénurie du trésor public, qui se prolongea pendant toute la durée de la période républicaine.

La première année du nouveau siècle fut marquée, pour l'Institution, par un changement funeste. Déjà plusieurs fois, dans une vue d'économie, il avait été question de la réunir à l'hospice des Quinze-Vingts. Malgré l'opposition de Valentin Hauy, qui regardait cette mesure comme devant amener la ruine de sa création, elle fut accomplie par un décret consulaire du nivose 1801. La translation s'opéra immédiatement, et bientôt, comme Hauy l'avait prévu, l'Institution vit déchoir les études, qu'on remplaçait par un travail de filature introduit alors dans l'hospice. Assailli de dégoûts, Haüy quitta l'Institution en 1802, essaya de créer, rue Sainte-Avoye, un établissement particulier sous le titre de Musée des Aveugles; et enfin, cédant en 1806 à l'appel du gouvernement russe, il se rendit à Saint-Pétersbourg pour y fonder une école semblable à celle qui avait, pendant quelques années, jeté tant d'éclat dans sa patrie.

Les aveugles de seconde classe (ainsi appelait-on alors les élèves de l'Institution), eurent pour maître M. Bertrand, second instituteur, appelé à remplacer Haüy, et qui fit d'honorables efforts pour soutenir son œuvre. La surveillance des classes et des ateliers était seule dévolue, au reste, au nouveau directeur. Sous le rapport administratif, l'établissement n'était qu'une annexe de l'hospice.

Le 4 mars 1814, M. Bertrand étant décédé, fut remplacé par le Dr Guillié, qui, peu après, secondé par les changements politiques survenus dans le pays, à la suite de la chute de l'Empire, parvint à faire statuer de nouveau la séparation de l'Institution et de l'hospice. L'ordonnance du roi Louis XVIII, en date du 8 février, qui prononçait cette séparation, reçut son exécution le 20 février de l'année suivante, par la translation de l'établissement dans les bâtiments de l'ancien collège SaintFirmin, rue Saint-Victor, qu'avait habité saint Vincent de Paul, au xvn siècle, et qui fut à la fir du vir un des théâtres des épouvantables massacres de septembre. Là, l'Institution confiée à une administration composée de cinq membres, y compris le directeur, dut jouir, sur le budget de l'État, d'une allocation fixe de 50,000 fr. Le nombre des bourses gratuites fut porté à quatre-vingt-dix, dont un tiers affecté au sexe féminin. Les études, les travaux prirent alors un grand dévelop

Lement.

En 1821, M. Guillié ayant été remplacé par le docteur Pignier, le directeur cessa alors de figurer au nombre.des administrateurs. En cette même année, le vénérable fondateur de l'Institution, Valentin Hauy, de retour en France après onze années de séjour en Russie, vint assister à un concert donné en son honneur à l'Institution, et recueillir les témoignages de respect et d'admiration qui lui étaient si légitimement dus. Il expira le 19 mars de l'année suivante.

Dans la période subséquente se manifestèrent graduellement diverses causes de décadence, puissamment secondées par les inconvénients résultant du local incommode et insalubre où l'Institution se trouvait colloquée. La nécessité, de jour en jour plus impérieuse, d'assizner un autre séjour à cet établissement, amena, en 1838, la loi du 18 juillet, statuant érection d'un nouveau bâtiment pour la recevoir. Le 22 juin de l'année suivante, M. Dufaure, ministre des Travaux publics, posa la première pierre de ce bâtiment qui devait être situé à l'angle du boulevard des Invalides et de la rue de Sèvres, et dont la construction était confiée à M. Philippon.

Le 28 mai 1840, M. Pignier fut remplacé en qualité de directeur par M. Dufau qui remplissait à l'institution, depuis l'année 1815, les fonctions d'instituteur. Dans l'année suivante, une ordonnance royale, comprenant les autres établissements géné

raux de bienfaisance, organisa ces établissements sur de nouvelles bases. L'ancienne administration fut supprimée et chaque établissement dut être administré, sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, par un directeur responsable assisté d'une commission simplement consultative composée de quatre membres. Sous l'influence de cette réforme fondamentale, tous les ervices furent successivement renouvelés et d'importantes amliorations matérielles et morales introduites. Le 11 novembre 1843, l'essor décisif qui avait été imprimé à l'établissement, reçut son complément par sa translation dans le nouveau bâtiment dont le dotait la munificence nationale, et où il ne devait plus s'arrêter dans la voie du progrès. La régénération fut complète.

Le nombre des bourses de l'État fut alors porté à 120 et le chiffre de la subvention à 110,000 fr.

Ainsi, depuis sa fondation, dans l'espace de soixante-six années environ, l'Institution a changé six fois de séjour.

En 1855, M. Dufan, dont l'obligeante initiative nous a fourni un grand nombre de documents sur l'Institution impériale des Jeunes Aveugles, a été, sur sa demande, mis à la retraite. Il a conservé le titre de directeur honoraire. Pendant cette longue carrière, M. Dufau s'est consacré avec zèle à l'éducation et à l'amélioration du sort des infortunés confiés à ses soins. Outre un grand nombre d'ouvrages ou mémoires d'économie politique, il a publié plusieurs écrits qui ont été accueillis avec faveur Plan de l'organisation de l'Institution des Jeunes Aveugles (1833, in-8'), ouvrage qui fut récompensé par l'Académie française d'un prix Monthyon de 6,000 fr.; Notice historique sur Valentin Hary, fondateur de l'Institution (1844, in-8; Mémoire sur l'éducation d'une jeune fille aveugle, sourde-muette et sans odorat, communiqué à l'Académie des sciences morales et politiques, en 1845; et enfin, Souvenirs d'une avengle-née (1851, in-12), fiction touchante et ingénieuse, dans laquelle l'auteur a essayé de retracer le développement des facultés et des sensations chez l'aveugle de naissance.

Le bâtiment actuel de l'Institution a été construit sur des terrains réunis, et formant un ilot que bornent aux quatre côtés le boulevard des Invalides N.-E., la rue de Sèvres S.-E. et les rues peu bàties de Masséran et des Acacias S.-O. et N.-O. Ce terrain, de forme rectangulaire, a sur le boulevard une étendue de 157 mètres; sa profondeur sur la rue de Sèvres est de 73 mètres 53 cent. La superficie totale est de 11,800 mètres, dont 2,860 sont occupés par les constructions.

L'entrée principale est sur le boulevard par une grande grille, aux extrémités de laquelle sont deux pavillons dont l'un est affecté au concierge, et l'autre a été disposé comme corps de garde. Aux deux côtés de la cour sont pratiqués deux petits jardins symétriques de forme octogone et plantés d'arbustes.

La façade est ornée d'un fronton dù au ciseau habile de M. Jouffroy, et représentant Valentin Hay, au milieu d'an groupe de jeunes gens et de jeunes filles aveugles, livrés à ces travaux divers qu'il a su créer pour eux.

Les bâtiments, au nombre de sept, forment un ensemble entièrement isolé et fort bien adapté dans ses dispositions générales à la destination de l'édifice. Le bâtiment principal consacré aux services généraux est situé au centre. Le rez-de-chaussée comprend le vestibule, le grand escalier, la cuisine et la salle des bains. Au premier, sur le devant, la salle du conseil et le cabinet du directeur, et dans toute la profondeur du bâment, la salle des exercices publics et la chapelle, l'une et l'autre comprenant deux étages et pouvant être réunies ou séparées au moyen de grandes portières et de rideaux. La salle d'exercices qui présente deux rangs de colonnes en stuc, n'est pas moins sonore qu'élégante; elle peut contenir environ mille personnes. La chapelle est ornée de peintures remarquables, dues à M. H. Lehmann. L'orgue sort des ateliers de M.CavailléColl.

Au second, sur le devant, le cabinet du médecin avec ses dépendances; au troisième l'oratoire des sœurs infirmières et la pharmacie, et dans la profondeur du bâtiment les chambres des professeurs et des salles d'archives et de dépôts divers.

Les bâtiments des élèves, parallèles au premier, forment deux quartiers opposés entre eux et joints au rez-de-chaussée par un vaste corridor, l'un au N.-O. pour les garçons et l'autre au S.-E. pour les filles. Ces bâtiments sont doubles en profondeur et élevés de deux étages. Le rez-de-chaussée est consacré aux ateliers et à la salle de récréation; au premier, les classes, salles d'études et de conférences; au deuxième, les dortoirs, lavabos

« AnteriorContinua »