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la douleur qu'Agamemnon devoit ressentir comme père, ne pouvoit s'exprimer que par des contractions toujours hideuses. Il en suivit l'expression tant qu'elle permit encore la beauté et la dignité. Il eût bien voulu éviter la laideur; il eût bien voulu l'adoucir... Mais lorsque sa composition ne lui permit plus ni l'un ni l'autre, quelle autre ressource lui restoit-il que le voile dont il s'est servi, de laisser deviner ce qu'il n'osoit peindre? En un mot, ce voile est un sacrifice que l'artiste fit à la beauté. Il montre, non pas comment on peut porter l'expression au-delà des bornes de l'art, mais comment on doit la soumettre à sa loi suprême, à la loi de la beauté.

que

Appliquons cette idée au Laocoon, et la cause que nous cherchons paroîtra dans son évidence. Quel étoit ici le but de l'artiste? La suprême beauté, sous la condition donnée de la douleur corporelle. Cette douleur dans toute sa violence auroit détruit la beauté. Il fallut donc la réduire; il fallut réduire les cris à des soupirs; non que les cris décè lent une ame foible, mais parce qu'ils défi gurent le visage et en rendent l'aspect dégoûtant. Qu'on ouvre seulement en idée la

bouche du Laocoon et qu'on juge: qu'on le fasse crier et qu'on voie! D'une figure qui nous inspiroit la pitié, parce qu'elle exprimoit à-la-fois la beauté et la souffrance nous aurons fait une hideuse image dont nous voudrions détourner les yeux, parce que l'aspect de la douleur nous importune, sans que la beauté de l'objet souffrant puisse changer ce sentiment importun dans le doux sentiment de la compassion.

La simple ouverture de la bouche (sans parler de la contraction dégoûtante et forcée qu'elle produit dans le reste des traits), forme dans la peinture une tache, et dans la sculpture un creux de l'effet le plus désagréable. Montfaucon montre peu de goût, lorsque, dans une vieille tête barbue qui a la bouche ouverte, il croit trouver un Jupiter rendant des oracles. Faut-il donc qu'un Dieu crie lorsqu'il révèle l'avenir? Le contour agréable de sa bouche rendroit-il ses discours suspects? Je ne saurois même croire ValèreMaxime, lorsqu'il dit que Timanthe avoit

'Antiquit. expl. t. 1, p. 50.

Voici comment il désigne les divers degrés d'affliction qu'avoit réellement exprimés Timanthe: Cal

fait crier Ajax dans le tableau déjà cité. Des artistes bien inférieurs, dans les temps de la décadence de l'art, ne font pas crier les barbares les plus féroces, lorsque la terreur et l'angoisse de la mort les saisissent, sous l'épée sanglante des vainqueurs !.

Plusieurs ouvrages de l'art antique nous prouvent évidemment ce soin de réduire à un degré moins violent l'expression de l'extrême douleur corporelle. L'Hercule souffrant dans la robe empoisonnée, qu'avoit représenté un ancien maître inconnu, n'étoit pas l'Hercule de Sophocle, dont les cris horribles faisoient retentir les rochers Locriens et le promontoire de l'Eubée. Il étoit plus sombre que furieux. Le Philoctète de Pythagore le Léontin, sembloit communiquer sa douleur aux regardans, effet

que la

chanta tristem, mæstum Ulyssem, clamantem Ajacem, lamentantem Menelaum. Le crieur Ajax devoit être une fort laide figure; et comme ni Cicéron ni Quintilien ne parlent de lui dans leurs descriptions de ce tableau, je serai d'autant plus en droit de croire que Valère-Maxime l'y avoit ajouté de sa tête, dans la bonne intention de l'enrichir.

'Bellorii Admiranda, tab. 11, 12.

Plin. lib. xXXIV. sect. 19.

moindre expression d'horreur auroit pu détruire. On me demandera peut-être où j'ai pris que cet artiste avoit fait une statue de Philoctete? Dans un passage de Pline falsifié ou mutilé d'une manière si visible, que je n'aurois pas dû être le premier à le rétablir d

III.

CEPENDANT nous avons observé que l'art, dans les temps modernes, a beaucoup reculé ses bornes. On veut que son imitation s'étende à toute la nature visible dont le beau n'est qu'une petite partie. Expression et vérité, voilà, dit-on, ses premières loix; et comme la nature même sait toujours, quand il le faut, sacrifier la beauté à des vues plus élevées, l'artiste doit subordonner cette même beauté à la vocation plus générale qui l'appelle à tout imiter, et n'en suivre les loix qu'autant qu'elles s'allient à la vérité et à l'expression. C'est assez pour lui de changer par ces moyens en beauté de l'art, ce qui étoit laideur dans la nature.

Supposons que, sans contester ces principes, on veuille préalablement les laisser pour ce qu'ils valent, n'existe-t-il pas des

considérations qui en sont indépendantes, et qui seules obligeroient l'artiste à se borner dans l'expression, et lui défendroient de choisir jamais le dernier instant, le point extrême de l'action qu'il représente?

Nous serons, je crois, conduits à des considérations de ce genre, si nous réfléchissons

que

les bornes matérielles de l'art réduisent son imitation à un seul instant.

Si l'artiste ne peut jamais saisir qu'un instant du mobile tableau de la nature; si le peintre en particulier ne peut présenter cet unique instant que sous un seul point de vue; si pourtant les ouvrages de l'art ne sont pas faits pour être simplement apperçus, mais considérés, contemplés long-temps, et à diverses reprises, il est certain qu'on ne doit rien négliger pour choisir ce seul instant, et le seul point de vue de ce seul instant le plus fécond qu'il soit possible. Nous ne pouvons entendre ici par le plus fécond, que ce qui laisse à l'imagination le champ le plus libre. Plus nous regardons, plus il faut que nous puissions ajouter par la pensée à ce qui est offert à nos yeux; plus notre pensée y ajoute, plus il faut que son illusion paroisse se réaliser. Mais de toutes les gra

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