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chapitre. Comme son mari, elle avait, même verner ma conscience par un diner. » Il proposa au péril de sa vie, donné aux Bourbons des à la chambre un mode d'entretien des routes preuves de dévoûment que Louis XVIII récom-royales et départementales qui avait de l'anapensa, ainsi que les services de son mari, par logie avec ceux adoptés en Angleterre; il proune pension sur sa liste civile. nonça, sur les banques départementales, un discours qui fut justement remarqué, et parla SAINT-PERN COUELLAN (JOSEPH-Sur diverses questions pratiques. Il remplissait CHRISTOPHE-Marie-Philippe, comte DE), son mandat avec une sévère exactitude. Tounaquit, le 23 mai 1793, à la Trinité ( colonie jours l'un des premiers arrivés à la chambre, espagnole), où son père, Anastase-Joseph, lieu-il était un des derniers à la quitter. Le seul contenant de vaisseau, cinquième fils de René-trôle qu'il admit de la part des électeurs était la Célestin Bertrand, et sa mère, Marie-Louise de publicité des votes, et il s'empressait de faire Longvilliers de Poinci, avaient émigré. Il fut connaître les siens. Jusqu'à sa mort, qui eut plusieurs années maire de Dinan et membre du lieu à Paris, le 4 février 1839, il ne cessa de conseil général des Côtes-du-Nord, où il rem- s'occuper de la ville dont il avait été le premier plit les fonctions de secrétaire et de vice-prési- administrateur. Plusieurs journaux de Bretadent. Son administration comme maire a été gne publièrent alors sur le député des Côtessignalée par plusieurs institutions utiles, telles du-Nord des notices honorables pour sa méque la création d'une caisse d'épargnes, d'une moire. « Nous nous empressons, dit l'Auxiliaire caisse de retraites municipale, l'amélioration Breton du 8 février 4839, de joindre l'expresou l'établissement de voies de communication, sion de nos regrets à ceux du journal (le Jourde la place du Champ-Duguesclin, d'un cime-nal du Commerce) où nous puisons cette triste tière nouveau, la restauration des deux vieilles nouvelle. Comme lui, nous rendons hommage tours de la ville, la réorganisation du collége aux précieuses qualités de M. de Saint-Pern, communal, l'élargissement, l'embellissement dont le patriotisme et le noble caractère nous et l'assainissement des Petits-Fossés, le classe- étaient d'autant mieux connus, qu'il honorait ment des archives de la ville, la préparation d'un musée et d'une salle historique dans laquelle il a fait placer les portraits du maréchal de Beaumanoir, de Duclos et du comte de la Garaye, exécutés par un bon peintre. On lui doit aussi la fondation de l'Annuaire dinannais. Quand il fut nommé membre de la chambre des députés par le collége électoral de l'arrondissement de Dinan, le 6 janvier 1835, il dit qu'il était, comme son siècle, désabusé des mesures impitoyables; qu'il avait ignoré tout ce qui s'était passé en France pendant l'éloignement des siens; qu'il voulait l'ignorer toujours et ne pas voir des ennemis personnels dans les ennemis et les spoliateurs de sa famille; que si la députation était, de la part des électeurs, un mandat de confiance, elle était pour le député une mission de conscience; qu'il ne comptait suivre d'autres guides que la voie de l'honneur et les inspirations de sa conscience; qu'il ne se laisserait pas plus imposer de conditions par le pouvoir pour ses votes, qu'il n'avait voulu en subir de la part des électeurs qui semblaient marchander leurs suffrages. Tels sont les sentiments qu'il manifesta dans l'allocution prononcée après son élection. Il fut fidèle à son programme. En effet, invité à dîner chez le roi Louis-Philippe, le jour même où devait être votée une loi vivement disputée au ministère (on supposait, ou qu'il n'irait pas diner chez le roi immédiatement après avoir voté contre le Gouvernement, ou qu'il s'abstiendrait de voter en acceptant le diner), il refusa l'invitation et vota contre la loi. « J'ai l'estomac trop délicat SAINT-PIERRE (AUGUSTE - BONABLE MÉel mène une vie trop frugale, disait-il à cette HERENC, marquis DE), né le 8 novembre occasion à l'un de ses parents, pour laisser gou- | 1741, au château de la Mollière, paroisse de Saint

la rédaction de l'Auxiliaire de communications
multipliées, surtout pendant les sessions légis-
latives. » M. le comte de Saint-Pern, disait
la Quotidienne du 14 février 1839, s'était fait re-
marquer à la chambre par la noblesse de son
caractère et l'indépendance de ses votes. Maire
de Dinan pendant six années, il avait conquis
par sa bonne administration l'estime de ses
concitoyens. Chrétien sincère pendant toute sa
vie, sa mort a été chrétienne, et, à ses derniers
moments, c'est en invoquant les secours de la
religion qu'il a trouvé la force et la résignation
qu'elle seule peut inspirer, etc. etc. » Il est au-
teur des écrits suivants : I. Adresse aux élec-
feurs de la Bretagne. Dinan, 1827. II. Annuaire
dinannais, pour les années 1832 à 1836. Dinan,
Huart, 1832-1836, 5 vol. in-18. III. Combat
de Saint-Cast, orné d'un plan, suivi des pièces
à l'appui et d'observations sur ce qui a été pu-
blié à ce sujet. Dinan, J.-B. Huart, 1836, in-8°
de 88 pages. Cet écrit rectifie plusieurs erreurs
accréditées à l'occasion de cet événement. La
plus grande partie en a été insérée dans l'An-
nuaire dinannais. IV. A messieurs les membres
du conseil général des Côtes-du-Nord. Dinan,
J.-B. Huart, 1832, petit in-8°, 14 pages. Indi-
cation de diverses propositions faites par l'au-
leur dans la session du conseil général des Cô-
tes-du-Nord de 1832. V. Un Mariage dans le
Ciel. Dinan, Huart, 1836, petit in-8°. Regrets
adressés à la Pologne et extraits de l'Annuaire
dinannais de 1830.
P. L...t.

Senoux, appartenait à une famille de chevale- | 1er octobre 1766, à Lanrelas, canton de Broons rie, originaire de Normandie, mais établie en (Côtes-du-Nord), d'une famille noble, mais Bretagne depuis deux siècles. Entré, comme pauvre. Après avoir fait, dans son pays, d'assez garde, dans la marine, en 1755, il était capi- bonnes études, il entra fort jeune comme offitaine de vaisseau quand il quitta le service, en cier dans l'artillerie de la marine, où il servait 1785. Sa carrière avait été active. Pendant la depuis peu de temps lorsque survint la Révoluguerre de sept ans, il avait fait six campagnes tion. S'en étant montré, dès l'origine, un des sous les ordres de MM. de Perrier, Dubois de la adversaires les plus prononcés, il émigra et se Motte, de Boisgelin, de Conflans et de Blénac. trouvait en Angleterre quand la chouannerie Le temps qui s'écoula de la paix de 4763 à la leva son drapeau. Il se hâta d'accourir en Breguerre de 1778, il le partagea entre cinq nou-tagne, où il créa, dans le département d'Illevelles campagnes et l'instruction des gardes de et-Vilaine, la division de Saint-Méen, qui agit, la marine, dont il était chef de brigade. Embar- tantôt avec les autres divisions de ce départequé successivement sur les vaisseaux la Cou- ment, tantôt avec celles des Côtes-du-Nord et ronne et le Magnifique, pendant la guerre d'A- du Morbihan, départements sur la lisière desmérique, il y prit une part qui lui valut de join- quels il avait établi le centre de ses opérations. dre la décoration de Cincinnatus à la croix de Plein d'énergie et de résolution, secondé d'ailSaint-Louis, qui lui avait été décernée en 1776. leurs par d'autres partisans non moins intréEn 1788, il fit partie de la députation que la pides que lui, il déploya une tenacité indompnoblesse des Etats de Bretagne envoya à Paris table et un courage à toute épreuve, soit dans pour soutenir les droits de la province et de-les expéditions qu'il entreprit de lui-même, soit mander la liberté des députés renfermés à la dans celles ou il se joignit à Puisaye et à GeorBastille. ges Cadoudal, sous les ordres de qui il fut sucAyant émigré, après l'arrestation de Louis XVI cessivement placé. M. Théod. Muret (Histoire à Varennes, il rejoignit, l'année suivante, l'ar-des guerres de l'Ouest, t. V, p. 80 et 81) cite mée des princes, où il servit comme volontaire. deux occasions où il fit preuve d'une rare auAprès le licenciement de l'armée de Condé, il dace et d'un grand sang-froid. Un jour, il ense réunit aux Français rassemblés à Jersey sous tra, avec trente ou quarante hommes, dans Loules ordres de M. Du Dresnay. Réduit alors à la déac, où se trouvaient quatre cents soldats récondition de simple jardinier, pour procurer à publicains, et enleva si rapidement les fonds du sa femme et à ses deux enfants le pain de chaque receveur qu'on n'eut pas le temps de s'y opposer. jour, il eut à supporter cette vie de fatigues et Un autre jour, il avait besoin d'aller à Rennes. de privations jusqu'en 1802, époque où il put Ayant rencontré deux charbonniers dans la revoir le sol de la patrie. A son arrivée, il trouva forêt de la Hunaudaye, il emprunta leurs cheses biens vendus. Essentiellement bon et tolé-vaux et se revêtit de leurs habits. Plus loin, rant, on le vit assister de ses conseils et même de ses secours ceux qui en étaient possesseurs; et, quand vint la disette de 1816, il établit à son château du Bois de la Salle deux distributions hebdomadaires de pain et de bouillon aux pauvres de la commune, en même temps qu'il abandonna à l'administration municipale de Saint-Brieuc, à moitié des prix courants, ses grains en greniers pour contribuer aux secours distribués par la ville.

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deux gendarmes se trouvèrent sur son chemin.

« Brave homme, lui demandèrent-ils, d'où viens-tu?» Le faux charbonnier, prenant à merveille les allures et le langage de son rôle, indiqua l'endroit d'où il venait.- « Tu dois connaître Saint-Régeant? reprirent les gendarmes. Oh! dam, oui. Comment est-il? Un bel homme comme moi. » Or, Saint-Régeant, faible de constitution, ne payait ni de mine ni de taille; les gendarmes rirent, et leur interlocuteur poursuivit sa route. Dans une troisième circonstance, il fut arrêté à la foire de SaintUnet; il était habillé en femme, et faisait semblant de tricoter. Conduit dans la prison de Loudéac, il s'en évada dans la nuit.

Lorsqu'au mois de juillet 1795 l'armée rouge s'avança dans les Côtes-du-Nord, sous les ordres de Tinténiac, Saint-Régeant la joignit à peu de distance de Josselin, et lui amena trois à quatre cents soldats; et, après la mort de Tinténiac, il resta à Quintin avec sa division, tandis que l'armée marchait sur Châtelaudren. Agissant, tantôt isolément, tantôt avec le concours des bandes de Cadoudal, de Guillemot, de Carfort, de Dujardin, etc., il ne cessait de harceler les républicains, leur tuant beaucoup de monde et pillant les caisses publiques. Lors du coup de main

cheval par une petite fille de dix ans, vouant ainsi cette enfant à une mort inévitable: d'après M. Théod. Muret (Histoire des guerres de l'Ouest, t.V, p. 246), ce fait est entièrement controuvé. La rue était donc en grande partie bar

sur Saint-Brieuc, dont nous avons déjà parlé | venait aboutir entre ses mains. Afin d'ajouter à (voyez Carfort), Saint-Régeant, suivi de deux l'odieux de ce forfait, on a dit qu'il fit tenir le cent cinquante hommes de sa division, entra le premier dans le poste qui gardait les détenus royalistes, le désarma; puis quoique blessé, légèrement il est vrai, il pénétra dans la prison et délivra ceux qui y étaient renfermés. Cet intrépide partisan est une nouvelle et dé-rée par la voiture, qui se trouvait ainsi faire plorable preuve des excès auxquels peut porter obstacle au passage de la voiture du Premier le fanatisme politique. Que d'autres s'ingénient, Consul. Un cavalier qui la précédait força brussous telle ou telle forme, à pallier l'exécrable at- quement Saint-Régeant à se ranger, ou plutôt. tentat du 3 nivôse; pour nous, il n'est qu'un selon M. Muret, le cocher, pris de vin, voulut acte de férocité, d'autant plus affreux qu'il fut culbuter la machine, s'il ne pouvait l'éviter, et, médité de longue main, froidement combiné et pressant vivement son attelage, il lança un viméthodiquement exécuté. Tout porte à croire goureux coup de fouet au cheval du tonneau qu'à Saint-Régeant seul appartient la concep- pour le rejeter vers les maisons. Quelle qu'ait tion de son projet, et que, s'il communiqua à été la cause du dérangement occasionné par Cadoudal sa résolution de frapper le chef du cet incident, il sauva le Consul; l'appareil fut nouveau gouvernement, il ne lui fit pas con- dérangé, et un retard de quelques secondes naître du moins le moyen qu'il devait employer, dans l'explosion laissa à la voiture consulaire moyen qu'aurait repoussé la rude et loyale fran- le temps de tourner l'angle de la rue Saint-Hochise de Georges. Venu à Paris dans le courant noré. La catastrophe et ses résultats sont trop du mois d'octobre 1800, Saint-Régeant y fut connus pour que nous ayons besoin de les rapsuivi de Limoëlan (voy. ce nom) et de quelques porter ici. Quant à Saint-Régeant, qui n'avait gens sûrs, du nombre desquels était Carbon, pu suffisamment s'éloigner, il tomba la face qui passait pour domestique de ce dernier, et contre terre, se releva tout meurtri et suffoqué, qui, en effet, le servait depuis plusieurs mois. et se traîna dans la rue des Prouvaires, où un Officier d'artillerie, Saint-Régeant demanda asile l'attendait. Il y arriva dans un état de faiaux connaissances que lui avait fait acquérir sa blesse tel que ses hôtes, effrayés, crurent deprofession les moyens de construire cet effroya- voir envoyer chercher un médecin et un conble instrument de destruction, que l'on a si bien fesseur. II put d'abord se soustraire aux actives nommé la machine infernale: ce fut lui qui pré- recherches dont il était l'objet; mais, traqué para les mèches et la poudre, dont il calcula les par de nombreux espions, il finit par être pris, effets avec une incroyable précision. Cette ma-après avoir plusieurs fois changé de demeure. chine, remplie de poudre et de mitraille, avait Traduit, avec ses complices, devant le tribunal la forme et la grosseur d'un de ces tonneaux criminel de la Seine, il n'eut pas un instant de qui servent à transporter l'eau dans Paris; des- faiblesse pendant tout le procès, qui dura plusous était adaptée une batterie de fusil que l'on sieurs jours; il s'attacha surtout à ne comdevait faire jouer avec la main ou à l'aide d'un promettre personne. Lorsqu'il entendit la lecfil. Lorsque le moment de mettre le feu fut ar-ture de son arrêt, il en demanda l'exécution rivé, Saint-Régeant et ses principaux compli- dans les vingt-quatre heures; mais Carbon, ces voulaient chacun se dévouer; on tira au homme faible et vulgaire, se pourvut en cassasort, qui le désigna. C'était dans la soirée du tion, et il fallut alors que Saint-Régeant atten3 nivôse an 1x (24 décembre 1800). Les auteurs dit quinze jours. Il subit sa peine le 30 germidu complot savaient que le Premier Consul, pournal an Ix (20 avril 4804); il mourut courageuse rendre à l'Opéra, rue Richelieu, devait pas- sement, après avoir rempli avec ferveur ses deser, en sortant des Tuileries, par l'étroite rue voirs religieux. P. L...t. Saint-Nicaise, qui se prolongeait alors très-loin sur le Carrousef, puisque l'hôtel de Nantes, na- SALAUN (NICOLAS),- né à Guingamp, en guère encore isolé au milieu de la place, appar-1747, mais dont nous ignorons le lieu et l'épotenait à cette rue. Ce fut dans la rue Saint-Ni- que de décès, est auteur de quelques opuscules caise que Saint-Régeant, Limoëlan et Carbon, en prose ou en vers dont nous empruntons les déguisés en charretiers, conduisirent leur ef- titres à M. Miorcec de Kerdanet (Notices chrofroyable machine, que le premier plaça dans nologiques, etc., p. 336). — Lettres critiques un enfoncement de maison, à l'angle de cette sur Roméo et Juliette;-Etrennes à mes amis; rue et de celle de Malte (Chartres), tandis que Lettres sur les spectacles; Imitation de la ses deux compagnons restaient à quelque dis-neuvième satyre de Boileau, avec des notes, tance. Au lieu de mettre la voiture en long con- 1774, in-8°; - Observations sur les spectacles tre les maisons, Saint-Régeant la plaça en tra- de Rouen; - Poésies fugitives. P. L...t. vers, très-probablement dans le double but de se garantir de l'explosion et de faire plus sûrement agir le ressort à l'aide du fil de fer qui

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SALM-DICK (CONSTANCE-MARIE DE THÉIS, princesse DE), naquit à Nantes le 7 novem

bre 1767. Son père (1) (voy. Théis) était d'une entourés d'un cercle d'artistes et de littérateurs noble famille, originaire de Picardie, et lorsque du plus haut mérite. La première représentasa fille vint au monde, il exerçait à Nantes les tion de Sapho, l'oeuvre la plus importante que fonctions de juge-maître des eaux et forêts de Mme Pipelet cût jusque là composée, vint la ville et du comté. C'était un homme d'un compléter sa renommée naissante par un imesprit fin, délicat, possédant une instruction mense succès. Jouée pour la première fois sur variée, tournant à ravir le vers léger et facile, le théâtre de la rue de Louvois, le 14 décemimitateur assez heureux du genre de La Fontaine, bre 1794, cette tragédie lyrique, en trois actes dont il a su parfois rencontrer la grâce et la et en vers, eut plus de cent représentations sucnaïveté. M. de Théis, que ses ouvrages recessives. La musique, écrite par Martini, aucommandaient à l'estime publique, fil donner teur de l'Amour de quinze ans, du Droit du seià sa fille une éducation solide et brillante. gneur, d'Annette et Lubin, ne manque ni d'amComme le séjour de Nantes ne convenait point pleur, ni de suavité, ni d'énergie, et les paà sa santé faible et débile, il se retira en Picar-roles, quelquefois molles et grêles, ont pourtant die, dans son château héréditaire, et s'y con- le plus souvent de la force mêlée à l'élégance. sacra tout entier au soin d'élever ses enfants. Vers le même temps, Me Pipelet fut accueilSa sollicitude ne fut point stérile. Dès l'àge de lie avec le plus vif empressement comme memdix-huit ans, la jeune Constance reproduisit bre des plus célèbres sociétés littéraires, qui s'édans plusieurs pièces de vers, insérées par taient alors formées au milieu même des orages l'abbé de Fontenay, en 1783, dans le Journal sanglants de la Révolution française. Admise général de France, le tour aisé qu'elle avait d'abord à la Société anacréontique, qui n'eut hérité de son père, en y joignant une justesse que quelques années d'existence, et pour laheureuse d'expression, de la finesse sans ap- quelle elle écrivit plusieurs chansons et poéprêt, du sentiment sans afféterie. L'Alma-sies fugitives (1), elle fut reçue, en 4795, sous nach des grâces reçut aussi quelques-uns des le patronage de Sedaine et de Mentelle, au Lypremiers essais de la jeune muse, notamment, cée des arts (2), où elle lut, pour la première en 1788, les couplets Bouton de rose, improvi- fois de sa vie, dans un cercle littéraire, deux sés à la demande de quelques amis, sur le vieil idylles imitées de Gessner, sous les titres air de la Baronne, et demeurés oubliés, dit d'Amyntas et de Mirtil. On y trouve quelques l'auteur elle-même, pendant plus de dix ans. vers qui ont un air de famille avec ceux du Le compositeur Pradher, les ayant trouvés plus grand poète qu'ait produit cette période dans ce recueil, y fit un air qui leur donna de notre histoire littéraire, André Chénier. beaucoup de vogue, et les rendit même, comme D'autres réunions entendirent encore les lecon sait, presque populaires. En 1843, Collet tures de cette femme d'esprit, qui vivait ainsi en a fait paraître une reproduction avec accom- dans la société amicale de tous les hommes de pagnement de piano. talent de cette époque. Ainsi, elle se vit applaudir au Lycée des étrangers et au Lycée de la rue de Valois, où professait Laharpe. C'est là qu'elle lut, en 1801, ses Epitres à Sophie (Mlle de Salis, depuis baronne de Triquetti), où elle s'applique à venger son sexe des déclamations satiriques de Juvenal et de Boileau con

D'autres pièces plus solides donnèrent à Mile Constance de Théis une réputation mieux fondée de talent poétique, et plusieurs prétendants aspirèrent à la main d'une personne qui unissait une remarquable beauté à toutes les qualités de l'esprit. En effet, outre sa facilité à écrire des vers aimables et grâcieux, elle se dis-tre les femmes. C'était d'ailleurs une œuvre tinguait par une connaissance approfondie des langues vivantes (2), de la composition musicale, des mathématiques, et surtout par une grande rectitude de jugement. Le gendre agréé par le choix de M. de Théis fut M. Pipelet de Leury, jeune médecin de vingt-deux ans, fils d'un ancien secrétaire du roi, et possédant une belle fortune. Cette heureuse circonstance permit à Mlle de Théis de briller désormais sur une scène plus digne d'elle. En 1789, les jeunes époux se fixèrent à Paris, et se virent bientôt

(1) Voyez la Biographie universelle à l'article THÉIS, ou plutot Euvres complètes de M la princesse Constance de Salm, dont nous donnons plus loin le titre détaillé, t. 1, p. 275. La fille y paie à son père un juste hommage de tendresse et de vérité historique.

(2) On peut lire, t. II, p. 152, des Œuvres complètes, une traduction élégante de La Libertà, a Nice de Metastase.

d'à-propos. Des contestations s'étaient élevées
dans les journaux du temps sur le rôle littéraire
qui convient aux femmes, et Mme Pipelet avait
déjà revendiqué ses droits, en 4797, dans une
épître où elle disait :

Les hommes vainement raisonnent sur nos goûts;
Ils ne peuvent juger ce qui se passe en nous.
Qu'ils dirigent l'Etat, que leur bras le protége;
Nous leur abandonnons ce noble privilége,
Nous leur abandonnons le prix de la valeur.
Mais les arts sont à tous, ainsi que le bonheur.

En 1801, elle venait réclamer de nouveau la place de la femme au soleil de l'intelligence. comme jadis l'avait fait avant elle Mile de Gournay, la fille d'alliance de Montaigne. On avait

(1) Voyez, pour le titre de ces pièces, t. II, p. 300, des Euvres complètes.

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(2) Sur le Lycée des arts, consultez les Œuvres complètes, t. II, p. 302 et suivantes.

quelque peu réfuté et censuré ses prétentions:
ses Epitres à Sophie répondirent avec une verve
qui est loin de manquer de raison et de justice.
Il y a de même un grand fond de rectitude
dans l'Epitre sur les dissensions des gens de let-
tres, et dans le fragment de l'Epitre sur l'état
actuel de la littérature, inséré dans le Journal
de Paris, en 1804. On voyait déjà poindre la
lutte qui devait plus tard se dessiner, ardente
et passionnée, entre les romantiques et les clas-
siques. Mm Pipelet se mit du côté de la logique
et du bon goût, nous voulons dire dans le parti
des hommes sensés qui n'excluent rien de la
littérature et des arts, si ce n'est le culte de la
laideur et de l'immoralité. Ses doctrines sur ce
sujet valent la peine d'être citées (1): « C'est
>> au temps, dit-elle, à l'expérience, au bon
On devine que l'union de Constance de Théis
> sens public seuls, qu'il appartient de conci- avec M. Pipelet de Leury n'était point heureuse.
>> lier deux partis si opposés, en prouvant à l'un Les portraits du Mari jaloux, de l'Epoux infi-
» que, dans les lettres comme dans les arts, il dele, viennent confirmer cette conjecture qu'é-
» y a des principes invariables, reconnus, né- clairent encore et quelques-unes des pensées de
> cessaires, que même les plus beaux transports notre auteur sur les unions mal assorties, et sa
» du génie ne pourraient donner droit de mé-pièce intitulée : Le Divorce, ou Conseils d'une
> connaître, et à l'autre, que l'esprit d'un siè-mère à sa fille.

(ment ne pas être frappé des vers suivants d'une
des Epitres à Sophie? (1)
Amour de la justice, élan sacré de l'âme,
Qui toujours m'embrasas de la céleste flamine,
A qui je consacrai, dès mes plus jeunes ans,
Mes travaux, mes beaux jours, mais transports renaissants.
Viens, redouble en mon sein ton ardeur généreuse;
Terminons dignement la tâche glorieuse
Qu'imposent à mon cœur, bien certain de ses droits,
Les n.alheurs de mon sexe opprimé tant de fois :
Achève de m'offrir ce spectacle de crainte.
De pleurs toujours cachés, de terribles contraintes,
Ces fiers emportements des hommes, des époux :
N'en désigne pas un, mais dévoile-les tous;
Et puisse à ces tableaux la beauté jeune encore,
Qui du titre de femme en riant se décore.
Tremblante, s'arrêter aux marches de l'autel,
Et suspendre du moins un lien éternel.

»cle n'est pas celui du siècle qui l'a précédé, Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en 1802, celle
» et que l'on peut céder à l'impulsion générale, qui avait été jusque là Mm Pipelet devient la fem-
» et donner à ses pensées des formes plus ap-me du comte de Salm-Dyck (2), ancien comle
» propriées au goût du temps, sans quitter la
>> route tracée par les grands maîtres qui ont fait
» et font encore la gloire littéraire de la France.
» C'est, je persiste à le croire, ce qui arrivera
» tôt ou tard, et même ce qui commence déjà
» à avoir lieu par la seule force des choses, qui
> entraîne tout, et qui ramène sans cesse les es-
prits à ce qui est juste, vrai et raisonnable.»
Il est difficile de mieux dire et de se montrer
plus digne du beau titre que lui décernait Jo-
seph Chénier, en l'appelant la Muse de la rai-

son.

La même rectitude d'appréciation se retrouve formulée avec autant de bonheur dans toute la partie des écrits que cette femme remarquable a réunis sous le titre de Pensées. En voici une pleine de finesse : « Les hommes nous prêchent »sans cesse la douceur et la patience, parce » qu'ils trouvent plus facile de nous élever à » supporter leurs défauts que de s'étudier à les vaincre. » Et cette autre : « Nous aimons la » morale, quand nous sommes vieux, parce » qu'elle nous fait un mérite d'une foule de pri>>vations qui nous sont devenues une néces> sité. »

Tandis que tant de succès littéraires étendaient chaque jour la réputation de Mm Constance Pipelet, il semble qu'elle ait éprouvé, dans l'intérieur de son ménage, des déboires et de cruelles déceptions. Il convient, même à la biographie, qui pénètre plus intimement que l'histoire, de ne pas fouiller trop avent dans ces mystères d'une âme désillusionnée; mais com

(1) Euvres complètes, t. II, p. 307.

à

du Saint-Empire, élevé à la dignité de prince en 1816; et il est à remarquer que l'éclat de sa haute fortune, l'opulence de son noble rang ne laissent jamais dans son âme la moindre place un seul regret du passé. Tout, d'ailleurs, sourit à la belle et spirituelle comtesse. La chute de son drame intitulé: Camille, ou Amitié et imprudence, donné aux Français en 1800, mêle à peine un léger souvenir d'amertume à la vic tout à la fois si douce et si splendide qui désormais lui est faite. Reçue aux Tuileries, honorée des paroles aimables de l'Empereur, chantre officiel du mariage de Napoléon et de Marie-Louise, elle réunit à son tour, dans son salon, une cour au milieu de laquelle elle aime à s'asseoir, moins en souveraine qui domine par l'ascendant de la beauté, qu'en femme spirituelle et affectueuse qui se plaît aux démonstrations franches des sympathies dont elle est l'objet.

C'est surtout dans les premières années de l'Empire que le salon de Mm de Salm brilla du plus vif éclat. La société d'élite qui s'y pressait se composait des hommes et des femmes les plus célèbres alors par leur talent et par leur esprit. Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici quelques-uns de ces noms, que peut-être la postérité n'oubliera pas tous. C'étaient le compositeur Martini, l'auteur de la musique de Sapho; les géographes Mentelle et Pinkerton, l'orientaliste Langlès, les savants de Prony, Lalande, Thurot, Clavier; le mécanicien Breguet, l'ini

(1) Euvres complètes, t. I, p. 205.

(2) Voyez, sur le prince de Salm-Dick, la Biographie universelle de Michaud, t. LXXXI, supplément, p. 3.

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