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La Chalotais, accusé de connivence, fut aussi |» vrage sur la Destruction des Jésuites, il est arrêté à son château de Caradeuc, et traîné » sûrement trop heureux d'avoir pu vous dondevant le Tribunal révolutionnaire de Paris » ner un témoignage public de ses sentiments, (juin 1794), qui le condamna, à l'âge de » en ne faisant néanmoins que vous rendre la soixante-cinq ans, à la peine de mort. Sa veuve,» plus exacte justice. Les conseillers jansénismise en liberté, grâce à la chute de Robespierre,» tes convulsionnaires du Parlement de Paris ne revint habiter la demeure des La Chalotais. » sont pas aussi contents de lui que vous. Ils Les populations l'accueillirent avec enthou- trouvent mauvais que l'auteur ait donné aux siasme, et les plus célèbres avocats du barreau » jansénistes sur le dos les coups de bûche de Rennes s'offrirent pour régler gratuitement » qu'ils se font donner sur la poitrine. Il me la tutelle de ses enfants. Elle est morte à Ren-» semble cependant que c'est toujours là un nes, le 3 janvier 1848, dans sa 87° année. » secours, et que la place doit leur être indifféLes termes manquent pour exprimer tout ce » rente. Recevez, je vous prie, les assurances qu'il y a de fatal et d'horrible dans ce spectacle » de mon attachement et de mon respect. affreux du fils de La Chalotais portant, sur l'échafaud révolutionnaire, sa tête blanchie dans l'exil de la monarchie. A. M.

» D'ALEMBERT. »

Ces deux curieuses lettres sont entièrement inédites. La bibliothèque de La Chalotais a été vendue au mois de mai 1827, et -Nous complétons la notice sur La Chalo- beaucoup d'ouvrages annotés de sa main, ou tais par quelques indications bibliographiques. portant des ex dono ont été recueillis avec soin Plusieurs des ouvrages du procureur-général par les bibliophiles. Le savant M. Baron du au Parlement de Bretagne ont, par leur rareté, Taya, à qui nous consacrerons une notice, en une véritable valeur. Voici une liste à peu près possédait un assez grand nombre, que nous complète des œuvres de La Chalotais I. Dis- avons acquis après sa mort. IV. Essai d' Educacours sur l'entrée et la sortie des grains dans le tion nationale, ou Plan d'études pour la jeunesse. royaume. Rennes, 1754, in-12. II. Compte- Rennes, 1763, in-12. V. Exposé justificatif de rendu des Constitutions des Jésuites. Rennes, la conduite de Caradeuc de La Chalotais. Ren1762, in-4°, ibidem, in-12. III. Second Compte- nes, 1767, in-12. Ce livre est aujourd'hui inrendu sur l'appel comme d'abus des Constitu- trouvable; car peu d'exemplaires ont échappé tions des Jésuites. Rennes, 1762, in-12. Ce aux saisies opérées par ordre de la commission sont ces deux ouvrages qui ont soulevé contre extraordinaire. On sait que ces mémoires ont leur auteur de violentes colères, et qui ont été été écrits avec un cure-dént, au château de sinon la cause, du moins le prétexte des pour- Saint-Malo. VI. Sixième développement de la suites dirigées contre lui. Un exemplaire de ces requête qu'a fait imprimer M. de Calonne, exComptes-rendus ayant appartenu à La Chalo- ministre réfugié en Angleterre, ou LE SIEUR CAtais lui-même, relié à ses armes, est tombé en- LONNE... dénoncé à la postérité et pris à partie tre nos mains. L'œuvre du magistrat breton par l'ombre de feu M. de La Chalotais.... Lonest suivie d'un opuscule ainsi intitulé: De la don, printed for J. Foxhunter, bookseller, PicDestruction des Jésuites en France, par un au-cadilly Street, facing Calones' house, no 83, teur désintéressé. Paris, 1765, de 235 pages. 1787, in-8° de xxx et 483 pages. Cet'ouvrage, Cet opuscule fut envoyé de Paris à La Chalo-dont le titre est si singulier, n'est autre chose tais, avec cette lettre : que le quatrième Mémoire de MM. de La Cha

« Je vous envoie, mon ancien et respectable lotais et de Caradeuc. Nous nous en sommes > ami, un livre où vous êtes traité comme vous assuré en lisant le manuscrit original écrit en > le méritez. C'est de la part de l'auteur que entier de la main de M de Caradeuc, corrigé > vous reconnaîtrez aisément; mais n'en con- par M. de La Chalotais et signé par eux. Un as» venez pas, puisqu'il ne veut pas avouer l'ou-sez grand nombre de passages ont été biffés et vrage. Si vous voulez lui écrire un mot de n'ont pas été reproduits dans le livre imprimé. > remercîment, adressez-le moi, et je le lui Des personnalités violentes ont été supprimées > remettrai; c'est-à-dire un billet sans adresse ou adoucies; les noms y sont désignés par leurs » dans ma lettre. Mille respects à tout ce qui initiales; mais, sous la rature, nous avons pu > vous appartient. Vale et me ama. lire tout ce qui était effacé. Il est donc hors de doute que le quatrième Mémoire de La Chalotais est son œuvre. Le manuscrit nous apprend La Chalotais reconnut sans doute l'auteur; de plus qu'il a été écrit au mois de mai 1767. car il écrivit de sa main, sur le titre du livre Destiné à être présenté au roi, il fut aussi préM. d'Alembert. Ce dernier reçut une lettre de senté au Parlement, et contribua sans doute à remerciments (que malheureusement nous ne la réhabilitation de MM. de La Chalotais et de connaissons pas), et y répondit en ces termes:tions des Jésuites et les Mémoires ont été réimCaradeuc. Les Comptes-rendus des constitu› A Paris, ce 27 avril. primés en 1826 par plusieurs éditeurs, à l'oc

13 avril 1765.

» DUCLOS. »

« Quel que soit, Monsieur, l'auteur de l'ou-casion du procès suscité par la famille de La

Chalotais au rédacteur de l'Etoile, procès dont | ses compositions en prose et en vers, dont auil est amplement parlé plus haut. F. S-ln-r.

cune n'avait encore paru au moment où écri-
vait ce biographe (1584), à l'exception de quel-
ques poésies insérées dans le recueil de vers
grecs, latins, français, italiens et espagnols,
intitulé La Puce de Me Desroches. Paris,
1582, in-4°. Il ne s'agit de rien moins que de
soixante sonnets amoureux ou autres, de deux
églogues, un épithalame, le poème de l'Amour
déplumé, etc. etc, et de diverses traductions
des oraisons ou des lettres de Cicéron, du pa-
négyrique de Trajan, d'un Dialogue de Platon,
de trois traités d'Aristote, des Demandes ou
questions naturelles et amoureuses de Nicolas
Leonicenus, etc. Nous ne savons sur quelle au-
torité s'est appuyé M. de Kerdanet (Notices chro-
nologiques, p. 97), pour lui attribuer les Ques-
tions problématiques du pourquoi d'amour, tra-
duites de Thomæus. Paris. Alain Lotrian, 4543,
in-8°. La Croix du Maine, nous l'avons vu, dit
formellement qu'il n'avait publié, jusqu'en
1584, que les poésies insérées dans le recueil
de la Puce. Nous ne serions pas surpris que
la traduction des Questions problématiques fût
de son père, comme lui sénéchal de Hennebon
et alloué de Vannes, lequel avait travaillé,
ainsi que son fils, à une Généalogie de la mai-
son de Rohan, mentionnée par le P. Albert Le-
grand, dans sa Vie de saint Maurice. (Vie des
SS. de Bretagne). Quant aux Traités de mé-
taphysique desmontrée selon la méthode des
géomètres, 1693, in-12, dont M. de Kerdanet
dit que Lacoudraie fils est auteur, nous ne
les avons trouvés mentionnés nulle part.
P. L...t.

LA CHAPPRONAYE (JEAN CHENEL, sieur de, gentilhomme breton, descendant de Jean de Beaumanoir, le héros des Trente, dont il se glorifiait de porter les armes et d'avoir le courage, n'est connu que par un ouvrage fort original, intitulé: Les Révélations de l'ermite sur l'état de la France, Paris, 1647, in-8° (fig.), rare. « Cette histoire - d'où sont extraits les détails qui suivent est vérita» ble, dit La Chappronaye, encore qu'elle » soit extraordinaire; il n'y a de changé que » les lieux, le temps et les personnes à qui ces » choses sont arrivées; et la forme comme ça » été est un peu déguisée pour ne pas faire >> connaître celui qui a eu ces révélations. » L'auteur, naturellement enclin à la mélancolie, et ne pouvant réprimer, ni le profond chagrin, ni les accès d'humeur que lui causaient les désordres de son temps, se mit à visiter une partie de l'Europe et se rendit à Malte avec l'espoir d'y trouver à faire la course contre les Turcs. Déçu de cette espérance, il recommença ses pérégrinations, dans l'une desquelles il rencontra, assure-t-il, un ermite qui lui prédit que la France périrait si le duel n'était pas aboli. Il imagina alors, pour empêcher cette prédiction de s'accomplir, de créer un ordre de chevalerie dont tous les membres, gentilshommes braves et adroits, feraient vœu de ne jamais accepter de cartel et de poursuivre les duellistes connus. Revenu en France, il fit imprimer à Nantes, en 1644, les Statuts de cet ordre, qu'on trouye aussi à la suite des Révélations. Louis XIII, qu'il alla supplier de LACROZE (MATHURIN VEYSSIÈRE de), se déclarer le chef de l'ordre, lui conféra ver- naquit le 4 décembre 1661, à Nantes. Son balement, avec le titre de chevalier de la Ma-père, dont le vrai nom était Veyssière, et qui y deleine, l'autorisation de porter une croix é-joignait celui de Lacroze, d'une de ses promaillée de rouge, représentant d'un côté l'ef-priétés, était négociant et riche. Sa mère se figie de Saint-Louis, et de l'autre celle de nommait Jeanne de l'Attoué. A cette époque, Sainte Madeleine. C'était la marque distinctive c'est-à-dire dans la première partie du règne de de l'ordre dont La Chappronaye a vraisemblablement été le seul membre, bien que, dans son ardeur de prosélytisme, il eût fait au roi cette déclaration fort étrange dans la bouche d'un adversaire si opiniâtre du duel: « J'offre » le combat contre celui qui voudra tenir le » parti du duel (seul à seul, les armes à la » main, en la place qu'il vous plaira nous or» donner), afin de maintenir que le duel est >> une action indigne d'un homme de bien et » d'honneur, d'un fidèle Français et d'un >> homme de courage. »

P. L...t.

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Louis XIV, et long-temps encore après, on soutenait en public des thèses latines chez les Oratoriens, chez les Jésuites, et le public était admis à prendre part à la discussion. Léger Veyssière, père de notre héros, quittait souvent le comptoir pour se mesurer dans ces joûtes scientifiques, ou, comme on disait alors, dans ces expositions. Son fils hérita de ses gouts et en fit l'unique objet de sa vie. Elevé dans la maison paternelle par un précepteur nommé Joly, de l'espèce de ceux qu'Horace flétrit par ce vers resté dans les mémoires : Plagosus.... Orbilius,

il apprit le latin et le grec avec une rapidité surprenante. Mais la rudesse de son précepteur le découragea, et, à quatorze ans, il passa aux Antilles, ou son père faisait un commerce étendu, comme tous les commerçants de Nantes à cette époque. Lacroze y resta deux ans

et en revint en 1677. Son biographe Jordan, à la fois naïf et enthousiaste, nous apprend que les Colloques d'Erasme et le Gradus ad Parnassum étaient les livres qu'ils avaient emportés pour se distraire dans la traversée, et Lacroze avait quatorze ans ! De nos jours, le plus sévère des érudits n'aurait guère une pareille idée.

l'auteur de l'Histoire critique de la Bible contre les Bénédictins, qu'il aurait voulu faire passer pour faussaires.

Ce point semble éclairci, mais un autre qui l'est moins, c'est la part que Veyssière a prise à l'histoire de Lobineau. Il se vante, dans la lettre citée plus haut, « d'en avoir écrit et composé de sa main trois siècles. » Lobineau n'en dit rien, tandis qu'il reconnaît que D. Le Gallois avait rédigé l'histoire des premiers temps jusque vers le viie siècle. Faut il encore voir là un silence calculé, ou bien supposer dans Lacroze un mensonge ou une exagération? La première supposition est la plus vraisemblable. Cependant D. Audren fut nommé en 1693 ab

Pendant son séjour à la Guadeloupe, Lacroze commença à déployer cette étonnante faculté de linguistique qui rappelle Mithridate et Mezzofante. Il y apprit, par la seule conversation, l'anglais, l'espagnol et le portugais. Reste à savoir, ce que ne disent pas ses historiens, s'il les possédait en littérateur, ou s'il les écorchait en marin. Quoi qu'il en soit, La-bé de Saint-Vincent du Mans, et Lacroze, que croze trouva à son retour la maison de son rien ne rattachait plus à sa patrie, fut appelé père fort ébranlée par des banqueroutes, et il à Saint-Germain-des-Prés, à la mort de D. quitta le commerce, dans lequel il eût peu Jacques Dufriche, pour continuer, dit-il, son réussi, j'imagine, pour la médecine, quí ne édition commencée de Saint-Grégoire de Nalui convenait pas davantage. Cet homme était zianze. L'emploi de bibliothécaire de l'abbaye fait pour la science. La congrégation de Saint-vint à vaquer; il le demanda et l'obtint. Rien Maur, où fleurissaient alors les Mabillon, les ne semblait donc manquer à ses désirs; il Montfaucon, et tous ces héros de l'érudition, jouissait de tout ce qui peut faire le bonheur lui tendait les bras; il entra dès 1677 chez les Bénédictins, fit son noviciat à Saint-Florent de Saumur, et passa de là à Marmoutiers puis à Saint-Vincent du Mans, où il fit son cours de théologie. En 1682, il fit profession. En 1687, il fut appelé en Bretagne, c'est lui qui nous l'apprend, dans une lettre que donne Chauffepié, par le prieur de l'abbaye de Saint-Sauveur de Redon, Dom Maur Audren, pour lui aider à travailler à l'histoire de la province. (Biog. bret., art. Audren, t. I, p. 56)

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d'un savant, une admirable bibliothèque dont il était le chef, le calme et la solitude, tous les avantages du cloître et de la grande ville, et l'estime de ses confrères.. A trente-cinq ans, avec ses gouts et l'épreuve qu'il devait avoir faite de la vie monastique, il semblait qu'il eût atteint le bonheur, et c'est alors, chose étrange! qu'il abandonna tous ces avantages pour jeter honteusement sa robe monastique et aller végéter misérablement dans une ville d'Allemagne. C'est là une défection inexplicable, et C'est sans doute Lacroze qui est désigné très- dont le juste châtiment a été pour Lacroze l'exil légèrement par Lobineau dans la préface de et l'oubli, au lieu de la gloire qu'il eût certaison histoire. Après avoir parlé des quatre moi-nement acquise auprès des Mabillon des Ruines qui furent chargés par D. Audren du tra- nart et des d'Achery. vail de dépouillement et de classement des ar- Quelles furent les vraies causes de son aposchives de Bretagne, il ajoute (préf., p. 3), tasie et de sa fuite? En comparant les divers <qu'ils se réunirent ensuite avec un cinquième documents contradictoires que l'on trouve à cet pour visiter celles du chasteau de Nantes et de égard, on peut croire que Lacroze eut, dès son la Chambre des comptes. » Ce cinquième est séjour en Bretagne, des velléités de changeprobablement Lacroze, qui n'est pas autrement ment de religion, provenant de la lecture des lidésigné, sans doute à cause de son apostasie vres de controversistes protestants; que sa voet du peu d'honneur qu'il faisait alors (1707), à cation n'était point la vie monastique, et que l'ordre et à la religion. Quoi qu'il en soit, La- c'était plutôt par amour de l'étude que par concroze resta six ans en Bretagne (1687-1693), viction religieuse qu'il s'y était engagé; enfin, à Redon ou dans des voyages d'investigations. que s'étant mis en opposition avec ses supéC'est dans ces voyages qu'il visita le cartulaire rieurs, et notamment avec D. Loo, prieur de de Landevennec, et Richard Simon, homme Saint-Germain, qui avaient d'ailleurs des preuparadoxal et agressif, lui prête à ce sujet (Let-ves de son indépendance religieuse (1), on parla tres, t. IV, p. 250) une violente sortie contre de le condamner à la prison du couvent comme ce chartrier et contre les Bénédictins ses confrères. «De douze cents chartes qui lui auraient passé par les mains à Landévennec, il en aurait trouvé huit cents de fausses. » Lacroze démentit plus tard ces propos, qu'il est inutile d'ailleurs de réfuter. Lacroze avait trop de (1) On avait trouvé dans ses papiers plusieurs écrits vraie science pour faire cette injure à la vérité, anti-catholiques, notamment la traduction d'un traité de et il ne faut voir là qu'une lourde malice destillingfleet contre la transubstantiation.

moine apostat et scandaleux. Ce dernier fait n'est rapporté comme certain par personne, pas même par le bilieux R. Simon, qui demande seulement à son correspondant de vérifier la

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certitude de ce bruit vague. Peut-être y eut-il un peu de sévérité de la part des supérieurs, quoique rien ne soit moins prouvé; mais toujours est-il qu'un savant protestant, des amis de Lacroze, chez lequel il s'était d'abord retiré, chercha lui-même à le détourner de son malheureux projet. Tout fut inutile. Cet homme n'était plus, depuis long-temps, ni-moine, ni catholique; il partit de Paris déguisé, le 14 mai 1696, traversa lentement la France, et arriva à Bâle à la fin du mois. Il était sans ressources et sans protecteurs. Là, il hésita encore avant de consommer l'acte déplorable et définitif qui devait le priver de patrie et de bonheur; mais l'accueil empressé des Bernouilli, des Buxtorf et de tous les docteurs protestants de Bâle, alors en renom, lui fit oublier son passé, et il fit profession de foi calviniste dans le courant de l'année, en plein consistoire. Cependant il craignait la France et la police de Louis XIV, si vigilante, surtout depuis la révocation de l'Edit de Nantes, et, pour se cacher, il se fit immatriculer à l'Université de Bâle, sous le nom de Lejeune.

Lacroze, jusqu'alors honoré, aimé de tous ceux qui le connaissaient, ne fit plus guère que végéter et souffrir, et la correspondance de Leibnitz, de Bayle, de Spanheim, de Lenfant, de Wolf, soulagea peu sa misère et son exil volontaire. En septembre 1696, il quitta Bâle et se rendit à Berlin, où il donna, pour vivre, des leçons de français et d'italien. Mais à peine gagnait-il du pain. Sa détresse était profonde, lorsque le célèbre Spanheim lui fit promettre la place de bibliothécaire de l'électeur de Brandebourg, et accorder, en attendant, une petite pension de deux cents rixdales. Les promesses furent long-temps vaines, et sa pension l'empêchait à peine de mourir de faim. Lacroze passa ainsi six ans dans la plus grande pauvreté; ce sont ses termes. Au surplus, des témoignages non suspects prouvent que les protestants éclairés et honnêtes avaient peu d'estime pour le moine défroqué, malgré toute sa science, car le pauvre Veyssière savait énormément; et une lettre bien humble, qu'il écrivait en 1698 à Basnage, montre que l'hébreu, le grec, le latin, l'anglais, l'espagnol, l'italien et l'allemand, qu'il savait, ne faisaient pas sa fortune, pas plus que les ouvrages qu'il commençait, dès cette année, à publier (4).

Vers 1699, Lacroze fit la connaissance de Leibnitz et la continua, tant que vécut l'illustre philosophe, dans une correspondance étendue que nous avons encore.

En 1702, d'après Jordan, il n'eut pas honte d'imiter Luther et d'épouser, malgré ses vœux, une protestante réfugiée. Néanmoins, R. Si

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(1) Sa première publication est un petit livre auquel ne prit, du reste, que peu de part: Actes et titres de la maison de Bouillon. Cologne (Berlin), 1698.

mon, dans la lettre précitée, en parle comme s'il était déjà marié. Peut-être étaient-ce des noeuds illégítimes, et verrait-on là une cause, jusqu'à présent ignorée, de sa fuite.

mencement de 1704, il fut enfin nommé biDeux ans après, à la fin de 1703, ou au combliothécaire de l'Electeur, devenu roi de Prusse, mais avec des appointements très-faibles. Il ne cessa pas pour cela de faire des éducations particulières, car il fut chargé, vers cette époque, de celle du margrave de Schwedt, qui ne fut terminée qu'en 1714. Pendant ce temps, il publiait volumes sur volumes, entretenait une vaste correspondance, et écrivait, discutait, répondait sans relâche à tous les savants de son temps. Fabricius, qu'il alla voir à Hambourg, en 1773, le P. Hardouin, qu'il tourmentait sans cesse de ses attaques, Basnage qu'il ne ménageait pas plus, quoique son co-religionnaire; jésuites, luthériens, catholiques et professeurs d'universités allemandes, tous furent, à tort ou à raison, pris à partie, loués, blâmés ou injuriés par Lacroze.

En 1714, le margrave de Schwedt le quitta et Les disputes ne l'enrichissaient toujours pas. il retomba dans la misère. Il eut recours à Leibnitz qui obtint pour lui du premier ministre de Hanovre une chaire supplémentaire à l'Académie de Helmstadt, et l'engagea à l'accepter. Mais il fallait pour cela signer une profession de foi luthérienne, et Lacroze était calviniste; il refusa. Les instances de Leibnitz et d'Eccard ne purent vaincre sa résistance. Heureusement pour lui qu'en 1715 il gagna une somme à la loterie de Hollande. En 1747, il eut enfin une position plus brillante : il fut nommé précepteur de la princesse royale de Prusse, Frédérique Sophie, depuis margravine de Bareuth, et sœur de Frédéric II. On augmenta son traitement de bibliothécaire, jusqu'alors plus que chétif, et, en 1724, par la protection de la reine, il fut en outre nommé professeur de philosophie au collége protestant de Berlin.

tranquille sur l'avenir, moins aigri par le malLacroze avait alors soixante-trois ans. Plus heur, parvenu, sans doute, à oublier ses premières années, on pourrait croire qu'il atteignit enfin une sorte de bonheur. Mais l'ancien moine, oublieux de ses serments, ne devait et les souffrances l'assiégèrent. Il rédigea, conpoint en jouir loin de ses devoirs; la vieillesse tre ses goûts, pour répondre aux nécessités de sa place, un Cours de philosophie qui n'a jasa femme, en 1731, sa solitude dans ses dermais paru et qui est sans valeur. La perte de nières années en pays étranger, sans famille et sans amis, tout contribua à assombrir encore ses derniers jours. Il refusa tout retour à sa première foi, éconduisit le docte et pieux Bernard Pez, qui tenta, en 1731, un effort pour le faire rentrer dans le sein de l'Église, en

lui offrant la place de bibliothécaire de la riche abbaye de Gottwick, et mourut à Berlin après de longues souffrances, d'un ulcère à la jambe, le 24 mai 1739, âgé de soixante-dixsept ans et demi.

choisie de Leclerc, t. XV, p. 466. Cette réponse, ainsi que l'ouvrage lui-même, n'a presque pas de valeur, quoi qu'en dise Jordan; et Basnage nous apprend (Histoire des Juifs, préf., p. XXXVII), qu'il n'eut aucun succès. Ce sont des minuties copiées sans discernement, et assaisonnées d'injures contre les catholiques et les Jésuites: on y sent le moine relaps. L'honnête Leclerc en rougit, et dit naïvement dans son journal à ce sujet : « Ce que je souhaite, c'est que l'on dispute honnêtement de part et d'autre, sans quoi je n'insérerai plus rien dans cet ouvrage. (Bibl. choisie, XV, p. 183). IH. Vindicia veterum scriptorum contra Harduinum. Rotterdam. 4708, in-8°. Cet ouvrage contre le P. Hardouin (Voy. ce nom, Biogr. bret., t. Ier, pp. 894-898) eut le malheur de n'être pas lu. tandis que ceux de Hardouin l'é

Il faut l'avouer, pendant ses quarante dernières années surtout, Lacroze avait fait des travaux immenses, mais mal conçus et mal digérés. Ses travaux sur l'histoire ecclésiastique, ses polémiques religieuses, ses écrits d'érudition protestante sont tombés dans un juste oubli; mais ses innombrables connaissances en philologie et en linguistique mériteraient d'être mieux appréciées. Lacroze est un des polyglottes les plus remarquables qui aient jamais paru, et il faut penser à Mithridate, à Klaproth, et au cardinal Mezzofanti, pour lui en trouver de supérieurs. Sa mémoire était prodigieuse; sa facilité extraordinaire pour l'é- taient, même en Hollande; car, comme dit tude des idiomes anciens et modernes, des idiomes orientaux surtout (1). Ses panégyristes vantent son caractère, et il eut de nombreux et d'illustres amis; mais son changement de religion est une tache à sa vie, et il n'eut ni poésie, ni grandeur dans l'âme; ce fut un érudit étonnant, ce ne fut ni un penseur ni un écrivain.

Bibliographie de Lacroze.

fort bien Leclerc : « L'auteur (Hardouin) s'est fait connaître autant par ses paradoxes que par son savoir; mais il y a bien des gens qui aimeront mieux lire des paradoxes que les écrits de ceux qui ne font que copier les autres.» (Ibid., p. 186). IV. Entretiens sur divers sujets d'histoire, de littérature, de religion et de critique. Cologne (Amsterdam), 1741, in-12; ibid., 1733, in-12, deux parties. I. Actes et titres de la maison de Bouillon, Dans la première se trouvent quatre entretiens Cologne (Berlin), 1698, in-12. Lacroze n'en a avec un Juif, R. Aboab, où Lacroze est trop fait que la préface et la partie qui commence souvent injurieux puéril. Basnage s'en moà la page 113. Ce sont des remarques, payées que dans sa préface de l'Histoire des Juifs La par M. de Gaignières. contre Mabillon. Rui- seconde partie est une dissertation sur l'anart et Baluze, sur l'authenticité, contestée theisme, qui contient quelques faits curieux. par Lacroze, des actes employés par Baluze, Ce quatrième ouvrage, qui a été traduit en andans. son Histoire de la maison d'Auvergne. glais, en 1712, est plus sérieux que les précéII. Dissertations historiques sur divers sujets dents. V. Histoire du Christianisme des Indes. Rotterdam, 1707, in-8°., t. I, non continue. Ce Lahaye, 1724, in-8°; ibid. 1758, 2 vol. in-12, volume contient trois dissertations: la pre-recteur de l'Université de Halberstadt, 1727, trad. en allemand et en danois, par Bohnstedt, mière soutient que le socinianisme et le mahométisme ont les mêmes principes; la se-in-8°. Lacroze estimait beaucoup ce livre, qu'il conde est intitulée Examen du nouveau sys- regardait comme son meilleur ouvrage; ce tème du P. Hardouin ce titre suffit; la troi- n'est pourtant qu'un pamphlet violent contre sième contient des Recherches sur l'Histoire du l'église catholique et les efforts des missionChristianisme dans les Indes. Lacroze ayant été attaqué sur son ouvrage par un docteur de la Sorbonne, lui répondit dans la Bibliothèque

(1) Il parlait avec facilité, dit Chauffepié (t. II, p. 178, note K), l'anglais, l'espagnol, le portugais et l'italien; il parlait moins l'allemand, qu'il entendait. Il possédait d'ailleurs les langues savantes, le grec ancien et le vulgaire, l'hébreu, l'arabe, le syriaque, le cophte, l'armé nien. Il avait appris en assez peu de temps le slavon, l'anglo-saxon et le basque. Il s'était beaucoup appliqué au chinois, dont il avait quelque teinture. Leibnitz l'engageait souvent à poursuivre cette étude, et se figurait que la connaissance du cophte lui servirait pour celle du chinois, idée maintenant reconnue entièrement fausse. Mais le chinois était encore alors lettre close en Europe, malgré les PP. Gaubil, Verbiest, Intorcetta, etc, dont les travaux étaient peu connus. De Guignes, Deshauterayes, Fourmont, sont postérieurs, mais il faut descendre jusqu'à Abel Rémusat et Klaproth pour trouver le chinois

réellement connu en occident.

naires portugais dans les Indes. Au reste,
tous les faits y sont empruntés d'un ouvrage
de Geddes, sur l'Histoire ecclésiastique du
Malabar, lequel n'avait fait lui-même que tra-
duire des documents portugais. Depuis 1599,
Lacroze raconte les événements d'après lui-
même, mais comment raconte-t-il? Il y promet
l'histoire générale du Christianisme en Orient;
il n'en parut que VI. Histoire du Christia-
nisme d'Ethiopie et d'Arménie. La Haye, 4739,
in-8°; faible livre entièrement oublie. VII. Abré-
gé de l'Histoire universelle (continué For-
par
mey). Gotha 1754, in-8°;-Amsterdam, 1764,
in-12. Nous le répétons, ce n'est dans au-
cun de ces ouvrages, prétendus historiques,
qu'il faut chercher le mérite de Lacroze; c'est
dans ses livres de philologie et de linguistique.
Malheureusement, plusieurs sont encore en

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