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se consola jamais de cette perte immense pour | née précédente. Son rapport, qui fut remarqué, lui, qu'il n'apprit qu'au moment de s'embarquer expose avec une parfaite lucidité les faits géopour sa destination. Chargé avec M. Peytier de logiques observés pendant l'année 1833. A la la triangulation de la Morée, il s'acquitta de sa réunion d'Alençon, en 1837, il présenta à la somission avec distinction et courage. Pendant ciété la carte géologique de cette ville à l'échelle seize mois, il parcourut tout ce pays, et ne cé- de 1/10,000, sur laquelle il avait inscrit les altituda qu'à la dernière extrémité aux instances de des des points de contact des diverses formases amis, qui, le voyant atteint de fièvres con- tions: cette carte était accompagnée d'une feuille tinues, le forcèrent, pour ainsi dire, à revenir en de coupes indiquant la disposition relative de France. Boblaye y rentra avec un grand nom-ces formations et la configuration du sol. Ce trabre de matériaux, qu'il mit à profit lorsqu'il fut vail n'a pas été publié. chargé, avec M. Virlet, de rédiger la partie mi- Cette même année, il lui fut ordonné de se néralogique du grand ouvrage (la Description rendre en Afrique, pour trianguler les parties de la Grèce...) publié sous la direction du co- nouvellement conquises de la province de Conslonel Bory de Saint-Vincent. Grâces à ces deux tantine. Boblaye revint en 1838, et lut à la savants, on connaît aujourd'hui la composition Société géologique, dans la séance de février géologique des terrains de la Grèce; on sait que 1839, le résultat de ses observations. « Il anl'Olympe et le Pinde sont formés de granites,» nonça qu'une partie du sol de cette province de gneiss, de micaschistes, de stéaschistes et de présentait un terrain cretacé avec des catilcalcaires grenus; que l'Attique, le Mont-Athos,» lus et des inoceramus de mêmes espèces que la Chersonèse Chalcidique présentent les mê-» ceux de la craie de Valogne; que ce terrain mes roches; qu'une longue bande de terrain ju- » supporte une puissante assise calcaréo-marrassique et cretacé se prolonge, par la Carniole» neuse, riche en fossiles devant appartenir à et l'Albanie, jusqu'au golfe de Lépante; que» l'étage inférieur du terrain tertiaire. De ce fait le terrain tertiaire est développé dans la Cher-» important il concluait que les formations tersonèse de Thrace, ainsi que dans les îles de tiaires doivent s'échelonner, par rapport au Lemnos, d'Imbros, de Samothrace et de Téné-» bassin méditerranéen, de la même manière dos; enfin que de nombreuses traces d'érup-> dans le sud que dans le nord (1). ► tions récentes se voient dans les îles du golfe Avant de partir pour l'Afrique, Boblaye avait d'Athènes (4). Dans ce grand travail, Boblaye adressé à M. Elie de Beaumont une Note sur les peut revendiquer pour sa part: l'Introduction, modifications de certaines roches de sédiment morceau très-remarquable: Recherches sur les par le voisinage de roches ignées, insérée dans roches désignées par les anciens sous le nom de les Comptes-rendus de l'Académie des Sciences. Marbre lacédémo ien; Description du terrain Il y prouva que les schistes maclifères des Salsecondaire en Laconie; Description des phéno-les de Rohan, qu'on avait classés dans les romènes récents; Carte de la Morée et des Cycla-ches primitives, appartiennent aux terrains de des, exposant les principaux faits de la géographie ancienne et de la géographie moderne (2), accompagnée de Recherches sur les ruines de la Morée. Ces travaux méritèrent à l'auteur de flatteuses distinctions de la part de l'empereur de Russie, et lui auraient ouvert les portes de l'Institut, si la mort ne fût venue détruire ces espérances de gloire (3).

En 1834, Boblaye fut nommé secrétaire de la Société géologique de France, et, en cette qualité, chargé de résumer les travaux de l'an

l'époque où il y résidait comme receveur. (Biographie universelle, t. LXXVIII, article Puillon de Boblaye, signé V.-d'A.

(Virlet d'Aoust).

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sédiment. En effet, ces roches renferment, outre des mâcles, des débris de corps organisés, tels que des orthis et des trilobites. Le métamorphisme des roches nous semble parfaitement démontré dans le travail de Boblaye. Il retourna en Afrique, en août 1839, comme membre de la commission scientifique de l'Algérie. Au mois de novembre suivant, il fit partie de l'expédition des Portes-de-Fer, et y fut particulièrement distingué par le duc d'Orléans, qui lui demanda souvent des renseignements sur l'archéologie et la constitution géologique de cette contrée. Le noble prince apprécia la haute capacité, le courage et les belles qualités morales de Boblaye, et à la fin de la campagne, il lui donna une tabatière ornée de son chiffre.

se maria le 10 février suivant. Quelques jours Boblaye, rentré en France en décembre 1839, après (18 février), il fut promu au grade de chef d'escadron d'état-major, puis chef de la section topographique de l'armée d'Afrique, et partit de nouveau, le 6 mars, pour l'Algérie. Là, une maladie scorbutique affaiblit sa constitution; il

(1) Notice déjà citée de M. Virlet d'Aoust, dans la Bio|graphie universelle.

fut obligé de revenir en Europe: à moitié guéri, | au sien avant la Révolution, était celui d'un il reprit ses premières fonctions à la carte de village voisin de Sarzeau, habité long-temps France jusqu'en 1842. par sa famille, laquelle y avait un bien patriSon noble caractère était connu de ses com- monial. Dans l'une des vignes de Kerblay, on patriotes; et ils le prouvèrent en le nommant peut voir encore aujourd'hui une pierre tombale député de leur arrondissement. Boblaye délais-assez grossière, entourée de quelques épines sa la géologie, et se donna tout entier à son blanches et surmontée d'un court et maigre mandat: il s'occupa surtout des finances na- peuplier. Elle couvre les restes d'un Lequinio, tionales et de leur administration. En 1843, il religieux trinitaire de Sarzeau, qui, après avoir publia un tableau synoptique des dépenses et scandaleusement apostasié et applaudi à tous des revenus de la France; il avait réuni les élé- les excès de son frère, a vécu et est mort, vers ments d'autres tableaux qui ne virent pas le 1808, à Kerblay, dans les sentiments du plus jour. L'amour de l'étude et du devoir l'empê- abject matérialisme. Il avait exigé, par son tescha de veiller à sa santé. Il crut pouvoir ter-tament, qu'on l'enterrât dans sa vigne, et qu'il miner la grande carte géologique de Bretagne, fût largement donné à boire à ceux qui assisqu'il préparait depuis long-temps, et entreprit teraient à son inhumation. Ses dernières volonun voyage dans cette province. Le camp de Plélan était alors en pleine activité. Boblaye suivit les évolutions militaires et se fatigua beaucoup. A son retour à Paris, les progrès de la maladie dont il avait essuyé les atteintes dans les Ardennes, en Grèce et en Afrique, se développèrent avec une telle intensité que les médecins perdirent tout espoir. Il mourut le 4 dé- Lequinio exerçait à Sarzeau, vers 1787, la cembre 1843, laissant une femme jeune encore profession d'avocat, dans laquelle il s'était acet un enfant. Il était décoré de l'ordre de la quis une certaine réputation de capacité. Il s'ocLégion d'Honneur et de l'ordre grec du Sau- cupait aussi d'économie rurale, et elle lui était veur, puis membre titulaire ou correspondant assez familière, comme il le prouva par queld'un grand nombre de sociétés savantes. Sa dé-ques écrits qu'il publia vers cette époque, comme pouille mortelle fut accompagnée par son frère aîné, M. Théodore Le Puillon de Boblaye, ses collègues de la Chambre des députés, ses camarades et ses amis. Boblaye repose à côté de son jeune frère, mort en 1829.

Deux fois notre confrère, dit M. Rozet, > avait eu l'honnour d'être porté sur la liste de › l'Académie des sciences pour une place dans > la section de géologie, et il avait des chances › d'être élu à la prochaine vacance.

tés furent scrupuleusement observées. L'inhumation_fut une orgie, et elle eut lieu par un temps d'ouragan dont le pays a gardé souvenir. On ajoute qu'une autre disposition de ce testament invitait les passants à accomplir sur sa tombe des actes de cynisme que la plume se refuse à indiquer.

par les défrichements qu'il opéra dans la commune de Plorin, où il fit même de grandes plantations de mûriers pour lesquelles il avait reçu, en 1786. une somme de 12,000 liv. des États de Bretagne. C'est de cette dernière circonstance qu'est venu le nom de Kermurier donné à la maison qu'il occupait à mi-route d'Auray à Vannes, sur la gauche et en face du clocher de Plorin, maison aujourd'hui encadrée dans un bois de sapins, et grandement em> On a trouvé dans son portefeuille beaucoup bellie par son propriétaire actuel, le colonel de > de notes inédites sur ses voyages en Grèce, Cadoudal, ainsi qu'on en peut juger de l'avenue > en Afrique et dans l'intérieur de la France, qu'il a fait ouvrir devant sa demeure. Bertrand » sur les finances publiques, et enfin la pre- de Molleville, que Lequinio avait dénoncé à l'As>mière partie d'un grand ouvrage sur les che- semblée législative, l'accuse, à son tour, de n'amins romains dans les Gaules. La mort l'avoir jamais donné leur destination aux 12,000 1. > surpris au milieu de ses travaux, et à une épo» que où, comme tant d'autres hommes de gé> nie, sachant qu'il lui restait encore beaucoup > à faire, il croyait avoir long-temps à vivre. » Boblaye était une de ces belles natures énergiques, puissantes et courageuses comme en produit souvent la Bretagne c'était, de plus, un savant distingué dont sa ville natale peut s'honorer à juste titre. F. S-ln-r. Maire de Rhuys en 1789, il eut, en cette quaLEQUINIO (JOSEPH-MARIE),-fils de Gildas-lité, de vifs démêlés avec M. le comte de SéNicolas Lequinio. chirurgien du roi à Rhuys, et de demoiselle Julienne Vallée, naquit à Sarzeau, dans la presqu'île de Rhuys, le 15 mars 1755. (1) Le nom de Kerblay, qu'il accolait

(1) Il reçut au baptême les mêmes prénoms qu'un de ses frères, né le 6 juillet 1750, et mort au berceau très

qu'il avait reçues des États de Bretagne; mais cette récrimination, fondée peut-être en partie, semble beaucoup trop absolue, et, comme nous le verrons par une esquisse aussi rapide que possible de la vie de Lequinio, sa mémoire est tellement chargée de méfaits avérés que le défaut d'emploi des subsides des États, fût-il prouvé, serait, comparativement, une peccadille qui ne mériterait pas qu'on s'y arrêtât.

rent, propriétaire du château de Kerallier. Les détails en sont consignés dans quelques bro

peu de temps après. Cette identité de prénoms nous aurait induit en erreur, quant à la date de sa naissance, si notre collaborateur, M. de Cadoudal, ne nous avait prémuni.

chures qu'il répandit dans la presqu'ile, dans fixer la célébration à l'équinoxe du printemps. celle surtout qui a pour titre : Arrêtés des mu- « époque où tout renaît sur le globe, à laquelle nicipalités et communes de Rhuys, en Bretagne, mille êtres nouveaux prennent l'existence, et réunies. Vannes, J.-M. Galles, 1789, in-8° de à laquelle un feu nouveau vient ranimer tout 24 p. L'année suivante, il exerçait les fonc- ce qui existe, etc. etc. » Peu de jours après, il tions d'avocat, puis celles de juge à Vannes, demanda la déportation des évêques qui s'opdont une assemblée populaire l'avait nommé poseraient au mariage des prêtres. Chargé, au citoyen. Dévoré du besoin d'activer le mouve-mois d'août, d'organiser la défense de la Rément révolutionnaire, il fit paraître, dans ce publique dans les départements de l'Oise et de but, des pamphlets qui se succédèrent coup sur l'Aisne, il prit, dès son arrivée, de concert avec coup, et déterminèrent son élection comme dé- son collègue Le Jeune, un arrêté qui fut con-puté extraordinaire du Morbihan à l'Assemblée firmé par la Convention, et qui prononçait l'arlégislative, en 1794. Il y donna promptement restation en masse des nobles, à l'exception des carrière à ses opinions en demandant, entre hommes de plus de soixante ans, des femmes autres choses, la suppression du titre de ma- de plus de cinquante et des enfants de moins jesté, donné au roi, le renvoi au comité de lé- de dix-sept. Le 7 septembre, il dénonça l'inexégislation du décret autorisant le mariage des cution du décret prescrivant la démolition des prêtres, « afin de ramener les choses à l'état de tombeaux de Saint-Denis; et, le surlendemain, nature et de raison,» puis la démonétisation des il fut envoyé, sur le rapport de Barrère, en misespèces d'or et d'argent, et la conversion, en sion à Rochefort avec Laignelot. Le séjour des monnaie de billon, des statues, « idoles de la deux conventionnels dans cette ville fut marsuperstition politique. » Dans le mois de février quée par une série non interrompue d'actes 1792, il demanda l'établissement du divorce. atroces ou ignobles. « Ils y donnèrent l'exemple Le 22 et le 27 avril, comme suppléant Bohan de la plus horrible crapule, en prêchant dans (voy. ce nom), dont il partageait, dont il dé- leurs discours la destruction des préjugés relipassait même les opinions, il fit adopter le dé- gieux et de la morale universelle. Ils allaient. cret prononçant l'abolition des domaines con- un morceau de pain à la main, sous la vaine géables, abolition qu'il avait préparée, deux ans apparence d'une chimérique égalité, faire leur auparavant, par le pamphlet intitulé: Elixir diner dans la boutique d'un savetier, y cherdu régime féodal, autrement dit domaine con-cher des dénonciateurs contre les riches, afin géable en Bretagne (novembre 1790). Paris, d'obtenir des motifs pour les livrer au tribunal p. Réélu à la Convention, révolutionnaire qu'ils y avaient créé; ils se ren

patriotiques; ils contraignaient les prêtres à venir déposer entre leurs mains leurs lettres sacerdotales; ils forçaient, enfin, les ministres de tous les cultes à déclarer au peuple qu'ils n'étaient que des imposteurs qui les avaient trompés en prêchant des religions mensongères, etc. etc. » C'est ainsi que s'exprime M. Mercier du Rocher, membre du directoire du département de la Vendée, dans ses Mémoires inédits pour servir à l'histoire des guerres de la Vendée, mémoires très-circonstanciés et très-curieux écrits depuis les premiers jours de floréal an II (avril 1794), jusqu'au 9 thermidor (27 juillet 1794). (1)

Pain, in-8° de 1246 novembre, de son ou-daient chez les filles publiques; ils les engalui fit le vrage sur les Préjugés détruits, qu'il avait fait geaient à se servir de leur métier pour attacher imprimer dans le mois de septembre précé-à la Révolution les matelots et les marins qui dent, et dont la seconde édition, revue, corri-ne l'aimaient pas, et les engageaient à leur dégée et ornée de son portrait, parut l'année sui- noncer ceux qui seraient rebelles à leurs leçons vante à Paris, chez Desenne, in-8°. Dans cet ouvrage, où il prenait le titre de citoyen du globe, il combattait, disait-il, la tyrannie politique et la tyrannie religieuse avec une seule arme, celle de la raison. Le 1"décembre suivant, il déposa, sur la tribune de la Convention, un nouvel écrit qui, comme le précédent, obtint une mention honorable. Ce dernier, intitulé Richesse de l'Etat par la navigation intérieure, Paris, 1792, in-8°, eut du moins pour résultat de préparer l'adoption du décret qui fut rendu, le 18 du même mois, sur son rapport, au sujet d'un canal de jonction entre la Viaine et la Rance. Dans le procès de Louis XVI, il repoussa l'appel au peuple, et opina pour la mort, en exprimant le regret que la sûreté de l'Etat ne permît pas de le condamner aux galères perpétuelles, et en ajoutant que si la peine de la déportation obtenait la majorité, ce ne serait qu'au bagne qu'on pourrait l'enfermer. Le 2 juillet de la même année, l'auteur des Préjugés détruits, se fondant sur ce que l'homme est en général peu fait pour penser, développa un projet d'éducation du peuple français et d'institutions de fêtes nationales, dont il proposa de

Le 7 vendémiaire an II, Lequinio et son collègue annoncèrent à la Convention qu'ils formaient un tribunal révolutionnaire devant lequel seraient renvoyés des comtes, évêques et prêtres, arrivés peu de jours auparavant au bagne de Rochefort, qui s'étaient révoltés en route et qu'on avait trouvés porteurs d'outils à l'aide

moires de M. Mercier du Rocher, à leur détenteur, M. Fil(1) Nous devons la communication des extraits des Mélion, juge au tribunal de Fontenay,

fluente, se remua beaucoup pour empêcher la comédie de Le Sage d'arriver sous les yeux du public. Elle fit offrir à l'auteur cent mille livres, à la seule condition de retirer sa pièce. Le Sage refusa avec une obstination et une persistance dans lesquelles le caractère breton, habituellement effacé, il faut le dire, sous la souplesse et l'enjouement de l'écrivain, se retrouvé avec toute son énergie.

Tout en attendant le jour de la grande épreuve, l'auteur de Turcaret se laissait aller au plaisir bien naturel de faire applaudir dans des salons particuliers quelques-unes des scènes de sa nouvelle comédie. Dans le beau monde, on se disputait Le Sage, pour entendre la lecture de Turcaret, comme autrefois on s'était arraché Molière pour entendre celle du Tartufe avant que la représentation en eût été autorisée. Collé cite, à propos de ces lectures, une anecdote qui mérite d'être rapportée, car elle prouve que Le Sage poussait parfois jusqu'à l'exagération la fierté de l'âme et l'indépendance du caractère.

dramatiques de Le Sage. La cour et la ville s'entendirent cette fois pour faire un accueil enthousiaste à cette vive et piquante satire, à ce brillant panorama de la vie humaine, dont le plan et certains détails étaient bien encore imités d'un auteur espagnol, Louis Velez de Guevara, mais qui se trouvaient rendus avec une élégance toute française et rajeunis par des allusions contemporaines. Les éditions du Diable Boiteux se succédèrent rapidement, et un journal du temps raconte que deux jeunes seigneurs mirent l'épée à la main dans la boutique du libraire Barbin, pour se disputer le dernier exemplaire de l'une d'elles (1). J.-B. Rousseau dit aussi quelque part que Boileau ayant un jour surpris ce roman entre les mains d'un de ses domestiques, menaça celui-ci de le chasser si le livre couchait dans la maison. La lecture pouvait effectivement n'être pas sans dangers pour un petit valet, mais cette anecdote, rapprochée de celle du Journal de Verdun, prouve que le Diable Boiteux avait réussi auprès de toutes les classes de lecteurs, et que les vives épigrammes, les peintures de mœurs, les portraits de tout Un jour qu'il s'était fait annoncer à l'hôtel genre qui sont renfermés dans le cadre adopté de la duchesse de Bouillon, Le Sage se trouva par l'auteur, s'adressaient cette fois au public retenu au Palais par un procès important qu'il lui-même et non plus à telle ou telle catégorie de perdit. On comptait que la lecture se ferait la société. Aussi le public de tous les âges, de tous avant le dîner; mais l'auteur arrive plus tard. les états et de tous les rangs, ne tarda-t-il pas à se En entrant dans le salon où se trouvait une reconnaître dans cette galerie où les mœurs de nombreuse société, il se confond en excuses. la cour et de la ville, les intrigues du monde, les La duchesse le reçoit avec hauteur et lui reridicules de toutes les conditions, les réalités, et proche aigrement d'avoir fait perdre plus d'une les chimères (2), l'amour (3), l'amitié (4), heure à la compagnie. « Eh bien, Madame, la folie (5), la jeunesse avec son insouciance » lui répond froidement Le Sage, puisque je et ses présomptions, le vieil âge avec ses tra- » vous ai fait perdre une heure, je vais vous en vers (6), la mort elle-même avec ses ombres et » faire gagner deux. » Et, tirant sa révérence, ses tombeaux (7), étaient peints en traits dé-il sort sans qu'on puisse le retenir. liés et malins par le démon de la bonne plaisanterie.

Cependant les financiers, déconcertés par la tenacité et le désintéressement de Le Sage, et Après le Diable Boiteux, qui contient la sa- effrayés d'un succès que faisaient présager les tire de tous les états, vint Turcaret, comédie applaudissements des salons, se mirent en deen cinq actes, qui est celle d'une classe d'hom- voir d'agir sur les sociétaires de la Comédiemes dont Le Sage avait eu à subir toute la tyran- Française. Leurs cabales ne furent pas infrucnie. Il résolut d'en tirer une juste vengeance. tueuses, et il ne fallut rien moins qu'un ordre Tout ce qu'il y avait de ridicule et d'odieux du Grand-Dauphin (1) pour forcer les coméchez les gens de finance, leur làche insolence, diens à représenter Turcaret. La preuve de ce leurs folles prodigalités et leurs débauches, leur fait est consignée dans les registres de la Codureté, leur bassesse et leur friponnerie, Le médie Française, où se trouve la note suivante: Sage les réunit dans un type qui demeurera un « Il y a eu quelques difficultés au sujet de la des plus beaux titres de gloire de l'auteur, et représentation de Turcaret, qui furent levées qui à placé son nom entre ceux de Molière et » par ordre de Monseigneur du 13 octobre 1708, de Regnard. Ce ne fut pas, toutefois, sans avoir » conçu en ces termes: Monseigneur étant eu à triompher de grandes difficultés que Tur- » informé que les comédiens du roi font difcaret put parvenir à la représentation. La race» ficulté pour jouer une pièce intitulée Turdes traitants et des maltôtiers, alors fort in

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» caret, ou le Financier, ordonne auxdits co» médiens de l'apprendre et de la jouer inces

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excitée en raison même des entraves suscitées lière, et l'on doit vivement regretter que l'aupar l'or des traitants, vengèrent amplement teur de Turcaret n'ait pas exclusivement conl'auteur des contrariétés qu'il avait dû subir sacré son talent au théâtre. Mais celui qui déavant la représentation de son œuvre. Malgré daignait la faveur des grands, même alors qu'il les efforts de la cabale, et malgré le froid ex- avait besoin de protecteurs pour triompher de cessif du fameux hiver de 4709, sa comédie se la cabale des commis et des auteurs jaloux, maintint au théâtre et son succès fut aussi du- n'était pas homme à mendier celle des comé rable qu'éclatant. Elle parut, il est vrai, à une diens. Déjà il avait éprouvé leur mauvais vouépoque où les besoins et les malheurs de la loir pour la représentation de Turcaret. Il eut à France avaient multiplié les financiers et les le subir une seconde fois à l'occasion de la Tonagioteurs. Le peuple, dont la misère était alors fine, petite pièce assez gaie, qui, reçue en 1708, à son comble, supportait en murmurant le joug ne fut jouée que vingt-quatre ans après. de ces hommes qui ne s'enrichissent guère que des dépouilles d'autrui et des malheurs publics. En riant de Turcaret, il se crut vengé de leurs exactions et de leurs rapines.

Dégoûté par tous ces retards et fatigué de la tyrannie que, depuis Aristote, ont toujours exercée sur les auteurs dramatiques ceux qui sont les interprètes nécessaires de leur art, Le Ce fut un rude coup pour la finance, qui n'a- Sage renonça à écrire pour le Théâtre-Français; vait jamais été conspuée et avilie à ce point. mais il n'abandonna pas pour cela le genre qui Les gens d'affaires le sentirent tellement qu'ils lui avait révélé sa véritable vocation. Toutes les mirent tous leurs soins, non point à se corri- comédies qui s'étaient présentées à son esprit, ger, la comédie qui peut réformer les ridi-il les condensa dans un cadre qui n'embrassait cules est impuissante à corriger les vices, rien moins que la vie humaine avec toutes ses mais à se transformer, à modifier leurs allures phases, avec ses aspects si divers et ses condiet leurs manières dans ce qu'elles avaient de tions si multipliées. Il en fit un roman, ou plutôt cynique et de trop repoussant. En faisant ainsi un drame à cent actes divers et à mille personjustice des financiers, Le Sage n'arrêta point nages, dans lequel se réflétait la vive et distincte assurément le cours des maux de la finance; image du monde social tout entier. mais on peut dire que la représentation de Turcaret fut le signal d'un changement considérable dans les formes extérieures des hommes d'affaires qui, sans devenir plus scrupuleux, sont devenus depuis plus polis et plus aimables. Il est même à remarquer que c'est à dater de cette époque que le mot de traitant est entièrement tombé en désuétude, et qu'il a été considéré comme une espèce d'injure. Bien qu'on n'ait jamais cessé de faire ce que fai saient les traitants, personne, depuis lors, n'a voulu s'appeler de ce nom.

Un tel succès ne paraîtra pas médiocre si l'on songe que, de tous nos auteurs comiques, Le Sage est le seul qui partage avec Molière la gloire d'avoir influé sur la langue et réformé certains ridicules contemporains. Mais ce qui constitue, pour les critiques, un des principaux mérites de Turcaret, est aussi, il faut le dire, une des causes qui en rendent maintenant la représentation assez froide. Les financiers se sont tellement éloignés du type créé par Le Sage que les spectateurs actuels ne peuvent guère en saisir la ressemblance. Aussi, bien que le vice qu'il a attaqué avec tant de vigueur existe toujours, et que la masse des gens d'affaires ne soit guère moins corrompue, moins pétrie d'orgueil, de sottise et de dureté que du temps de Le Sage, le public laisse aujourd'hui passer inaperçus les traits les plus satiriques de Turcaret, parce qu'ils portent sur des formes vieil

lies.

Quoi qu'il en soit, le chef-d'œuvre dramatique de Le Sage promettait à la scène française un écrivain digne de recueillir l'héritage de Mo

Cette œuvre, jusqu'alors sans exemple, et que toutes les imitations qu'on a tentées depuis n'ont jamais pu égaler, ce prototype de la comédie-roman, c'est Gil-Blas.

Il serait difficile, aujourd'hui, de dire quelque chose de nouveau sur ce chef-d'œuvre de Le Sage. Après les jugements si bien exprimés par Laharpe et Walter-Scott, par MM. Villemain, Patin, Ch. Nodier, Sainte-Beuve, etc.. il ne reste plus guère qu'à glaner pour ceux qui seraient tentés d'analyser, dans un article de critique, les qualités littéraires de notre GilBlas. Mais de tels développements ne sauraient entrer dans le cadre d'une simple notice biographique. Aussi, me contenterai-je de rappeler ici quelques-uns des titres qui, non seulement ont fait de Gil-Blas le premier roman de la nation, mais qui le placent au dessus des œuvres les plus remarquables que les littératures étrangères ont produites en ce genre.

Tom Jones, Don Quichotte et Werther ont assurément une valeur littéraire considérable. Ce sont des œuvres nationales au plus haut degré, et qui vivront tant qu'il y aura une littérature anglaise, espagnole ou allemande. Mais il est juste de dire que ces romans ne soulèvent guère qu'un des coins du voilé de l'humaine nature, et que, dans Gil-Blas, au contraire, on rencontre toutes les formes et tous les aspects de la vie. Là où Fielding, Cervantes, Goethe, ont retracé des situations exceptionnelles, des travers particuliers à une époque ou à un pays. des caractères étranges et placés, pour ainsi dire, en dehors des conditions ordinaires de l'existence, Le Sage a entendu tout simple

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