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il a employé conte comme régime de bataille, d'abord sans préposition, ensuite avec la préposition à, puis avec la préposition de « Après la bataille le conte de Flandres, estoit la bataille au conte de Poitiers, le frere le roy; laquex bataille dou conte de Poitiers estoit à pié (§ 274). › Quelques-unes de ces locutions ont survécu à la transformation de notre vieille langue, et subsistent comme des débris épargnés par le temps et les révolutions : nous savons dire encore Dieu merci, et il n'est guère de ville où il n'existe un monument qui se nomme l'Hôtel-Dieu, en souvenir du temps où la charité chrétienne s'occupait seule des pauvres, et recommandait de les honorer comme les représentants de Dieu sur la terre.

Inversions. Il y a dans l'Histoire de Joinville certaines phrases dont la construction suffirait seule pour prouver qu'il existait dans le texte original, entre le sujet et le régime, une distinction qui n'a pu disparaître que par la faute du copiste. Quand on lit dans le manuscrit du quatorzième siècle: « Envoia querre le roy le legat et touz les << prelas de l'ost (§ 163), » on s'aperçoit tout de suite qu'on est en présence d'une leçon altérée. Le copiste du seizième siècle a obtenu la clarté en changeant la construction: « Lors le roy envoya querre le legat », etc.; mais en corrigeant la faute commise contre l'orthographe constante des chartes, on n'a pas besoin de changer la construction pour rétablir la clarté : « Lors envoia querre li roys le legat », etc. Voici un autre exemple de ces constructions que l'orthographe ancienne rendait seule possibles : « A l'entrer en la « barbacane rescout mon seigneur Erart de Walery mon << seigneur Jehan son frere (§ 295) Le bon sens dit que l'un des deux frères devait être sujet du verbe, et l'orthographe ancienne voulait que le nom de celui-là fùt précéde de mes sires au sujet, et non de mon seigneur au régime Or le copiste du seizième siècle, tout en altérant le sens, conservé cette distinction: « Rescouyt mes sires Everard d

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ET LA LANGUE DE JOINVILLE.

XXXIII

Vallery et mon seigneur Jehan son frere ». Cette leçon moderne s'accorde donc avec l'ancienne grammaire pour ramener au texte original: « Rescout mes sires Erars de Walery mon signour Jehan son frere. » Enfin il n'est pas douteux que le texte a subi une altération semblable dans cette phrase: « Mout de chevaliers et d'autres gens <tenoient les Sarrazins pris (§ 334), » et qu'il suffit pour y remédier de rendre au sujet du verbe tenoient sa forme ancienne, en écrivant li Sarrazin.

Constructions diverses. Il y avait dans l'arrangement des mots certains détails qui étaient réglés autrement qu'ils ne le sont aujourd'hui. On pouvait séparer le sujet du verbe par un adverbe, ou même par un régime indirect composé de plusieurs mots : « uns des plus hardis honimes que je «onques veisse (§ 629); et je si fis (§ 633); la femme que « vous plus haiés (§ 605); qui bien estoit une lieue devant la nostre (§ 650); quant il de celle perillouse terre es‹ chapoit (§ 617) ». Les mots accessoires que nous plaçons entre le sujet et le verbe étaient disposés dans un ordre différent, le régime direct avant le régime indirect, et en avant y : « je le vous doing et si le vous garantirai (§ 91); ‹ il le me semble (§ 95); qui les nous baillent (§ 381); il ‹ en y ot des noiés (§ 217); tant que il en yorent aportei < cinq (§ 630); je en y trouvai bien quarante (§ 467). » Voici des exemples qui prouvent que les noms de nombre devaient suivre les mots autres, miens, tels, au lieu de les précéder comme aujourd'hui : « pour querre autres quarante livres (§ 412); avec les miens dix (§ 504); il n'en vourroit mie avoir tiex mil (§ 176); il nous a fait tiex < dous honnours (§ 279) ». L'adjectif possessif se plaçait, selon l'usage actuel, avant les autres adjectifs (son bon signour, ses granz chevaleries); mais le contraire avait lieu, par exception, dans la locution suivante : « en pure sa chemise (§ 116) ».

Verbes accouplés. Indépendamment des auxiliaires pro

JOINVILLE. Hist. de saint Louis.

c.

prement dits, il y a des verbes qui en s'accouplant aver d'autres verbes amènent, pour la construction de certain: mots, des combinaisons qui n'étaient pas autrefois celles que l'on préfère aujourd'hui. On disait : « qu'i les venist « secourre (§ 84); se alerent logier (§ 84); que il se vou«sist traire arieres (§ 85); nous ne le peumes onques << vaincre (§ 652); vous ne vous devez pas agenoillier « (§ 601) ». Aujourd'hui l'usage le plus habituel est de rapprocher le pronom de l'infinitif dont il est le régime, en disant : « qu'il vînt les secourir, allèrent se loger, » etc. A plus forte raison nous déplacerions les pronoms suivants : «Sa gent me commencierent à escrier (§ 155); ne s'averoit << pooir de deffendre (§ 585); il se vouloit aler ferir (§ 210); << il ne l'avoit fait que bouter (509). » Comme exemple de constructions tombées en désuétude, je citerai encore : << il ne les pooient plus forz faire (§ 361) », au lieu dé: «< ils << ne pouvaient les faire plus forts». Il y a au contraire des verbes qu'il faut, aujourd'hui encore, faire précéder comme autrefois du pronom servant de régime à l'un des deux verbes accouplés : « il ne m'i lairoit jamais aler (§ 431); << vous ne me lairés veoir mon signour (§ 605); nous nous << lessons touz tuer (§ 319); il m'a fait. agenoillier (§ 601); « je les fiz venir mangier en mon hostel (§ 595). » Cependant, lorsque le premier verbe était à l'impératif, il ne pouvait pas plus qu'aujourd'hui laisser le premier rang au pronom <alons li encore prier (§ 660); venés à moy <aidier (§ 277) ». Quand par une inversion l'infinitif se plaçait avant l'autre verbe, le pronom régime se plaçait entre deux : « oster le devons (§ 41); faire le devez (§ 62); << quant vi que penre nous escouvenoit (§ 320) ». Quand le régime n'était pas un pronom, il pouvait se placer entre les deux verbes accouplés quels qu'ils fussent, ou même entre le verbe auxiliaire avoir et le participe passé : « je

li ferai la teste dou patriarche voler en son geron (§ 364); <li clers qui aidoit la messe à chanter (§ 589); quant il < vouloit aucune chose affermer (§ 686); se Mahomez lour

ET LA LANGUE DE JOINVILLE.

XXXV

eust tant de meschief soufert à faire (§ 367); tant que vous aiés touz les feus de ceans estains (649) ».

Verbes composés. Presque toutes les particules qui entrent aujourd'hui dans la composition des verbes font corps avec eux, et ne peuvent pas s'en détacher. Cependant l'usage autorisé encore à dire : « il s'en est allé, il s'en est venu, allez-vous-en, venez-vous-en ». Nous dirions bien encore comme Joinville : « il courent toujours sus aus plus febles (§ 166) »; mais nous ne dirions plus : « nous iriens sus courre à plusours Turs (§ 220); il nous vindrent sus courre (§ 222). » La particule en n'était pas toujours soudée aux verbes fuir, mener, porter, en sorte que l'on disait : « qui s'en estoit fuis (§ 229); et en ot menei la nef (§ 137); je n'en vouloie porter nulz deniers à tort (§ 112) », au lieu de enfuis, emmené, emporter. La particule re, qui aujourd'hui ne se combine plus avec le verbe avoir qu'à l'infinitif, pouvait se combiner aussi à l'indicatif et au subjonctif; elle formait les mêmes combinaisons avec le verbe aller, et pouvait se joindre au verbe estre au moins dans refussent: l'exemple qu'on en trouve dans Joinville prouve aussi qu'elle conservait une certaine mobilité, puisque au lieu de dire « que les neis fussent rechargies », on pouvait la détacher du participe et la transporter à l'auxiliaire : <que les neis refussent chargies (§ 146) ». C'est ainsi qu'on lit ailleurs : « recuidierent passer (§ 235), li marcheant les < revenoient vendre (§ 280) », au lieu de : « cuidierent re< passer, venoient revendre ». Ce qu'il faut noter surtout, c'est que cette particule exprimait souvent une idée de réciprocité. Ces paroles : « j'ai oy vostre avis, or vous redirai <je le mien (§ 628) », ne signifient pas « je vous dirai une seconde fois le mien », mais « je vous dirai à mon tour « le mien ». Je citerai encore les verbes < ranterroit (§ 82), refirent (§ 496), refesoient (§ 607), se ragenoilla ‹ (§ 601) », qui signifient: entreroit à son tour, firent ou faisoient à leur tour, s'agenouilla à son tour.

Temps des verbes. Il y a dans Joinville plus d'un passage où les temps des verbes ne sont pas ceux que nous emploierions aujourd'hui : « Diex, en qui il mist sa fiance, le gar« doit touz jours dès s'enfance jusques à la fin (§ 71); ses << fiz qui mout m'ama (§ 4); quant elle sot que il fu croisiez (§ 107) ». Nous mettrions dans la première phrase le le prétérit défini au lieu de l'imparfait, et dans les deux autres l'imparfait au lieu du prétérit défini. Ailleurs le prétérit indéfini semble avoir la valeur du présent et de l'imparfait « Vous savés que je vous ai mout amei (§ 440). » Nous préférerions certainement l'imparfait au plus-queparfait dans les phrases suivantes : « Il avoit estei fiz

sainte Helizabeth (§ 96); Il avoit estei nez de Provins (§ 395) ». On rencontre aussi le prétérit antérieur au lieu du plus-que-parfait : « nous trouvames que uns forz venz <ot rompues les cordes des ancres de sa nef (§ 137); et << trouvames que li Sarrazin qui estoient en la ville orent « desconfiz les serjans le roy (§ 572) ». Voici trois passages où nous ne maintiendrions pas l'imparfait du subjonctif, qu'il faudrait remplacer dans l'un par le présent, et dans les autres par le parfait : « face l'on crier en l'ost que tuit «li autre mueble fussent aportei (§ 167); je vous demant << se vous creez que la Vierge Marie enfantast vierge et << que elle soit mere de Dieu (§ 51); nous sommes ou plus <grant peril que nous fussiens onques mais (§ 204) » . Mais ce qui est surtout fréquent, c'est l'imparfait du subjonctif employé avec la valeur du plus-que-parfait, c'est-à-dire avec la valeur du temps latin d'où il dérive: « il vousist bien «estre arieres à Paris (§ 98); quant je fu couchiés en mon «lit là où je eusse bien mestier de reposer (§ 255); cil qui << m'eust occis cuidast estre honorez (§ 322); il ne nous « fust pas mestier que li message nous eussent trouvez « (§ 443); quant il encommençoient à corner vous deissiez « que ce sont les voiz des cynes (§ 525) ». Il faut noter aussi que Joinville, tout en donnant à cet imparfait du subjonctif la valeur du plus-que-parfait, le combinait avec des

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