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«La contrefaçon a deux inconvénients principaux : l'un est matériel; elle inonde le marché belge de produits français altérés ou avariés (1), et absorbe l'activité des libraires, qui dès-lors font fi des publications nationales. L'autre inconvénient est moral: en saturant les esprits d'ouvrages français, elle ne leur laisse point sentir le besoin d'écrivains belges. La similitude des langues s'y prêtant, elle les accoutume à regarder la littérature française comme tenant lieu d'une littérature nationale. En un mot, la contrefaçon des livres français condamne la nationalité belge à n'être elle-même qu'une contrefaçon de la nationalité française. La Belgique n'échappera point à cette situation fatale, si elle ne porte courageusement la main sur celle piraterie qui l'étiole dans son génie national, et qui altère chez elle la source même de la vie. Si la Belgique aspire à une existence propre, si elle tient à la spontanéité, à l'originalité, qui sont pour un peuple les seules raisons d'être indépendant, la première condition, c'est donc d'éteindre une industrie qui l'encombre et l'étouffe sous les produits de la librairie française.

« Cette vérité est sentie en Belgique par tous ceux qui se sont posé la question de la littérature et de l'art national. Le mouvement flamand, nous l'avons dit, est un effort impuissant d'érudits qui vont chercher la langue dans un idiome informe, et qui, pour éviter d'être Français, tombent nécessairement dans le germanisme. Il a existé un art flamand; la littérature flamande est un mythe. Le mouvement flamand révèle néanmoins un sentiment vrai de la situation fausse, difficile, dans laquelle se trouve la littérature belge. Les écrivains flamands n'ont été poussés à cette tentative impossible que par la pression excessive, énervante, que la contrefaçon de la librairie française exerçait sur la litterature belge.

<< L'influence de la contrefaçon est surtout sensible dans la littérature

(1) Souvent! 'un et l'autre, tant ces contrefaçons imprimées à la hâte sont fautives, quand elles ne sont pas falsifiées par la spéculation ou par l'ignorance du contrefacteur. Dans le premier cas, on cite des exemples nombreux de falsification préméditée : pour le second, nous renvoyons aux catalogues mêmes du contrefacteur Meline, qui attribuent plusieurs ouvrages de M. Alfred de Musset à son frère, M. Paul de Musset. En lisant dans les catalogues Meline et Cans de 1848 et de 1851 Le Fils du Titien, Margot, Frédéric et Bernerette, « par M. Paul de Musset!» on se demande si les contrefacteurs savent lire. Du reste, les hommes éminents de la Belgique portent le même jugement que nous sur ces indignes procédés des contrefacteurs, et nous ne résistons pas au désir de citer l'Annuaire de l'Académie royale de Belgique de 1831 (page 168, en note), qui vient confirmer toutes nos assertions, dans une notice sur M. Droz, par le savant M. Quetelet : « L'attachement que M. Droz portait à la Belgique était certainement bien désintéressé, car il est peu d'auteurs français dont nos libraires aient plus contrefait les ouvrages. Dans une de ses lettres, il signalait avec raison les préjudices que ces sortes de spéculation font aux lettres: «Vos libraires se sont bien hâtés de contrefaire mon dernier ouvrage (m'écrivait-il), cela retaradera sans doute beaucoup le moment où je pourrai faire une deuxième édition. « Voilà le très-grand inconvénient des contrefaçons: elles mettent obstacle à l'amé« lioration des ouvrages, et c'est là ce qui devrait les rendre odieuses à quiconque « voit dans les résultats de l'imprimerie autre chose que des produits matériels.» Il y a plus, la curiosité nous avait portés un jour à entrer chez un libraire et à lui demander un exemplaire d'une contrefaçon d'un de ses livres pour le joindre à une collection curieuse qu'il formait de toutes les traductions et contrefaçons qui avaient été faites de ses ouvrages. En ouvrant le volume, M. Droz éprouva un sentiment de surprise et d'indignation; il reconnut que plusieurs passages avaient été complétement altérés. - Faut-il une autre preuve de l'altération commise sur les livres français par les contrefacteurs belges? En voici une dont l'impudence égale la sottise. Le Contrefacteur Meline, plus de six mois avant la publication même de l'Annuaire des Deux Mondes, n'a pas craint d'annoncer dans les journaux belges qu'il le remanierait (qu'il le falsifierait, aurait-il dû dire). Eh bien ! qu'il falsifie cette publication qui nous a coûté tant de recherches et de travaux; mais nous déclarerons surtout cette contrefaçon falsifiée, si elle ne reproduit pas fidèlement aussi tout ce chapitre, qui montre assez ce que des aventuriers de toute nation peuvent faire peser de justes griefs sur le pays qui leur donne si généreusement asile.

dramatique belge. Aussi longtemps que les théâtres de la Belgique pourront jouer les pièces françaises sans acquitter aucun droit, le pays n'aura pas de théâtre national. Quel auteur de talent voudrait consacrer son temps et ses veilles à écrire des pièces dont il ne retirerait ni honneur ni profit? Il en retirerait peu d'honneur, parce que sa pièce, si bonne qu'elle fût, ne pourrait être jouée plus de six ou huit fois, le public voulant à tout prix dans le répertoire une variété qu'il ne trouve que dans la succession si rapide des pièces françaises; il n'en retirerait point de profit, parce qu'il n'est pas de directeur de théâtre disposé à payer des droits d'auteur et à courir les chances d'une chute, lorsqu'il peut choisir parmi les pièces jouées avec succès à Paris, et les représenter sans qu'il lui en coûte rien que la mise en scène. Aussi ce ne sont pas seulement les écrivains et les éditeurs français qui demandent l'interdiction de la contrefaçon. « Si ce communisme d'une autre espèce leur dérobe une large part de leur propriété et de leurs travaux, les écrivains belges n'ont pas moins à s'en plaindre, et ils protestent hautement, de leurs côté, contre une industrie qui les décourage, en leur fermant tous le chemins de la publicité. Chaque année, soit individuellement, soit par l'organe de la Société des gens de lettres, ils adressent à la chambre des représentants de Bruxelles des pétitions catégoriques, sollicitant une loi en faveur de la propriété littéraire. Parmi les libraires belges, ceux qui méritent vraiment le nom d'éditeurs fent cause commune avec les écrivains. D'habitude, ces pétitions sont prises en considération et renvoyées au ministre compétent, à la suite d'un rapport qui conclut en termes formels pour le droit de propriété. Récemment la question a fait un pas de plus, et sans doute un pas qui sera décisif. Dans la séance du 18 mars 1851, à l'occasion d'un rapport fait sur une pétition de littérateurs, d'artistes et d'industriels de mandant « l'assimilation de la propriété intellectuelle à la propriété ordinaire, » le ministre de l'intérieur a été amené à déclarer que le gouvernement s'occupe d'un projet, et que la présentation de ce projet aux chambres n'est plus retardée que par des questions de détail. Le principe de la propriété intellectuelle est donc implicitement adopté par le cabinet belge ; s'il peut encore hésiter, il ne peut plus reculer devant des engagements publics et officiels.

<< Aussi bien, quelles considérations pourraient retarder l'exécution d'une promesse si positive? Que la contrefaçon ne soit point une industrie honnête, l'on n'en doute plus en Belgique, les voix les plus honorées du pays l'ont depuis longtemps condamnée, et l'on en a d'ailleurs la preuve dans les efforts mêmes que les intéressés font pour la défendre devant l'opinion inérédule.

«Le chef de la principale officine de la contrefaçon belge a fait écrire par un commis, en faveur de sa triste profession, une brochure avec cette épitaphe: La propriété littéraire n'est pas une propriété, et qui aurait pu prendre pour titre la maxime de M. Proudhon: La propriété, c'est le vol (1).

« On le voit, le socialisme de Paris et la contrefaçon de Bruxelles se donnent la main. Si la propriété intellectuelle n'est pas une propriété, quelle est la propriété qui soit sacrée? Est-ce que la terre que je laboure, l'industrie que j'exploite, portent l'empreinte de ma personnalité et de ma liberté mieux que le livre fruit de mes méditatious, essence même de ma vie et de mon intelligence pour le fond et pour la forme? D'ailleurs, ce livre, au caractère éminemment personnel et libre qu'il tient de l'auteur, ne joint-il pas celui de produit manufacturé qu'il tient de l'éditeur, lequel est venu à son tour y appliquer ses capitaux et son travail? Il ne se conçoit rien en ce monde qui ait plus qu'un livre les attributs de la propriéte; il les possède tous, réunis au suprême degré, et le vol commis par la contrefaçon au préju

(1) Quelques Mots en faveur de la contrefaçon, brochure in-18; Bruxelles, chez tous les libraires. Le contrefacteur Meline a craint sans doute de mettre sur cet écrit le nom de sa maison, afin de laisser croire qu'il est dû à une plume désintéressée; c'est trop compter sur la crédulité du lecteur.

dice des écrivains et des éditeurs est le plus manifeste et le plus incontestable de tous les vols. C'est vainement que le défenseur de la contrefaçon soutient une thèse contraire; il finit par laisser voir combien lui-même a peu de foi dans sa cause. « La contrefaçon belge est, dit-il, à l'abri de tout blâme, et, quand il serait vrai qu'elle vole, elle serait encore excusable, puisqu'elle ne le fait qu'au profit de toute la société. » Voilà le dernier et le plus fort de ses arguments. Il avoue implicitement que la contrefaçon est unvol, mais un vol qui, suivant lui, tourne au plus grand avantage et à la plus grande gloire de la civilisation. Puisque les contrefacteurs prennent dans la poche de nos écrivains et de nos éditeurs par dévouement au progrès des lumières, pourquoi, pourrait-on leur dire, ne viennent-ils pas piller les greniers de nos fermiers et les ateliers de nos tailleurs, afin de nourrir et d'habiller ces milliers de pauvres gens qui souffrent de la faim et du froid dans les Flandres, et dont la Belgique peut adoucir la misère en chassant de son sein la contrefaçon ? Immorale dans son principe, la contrefaçon ne l'est pas moins dans les pratiques qu'elle emploie la plupart du temps pour arriver à son but. Il était naturel que ceux qui en vivent joignissent le métier de suborneurs à celui de pirates. Les contrefacteurs ne négligent rien afin de suivre de peu de jours les publications françaises, et leur plus beau titre de gloire est de les devancer! Ils réussissent quelquefois en effet à s'introduire dans les imprimeries et les ateliers de brochure de Paris par de malheureux agents qu'ils soldent en secret, et à soustraire de cette façon les bonnes feuilles des ouvrages en cours d'impression. C'est ainsi qu'en 1835 on vit paraître à Bruxelles, chez l'entrepreneur ordinaire de ces fraudes honteuses, avant la publication de l'édition originale à Paris, la contrefaçon des premiers volumes du Voyage en Orient, de M. de Lamartine. Cette soustraction entraîna même à Paris de graves conséquences ponr l'agent du contrefacteur.

« La contrefaçon n'est donc ni une chose légitime ni une chose honorable; est-ce au moins pour la Belgique une industrie prospère? Le gouvernement belge doit-il l'envisager comme une industrie nationale? Non; la plupart des individus qui s'y livrent actuellement ne sont ni des Belges ni des commerçants heureux: ce sont en général des étrangers qui sont venus là chercher fortune dans des spéculations d'aventure. Le grand manipulaleur de contrefaçon chancelante est un Napolitain; d'autres sont Allemands ou Français. Il est triste pour notre pays d'avoir à dire qu'un journal fait à Bruxelles par un Français est peut-être le seul organe quotidien qui défende encore les contrefacteurs dans leurs fâcheuses spéculations. Le secret de cette alliance du journal l'Indépendance avec la contrefaçon, c'est que le directeur de ce journal distribue lui-même en primes à ses abonnés des contrefaçons françaises que lui fournit à un prix inférieur la principale maison de Bruxelles. Du reste, ces contrefacteurs se sont fait réciproquement, dans cette ardente rivalité pour le pillage, une telle concurrence, qu'ils sont arrivés pour la plupart au bord de l'abîme. Les diverses sociétés formées par cette industrie depuis vingt ans se sont écroulées les unes sur les autres. La société Meline et Cans (1), qui s'est constituée de leurs débris dans l'intention de monopoliser la contrefaçon, est fort loin d'être dans une situation rassurante pour ses actionnaires; elle n'a pu se soutenir et satisfaire à ses obligations les plus pressantes en 1848 qu'en faisant un emprunt de 100,000 fr. sur warrant, et peut-être suffit-il d'une

(1) On ne s'explique pas par quelle circonstance et par quelle aberration M. Cans, député de Bruxelles, a été conduit à prêter son nom et sa coopération à une industrie que ses collègues de la chambre des représentants condamnent à peu près unanimement. Quelque obscur qu'on soit, un membre de législature associé à un commerce interlope n'en est pas moins un fait à signaler dans un pays civilisé et en pleiu Xe siècle. M. Cans a le triste privilége d'être le seul Belge engagé dans l'industrie de la contrefaçon. Il sentira sans doute prochainement le côté fâcheux de cette si

tuation.

légère secousse pour entraîner une ruine commencée par l'abus même et les excès de la contrefaçon (1).

« Cette secousse pourra venir de deux causes. D'une part, la librairie française, qui depuis plusieurs années a fait de nombreuses et d'heureuses tentatives pour atteindre au bon marché, entre plus résolument que jamais, et avec l'expérience acquise, dans cette voie. Les éditions originales de Paris gagnent tous les jours du terrain sur les contrefaçons belges, dont la correction et l'exactitude du texte sont maintenant suspectes à tous les vrais connaisseurs. D'autre part, l'attention de la diplomatie, trop longtemps indifférente pour ce grand intérêt français, s'est enfin éveillée. La France a conclu avec la Sardaigne et le Portugal deux conventions qui ferment le marché sarde et le marché portugais aux produits de la contrefaçon. Le président de la République, dans son message du 11 novembre 1850 à I'Assemblée législative, a, de son côté, annoncé que le gouvernement français avait entrepris une série de négociations pour détruire cette industrie, et que la plupart des cabinets auxquels des arrangements avaient été proposés les avaient accueillis au moins en principe. Admettons que ces négociations traînent encore en longueur; le législateur français peut, par un article de loi, fermer à la contrefaçon belge f'un de ses principaux marchés, celui de l'Allemagne. La loi prussienne du 11 juin 1837 sur la propriété littéraire, applicable à tous les États du Zollverein, porte « qu'elle protégera les ouvrages publiés dans un État étranger dans la même étendue que les droits qu'elle garantit seront eux-mêmes assurés par les lois de cet Éiat aux ouvrages publiés dans le royaume de Prusse. » Il suffit donc que la loi française empêche la contrefaçon des ouvrages allemands pour que la contrefaçon des ouvrages français soit prohibée aux frontières du Zollverein. Il en est ainsi entre l'Angleterre et la Prusse. Récemment, un libraire de Leipzig a fait saisir chez trois libraires de Berlin, au nom d'une maison de Londres, les exemplaires d'une contrefaçon anglaise et les a fait condamner. Aux mêmes conditions la France obtiendrait les mêmes avantages en Allemagne, et sans doute aussi en Angleterre, où la propriété des livres allemands est respectée.

«Si donc le gouvernement belge ne prend pas l'initiative du sacrifice, la contrefaçon devra néanmoins succomber à une époque donnée et prochaine. Affaiblie et ruinée par ses propres excès, attaquée sur le terrain du bon marché par la librairie française, chassée de la Sardaigne et du Portugal, cernée sur le marché européen par un ensemble de négociations qui ne peuvent demeurer sans résultat, elle ne vit plus que d'une existence précaire pour expirer dès que la France le voudra sérieusement. Le gouvernement belge ne l'ignore pas; aussi pensons-nous qu'il préférera s'assurer le mérite de l'initiative, et qu'il ne laissera point échapper cette bonne occasion d'avoir quelque concession à faire à la France au moment où des négociations vont s'ouvrir pour le renouvellement de la convention commerciale de 1845. »

La solution de cette question, qui a un si grand intérêt pour l'industrie parisienne, surtout à l'époque agitée où nous vivons, est entre les mains de M. le ministre des affaires étrangères. M. Baroche ne laissera pas passer T'année 1851, nous aimons à le croire, sans s'acquérir un titre sérieux à la reconnaissance du pays, surtout lorsqu'une de ces rares occasions vont s'offrir à un homme d'état.

(1) D'après un rapport imprimé fait à l'assemblée générale le 2 mai 1849, d'après un bilan, aussi imprimé, arrêté le 30 novembre 1850, la société Meline et Cans doit à ses actionnaires, pour service arriéré d'intérêts, 322,372 fr.; pour emprunt sur warrant, encore 80,000 fr.; à divers créanciers 693,497 fr., en tout 1,095,869 fr. Le passif de cette société est considérable, et ses actionnaires ne touchent même pas leurs intérêts: résultats bien dignes de se combiner avec cette pensée si éminemment morale, le monopole de la contrefaçon! Il est vrai qu'en regard de ce passif on fait figurer un magasin de contrefaçons pour une valeur fabuleuse; mais comment la

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