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Un commentaire était un relief nécessaire à cette traduction. Attaché par ma profession à l'enseignement public, j'ai eu pour but d'être utile aux maîtres et aux disciples de l'éloquence et de la poésie. J'ai tâché de faire sentir et d'expliquer les secrets de la composition savante et ingénieuse d'Ovide. En un mot, j'ai voulu faire sur ce poète, à la manière de Rollin, autant que j'en étais capable, ce que Lacerda a fait en latin sur Virgile.

Les Métamorphoses, quelque bien liées qu'elles soient entre elles, peuvent être considérées comme autant d'épisodes ou de tableaux différens, qui veulent être vus séparément et étudiés de près. Voilà pourquoi je les ai divisées par fables, où le lecteur peut s'arrêter au hasard, sans qu'il soit obligé d'avoir lu ce qui précède ou ce qui suit, pour prendre du plaisir à ce qu'il va lire.

Je ne peux finir sans avertir que toutes les fois que j'ai trouvé ailleurs, et même dans les poètes les plus connus, des vers exactement traduits des Métamorphoses, je ne me suis point fait un scrupule de les prendre et de les restituer à Ovide. En user ainsi, ce n'est pas être plagiaire. Je dis plus le traducteur qui s'impose la loi

d'une fidélité scrupuleuse, se met par là même dans l'impossibilité d'être plagiaire. Il marche non sur la ligne qu'il se trace, mais sur la ligne qui lui est tracée, et ne peut pas s'écarter de son sentier pour ramasser des vers dans le champ d'autrui ; mais si par hasard il rencontre en son chemin ce qu'il cherche, il profite de la trouvaille, et reprend son bien où il le

trouve.

LETTRE

A M. DESAINTANGE'.

1780.

JE

E ressemble, mon cher confrère, à ce Sybarite, qui, à la seule inspection de l'homme robuste et infatigable, lequel fendait du bois, suait à grosses gouttes des peines que celuici se donnait. Quand je contemple votre lutte éternelle avec votre original, ma paresse anti-versifiante frémit du travail opiniâtre que vous vous êtes imposé. Il faut en vérité un courage peu commun pour enchaîner à ce point le sens, la rime et l'expression rebelle. Ovide est souple; mais malgré sa souplesse, il ne vous échappe pas. C'est là-saisir Protée; et les Muses, bien mieux que les Néréïdes, vous en ont donné le secret. Vous vous êtes donné bien des soins pour nous donner du plaisir ; je vous en remercie. Vos vers ont de la précision, de la grace et de l'harmonie. Mais faut-il que je vous parle à coeur ouvert? ce travail ne rend pas assez de gloire pour ce qu'il coûte. Ceux qui possèdent la langue d'Ovide verront seuls vos succès, et les autres ne s'en douteront seulement pas. L'abbé Delille a traduit de même les Géorgiques, direz-vous; mais si l'Académie ne l'eût pas

On a cru devoir conserver cette lettre, écrite avec une originalité aimable, parce qu'elle contient les objections qu'on a coutume de faire contre le genre de la traduction, et qu'il était bon qu'elles fussent une fois assez bien réfutées pour n'avoir plus besoin de l'être.

récompensé, le public demeurait insolvable. En général, c'est un travail ingrat de traduire en vers français les spondées et les dactyles romains. La différence se fait sentir au moindre rapprochement ; et quand le traducteur devient l'égal, ce qui vous arrive le plus souvent, c'est plutôt par l'adresse d'un talent rare et flexible que par la force de la langue. La nôtre est trop rebelle, et votre triomphe même prouve son impuissance. Si les traducteurs d'ailleurs ne sont plus roturiers, comme vous le dites ingénieusement, ce sont aussi des nobles de nouvelle date, des nobles de cloche ou d'échevinage. Quand on a son expression formée, telle qu'est la vôtre, il faut traduire ses propres pensées. Manquez donc plutôt à votre promesse qu'à votre gloire; nous vous pardonnerons bien de nous donner vos idées et vos images, au lieu de celles d'Ovide. Une traduction entière vous emporterait impitoyablement les plus précieuses années pour l'imagination, et en sortant de là, vous auriez de la peine à marcher sans modèle. Eh! que de nouvelles idées en philosophie et en morale à revêtir d'un coloris qui les répande! Vous avez trop de talent pour continuer une besogne aussi longue et aussi fatigante. Le public, cet illustre ingrat, ne tient point compte des difficultés vaincues. Une tragédie, un roman qui peigne les mœurs, un morceau de philosophie ou touchante ou hardie, tout cela fait plus de plaisir à composer, coûte moins de peine, et rapporte plus d'honneur. Avide de nouvelles jouissances, je veux goûter de votre ame, permettez-moi cette expression, plutôt que de votre talent. Celui-ci existe bien, et je suis d'autant empressé à le voir occupé à vous rendre vous-même.

Après avoir loué vos vers élégans et faciles, je vous dirai, si vous voulez achever cette immense traduction, de tenter de les frapper quelquefois d'une manière plus hardie. Crai

gnez-vous les journalistes souligneurs ? Ils dessèchent tout; ils ont perfectionné la versification et tué la poésie. Que reste-t-il de tous leurs beaux dire? Rien pour la langue, ni pour l'audace, ni pour l'expression. Adieu, songez que c'est le Sybarite qui parle, couché sur son lit de prose; il déteste le travail, et veut que sa pensée coule de sa plume: jamais il ne veut relire ni corriger. Il ne faut pas l'en croire mais il ne faut pas non plus ajouter foi à ceux qui recommandent précisément le contraire. Vous me dispenserez de relire cette lettre; car ce que je sais le mieux dans le monde, c'est combien je vous estime et combien je vous suis attaché.

:

MERCIER.

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