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tir semblablement de nostre Roy, rendent joye, à son lever, à ses chambellans et autres serviteurs députez pour son corps à ycelle heure, lequel, de rigle commune, quelque cause qu'il eust au contraire, estoit lors de joyeux visage; car, aprés le signe de la croix, et, comme trés dévot, rendent ses primieres parolles à Dieu en aucunes raisons, avec sesdits serviteurs par bonne familiarité se truffloit de parolles joyeuses et honestes, par si que sa doulceur et clémence donnoit hardement et audience mesmes aux mendres, de hardiement deviser à luy de leur truphes et esbatemens; quelque simples qu'ilz fussent, se jouoit de leur dis et raison leur tenoit.

Aprés, luy pigné, vestu et ordonné, selon les jours, on luy apportoit son bréviaire, le chappellain, personne notable et honeste prest qui luy aidoit à dire ses heures chascun jour canoniaux, selons l'ordinaire du temps; environ huit heures de jour, alloit à sa messe, laquelle estoit célébrée glorieusement chascun jour à chant mélodieux et solemnel, retrait en son oratoire, en cel espace, estoyant continuelement basses messes devant luy chantées.

A l'issue de sa chappelle, toutes manieres de gens, riches ou povres, dames ou damoiselles, femmes, vefves, ou autres, qui eussent afaire,

povoyant là bailler leur requestes; et il, trés débonnaire, s'arrestoit à oyr leur supplicacions, desquelles passoit charitablement les raisonnables et piteuses; les plus doubteuses commectoit à aulcun maistre de ses requestes.

Aprés ce, aux jours députez à ce, aloit au conseil; aprés lequel, avec luy aulcuns barons de son sang, ou prélat, au chief du dois, se aucun cas particulier plus long espace ne l'empeschast, environ dix heures, asséoit à table; son mangier n'estoit mie long, et moult ne se chargoit de diverses viandes; car il disoit, que les qualitez de viandes diverses troublent l'estomac et empéchent la mémoire; vin cler et sain, sans grant fumée, buvoit bien trempé et non foison, ne de divers.

Et, à l'exemple de David, instrumens bas, pour resjoyr les esperies, si doulcement jouez comme la musique peut mesurer son, oyoit volentiers à la fin de ses mangiers.

Luy levé de table, à la colacion, vers luy povoyent aler toutes manieres d'estrangiers ou autres venus pour besongnier : là trouvast-on souvent maintes manieres d'ambassadeurs d'estranges pays et seigneurs, diverses princes estranges, chevaliers de diverses contrées, dont souvent y avoit tel presse de baronnie et chevalerie, que d'estrangiers, que de ceuls de son

teuses, il les remettoit à l'un de ses maîtres des requêtes.

Il se rendoit ensuite au conseil, lorsque c'en étoit le jour; après quoi, si aucune affaire ne le retardoit, il s'asseyoit à table, à la première

effet, il montroit toujours alors, quels que fussent ses sentiments, un visage joyeux. Après avoir fait le signe de la croix, et avoir adressé dévotement à Dieu, dans quelques oraisons, ses premières paroles, il devisoit familièrement avec ses serviteurs en termes gais et honnêtes: car son in-place, avec les princes du sang ou les prélats. If dulgence et sa douceur donnoient, même aux plus humbles, la hardiesse et la témérité de causer avec lui de bagatelles ou de badineries. Quel que fut leur rang, il rioit à leurs propos et jasoit

avec eux.

Après qu'il étoit peigné, vêtu et ajusté suivant le jour, on lui apportoit son bréviaire. Le chapelain, notable et digne prêtre, l'aidoit à dire chaque matin ses heures canoniales, selon l'ordinaire du temps. Environ les huit heures, il alloit à la messe que l'on célébroit pour lui tous les jours avec les chants mélodieux et solennels. Lorsqu'il étoit retiré dans son oratoire, on chantoit continuellement devant lui des messes basses.

Au sortir de la chapelle, les gens de toute conditions, riches ou pauvres, dames ou demoiselles, femmes, veuves ou autres personnes qui avoient quelque demande à faire, lui pouvoient alors présenter leurs requêtes. Ce bon roi s'arrêtoit pour entendre leurs suppliques; il satisfaisoit charitablement à celles qui étoient justes ou qui excitoient sa pitié; celles qui étoient plus dou

n'y demeuroit pas long-temps, et ne se remplissoit point d'une multitude de viandes; car, disoit-il, la variété des aliments trouble l'estomac et empêche la mémoire. Il buvoit d'un vin clair, sain, et non capiteux: il le trempoit toujours, n'en usoit qu'en très-petite quantité, et n'en changeoit point durant un même repas.

A l'exemple de David, et pour réjouir ses esprits, il écoutoit volontiers à la fin de ses repas des joueurs d'instruments, qui faisoient entendre une musique, la plus douce qui se put faire.

Lorsqu'il s'étoit levé de table, les gens du dehors, ou toutes autres personnes, venus pour affaires, se pouvoient approcher et étoient admis à sa conversation. On y voyoit souvent les ambassadeurs de pays étrangers, des princes, des chevaliers de contrées diverses. Quelquefois il y avoit, sans mentir, une si grande presse de chevaliers et de barons, tant des étrangers que de ceux du royaume, qu'à peine se pouvoit-on mouvoir dans ses appartements et dans ses grandes et magnifiques salles. Ce sage roi les recevoit tous d'un air si affable, il leur répondoit d'une

ses jardins, ésquelz, se en son hostel de saint Paul estoit, aucune fois venoit la Royne vers luy, ou on lui aportoit ses enfens; là parloit aux femmes et demandoit de l'estre de ses enfens.

royaume, que, en ses chambres et sales grandes | c'estoit en esté temps, aucunes foiz entroit en et magnificens à peine se povoit on tourner, et sanz faille, le trés prudent Roy tant sagement et à si benigne chiere recepvoit tous et donnoit responce par si moriginée maniere, et si deuement rendoit à chascun l'onneur qu'il appartient, que tous s'en tenoyent pour trés contens et partoyent joyeux de sa presence.

Aucune foiz luy présentoit-on là dons estranges de divers pays, artillerie ou autre harnois de guerre et diverses autres choses; ou marchans venoyent apportans velous, draps d'or, ou autres choses et toutes autres manieres de belles choses estranges, ou joyauls, qu'il faisoit visiter aux cognoisceurs de telz choses, dont il y avoit de sa famille.

Là, luy estoyent apportées nouvelles de toutes manieres de pays, ou des aventures et fais de ses guerres, ou d'autres batailles, et ainssi de diverses choses; là ordenoit ce qui estoit à faire, selon les cas que on luy proposoit, ou comectoit à en déterminer au conseil, deffendoit le contraire de raison, passoit graces, si- En yver, par espécial, s'occupoit souvent à gnoit lettres de sa main, donnoit dons raison-oyr lire de diverses belles ystoires, de la saincte nables, octroyoit offices vaquans ou licites re- Escripture, ou des fais des Romains, ou moraquestes.

Et ainssi, en telles ou semblables occupacions exercitoit, comme l'espace de deux heures; aprés lesquelles il estoit retrait et aloit reposer, qui duroit, comme une heure; aprés son dormir, estoit un espace avec ses plus privés en esbatement de choses agréables, visitant joyauls ou autres richeces; et celle récréacion prenoit, affin que soing de trop grande occupacion ne peust empecher le sens de sa santé, comme al qui le plus du temps estoit occuppé de négoces laborieux, selon sa déliée complexion. Puis, aloit à vespres, aprés lesquelles, se

litez de philozophes et d'autres sciences jusques à l'heure de soupper, auquel s'asséoit d'assez bonne heure et estoit légierement pris; aprés lequel une piéce s'esbatoit, puis se retrayoit et aloit reposer : et a'nssi, par continuel ordre, le sage Roy bien moriginé usoit le cours de sa vie.

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façon si décente, il rendoit à chacun, avec tant de discernement, l'honneur qui lui étoit dù, que tous s'en tenoient pour satisfaits, et se retiroient d'auprès de lui le cœur rempli de joie.

C'est là qu'on lui apportoit des nouvelles de tous les pays, des récits de batailles, d'aventures militaires, et de choses diverses: c'est là qu'il décidait ce qu'il y avoit à faire selon les cas qu'on lui proposoit, ou s'en référoit à son conseil. Il défendoit les choses contraires à la raison, accordoit les grâces, signait de sa main les lettres, octroyoit les dons raisonnables, les offices vacants, et faisoit droit aux requêtes légitimes.

Il consacroit environ deux heures aux soins de cette espèce, puis il se retiroit pour prendre du repòs, ce qui duroit une heure. Après avoir dormi, il demeuroit quelques instants avec ses fafamiliers, en des passe-temps agréables, à examiner des joyaux ou d'autres raretés. Il se récréoit ainsi de peur qu'une application trop soute nue ne nuisît à sa santé; car il étoit, la plupart du temps, occupé d'affaires laborieuses, et sa complexion étoit fort délicate.

Il alloit ensuite à vêpres, après quoi, si c'étoit en élé, il entroit dans ses jardins, où, lorsqu'il habitoit son hôtel de Saint-Paul, tantôt la reine

le venoit trouver, et tantôt on lui amenoit ses enfants il s'informoit alors de leur conduite, et s'entretenoit avec les femmes.

Là quelquefois on lui offroit des présents de pays étrangers, des machines ou des harnois de guerre, ou divers autres objets; les marchands y apportoient les velours, le drap d'or et d'autres précieuses marchandises, ou des joyaux qu'il faisoit examiner par les connoisseurs experts qu'il avoit dans sa maison.

C'est surtout en hiver que souvent il se faisoit lire, jusques à l'heure du souper, diverses belles histoires celles de la Sainte-Ecriture, les actions des Romains, les moralités des philosophes, ou d'autres livres de sciences: le souper étoit servi d'assez bonne heure, et il y mangeoit fort peu. Il s'ébattoit ensuite pendant quelques moments, puis il se retiroit pour aller reposer. C'est ainsi que, dans un ordre invariable, ce roi sage et façonné aux bonnes mœurs passoit le cours de sa vie.

CHAPITRE XVII,
où il est parlé de la physionomie el
de la corpulence du roi Charles.

Il convient de donner ici quelques détails inté

De corsage estoit hault et bien formé, droit et lé par les espaules, et haingre par les flans; gros bras et beauls membres avoit si correspondens au corps qu'il convenoit, le visage de beau tour un peu longuet, grant front et large; avoit sourcilz en archiez, les yeuls de belle forme, bien assis, chasteins en couleur, et arrestez en regart; hault nez assez, et bouche non trop petite, et tenues lévres; assez barbu estoit, et ot un peu les os des joes hauls, le poil ne blont ne noir, la charneure clere brune; mais la chiere ot assez pale, et croy que ce, et ce qu'il estoit moult maigre luy estoit venu par accident de maladie et non de condicion propre. Sa phinozomie et façon estoit sage, attrempée et rassise, à toute heure, en tous estas et en tous mouvemens; chault, furieus en nul cas n'estoit trouvé, ains agmodéré en tous ses fais, contenances et maintiens, tout telz qu'appartiennent à remply de sagece, hault prince. Ot belle aleure, voix d'omme de beau ton; et avec tout ce, certes, à sa belle parleure tant orderrée et par si belle, arrengé sanz aucune superfluité de parolle, ne croy que réthoricien quelquonques en lengue françoise sceust riens amender.

CHAP. XVIII: Cy dit, comment le roy Charles se contenoit en ses chasteaulx, et l'ordre de son chevauchier.

Aulcunes foiz avenoit, et assez souvent ou temps d'esté, que le Roy aloit esbatre en ses villes et chasteauls hors de Paris, lesquelz moult richement avoit fait refaire et réparer de solemnelz édifices, si comme à Meleun, à Montargis, à Creel, à Saint Germain en Laye, au bois de Vincenes, à Beauté, et mains autres lieux; là, chaçoit aucunes foiz et s'esbatoit pour la santé de son corps, désireus d'avoir doulz et attrempé; mais en toutes ses alées, venues et demeures estoit tout ordre et mesure gardée; car, jà ne laissast ses cotidiennes besongnes à expédier ainsi comme à Paris.

L'acoustumée maniere de chevauchier estoit de notable ordre: à trés grant compaignie de barons et princes et gentilz hommes bien montez et en riches abis, luy assis sus palefroy de grant eslitte, tout temps vestu en abit royal, chevauchant entre ses gens, si loing de luy, par telle et si honorable ordonnance, que, par l'aorné maintien de son bel ordre, bien peust sçavoir et cognoistre tout homme, estrangier ou autre, lequel de tous estoit le Roy, ses gentilhommes devant luy ordenez, et gens d'armes, tous es

CHAPITRE XVIII, où il est dit comment le roi Charles se gouvernoit dans ses châteaux, et de l'ordre qu'il observoit dans ses courses à cheval.

Il arrivoit quelquefois et surtout en été, que le roi s'alloit ébattre hors de Paris, dans ses chàteaux qu'il avoit fait réparer à grands frais, et où il avoit ajouté des constructions magnifiques : à Melun, à Montargis, à Creil, à Saint-Germain

ressants sur la physionomie et la personne de ce noble et sage prince. Il avoit le buste haut et bien fait; les épaules bien dessinées et larges, et la taille effilée. Ses bras étoient gros, et ses membres on ne peut mieux proportionnés. Le tour de son visage étoit parfaitement beau, quoique d'un ovale un peu long. Il avoit le front haut et large; les sourcils arqués, les yeux bien fendus, à fleur de tête, de couleur brune, et peu mobiles; le nez assez grand; la bouche non trop petite, et les lèvres minces. Ses pommettes étoient hautes; sa bar-en-Laye, au bois de Vincennes, à Beauté, et en be, bien fournie, n'étoit ni noire ni blonde. Il avoit la peau brune et le teint pale, et étoit fort maigre dispositions qui provenoient non de sa nature propre, mais d'une maladie venue par acci- | dent. En toutes circonstances et à toute heure du jour sa physionomie et ses façons étoient calmes et graves. On ne le vit jamais ardent ni furieux; mais tempéré dans toutes ses actions, dans ses gestes et dans son maintien, tel qu'il convient à un prince que guide la sagesse. Sa démarche étoit noble, sa voix måle et d'un beau timbre. Son langage étoit si lumineux et si pur, son discours si orné, sans superfluité aucune, qu'il n'est rhéteur de la langue françoise qui eût pu y trouver quelque chose à reprendre.

maints autres lieux. Il y chassoit de temps en temps, et s'y divertissoit dans un but de santé, et pour se maintenir le corps frais et dispos. Quant à l'allée et au retour et au temps qu'il y séjournoit, tout étoit réglé avec ordre et mesure. Là, non plus qu'à Paris, il ne laissa jamais en retard les affaires qu'il devoit chaque jour expédier.

La manière accoutumée de ses courses à cheval est digne de remarque. Il y avoit une compagnie nombreuse de barons, de princes et de gentilshommes, bien montés et richement vêtus. Charles, couvert de ses habits royaux et monté sur un palefroi d'élite, chevauchoit au milieu des siens, qui se tenoient éloignés dans une telle contenance, et si respectueuse, qu'en voyant et cette pompe magnifique et le maintien de chacun, il n'est personne qui n'eût pu tout aussitôt reconnoître lequel étoit le roi. Devant lui étoient ran

Charles tenoit en la distribucion des revenus de son royaume.

toffez, comme pour combattre, en nombre et | CHAP. XIX: Cy dit l'ordonnance que le roy quantité de plusieurs lances, lesquelz estoyent soubz capitaines, chevaliers notables, et tous recepvoyent beauls gages pour la desserte de cel office; les fleurs de lis en escharpe portez devant luy, et par l'escuyer d'escuierie le mantel d'ermines, l'espée et le chapel royal, selons les nobles anciennes coustumes royales.

Devant et aprés, les plus prochains du Roy chevauchoyent, les princes et barons de son sang, ses freres ou autres; mais, nul jà ne l'ap-| prochast, se il ne l'appellast: aprés luy, pluseurs groz destriers, moult beauls en destre, estoyent menez, aornez de moult riche harnois de parement; et quant il entroit en bonnes villes, où à grant joye du peuple estoit receus, ou chevauchoit parmy Paris, où toute ordonnance estoit gardée, bien sembloit estat de trés hault maguific, trés poissant et trés ordené prince.

Et ainsy ce trés sage Roy avoit chiere en tous ses faiz la noble vertu d'ordre et convenable mesure. Lesquelles serimonies royales n'accomplissoient mie tant au goust de sa plaisance, comme pour garder, maintenir et donner exemple à ses successeurs à venir, que, par solemnel ordre, se doit tenir et mener le trés digne dégré de la haulte couronnne de France, à laquelle toute magnificence souveraine est deue et pertinent.

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gés ses gentilshommes et ses gens d'armes, tous pourvus comme pour un combat, et suivis de nombreux cavaliers armés de lances, guidés par des capitaines et des chevaliers notables, recevant tous de riches gages pour le service de cet emploi. Devant lui étoient portées les fleurs de lis en écharpe; et, par le grand écuyer, le manteau d'hermine, l'épée et le chapeau du roi, selon les anciennes et nobles coutumes royales.

Devant et après chevauchoient les proches parents du roi; les barons et les princes du sang, ses frères ou autres seigneurs; mais aucun ne s'approchoit qu'il ne fût appelé. A sa suite plusieurs beaux destriers, couverts de riches harnois, étoient tenus en main. Lorsqu'il entroit ainsi dans ses bonnes villes, où le peuple l'accueilloit par ses acclamations, et lorsqu'il chevauchoit au milieu de Paris, dans cette belle ordonnance, on voyoit bien que cette suite étoit celle d'un prince magnifique, noble, puissant et

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Pour ce que la science de politiques, supellative entre les ars, enseigne homme à gouverner soy mesmes sa mesgniée et subgiez et toutes choses, selons ordre juste et limité; comme elle soit discipline et instruccion de gouverner royaumes et empires, tous peuples et toutes nacions en temps de paix, de guerre, de tranquilité et adversité, assembler et amasser par loisibles gaagnes, trésors et revenues, dispenser pecunes, meubles et receptes; apert manifestement cestui sage prince estre trés apris, sage maistre, et expert en ycelle science, laquelle la noblece de son courage, par la prudence de son averty entendement, luy apprenoit naturellement, sanz autre estude de lettreure aprise en ceste partie, car sa personne gouvernoit par pollicie trés ordonnée, comme dit est.

Item, les revenues de son domaine et rentes accrut grandement, comme il sera dit cy aprés.

Item, ses princes et nobles, maintenoit en honneur et largece et de luy contens. Le clergié tenoit en paix.

Le peuple, en crainte et obéyssance en temps de paix et de guerre.

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CHAPITRE XIX, où il est dit quelle règle observoit le roi Charles dans la distribution des revenus de son royaume.

La science de la politique, la première des sciences, enseigne à l'homme à gouverner sa maison, ses sujets, et toutes choses dans de justes limites et selon l'équité. Elle fournit aussi la règle et les lumières pour gouverner les royaumes et les empires, les peuples et les nations, en temps de paix et en temps de guerre, dans le calme et l'adversité; elle enseigne à recueillir et amasser, par des gains licites, des revenus et des trésors, et à distribuer les richesses. Or, notre sage prince, et cela est démontré, fut dans cette science un maître fort habile. La noblesse de son cœur, son esprit lumineux et sage, l'avoient naturellement éclairé sans étude particulière faite en cette partie. Car, ainsi que nous l'avons dit, il gouvernoit sa personne avec une prudence rare.

De plus, il accrut singulièrement ses reutes et les revenus de son domaine, comme on le verra ci-après.

Il traitoit avec honneur ses princes et ses nobles, leur faisoit des largesses, et contentoit tous leurs desirs.

Il maintenoit le clergé dans la paix.

Le peuple dans l'obéissance et dans la crainte, en temps de paix et en temps de guerre.

Les estranges nacions, benivolens.

Les revenues de son royaume, distribuoit sagement, dont l'une partie estoit appliquée pour la paye de ses gens d'armes et soustenir ses guerres; l'autre, pour la despence de son hostel et estat de luy, de la Royne et de ses nobles enfens, grandement et largement soustenu; l'autre, pour dons à ses freres et parens, dont continuellement avoit avec luy à grans pensions, et des barons et chevaliers estranges qui venoyent en France veoir sa magnificence, ou ambassadeurs à qui donnoit de riches dons; l'autre, pour payer ses serviteurs, donner à esglises ou aumosnes; l'autre, pour ses edefices, dont il basti de moult beauls et notables chasteauls et esglises; et toutes ces choses estoyent largement payées, si que pou ou néant venoyent plaintes au contraire.

CHAP. XX: Ci dit la rigle que le roy Charles

tenoit en l'estat de la Royne.

Entre les politiques ordenances instituées par celluy sage roy Charles, affin que oubliance ne m'empesche à narrer, en ceste partie, ce qui est digne de mémoire et singuliere loange. Dieux! quel triumphe, quelle paix, en quel ordre, en quelle coagulence régulée en toutes choses, es

toit gouvernée la court de trés noble dame, la Royne Jehanne de Bourbon, s'espouse, tant en estat magnificent, comme en honestes manieres riglées de vivre, si comme en ordonnances de mengs et assietes, en compaignie, en serviteurs, en abis, atours, et en tous paremens, par notable et bel ordre menez cotidiennement et aux solemnitez des festes années, ou à la venue des notables princes que le Roy vouloit honorer! En quelle digneté estoit celle Royne, couronnée ou atournée de grans richeces de joyauls, vestue és abis royauls, larges, longs et flotans, en sambues pontificales que ilz appellent chappes ou manteauls royauls des plus précieux draps d'or, ou de soyes, aornez et resplendissans de riches pierres et perles précieuses, en ceinctures, boutonneures et actaches, par diverses heures du jour abis rechangez pluseurs foiz, selons les coustumes royales et pontificaulz; sì que merdictes solemnités, accompaigniée de deux ou veilles est à veoyr ycelle noble Royne à telles trois Roynes, pour lors encore vivans, ses devancières ou parentes, à qui portoit grant révérance, comme raison et droict le debvoit.

Sa noble mere et duchesses, femmes des nobles freres du Roy, contesses, baronesses, dames et demoiselles, à moult grant quantité, toutes de parage, honestes, duites d'onneur, et bien

Il se ménageoit la bienveillance des peuples Dieu! avec quelle gravité, quel ordre, quelle étrangers.

unité parfaite, étoit gouvernée la cour de trèsIl distribuoit sagement les revenus de son noble dame, la reine Jeanne de Bourbon son royaume, et les employoit par portions distinc- épouse, tant pour la richesse de sa maison, que tes: 1° à la paie de ses gens d'armes et aux frais pour les façons de vivre décentes et réglées. Un de ses guerres; 2° aux dépenses de son hôtel, à ordre merveilleux régnoit dans son domestique, celles qui regardoient sa personne, la reine et et dans l'administration des revenus de sa dot. ses enfants, qui tous étoient entretenus avec lar- Sa compagnie, ses serviteurs, ses habits, ses gesse et splendeur; 3° à des présents à ses frè- atours, et toutes ses parures étoient réglés avec res, à ses proches, réunis chez lui en foule et choix pour chaque jour, et pour les fêtes anpensionnés richement; aux seigneurs et aux che-nuelles, ou pour la venue des princes de haut valiers étrangers, qui venoient à sa cour pour en admirer l'éclat; aux ambassadeurs enfin qu'il combloit de riches dons; 4o à payer ses serviteurs, à donner aux églises, ou à faire des aumônes; 5o à la construction des édifices, dont il fit bâtir un grand nombre, tant églises que chàteaux riches et magnifiques. Tous ces services étoient largement rétribués, et rarement à cet égard s'élevoit-il quelque plainte.

CHAPITRE XX, où l'on dit comment le roi Charles

tenoit ordonnée la maison de la reine.

A l'égard des judicieux réglements établis par ce sage roi, je ne dois rien oublier en cette partie de ce qui est digne de mémoire et d'une louange particulière. Avec quelle magnificence, grand

rang à qui le roi vouloit faire honneur. Quelle étoit la majesté de cette reine, lorsque couronnée, ou parée de ses riches bijoux, elle étoit couverte de ses habits royaux, amples, longs et flottants, rehaussés de ce noble surcot, que l'on appelle chappe ou manteau royal, du plus précieux drap d'or ou de soie, orné, ainsi que les cordons, les boutons et les ceintures, de pierres resplendissantes et de perles précieuses! Selon les coutumes de la cour, elle changeoit plusieurs fois d'habits aux diverses heures de la journée. C'étoit merveille que de voir cette noble reine aux grandes solennités, accompagnée de deux ou trois reines, ses parentes et ses devancières, à qui elle portoit le respect le plus grand ainsi que le vouloient le devoir et la raison.

On y voyoit sa noble mère et les duchesses, femmes des frères du roi, les comtesses, les ha

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