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Grieux, par divine volenté, au salut des universes terres remplir de nobles nacions, se partirent pluseurs barons nez de la lignie royal, avec multitude de gent espandens en diverses contrées, entre lesquelz un appellé Francio, filz au preux Hector, filz du roy Priant de Troye, avec sa compaignie, arrivans vers les Palus de Moede, fonderent, par espace de temps, la cité de Sicambre, en monteplyant, par longue demeure possédeurs d'icelle; aprés pluseurs années, comme leur hault corage fust rebelle à servage, obviant à l'empire de Romme contraignant yceulx à servitude de treu, fu voir, que, en l'an de grace 381, avec leur duc descendus dudit estoc royal, appellé Priant, se translaterent en la terre de Gaule que ilz appellerent France, auquel duc Priant succéda Marchoeres, qui engendra Pharamon, que yceulx couronnerent à primier roy de France.

Ainssy fu le commencement de celle noble nacion françoise, couronnée d'ancienne noblece, laquelle, Dieux mercis, doir en hoir, est continuéc malgré les floz de la descordable fortune jusque cy en amendent en bien, à laquelle chose Dieux octroit tousjours acroiscement de gloire jusques au terme des aeulx.

CHAP. VI Cy dit la nativité du roy Charles.

D'ycelle dicte noble lignée Dieu, ameur du trés christien peuple françois, pour la réparacion, confort et préservacion dudit lieu, lequel, par pluseurs adversitez de nostre sire, peut es. tre consentyes pour cause de correccion, si comme le bon pere chastie ses enfens, tout ainssy comme jadiz donna Moyse, né de nobles parens, ou temps de l'adversité d'Egipte, aux enfens d'Israël, le sage conduiseur pour ledit peuple en espace de jours tirer hors du servage de Pharaon, volt la divine Providence faire naistre de parens solemnelz et dignes, c'est assavoir, du bel et chevalereus Jehan, roy de France, et de la royne Bonne, s'espouse, fille du bon roy de Bahaigne, ycelluy sage Charles, lequel fu le cinquante-sixieme roi de France, puis le roy Pharamont dit dessus, regnans glorieusement par l'espace de mille vingt-trois ans (1) courus jusques au couronnement d'icelluy dit sage roy Charles. Nez fu au bois de Vincennes, le jour sainte Agnés, vingt-uniéme de janvier, en l'an de grâce 1336, à grant joye receus, comme de ses parens primier né; administracion de nourreture et estat luy fu baillié si notablement

sieurs princes de la maison royale de cette cité fameuse allèrent remplir le monde entier de peuples belliqueux. La providence le voulut ainsi pour le salut des nations. Ces princes, suivis d'une multitude nombreuse, se répandirent en diverses contrées. L'un d'eux, nommé Francus, fils d'Hector, fils de Priam, roi des Troyens, vint avec sa troupe vers le Palus-Méotides: ils y fon

dèrent dans la suite la cité des Sicambres, où ils se multiplièrent durant une longue possession. Après nombre d'années, comme leur haut courage ne se vouloit point soumettre à la servitude, il arriva, vers l'an de grâce 381, que, pour se soustraire à la domination de Rome qui prétendoit leur imposer un tribut, guidés par Priam, prince de la souche royale dont nous avons parlé, ils envahirent le pays des Gaules, et lui donnèrent le nom de France. Au duc Priam, succéda Marcomir qui engendra Pharamond : celui-ci fut couronné par son peuple comme premier roi de

France.

Tels furent les commencements de la noble nation française, et cette antique illustration s'est accrue, grâce au ciel, et continuée de règne en règne en dépit des assauts de la fortune contraire qu'il plaise à Dieu d'en augmenter la gloire jusqu'à la fin des siècles.

CHAP. VI, où il est parlé de la naissance du roi Charles.

Par cette noble lignée, Dieu, qui aime le peuple français, sauva, garantit, et consola la France qu'il protége: cette France chrétienne à laquelle il infligea, peut-être comme une expiation, infortunes de son roi, tout ainsi qu'un bon père

les

qui châtie ses enfants. De même que jadis au temps de la servitude d'Egypte, Moïse, né d'illustre famille, fut donné comme un guide sage au peuple d'Israël, afin qu'il le tirât des mains du Pharaon, ainsi la providence divine voulut faire nattre le roi Charles de parents nobles et illustres; savoir du beau et valeureux Jean, roi de France, et de la reine Bonne, son épouse, fille du roi de Bohême. Charles-le-Sage fut le cinquante-sixième des rois de France qui régnèrent avec gloire durant un espace de mille vingt-trois années : depuis Pharamond jusqu'à son couronnement. Il naquit au bois de Vincennes, en l'an de grace 1336, le 21 de janvier, jour de sainte Agnès, et fut accueilli avec une grande joie, comme le premier né de ses parents. On lui alloua un revenu, et on lui fit un état de maison avec toute la richesse que le droit et la coutume exigent en pareil cas pour les enfants des princes. Je n'entrerai point à cet égard dans un plus long détail, ce ne serait ni utile ni convenable au but que je me propose, qui

cun sait qu'il ne s'est pas écoulé 1023 ans de Pharamond

(1) Il y a dans cette évaluation une erreur si évidente que le lecteur le plus vulgaire peut s'en apercevoir; cha- | à Charles V.

comme droit et noble coustume requiert a telz royaulx enfens: de laquelle chose grant narracion faire n'est mie neccessaire, ne au propoz singulier où je vueil tendre, qui n'est fors seulement traictier de ce qui touchera ses vertus et estat en sages et bonnes mœurs et autres particularitez, lesquelles sont assez sceues par le commun ordre du noble estat royal de France ne seroyent fors prolixitez non neccessaires, si me passeray de son enfence assez légierement; par l'exemple que nous véons és escriptures de tous les plus notables passez, n'estre escript de leur juene aage, fors comme chose apocriphe et sans grant foy, mesmement de l'enfence et adolescence de Jhesu-Crist peu traicté l'Evangile, de laquelle chose, comme il fut tout sapient pareillement ou cours de sa vie; peut estre que ainssy luy plot estre fait pour monstrer que la perfection du sens humain ne doit estre prise fors en aage de discrécion, ouquel temps homme est appellez vir. Si n'en diray autre chose, excepté que la sage administracion du pere le fist introduire en lettres moult souffisamment et tant que competenment entendoit son latin (1), et suffisanment scavoit les rigles de granmaire; laquelle chose pleust à Dieu que ainssy fust acoustumé entre les princes! et ce seroit chose

est de traiter uniquement de ce qui touche à ses vertus et à ses mœurs pures et sages dans ses rapports domestiques, et à quelques autres particularités. Le premier point est assez familier aux nobles personnages de la maison de France : il ne serait ici qu'une oiseuse redite. Je passerai de même fort légèrement sur son enfance : l'exemple de l'Ecriture nous autorise à le faire, puisqu'il n'y est rien dit du jeune âge des plus notables personnes des temps passés, si ce n'est des choses apocryphes ou peu dignes de foi. L'évangile lui-même parle à peine de l'enfance et de l'adolescence de Jésus-Christ, durant lesquelles il fut sage comme pendant le reste de sa vie. Peut-être lui a-t-il plu que cela fut ainsi, pour nous apprendre qu'il ne faut point chercher la perfection de l'intelligence humaine hors de l'âge de discrétion, temps auquel l'homme est appelé vir. Aussi dirai-je simplement que la sollicitude éclairée de son père le fit instruire dans les lettres en un degré suffisant pour qu'il entendit convenablement son latin, et connut pertinemment les règles de la grammaire. Plût à Dieu que telle fut toujours la coutume des princes! Ce serait assurément trèsopportun et très-utile dans les causes diverses et spéciales dont la connoissance leur est attribuée

(1) Philippe de Maizières, contemporain de Charles V, parle d'une bible latine que ce prince avait coutume de lire lui-même ; cette bible se trouve aujourd'hui à la Bibliothèque du roi; nous y avons vu la signature du roi

trés convenable et pertinent aux causes des cas divers et particuliers dont la cognoiscence leur est imputée et de droit comise, de quoy ne peut avoir introduccion des loys, ce n'est par estranges expositeurs, tout par peresse d'un petit de temps souffrir l'excercitation et labour d'estude.

CHAP. VII: Ci dit de la jeunece du roy Charles, et comment c'est grant peril quant administracion de bonne doctrine n'est donnée aux enfens des princes.

Et aussi pareillement n'est à mon propoz et ne quier faire grant narracion sur les fais de l'adolescence dudit Roy; et pour touchier la vérité, j'entens que jeunece, par propre voulenté menée plus perverse que à tel prince n'appartient, dominoit en luy en celluy temps, mais je suppose que ce pot estre par maulvaiz aministrateurs, car, comme jeunece soit de soy encline à mains mouvemens hors ordre de raison, encore quant elle est conduite et exortée par maulvaiz et sans consience anminciateurs plus tendens à l'adulacion du jeune courage du prince, pour son gré acquerre, que pour le conduire par pure et deue voye, c'est un grant

et commise de droit, vu que le défaut d'un pareil soin ne leur permet de connaître la loi que par l'explication d'autrui: suite fàcheuse d'une paresse qui ne leur a point permis de souffrir pour un peu de temps l'exercice et la peine qui sont attachés à l'étude.

CHAP. VII, où il est parlé de la jeunesse du roi Charles, et du danger qu'il y a à ne pas donner de bons enseignements aux enfants des princes.

Un long récit de l'adolescence de ce roi n'est pas non plus dans mon dessein, ni requis par mon sujet. S'il faut parler sincèrement, je suis d'avis que sa jeunesse fut, par l'effet des désirs criminels auxquels il s'abandonnoit alors, beaucoup plus désordonnée qu'il ne convenoit à un tel prince; mais je suis portée à croire que c'était par la faute de ceux qui le gouvernoient. La jeunesse, ayant de sa nature une certaine tendance au désordre, lorsqu'elle est conduite et excitée par ces directeurs sans conscience ou corrompus, qui, pour acquérir la faveur d'un prince, songent plus à flatter ses passions qu'à le guider dans une voie droite et sans tache, il en résulte, pour tout Charles, précédée de ces mots écrits de la main de ce prince: Ceste bible est à nog, Charles le V de notre non, roy de France, et est en ij volumez, et la fimes faire et p-fere.

meschief et péril en tout grant seigneur; car orgueil qui leur ramentoit leur haulte puissance, et juenece qui les instruit à leur singulier plaisir en tous délis, leur ostent la crainte et regart de toute discipline, et par oultre cuidance peuent estre conduis à telle ignorance que ilz présument à eulx estre licite faire follies et choses hors ordre de bonnes meurs; ce qui seroit lait et malhonneste à simples et povres hommes, laquelle chose est tout le contraire; car tout ainssy que seigneurie humaine est rigle des autres estas, est raison qu'elle soit régulée et reamplye de précieux joyaulx de vertus et de l'entendement; et, pour ce, les parens, obvians à telz inconvéniens, doivent plus singulierement procurer à leur enfens bonne compaignie sage et honeste, et prendre garde à la discipline des meurs, que à leur bailler estat quelconques ne autre nourriture deliée ; et pour ce, à ce propoz, treuve-l'en, en maintes escriptures, que anciennement aux enfens des roys et princes, comme autrefois ay parlé sur ceste matiere estoyent quis sages maistres philozophes, lesquelz en avoyent l'aministracion et gouvernement jusques à ce que ilz feussent parcreus et enforciz, si que ilz fussent ydoines à soustenir le fais des armes, et adont estoyent livrez à la chevalerie és mains des sages cheva

grand seigneur, un grand malheur et un grand péril. L'orgueil qui leur rappelle leur puissance, et la jeunesse qui les entraîne et les rend propres aux voluptés, leur ôtent la crainte et le respect de toute discipline. La présomption peut en outre les conduire à une telle ignorance, qu'ils croient pouvoir se permettre tous les excès les plus contraires aux bonnes mœurs; car ce qui, chez des hommes privés et sans richesses, serait messéant et condamné, est vu là d'un autre œil. Si la vie des grands est l'exemple des autres états, il convient qu'elle soit réglée par l'intelligence et décorée des précieux joyaux des vertus. Pour obvier aux inconvénients que nous avons dit, il faut que les parents procurent à leurs enfants une compagnie sage et honnête, et portent plus de sollicitude à surveiller leurs mœurs, qu'à leur faire des positions brillantes et à satisfaire avec délicatesse toutes leurs sensualités. C'était à cette fin, comme on le voit en maint livre (je l'ai dit moi-même ailleurs, et en un sujet pareil), que dans l'antiquité, on donnoit pour maîtres aux enfants des princes et des rois de sages philosophes. Ils demeuroient soumis à leur autorité jusqu'au temps où leur corps avait acquis assez de force pour supporter le poids des armes. Ils s'appliquaient alors à la chevalerie sous la conduite de sages chevaliers, experts en telle discipline. Car il est sans aucun doute (on l'a dit maintes fois)

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liers expers en telle discipline; car n'est mie doubte, comme il est dit par maint aucteur, tout ainssy comme la cire est apte et preste à toute emprainte recepvoir, est l'engin de l'enfent disposé à recepvoir telle discipline comme on luy veult bailler et aprendre; et à ce propoz n'est mie sans grant péril donner auctorité de seigneurie à enfent sanz frain de sages amenistrateurs.

Et, par exemple, l'avons ou livre des Roys, ou temps Roboam, filz Salomon, pour ce qu'il n'avoit pas respondu sagement au peuple, ainssi comme les preudes hommes luy avoyent conseillé, mais orguilleusement et fiérement, par le conseil des jeunes avecques luy nourris en enfence, le royaume fu divisé en deux royaumes; de douze lignées, Roboan n'en ot que les deux, et Jeroboam, qui ot esté sergent Salomon, en ot dix.

Des enfens des chevaliers, qui est à entendre des nobles victorieux aussi, est escript que anciennement en enfence les tenoyent soubz grant cremeur de ce est escript és histoires des Grieux jadis triumphans, que Ligurgus, roy de Lacédémone, entre les belles loys que il estably, ordonna que les jouvenceaulx n'eussent en l'an fors une robe; item, que les jeunes enfens, yssus hors de la primiere nourriture,.

que l'esprit de l'enfant est propre à recevoir tous les enseignements qu'on lui veut communiquer, de même qu'une cire molle est apte à recevoir toute espèce d'empreinte. Il n'est donc pas sans danger de laisser un enfant affranchi d'une sage surveillance, se livrer aux fantaisies que son rang lui permet de satisfaire. Et le livre des rois nous en offre un exemple en la personne de Roboam, fils de Salomon. Il ne voulut point répondre avec sagesse au peuple comme des hommes prudents le lui avaient conseillé; mais, de l'avis des jeunes hommes, compagnons de son enfance, il parla avec hauteur et fierté. Ce royaume se divisa en deux parties, et de douze tribus il n'en conserva que deux : Jéroboam, qui avait été serviteur de Salomon, eut les dix autres.

Quant aux enfants des chevaliers, et nous entendons par là ceux des hommes libres et belliqueux, il est écrit que jadis ils étoient tenus sévèrement dans la crainte. On lit dans l'histoire des Grecs, aux temps de leurs succès, que Lycurgue, roi de Lacédémone, entre les sages lois qu'il établit, ordonna que les jeunes hommes n'eussent qu'une robe par an; que les enfants, dès qu'ils seraient sortis du premier àge, fussent éloignés des caresses maternelles; l'oisiveté et les plaisirs étant pour eux un poison destructeur de la morale, il voulut qu'ils fussent écartés des

fussent tirez des mignotises maternelles; et comme oisiveté et délices soyent à eulx comme venin destruiseur de meurs, ordonna ycelluy que séparez fussent des délices des bonnes villes et nourris sus les champs en exercitation d'aucun labeur selon leur faculté et aage. Item, que honneur aucun ne fust donné à home, fors selon les merites de ses vertus, et non parfaict honneur actribué à aulcun jusques à tant que continuée vertu l'eust parmené en l'aage de viellece et d'impotence laquelle loy, pour l'augmentacion de vertu, pleust à Dieu que courust en nos aages, et en perpétuel temps.

CHAP. VIII: Cy dit, le couronnement du roy Charles, et comment, tost aprés, prist à suivre la rigle de vertu.

Selons le triumphe, par ancien et redevable usage, le jour de la Trinité, en l'an de grace mil trois cens soixante et quatre, de sa nativité le vingt-septiéme, cestuy sage Charles roy, quint du nom, fu coronné, lequel, tost aprés, nonobstant le boullon de si mene aage, contre la commune maniere des hommes cheminans par le cours de nature; par grace de Dieu et especial don de divine informacion, par les bateures infortunées, a longtemps, receues en son royaume(1), par guerres, pertes excessives

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CHAP. où l'on raconte le couronnement du roi
VIII,
Charles, et comment, bientôt après, il se mit
à mener une vertueuse vie.

Le jour de la Trinité de l'an de grâce mil trois cent soixante-quatre, la vingt-septième année depuis sa naissance, le roi Charles-le-Sage, cinquième du nom, fut couronné en grande pompe suivant un noble et ancien usage. De ce moment, et malgré le feu de la jeunesse, il s'abstint de suivre l'exemple du commun des hommes qui s'abandonnent à cet àge à leurs vicieux penchants. La grâce de Dieu, un don spécial de divine prescience, les déplorables défaites essuyées jadis en son royaume,

(1) En faisant ici allusion aux malheurs qui avaient frappé la France, Christine de Pisan avait sans doute en vue la prise du roi Jean à la bataille de Poitiers, en 1356.

et tribulacions infinies, qui souventefoiz peuent estre prouffitables et salutaires aux vages humains à cause de adverticence de leur vie inique et recognoiscence de leur créateur, fu enluminé de clere cognoiscence qui vrayement luy discerna le cler du trouble, le bel du lait, le bien du mal, par laquelle fu inspirez à droicte voye, en déboutant les jueneces avuglées par floz d'ignorance; non mie que on doye par mes parolles entendre que ycelluy en sa juenece fust excerciteur de cruaultez inhumaines, ne aussi moriginez és orgueuls Tarquiniens, lesquelles choses, Dieu mercis, sont hors les usages des honorez princes françoiz, auxqueulx, pour la blancheur de leur glorieux estre, appert petite tache, se en eulx est, plus que trés grant autre part ne feroit.

Ainssi, ce trés sage Roy retrait des voyes d'ignorance, tout ainssi comme le champ non labouré et par longtemps esté en friche, remply d'espines, sanz aulcun bon fruit porter, et aprés, luy deffriché et coulturé de bonne semence, porte fruit meilleur et plus habundanment que autre terre, cestuy sage, de soy esrachiées toutes espines de vices, en luy volt enter toutes virtueuses plantes, dont le fruit s'ensuivy si bon et de tel sante aprés, comme nous dirons par ordre, que encore en dure la rassadiacion et odeur en maints royaumes.

les guerres, les pertes graves et les tribulations infinies, qui, pour les hommes égarés, sont un enseignement salutaire, et un avertissement de la colère céleste au sujet de leur vie inique, l'éclairèrent d'une vraie lumière, qui lui fit discerner le clair d'avec l'obscur, le beau d'avec le laid, le bien d'avec le mal, lui inspira de suivre la voie droite, et de chasser d'auprès de soi une jeunesse aveugle et ignorante. Ce n'est pas qu'il faille conclure de ceci que Charles, en sa jeunesse, ait exercé d'odieuses cruautés, ou qu'il ait montré jamais un orgueil Tarquinien; ces vices, Dieu merci, ne sont point dans les mœurs de nos princes de France, dont la gloire est si belle, qu'une tache légère y serait plus remarquée que ne pourroit l'être ailleurs une large souillure.

C'est ainsi que ce sage prince se retira des voies de l'ignorance.

Un champ long-temps privé de culture et laissé en friche, se couvre d'épines et ne porte aucun fruit; mais si l'on vient à le labourer, et que l'on y répande une bonne semence, il porte des fruits plus abondants et meilleurs que ne le fait toute autre terre; ainsi, ce sage prince, ayant arraché de son cœur les épines des vices, y voulut greffer toutes les plantes vertueuses, et le fruit qui en résulta fut si bon et si salubre, que le parfum et la saveur en durent encore en maint royaume.

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Pour ce que le susdit suppoz, c'est assavoir la matiere où nous sommes entrez, du temps de l'aage de juenece, nous donne cause de plus avant dire, sera un petit divulgué en cestuy chapitre des propriétez d'icelle, en descrisant, selon les aucteurs et mon petit engin, ses mouvemens, passions et opéracions diverses.

Comme il soit voir, nature humaine, pour cause de sensualité, estre encline à plusieurs vices tous tendens au délit et aise du corps, lesquelles choses ne procurent mie les proprietez de l'ame intellective, comme de sa nature elle tende au lieu dont elle est venue, c'est assavoir à haultes choses; car, si, comme dit Aristote, ou primier de métaphisique, chascune chose desire estre conjoincte avec son principe, car en ce est le terme de toute matiere créé, ycelle ame est translatée ou corps, lequel est vessel composé de grosses et matérielles substances, qui rent l'esperit empeché et comme lié des opéracions intellectives, auquel, par proces d'ans, convient attendre temps et aage jusques l'instrument par où il doit ouvrer ait par ordre de nature pris convenable croiscence, ains que les vertus de l'ame puissent, se petit nom monstrer l'œuvre de sa soubtilleté; et

CHAP. IX, où il est parlé de la jeunesse et de ses penchants.

Le sujet que nous traitons, c'est-à-dire la jeunesse, nous offrant l'opportunité d'entrer ici dans quelques développements, je deviserai dans ce chapitre des qualités qui sont propres à cet âge, décrivant d'après les auteurs et d'après mon faible =esprit, ses mouvements, ses passions et ses actes divers.

Une vérité incontestable, c'est que l'homme est enclin par nature à plusieurs vices qui tendent tous au plaisir et au bien-être du corps. Ces desirs sensuels ne sont point favorables à l'àme intelligente, qui elle-même tend au lieu d'où elle est venue aux choses élevées. Car, comme le dit Aristote, dans le premier livre de sa métaphysique, si chaque chose desire d'être réunie à son principe, ce qui est le but de tout objet créé, l'âme étant déposée dans le corps, enveloppe grossière, qui entrave ou empêche les opérations de l'intelligence; il faut attendre du progrès des ans, l'âge ou l'organe, au moyen duquel l'esprit doit opérer, a reçu de la nature la perfection nécessaire pour que l'àme, même dans les petites choses, puisse faire reconnoître ses facultés spirituelles. Pendant le cours de cet accroissement, la nature façonne peu à peu l'imagination et la

ainssi, petit à petit, ou temps de celle croiscence, nature appreste la fantasie et entendement, tout ainssy comme une table rese, comme dit Aristote, en laquelle on peut escripre et figurer ce que l'en veult, si comme nous véons és enfens que l'en fait apprendre tel art comme on veult; si n'est mie doubte que ycelluy vaissel, juene et nouvel, qui encore n'a expérience, ne concept fors ce qui appete à délices charnelz, comme ignorant encore des spéculatives joyes de l'entendement, convient que ses opéracions foraines et par dehors soyent joyeuses, légieres et de petite constance, et les inclinacions de l'abbilité sensible tost muées de joye en ire, de vouloir en desvouloir, et en autres passions tendres, comme nous véons communement és petits enfens, en amodérant tousjours ycelles fragilitez jusques en aage parfaict d'omme, ou adont, quant obfuscation extraordinaire n'empeche l'orguan, c'est à dire l'instrument, qui est le corps, par maladie, ou autre accident, l'ame doit ouvrer.

Mais, au desoubz de ses ans perfaiz, aprés les jours d'enfence que la ceve monte contremont la jueune plante, c'est à dire lorsque la chaleur et moitteur est grant ou jouvencel, environ l'aage de son adolescence, adont n'est nulz qui peust comprendre les divers mouvemens qui en celluy corps sont compris, lequel,

pensée. Ainsi, dit Aristote, qu'on peut écrire ou tracer sur une table rase tout ce que l'on desire, de même voyons-nous que l'on fait apprendre aux enfants l'art que l'on veut leur enseigner. Cet être neuf et jeune, n'ayant encore rien éprouvé, n'ayant eu de desirs que pour les plaisirs des sens, n'ayant point connu jusque-là les jouissances de l'esprit, il doit en résulter que ses actions extérieures sont légères et mobiles, et tendent au plaisir; que ses facultés sensibles le font passer rapidement de la joie à la colère; qu'il veut et ne veut plus; n'a que des passions sans force, comme on le voit chez les enfants. Si par degrés, et jusqu'à l'âge d'homme, on corrige ces faiblesses, l'âme peut alors agir dans toute sa liberté; à moins qu'une maladie ou tel autre obstacle ne vienne offusquer l'organe ou l'instrument, c'est-à-dire le corps.

Mais, avant d'arriver à cette perfection de l'âge, après les jours de l'enfance, lorsque la sève monte au sommet de la jeune plante, lorsque la chaleur est grande au cœur du jouvenceau, environ l'âge de son adolescence, alors on ne saurait imaginer les mouvements divers qui agitent le corps en proie à ses instincts, et aux appétits déréglés; ce corps à qui l'empire et les redressements de la raison sont demeurés inconnus, hors le cas d'une grâce particulière de Dieu faveur

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