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hommes qui l'avoient suivy: mais jettant les yeux plus loin, il apperçut sur une chaussée beaucoup d'autres troupes qui filoient et le venoient joindre. Cette découverte releva ses esperances, et l'engagea d'exhorter ses gens à reprendre cœur en leur representant qu'ils alloient tomber sur les Anglois, qui seroient surpris, et ne s'attendoient pas à cette irruption; qu'il ne s'agissoit seulement que de faire un peu bonne contenance pour vaincre des ennemis, que leur seule presence alloit intimider; que Dieu qui de tout temps avoit été le protecteur des lys, leur inspireroit le courage et les forces dont ils auroient besoin pour triompher de ces étrangers; qu'ils ne seroient pas les seuls à les attaquer, puis qu'il voyoit déja paroître Olivier de Clisson, le vicomte de Rohan, le seigneur de Rochefort, Jean de Vienne et le sire de Trye qui venoient avec le maréchal de Blainville, pour les renforcer. Ils étoient tous si moüillez et si fatiguez, et leurs chevaux si recrus et si las, qu'à peine se pouvoient-t'ils soûtenir.

Aprés avoir pris un peu de repos, et s'être sechez au soleil, ils mangerent et bûrent pour avoir plus de force à combattre, et montans sur leurs chevaux qu'ils avoient aussi fait repaître, ils se dirent adieu l'un à l'autre, frappans leurs poitrines dans le souvenir de leurs déreglemens passez, et recommandans le soin de leurs ames à leur createur, qu'ils esperoient devoir benir la justice de leurs armes. A peine eurent-t'ils fait une lieue, qu'ils virent tout à plain les Anglois dispersez çà et là par les champs, sans tenir aucun ordre ny discipline, et ne songeans point à la visite qu'on leur alloit rendre. Bertrand fit remarquer ce desordre à ses troupes, et les encouragea de son mieux à leur aller tomber sur le corps, tandis qu'ils étoient ainsi separez et sans se tenir sur leurs gardes, leur promettant tout l'or, tout l'argent, tous les chevaux et touttes les richesses qu'ils trouveroient dans l'armée des Anglois, sans vouloir aucunement partager avec eux le butin qu'ils y pourroient faire. Il remarqua qu'ils étoient bien deux mille sur les champs qui vivoient avec beaucoup de relâchement, et ne se défioient de rien; que leurs generaux et leurs capitaines étoient logez dans des villages, attendans toûjours quelle nouvelle le trompette de Thomas de Granson leur devoit apporter. D'ailleurs Hugues de Caurelay et Cressonval qui devoient amener un fort grand renfort n'étoient point encore arrivez; il ny avoit que Thomas de Granson, leur general, qui se reposant sur le retour de son trompette, demeuroit dans son camp, se divertissant sous sa tente avec une fort grande securité. Bertrand voyant

que le coup étoit sûr de les attaquer, il s'approcha d'eux avec tant de précaution, qu'il ne se contenta pas de faire cacher sa banniere et de ne point déployer ses enseignes; mais il voulut que ses gens cachassent leur cuirasses sous leurs afin habits, et que les trompettes se tûssent, de surprendre ses ennemis avec plus de succés. Il leur commanda de mettre pied à terre, aussitôt qu'ils se trouveroient à un demy trait d'arbalête prés des Anglois. Cet ordre fut exécuté avec tant de secret, que ces derniers ne s'en apperçurent que quand il fallut en venir aux mains avec les François, qui crierent tout d'un coup Montjoye Saint-Denis, en montrans leurs cuirasses et leurs étendards où les lys étoient arborez, et faisans retentir toutte la campagne du bruit de leurs trompettes. Ils chargerent les Anglois avec tant de furie, qu'ils en abattoient autant qu'ils en frappoient, et les autres prenans la fuite, jettoient l'épouvente dans toutte leur armée, se plaignans qu'ils étoient trahis. Thomas de Granson, tout consterné de cette camisade qu'on venoit de donner à ses troupes, s'en prit à son trompette, dont il croyoit avoir été mal servy, se persuadant qu'étant de concert avec Bertrand, il n'étoit pas revenu tout exprés, pour luy donner le loisir de faire cette entreprise pendant qu'on attendroit son retour. Il tâcha dans une si grande déroute se r'allier ses gens et de les assembler autour de son drapeau, faisant sonner ses trompettes pour les avertir de se rendre tous à son étendard. Il s'en attroupa prés de mille qui coururent à son enseigne; mais Bertrand poursuivant toûjours sa pointe avec ses plus braves, se fit jour au travers des Anglois, renversa par terre touttes leurs tentes et leurs logemens. L'execution fut si grande, qu'il en coucha plus de cinq cens sur le pré, de ce premier coup. La bravoure de ce général étonna si fort les Anglois, que se regardans l'un l'autre, ils se disoient reciproquement, que jamais ils n'avoient veu dans la guerre un si redoutable homme, ny qui sçût mieux s'aquiter du devoir de soldat et de capitaine, et qu'on ne pouvoit pas comprendre comment avec une poignée de gens, il faisoit un si grand fracas dans une armée bien plus nombreuse et plus forte que la

sienne.

Thomas de Granson voulut avoir recours à un stratageme, en ordonnant à Geoffroy Ourse lay d'envelopper Bertrand avec huit cens hommes d'armes, et de l'attaquer par derriere dans. la plus grande chaleur du combat et de la mèlée. Ce capitaine se déroba de la bataille avec un pareil nombre de gens, et s'alla poster der

riere une montagne pour venir charger Guesclin
a dos, quand il en trouveroit l'occasion favora-
ble, se tenant là caché tout exprés pour étudier
à loisir le temps et le moment propre pour l'ac-
cabler par une irruption subite et imprevüe. |
Bertrand faisoit toûjours un merveilleux pro-
grés contre les Anglois qui s'éclaircissoient et
fuyoient devant luy comme des moutons, quand,
voulant achever la victoire qui se declaroit en
sa faveur, il apperçut l'étendard de Thomas de
Granson. Ce nouvel objet luy fit à l'instant com-
mander à ses gens de passer sur le ventre à tout
ce qu'ils rencontreroient pour aller arracher
cette enseigne des mains de celuy qui la por-
toit, les assurant qu'aussitôt qu'elle seroit ga-
gnée, la journée seroit entierement couronnée.
Les François partirent à l'instant de la main
pour se faire jour au travers des Anglois qui se
defendoient et faisoient les derniers efforts pour
les arrêter.

Pendant tout ce fracas de part et d'autre, Thomas de Granson s'avisa de détacher un cavalier pour aller à toutte jambe à Ponvallain, donner avis à David Hollegrave de venir incessamment à son secours avec les cinq cens hommes qu'il commandoit. Celuy-cy, par son arrivée, rétablit un peu le combat et donna quelque exercice à Bertrand, qui fut obligé de renouveller ses premiers efforts pour se soûtenir contre un renfort si inopiné. Cependant, comme si la presence de ce peril eût redoublé l'ardeur de son courage, il se lançoit au milieu des Anglois, écumant comme un sanglier, frappoit d'estoc et de taille sur eux, les abbattoit et les renversoit perçant les uns au defaut de la cuirasse, et soûlevant le juste au corps des autres, afin que son épée trouvât moins d'obstacle à les tüer, ne voulant faire quartier à pas un ny prendre personne à rançon. Le comte de Saint Paul et son fils se signalerent dans cette chaude occasion; le sire Raineval, Galeran et Roulequin, ses fils, Oudard de Renty, Enguerrand d'Eudin, Alain et Jean de Beaumont, les deux Mauny, et les autres braves François y payerent tout à fait bien de leurs personnes. Thomas de Granson de son côté faisoit de son mieux pour encourager ses Anglois à ne pas reculer, leur promettant que pour peu qu'ils tinssent encore bon, la victoire leur seroit immanquable, parce que Geoffroy Oursely s'en alloit sortir de son embuscade avec huit cens hommes pour envelopper Bertrand, et le charger à dos, et que si ce capitaine tomboit dans ses mains, comme il l'esperoit, il se feroit un merite de le presenter au roy Edouard, son maître, qui recevroit avec plaisir un si redoutable prisonnier, qu'il

ne rendroit pas pour tout l'or de la France.

Ourselay pensoit faire son coup, et prenoit déja son tour avec ses gens, à la faveur d'un bois qui l'épauloit et le couvroit; mais il fut bien surpris quand il se vit coupé par quatorze cens combattans qui luy tomberent sur le corps, et que menoit contr'eux Olivier de Clisson secondé des deux maréchaux d'Andreghem, et de Blainville et de Jean de Vienne. Comme la partie n'étoit pas égale, les Anglois voyans qu'ils alloient être accablez par la multitude, commencerent à plier. Les François profitans de leur crainte en tüerent grand nombre, et le carnage ne cessa que par la prise d'Ourselay. Clisson luy demanda ce qu'étoit devenu Bertrand, et s'il en sçavoit des nouvelles. Il luy répondit qu'il étoit aux prises avec les Anglois, sur lesquels il avoit déja remporté de fort grands avantages, et que comme il l'alloit envelopper avec ses huit cens hommes, il en avoit été par eux empêché sur le point qu'il l'alloit charger par derriere; qu'il ne sçavoit pas au vray s'il étoit mort ou vif depuis que l'on avoit commencé la mêlée. Clisson témoigna qu'il seroit au desespoir, et n'auroit jamais de joye dans sa vie s'il mesarrivoit de Bertrand, et le maréchal d'Andreghem qui ny prenoit pas moins de part que luy, remontra qu'il ny avoit point de temps à perdre, et qu'il falloit incessamment marcher à son secours. En effet, ils ne pouvoient pas le luy donner plus à propos; car quand ils arriverent à l'endroit où les deux armées étoient encore aux mains, ils trouverent Bertrand fort engagé dans le combat et fort pressé par Thomas de Granson qui, tout fier du renfort qu'il venoit de recevoir de David Hollegrave, et se prevalant du plus grand nombre, comptoit déja que Guesclin ne lui pouroit jamais échapper. Mais son attente fut bien vaine, car ces quatorze cens combattans commandez par Clisson, vinrent tout à coup se jetter au travers des Anglois avec autant de furie que des loups affamez qui s'élancent dans un bercail pour en faire leur proye. Clisson fit voir en ce rencontre, que ce n'étoit pas sans raison qu'on l'appeloit le boucher de Clisson, car il charpentoit à droit et à gauche tout ce qui se rencontroit sous la force et la pesanteur de son bras.

Le carnage fut si grand que David Hollegrave aima mieux se rendre que de se faire tuer. Thomas de Granson voyant touttes ses troupes en desordre et à demy battuës, r'allia tout ce qu'il avoit de meilleur pour faire encore bonne contenance, et disputer à ses ennemis le terrain pied à pied. Il avoit encore bien douze cens Anglois dont il se promettoit un assez grand effet, mais il y avoit déja si longtemps qu'ils

étoient aux mains avec Bertrand et ses François, que tous dégouttans de sueur et du sang qui couloit de leurs blessûres, ils ne pouvoient presque plus rendre de combat. Clisson, Andreghem et Vienne, voulans achever la journée, crioient pour encourager leurs gens Notre Dame Guesclin, et l'affaire étoit déjà si fort avancée, que de tous les Anglois il n'en seroit pas échappé seulement un seul, quand Thomelin Folisset, Hennequin, Acquet et Gilbert Guiffart survinrent avec quelque renfort pour soûtenir pendant quelque temps le choc des François. Mais il leur fallut enfin ceder à leurs efforts et à leur valeur, d'autant plus que le comte du Perche, le vicomte de Rohan, les seigneurs de Rochefort et de la Hunaudaye arriverent fort à propos avec des gens tous frais, qui firent une si grande execution, que Granson voyant toutte la campagne jonchée de ses morts, et les François mener battant le reste de ses Anglois qui n'avoit pas encore perdu la vie, tomba dans un si grand desespoir, qu'aimant mieux mourir que de survivre à sa honte et à sa défaite, il prit une hache à deux mains, dont le trenchant étoit d'acier, et la levant bien haut il l'alloit décharger sur la tête de Guesclin, si celuy-cy, se coulant sous le coup, ne l'eût fait porter à faux, en saisissant Granson par le corps et le colletant avec tant de force, que non seulement il le jetta sous luy, mais luy arracha la hache qu'il tenoit, dont il le pouvoit aisément assommer; il aima mieux genereusement luy donner la vie, pourveu qu'il se rendît à l'instant à luy. Granson ne balança point à le faire, et cela le mit à couvert d'un autre coup que luy alloit décharger Olivier de Clisson, si Bertrand ne l'eût paré en luy retenant le bras et luy disant que Granson étoit son prisonnier.

Il ne restoit plus qu'à se saisir de Thomelin Folisset, qui se moquoit de tous ceux qui se mettoient en devoir de le prendre, en se defendant avec un baton à deux bouts, dont il se couvroit tout le corps. Personne n'en approchoit impunément; il y en eut même qui, pour avoir voulu trop risquer, y laisserent la vie. Regnier de Susanville fut un de ceux là. La mort de ce chevalier, que Clisson consideroit beaucoup, alluma si fort sa colere, que se jettant sur ce Thomelin, il luy fendit en deux, avec sa hache, son bâton à deux bouts. Celuy-cy, se voyant desarmé d'un instrument dont il se sçavoit si bien servir, mit aussitôt l'épée à la main pour en percer Olivier de Clisson; mais le coup qu'il porta ne fit aucun effet, parce qu'il étoit si bien armé dessous ses habits, que l'épée trouvant une forte resistance se cassa en deux. Ce malheur obligea

Thomelin de se jetter aux genoux de Clisson, pour luy demander la vie, le priant de le vouloir prendre pour son prisonnier. Hennequin, Acquet, Gilbert Guiffart et plusieurs autres, voyans que tout étoit perdu sans aucune ressource, prirent le party de se rendre. Le butin fut grand pour les François : il n'y eut pas jusqu'au moindre palfrenier et goujat qui n'eut son prisonnier, et dont il ne tirât une bonne rançon. Le debris de cette déroute des Anglois s'alla jetter dans les places voisines. Les uns allerent se refugier dans la ville de Baux, d'autres chercherent leur asyle dans celle de Bressiere, d'autres dans celle de Saint Maur sur Loire, où Cressonval étoit encore, assemblant le plus de gens qu'il pouvoit pour en renforcer l'armée angloise, dont il ne sçavoit pas la défaite. Guesclin voulut les y suivre et les aller dénicher de ses forts en les y assiegeant sans perdre temps.

CHAPITRE XXXII.

De la prise du fort de Baux et de la ville de Bressiere, et de la sortie que les Anglois firent de Saint Maur sur Loir, aprés y avoir mis le feu, mais qui furent ensuite battus par Bertrand devant Bressiere.

Guesclin s'étant allé délasser et raffraîchir avec les siens dans la ville du Mans, aprés une si memorable victoire, et sçachant que les Anglois s'étoient retirez dans la ville de Baux, il crut que la gloire qu'il avoit aquise dans cette journée ne seroit pas entiere ny complette, s'il ne les alloit encore assieger dans cette forteresse. Bertrand, s'en approchant un peu trop prés, pour mieux reconnoître la place, le gouverneur luy demanda ce qu'il vouloit, et qu'elle étoit la raison de sa curiosité, qui luy faisoit étudier ainsi l'assiette de son fort. Guesclin luy répondit qu'il ne faisoit cette démarche que pour sçavoir son nom, dans l'esperance de se pouvoir ainsi aboucher avec luy. Ce commandant luy témoigna qu'il étoit bien aise de le contenter là dessus, et qu'il s'appelloit le chevalier Gautier. Bertrand l'exhorta de luy rendre sa place sans se faire attaquer dans les formes ordinaires par une armée royale et victorieuse qu'il commandoit en personne, en qualité de connétable de France, ayant avec soy tous les braves de ce royaume, dont étoient les deux maréchaux d'Andreghem et de Blainville, Olivier de Clisson, le vicomte de Rohan, les seigneurs de Reths, de Rochefort, de la Hunaudaye, Jean et Alain de Beaumont et toutte l'élite et la fleur de la France. Ce gouverneur l'assûra qu'il le connoissoit peu

pour luy faire une semblable proposition; qu'il n'avoit jamais été capable d'une pareille lâcheté; que quand ses murs seroient tout percez comme un crible, ses gens tüez et luy même tout couvert du sang de ses blessûres, il ne songeroit pas encore à se rendre, et là dessus il luy fit commandement de se retirer au plûtôt, s'il ne vouloit se faire écraser sous un monceau de pierres, qu'il luy feroit jetter sur la tête. Ha larron, luy dit Bertrand, tu es en ton cuidier; mais par la foy que dois à Dieu, jamais ne mangeray ne ne bauray tant que je t'aye pris ou mis en mon dangier.

ensuite dans la ville, ils y jetterent tant de frayeur, et firent une si cruelle boucherie des Anglois, que le commandant s'estima bienheureux de s'évader par une poterne dont il s'étoit reservé la clef. La ville se rendit aussitôt, où les soldats firent un butin fort considerable, et trouverent beaucoup de vivres et de vins pour s'y raffraîchir et s'y délasser de touttes les fatigues que leur avoit coûté cette conquête.

Bertrand ne se contentant pas de ce premier succés, dépêcha par tout des coureurs pour sçavoir où les fuyards s'étoient refugiez aprés leur défaite à Ponvallain. Ce general apprit que le debris de cette armée battuë s'étoit retiré dans Saint Maur sur Loire, et que les Anglois ne s'y croyoient pas en sûreté depuis qu'ils avoient scu que la forteresse de Baux avoit été prise d'assaut. Cette surprenante nouvelle les y fit tenir sur leurs gardes avec plus de précaution que jamais; car le seul nom de Bertrand les faisoit pâlir, et quand ils entendoient le moindre bruit, ils s'imaginoient le voir aussitôt à leurs portes. Leur terreur ne fut pas vaine ny panique; car ils furent investis par les François, qui plante

Le gouverneur se moqua de luy bien loin de luy témoigner qu'il fût alarmé de touttes ces menaces, et se prepara de son mieux à se bien defendre, se persuadant que Guesclin ne feroit que blanchir dans l'entreprise qu'il feroit sur sa place. Bertrand s'étant mis à l'écart, vint retrouver ses gens pour les exhorter à tirer raison de l'insolence de ce commandant qui l'avoit bravé jusqu'à luy faire insulte, leur disant qu'il falloit aller diner dans cette place où il y avoit de bonnes viandes et de fort bon vin qui les y attendoient, et que chacun se tint prêt pourrent le piquet devant leur place avec beaucoup monter à l'assaut. Il fit mettre pied à terre aux gendarmes, et leur ordonna de descendre dans le fossé pour s'attacher ensuite à la muraille, dans laquelle ils fichoient entre deux pierres leurs dagues et leurs poignards, dont ils se faisoient des degrez et des échelons pour monter, tandis que les arbalêtriers favorisoient à grands coups de traits les efforts qu'ils faisoient pour se rendre au haut des murs sans en être repoussez par les assiegez, qui n'osoient paroître sur les rempars, à cause de cette grêle de flêches et de dards que les François leur lançoient du bord du fossé. Roulequin de Raineval fut fait chevalier sur le champ de la main de Bertrand, pour avoir osé le premier monter à l'échelle. La precipitation qui faisoit aller les soldats à l'assaut, en faisoit beaucoup tomber les uns sur les autres; mais l'ardeur qu'ils avoient de se rendre maîtres de la place, faisoit qu'ils s'entr'aidoient à se relever. Bertrand craignant que les fatigues ne refroidissent leur courage, leur promettoit de les recompenser largement, et les excitoit de son mieux à ne se point relâcher. Il y eut un soldat breton qui fit enfin de si grands efforts qu'il monta sur le mur, et se battant en desesperé contre les Anglois qui le vouloient repousser, il fraya le chemin aux autres, en criant: Guesclin, Saint Paul, le Perche, Raineval, Renty. Ils monterent tous à la file, et s'étans rendus les plus forts, ils chasserent les ennemis du poste qu'ils occupoient auparavant, et s'etant répandus

d'ordre et de discipline, faisans mine d'y vouloir établir un siege dans touttes ses formes. Bertrand, avant que de rien entreprendre contre une place si forte d'assiette, trouva bon de tenir conseil avec les seigneurs qui commandoient dans son armée. Ce fut dans cet esprit qu'il appella Guillaume de Launoy, Carenloüet, capitaine de la Roche posay, Guillaume le Baveux, Ivain de Galles, et un autre chevalier que l'on nommoit le Poursuivant d'amours. Il les consulta tous sur les mesures qu'il avoit à prendre dans une occasion de cette consequence, leur representant que la place devant laquelle ils étoient postez, n'étoit pas une affaire d'un jour, et qu'il étoit important de s'en assûrer avant que d'entrer plus avant dans le païs, de peur que Cressonval qui commandoit dedans, ne les harcelât par derriere, ayant une tres-forte garnison d'Anglois, qui pouroient faire des courses sur eux, et les troubler dans les expeditions qu'il leur falloit entreprendre pour dénicher leurs ennemis du royaume de France.

Les avis furent fort partagez dans ce conseil. Les uns estimoient qu'une forteresse de cette consequence, située sur la riviere de Loire et bien fortifiée, meritoit bien qu'on l'assiegeât par degrez et dans touttes les formes; d'autres vouloient qu'on l'insultât sans la marchander davantage. Mais le sentiment de Bertrand prevalut sur celuy des autres, et fut universellement suivy, quand il opina qu'il croyoit qu'il étoit

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necessaire, avant touttes choses, de pressentir | risque d'être pris et de perdre la vie luy et tout. Cressonval, gouverneur de Saint Maur, qu'il son monde. Il le conjura de faire une forte reconnoissoit de longue main pour avoir fait la flexion sur tout ce qu'il luy disoit, l'assûrant que guerre avec luy pendant plusieurs années en s'il ne deferoit pas à son amy, il auroit tout le Espagne. Il envoya donc un heraut de sa part à loisir de s'en repentir. Saint Maur, pour prier Cressonval de luy venir parler, et lui mettre un saufconduit ou passeport entre les mains, pour le guerir de tout le soupçon que ce message luy pourroit donner. Il ne balança point à sortir de sa place sur de si bonnes sûretez, ordonnant à son lieutenant de bien veiller sur tout, de peur d'être surpris en son absence. Quand Guesclin le vit approcher, il luy dit: Bienveignant Sire, par Saint Maurice dînerez avec moy, et buvrez de mon vin ainçois que partiez; car vous avez été mon amy de pieçu. Il le cajola de son mieux de la sorte, le faisant souvenir de tous les travaux | qu'ils avoient essuyez ensemble en Espagne, quand ils faisoient la guerre en faveur d'Henry | contre Pierre, et qu'il ne l'avoit quité, que parce que le service du prince de Galles, son maître, l'appelloit ailleurs, ainsi que doit faire tout bon sujet et fidelle vassal. Il ajoûta qu'il avoit pris la liberté de le faire venir pour renouveller leur ancienne amitié, le verre à la main, sans faire préjudice au service commun de leurs maîtres, les roys de France et d'Angleterre.

Cressonval luy témoigna que les liaisons particulieres qu'il avoit avec luy, ne seroient jamais capables de luy faire trahir la fidelité qu'il devoit à son prince; aussi Guesclin luy fit connoître qu'un repas fait entre deux amis sujets de deux souverains ennemis, ne leur pouroit attirer aucune affaire auprés de leurs maîtres, puis que chacun d'eux se mettroit en devoir de les bien servir quand l'occasion s'en presenteroit. Enfin Cressonval se rendant à des raisons si specieuses et si fortes, n'osa pas refuser la priere qu'il luy faisoit avec tant d'honnêteté de vouloir bien manger avec luy. Bertrand le regala fort splendidement. Ils s'entretinrent durant leur dîner des perils qu'ils avoient essuyez ensemble, et de quelques engagemens de cœur qu'ils avoient eu pour les dames, tandis qu'ils étoient en Espagne. Quand le repas fut achevé, Guesclin tira Cressonval à l'écart, et luy dit qu'il n'avoit souhaité toutte cette entreveüe que pour luy faire voir le danger dans lequel il s'alloit plonger s'il pretendoit defendre Saint Maur contre une armée si forte que la sienne, composée de tant de gens aguerris et tout fiers des victoires qu'ils avoient remportées jusqu'à lors; qu'il n'avoit pas voulu l'attaquer d'abord dans le dessein qu'il avoit de le menager comme son amy; mais que s'il s'opiniâtroit à vouloir soûtenir un siege, il couroit

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Cressonval ne donna point d'abord dans un piége si specieux. Il convint avec luy que jamais place ne seroit attaquée par un plus fameux capitaine que luy, ny par des troupes plus braves ny plus intrepides; mais il le pria de vouloir bien songer qu'il devoit être fort jaloux de son honneur et de la fidelité qu'il devoit au prince de Galles, qui luy avoit confié la garde d'une citadelle tres forte d'assiette, remplie d'une tres bonne garnison, et bien pourveüe de touttes les munitions necessaires de guerre et de bouche; et qu'il étoit de son devoir de la defendre au peril de sa vie, et de se faire ensevelir sous ses ruïnes plûtôt que de commettre la lâcheté qu'il luy proposoit, et qu'il sçavoit être tout a fait indigne d'un gentilhomme qui se doit piquer d'avoir le cœur bien placé. Bertrand qui ne s'accommodoit pas d'une repartie qui reculoit la reddition de Saint Maur sur Loire, fronça le sourcil, et jura, disant à Cressonval, que par Dieu, qui fut peiné en croix et le tiers jour suscita, et par saint Yves s'il attendoit qu'il mit trefs ne tentes devant son fort, il le feroit pendre aux fourches. Le gouverneur tout tremblant de peur à ce serment, et le connoissant homme à luy tenir parole à ses dépens, le pria de trouver bon qu'il remontât à cheval pour s'en retourner à Saint Maur, et representer tout ce qu'il venoit de luy dire aux bourgeois et à la garnison de sa place. Bertrand le voyant disposé à se rendre, donna d'autant plus volontiers les mains à sa priere. Cressonval ne fut pas plûtôt arrivé, qu'il fit assembler dans l'hôtel de ville les plus notables bourgeois et les principaux officiers de la garnison, pour leur donner avis du serment qu'avoit fait Guesclin de les faire tous pendre, s'ils tomboient dans ses mains aprés la prise de la place.

Ce discours les alarma si fort qu'ils vouloient déja prendre le party de s'enfuir sans attendre que Bertrand commençât le siege; mais Cressonval essaya de les rassûrer en leur disant qu'il avoit stipulé par avançe qu'ils auroient tous leurs biens et leurs vies sauves, en se rendans dans un certain jour, et qu'il valloit mieux en passer par là que de s'exposer à une mort certaine, qu'ils ne pouroient jamais éviter, si la place étoit une fois prise ou par siege, ou par famine, ou par assaut. La crainte de la mort les faisoit presque tous donner dans ce sentiment, quand un chevalier anglois, fort brave de sa personne, prit la

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