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afin que ceux qui se mettroient en devoir d'y monter, s'y tinssent plus ferme. Quand touttes choses furent ainsi disposées, Guesclin dit à ses gens, dans son langage du quatorziême siecle: Or avant ma noble mesquie à ces ribaux gars, à Dieu le veut ils mourront tous. Et pour les encourager encore davantage, il leur promit de leur donner tout le butin qu'ils feroient dans cette abbaye, qu'ils pouroient ensuite partager entr'eux. Il ne se contenta pas de les exciter à bien faire, il leur en voulut montrer luy même l'exemple. Il prit une échelle de même que le moindre soldat, et monta dessus avec autant de flegme que s'il mettoit le pied sur les degrez d'un escalier. Galeran voyant cette action si extraordinaire, fit le signe de la croix en disant au marechal d'Andreghem : Dieu, quel homme est-ce là! Le Maréchal l'assûra qu'il ne s'en étonnoit aucunement, puis qu'il étoit né pour de semblables entreprises, et que si ce Bertrand étoit roy de Jerusalem, de Naples ou de Hongrie, tous les payens ne seroient point capables de luy resister, et que la France étoit bienheureuse d'avoir trouvé, dans la conjoncture presente, un defenseur de cette bravoure.

Les autres generaux eurent honte de voir Bertrand dans le peril sans le partager avec luy. Jean de Beaumont, les deux Mauny, le Maréchal et Galeran s'exposerent aussi comme luy. Les assiegez jettoient sur eux des barres de fer touttes rouges, de la chaux vive et des barrils tout remplis de pierre; mais toutte cette resistance, quelque vigoureuse qu'elle fût, ne les empêcha pas de monter et d'entrer dans la place, où Bertrand, rencontrant le gouverneur, luy fendit la tête en deux d'un grand coup de hache. Cet affreux spectacle épouventa si fort toutte la garnison angloise, qu'elle se rendit aussitôt à discretion. Bertrand se laissa fléchir aux prieres de ces malheureux; il se contenta d'en donner la depoüille à ses soldats, et de la voir partager devant luy. Le soir même, il voulut souper comme il avoit dit, dans la même abbaye, dans laquelle il rétablit les moines dés le lendemain. Aprés qu'il y eut sejourné deux jours pour mettre ordre à tout, et jetté de bonnes troupes dans tous les forts qu'il avoit conquis, il renvoya le Maréchal en Cour, qui vint à grandes journées à Paris, et s'en alla mettre pied à terre à l'hôtel de Saint Paul, où Charles le Sage logeoit alors. Il luy fit un recit de la valeur extraordinaire de Bertrand, et de touttes les grandes actions qu'il luy avoit veu faire. Ce discours ne fit qu'irriter la démangeaison qu'avoit le Roy de voir un si grand homme, et de l'employer au plûtôt contre Robert Knole, dont touttes les troupes ravageoient

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tout le Gâtinois, et vinrent brûler des maisons jusques dans Saint Marceau, qui n'étoit pas alors un fauxbourg de Paris, mais un village assez proche de là.

Tout Paris étoit en alarme; il y avoit bien dix mille hommes de garnison dedans, sans le grand peuple capable de porter les armes, outre quantité de seigneurs qui s'étoient enfermez dans la ville, dont étoient le duc d'Orleans, oncle du Roy, les comtes d'Auxerre, de Sancerre, de Tanquarville, de Soigny, de Dampmartin, de Ponthieu, de Harcourt et de Braine, le vicomte de Narbonne et son frere, les seigneurs de Fontaine et de Sempy, Gauthier du Châtillon, Oudart de Renty et Henry d'Estrumel; si bien que tous ces seigneurs pouvoient sortir de Paris à la tête de quarante mille hommes; la ville d'ailleurs suffisamment gardée. Mais le Roy ne vouloit rien hasarder, jusqu'à ce que Bertrand fût venu, voulant profiter de l'exemple des rois Philippes de Valois et Jean, ses predecesseurs, qui, pour avoir tout risqué fort mal à propos, avoient mis la couronne de France à deux doigts de sa ruine. Il laissa donc morfondre les Anglois devant Paris, qui, manquans bientôt de fourrages et de vivres, furent contraints de se retirer et de tout abandonner. Ce sage prince les fit côtoyer par ses troupes, qui prenoient bien à propos l'occasion de les charger, si bien qu'il en défit plus de cette maniere que s'il eût pris le party de les combattre en bataille rangée.

CHAPITRE XXXI.

De la ceremonie qui se fit en l'hôtel de Saint Paul, à Paris, par Charles le Sage, roy de France, en donnant l'épée de connetable à Bertrand, qui, sous cette qualité, donna le rendez-vous à touttes ses troupes dans la ville de Caën pour combattre les Anglois.

Bertrand scachant que les Anglois, jaloux de sa gloire et de sa valeur, le faisoient épier sur le chemin pour le surprendre, arriva seulement luy douzième à Paris, vêtu d'un gros drap gris, afin d'ètre moins reconnu sur sa route. Cette nouvelle engagea le roy Charles à luy envoyer son grand chambellan, qui s'appelloit Hureau de la Riviere, pour luy faire honneur et venir au devant de luy. Ce seigneur s'y fit accompagner de beaucoup de chevaliers de marque, pour rendre la ceremonie plus illustre, et comme il avoit un grand talent dans la science du monde, il s'aquita tres-dignement de sa commission, faisant à Bertrand touttes les honnêtetés imaginables, et luy rendant par avance tout

les respects qui sont attachez à la dignité de connétable, qu'il alloit posseder. Toutes les avenües de Paris, touttes les rues et touttes les fenètres de cette grande ville, regorgoient de monde qui vouloit voir ce fameux Bertrand Du Guesclin, dont la reputation s'étoit répandue dans toutte l'Europe. Il alla descendre à l'hôtel de Saint Paul, où le Roy l'attendoit, assis sur un fauteuil, au milieu de ses courtisans. Aussitôt qu'il fut entré dans sa chambre, Bertrand fléchit le genou devant son souverain, qui, ne le voulant pas souffrir dans cette posture, luy commanda de se relever, et le prenant par la main, luy dit qu'il étoit le bien venu; qu'il y avoit longtemps qu'il l'attendoit avec impatience, ayant une extreme besoin de sa tête et de son épée, pour repousser les Anglois qui faisoient d'étranges ravages par tout son royaume et même dans son voisinage, dont on pouvoit voir les tristes effets en montant au clocher de Sainte Geneviefve, devant Paris; que sçachant sa bravoure, son bonheur et son experience dans la guerre, il avoit jetté les yeux sur luy pour luy confier le commandement de ses troupes, et que pour luy donner plus de courage à s'en bien aquiter, il avoit resolu de l'honorer de la plus eminente dignité de son royaume, en luy donnant l'épée de connétable.

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cendance deferer à l'avis de Bertrand, qu'il embrassa d'une maniere fort sincere, ce qui marquoit le fonds de bienveillance qu'il avoit pour ce general. Il eut la bonté de le faire souper à sa table et de luy donner un appartement dans son hôtel, où l'on avoit fait tendre une chambre pour luy, fort richement tapissée d'un drap tout semé de fleurs de lys d'or.

Le lendemain ce prince, aprés avoir entendu la messe, assembla son conseil où se rendirent plusieurs ducs, comtes, barons et chevaliers, le prevôt de Paris et des marchands, et grande partie des plus notables bourgeois de cette capitale. Il leur representa les hostilitez que les Anglois faisoient dans ses Etats; et le besoin pressant dans lequel on étoit d'y apporter un prompt remede; qu'il n'en avoit point imaginé de plus souverain, pour arréter le cours de tant de malheurs, que de choisir au plûtôt un connétable qui pût, par sa valeur et son experience, rétablir les affaires de son royaume; qu'ils n'étoient tous que trop persuadez qu'il n'avoit pas besoin de leur consentement pour disposer de cette charge, puis qu'il le pouvoit faire de sa pleine puissance et autorité royale; mais qu'il avoit bien voulu faire ce connétable de concert avec eux ; que le seigneur de Fiennes n'en pouvant plus faire les fonctions à cause de son grand âge, luy en avoit fait une abdication fort sincere, en presence des premiers seigneurs de sa Cour, en luy témoignant que, dans le pitoyable état où la France étoit réduite alors, il n'y avoit personne plus capable de la relever de son accablement que Bertrand Du Guesclin. Ce prince n'eut pas plûtôt prononcé son nom, que tout son conseil opina comme luy, mais avec une si grande predilection pour Bertrand, que le choix de sa personne fut fait tout d'une voix. Le Roy le fit donc venir en leur presence, et luy presenta devant cette illustre assemblée l'épée de connétable. Bertrand la recut avec beaucoup de soûmission; mais il protesta que c'étoit à condition que si aucun traítre en son absence, par trahison ou loberie, rapportoit aucun mal de luy, il ne croiroit point le rapport; ne jà ne luy en feroit pis, jusqu'à ce que les paroles fussent relatées en sa presence. Le Roy luy promit qu'il luy reserveroit toûjours une oreille pour entendre ses justifications contre les calomnies qu'on voudroit intenter contre luy.

Bertrand, qui n'étoit pas homme à se laisser éblouir d'une vaine esperance, prit la liberté de demander au Roy si le seigneur de Fiennes n'étoit pas encore en possession de cette grande charge. Sa Majesté luy répondit que son cousin de Fiennes l'avoit fort bien servy, mais que sa caducité ne luy permettant plus de soûtenir les fatigues de ce glorieux et penible employ, il luy avoit rendu l'épée de connétable en luy disant qu'il ne pouroit jamais trouver personne plus capable de luy succeder que Bertrand. Celuy cy fit voir son grand sens et son jugement dans la repartie qu'il fit à son souverain, car quoy qu'il ne doutât pas qu'il n'en pût disposer independamment de tout autre, cependant comme il prévoyoit que cette eminente dignité luy alloit attirer des jaloux, il fut bien aise que le choix que Sa Majesté faisoit de sa personne fût autorisé de son conseil même, composé des premieres têtes de tout son royaume. C'est la grace qu'il prit la liberté de luy demander en la suppliant d'en faire le lendemain la proposition devant ceux qu'elle avoit accoutûmé d'appeller auprés Bertrand, satisfait de touttes les honnêtetez de de sa personne, pour prendre leurs avis dans les Sa Majesté, ne songea plus qu'à remplir digneaffaires les plus importantes. Ce sage prince, ment les devoirs de sa charge. Tous les officiers bien loin de se choquer d'une condition qui luy de l'armée vinrent luy rendre leurs respects et devoit sembler inutile, puisque tout dépendoit le saluer sous cette nouvelle qualité de connétaabsolument de luy, voulut bien par condescen-ble; et comme l'argent est le nerf de la guerre,

il commença par demander au Roy dequoy payer | quelle il donna le choix ou de rester à Caën, ou

de s'aller retirer en Bretagne à sa seigneurie de la Roche d'Arien, la conjurant de se souvenir de luy dans ses prieres, et de recommander à Dieu sa personne et la justice de la cause pour laquelle il alloit combattre. La dame le supplia de ne se point commettre dans les jours ausquels elle luy avoit témoigné qu'il y avoit quelque fa

reflexions necessaires, plûtôt par la complaisance qu'il avoit pour elle, que pour la foy qu'il eût pour touttes ces sortes de predictions. Il partit de Caën à la tête de beaucoup de troupes fort lestes et dans une fort belle ordonnance; et le soleil dardant sur leurs casques et leurs cuirasses, causoit une reverberation qui faisoit un fort bel effet à la veüe.

la montre de quinze cens hommes d'armes pour deux mois, luy remontrant qu'il étoit necessaire d'ouvrir ses coffres pour lever incessamment beaucoup de troupes, capables de tenir tête à plus de trente mille Anglois, et que quand elles étoient mal payées, non seulement elles avoient beaucoup de tiedeur pour le service, mais ne songcoient qu'à piller, et ruïnoient tout le plat-talité attachée. Guesclin luy promit d'y faire les païs sous le specieux pretexte de n'avoir point reçu leur solde. Ce brave general ayant ainsi disposé l'esprit de son maître à ne rien épargner pour la conservation de sa Couronne et de ses Etats, s'en alla droit à Caën, comme au rendezvous qu'il avoit marqué pour y assembler un gros corps de troupes. Chacun courut en foule pour le joindre, tant on avoit d'empressement de servir sous un si fameux capitaine. Il tendoit les bras à tous ceux qui vouloient s'engager; et, bien que Sa Majesté luy eût donné peu d'argent pour faire des levées, quand il en eut employé les deniers, il vendit sa vaisselle et tous les bijoux et joyaux d'or et d'argent qu'il avoit apporté d'Espagne, pour soutenir la dépense qu'il falloit faire pour enrôler beaucoup de soldats.

Tous les generaux les plus distinguez se rendirent auprés de luy comme à l'envy les uns des autres. Les comtes du Perche, d'Alençon, le maréchal d'Andreghem, Olivier de Clisson dont le bras étoit si fort redouté des Anglois qu'ils l'appelloient le boucher de Clisson, messire Jean de Vienne, amiral, Jean et Alain de Beaumont et Olivier Du Guesclin, frere du connétable, vinrent tous à Caën pour recevoir ses ordres et conferer avec luy sur l'état present des affaires. Il les regala magnifiquement, et ce qui rendit encore le festin plus agreable, ce fut la presence de sa femme, qui se trouva là, dont tout le monde admira la sagesse, la beauté, les reparties judicieuses et spirituelles, étant, comme nous avons dit, universelle en toutte sorte de sciences, et même elle avoit une connoissance presque infaillible de l'avenir, dont elle donna quelques preuves, quand elle avertit son mary que le jour de la bataille d'Aüray, dans laquelle il fut pris, devoit être malheureux pour luy. Bertrand donna le lendemain les ordres à ce que chacun se tint prêt pour venir dans trois jours à Vire avec luy, pour une prompte expedition qu'il avoit dans l'esprit. Tout le monde se mit en état de le suivre, et se prepara de son mieux, afin que le service se fit au gré de ce nouveau connétable, dont les preliminaires étoient si beaux, et qui promettoit de forts grands progrés dans la suite. Etant sur le point de monter à che val, il prit congé de la dame sa femme, à la

Toutte cette armée vint camper tout auprés de Vire, où les generaux se logerent. Tandis que Bertrand faisoit alte là, les Anglois étoient à Ponvallain, commandez par Thomas de Granson, lieutenant du connétable d'Angleterre. Il avoit dans son armée beaucoup de chevaliers qui s'étoient aquis une grande reputation dans la guerre. Hugues de Caurelay, Cressonval, Gilbert Guiffard, David Hollegrave, Hennequin, Acquet, Geoffroy Ourselay, Thomelin Folisset, Richard de Rennes, Eme, Nicolon de Bordeaux, Alain de Bouchen, et Mathieu de Rademain tenoient les premiers rangs sous ce general, qui, n'osant pas rien entreprendre à leur insçu, trouva bon de les consulter sur ce qu'il avoit à faire, leur témoignant que quoy qu'il eût le commandement sur eux, il étoit persuadé qu'ils avoient tous incomparablement plus d'experience que luy dans la guerre, et que c'étoit dans cet esprit qu'il les avoit tous assemblez pour prendre leurs avis sur l'état present de leurs affaires, ayans à combattre le fameux Bertrand Du Guesclin, qui s'étoit rendu la terreur de toutte l'Europe par les memorables expeditions qu'il y avoit faites, et dont le nom seul étoit si redoutable, qu'il jettoit toûjours la frayeur et la crainte dans l'ame de ses ennemis. Il ajoûta qu'il avoit appris de bonne part qu'Olivier de Clisson marchoit avec luy pour leur donner combat, et que ce dernier étoit un autre Bertrand en valeur, et qu'on n'appelloit pas sans raison le boucher de Clisson, parce que c'étoit un capitaine qui faisoit un étrange carnage quand il étoit aux mains dans une mêlée ; qu'il avoit abandonné le party du prince de Galles, dont il s'étoit auparavant reconnu vassal par l'hommage qu'il luy avoit fait, et que cette perfide defection diminuoit beaucoup les forces de leur party, où la presence de Clisson avoit toûjours été d'un grand poids.

Hugues de Caurelay prenant le premier la parole, avoüa que Bertrand étoit le premier capitaine de son siecle, dont il avoit éprouvé cent fois la valeur et l'experience pour avoir souvent partagé les perils de la guerre avec luy; qu'ils avoient toujours eu, durant tout ce temps, de grandes liaisons d'intelligence et d'amitié; mais que les interests de son prince luy devans être plus chers que ceux de son amy particulier, il falloit songer aux moyens de vaincre un ennemy si redoutable; et que, pour y parvenir, il croyoit qu'il étoit important de tirer de touttes les garnisons voisines le plus qu'ils pouroient de soldats pour renforcer leurs troupes, afin de se mettre en état de faire un plus grand effort contre les François; et que Cressonval et luy pouroient fort bien faire cette manœuvre tandis qu'on envoyeroit un trompette à Bertrand pour luy demander bataille, et marquer un jour de concert avec luy dans lequel les deux armées en viendroient aux mains. Cet avis étoit si judicieux et si sensé, qu'il fut universellement reçu de tout le monde. Thomas de Granson fut le premier à le goûter, et tous les seigneurs y donnerent ensuite les mains. Cressonval avec Hugues de Caurelay, furent secrettement détachez pour aller dans les places, assembler le plus qu'ils pouroient du monde et l'en tirer pour grossir leur armée qui étoit aux champs. Hugues de Caurelay, pour amuser Bertrand, cependant qu'il feroit de son côté touttes les diligences necessaires pour amasser tout ce secours et ce renfort, envoya l'un de ses gardes à Vire, avec ses dépêches pour demander bataille à Bertrand, et convenir avec luy d'un jour pour cet effet. Le garde arriva bientôt devant cette place, qu'il vit environnée d'enseignes, de tentes et de hutes touttes couvertes de feuillées. Tout y retentissoit du bruit des trompettes, et le camp luy paroissoit remply de tant de soldats, qu'il ne croyoit pas que les Anglois fùssent en assez grand nombre pour mesurer leurs forces avec celles des François.

Tandis que ce cavalier avançoit chemin, il apperçut un autre trompette qui portoit les armes de Guesclin sur sa casaque, et qui revenoit du Mans, où son maître l'avoit envoyé. Celuy-cy voyant que l'Anglois avoit aussi sur sa cotte d'armes celles de Thomas de Granson, general des ennemis, la curiosité luy fit naître l'envie de l'approcher pour scavoir quel étoit le motif qui l'amenoit en ces quartiers. L'autre luy répondit qu'il luy donnoit à deviner quel étoit le sujet de son message : c'est apparemment pour demander bataille, luy dit le garde de Guesclin, comptez que vous l'aurez, ajoûtant dans son patois: Car

je connois Monseigneur a tel qu'il ne vous en faudra, ne que mars en carême. Ces deux hommes s'étans ainsi joints, continuerent leur route devisans toûjours ensemble sur la valeur et le courage de leurs maîtres. Ils arriverent enfin jusqu'à Vire, dont on leur ouvrit le château pour les faire parler à Bertrand, qu'ils trouverent se promenant dans la cour de ce lieu, s'entretenant avec tous les chefs et les principaux seigneurs de l'armée, dont étoient le comte de Saint Paul et son fils, le seigneur de Raineval et Roulequin, son fils, Oudard de Renty, le maréchal d'Andreghem, Olivier de Clisson, Jean de Vienne et les deux Mauny. Le trompette de Bertrand presenta celuy de Thomas de Granson, disant à son maître qu'en revenant du Mans, où il luy avoit commandé d'aller, il avoit rencontré dans son chemin ce garde, dont il avoit appris que le general anglois l'envoyoit auprés de luy pour quelque affaire d'importance qu'il avoit à luy communiquer de sa part, et qu'il l'avoit prié de le luy presenter.

Bertrand se disposant à l'écouter, le trompette anglois luy fit son compliment avec beaucoup de respect et de soumission, commençant par le louer de sa valeur et de la reputation qu'il avoit aquise dans les armes, dont le bruit étoit répandu dans toutte l'Europe. Aprés qu'il eut étably ces beaux préliminaires, il luy témoigna qu'il se presentoit une belle occasion de couronner touttes les grandes actions qu'il avoit faites, en acceptant le défy qu'il venoit luy faire de la part de Thomas Granson, qui luy demandoit qu'il luy marquât un jour auquel les deux armées pouroient en venir aux mains en bataille rangée; que s'il refusoit de prendre ce party, l'intention de son maître étoit de l'attaquer de nuit ou de jour, sans garder aucunes mesures avec luy. Letrompette ayant achevé ces paroles, luy mit entre les mains la dépêche de Thomas de Granson, qui ne chantoit que la même chose. Quand Bertrand en eut entendu la lecture, il en fut piqué jusqu'au vif, et jura qu'il ne mangeroit qu'une fois jusqu'à ce qu'il eût yeu les Anglois. Il s'informa du trompette en quel endroit ils étoient campez. Il luy répondit que c'étoit auprés de Ponvallain, qu'ils étoient déjà bien quatre mille hommes d'armes, sans un grand renfort qu'ils attendoient, et que Cressonval étoit allé tirer des garnisons voisines, et qu'avec ce secours les Anglois avoient grand desir de le voir en bataille. Par Dieu, dit Bertrand, ils me verront plutôt que besoin ne leur fut. Et pour témoigner la joye que luy donnoit cette nouvelle, il fit une largesse de quatorze mares d'argent au trompette anglois, et com

mandă qu'on le fit bien boire et bien manger, | ginans aller leur droit chemin, marchoient à

et qu'on luy donnât ensuite un bon lit pour reposer jusqu'au lendemain qu'il le vouloit renvoyer aux Anglois, pour leur annoncer de sa part qu'il feroit plus de la moitié du chemin pour les aller voir au plûtôt. On regala tant le trompette durant toutte la nuit, qu'au lieu de partir à la pointe du jour, il luy fallut dormir pour cuver son vin.

Bertrand se servit de cette favorable occasion pour surprendre les Anglois qui n'avoient point encore reçu de nouvelles de leur messager, qu'ils attendoient avec impatience. Il commanda secrettement que chacun s'armât et montât à cheval, et que qui l'aimeroit le suivit sans perdre de temps, parce qu'il ne vouloit reposer ny jour ny nuit, jusqu'à ce qu'il eût combattu les Anglois. On eut beau luy remontrer qu'il alloit faire un contretemps, et qu'il prenoit mal ses mesures, puis qu'il vouloit partir à l'entrée de la nuit au travers des vents et de la pluye qui devoient beaucoup fatiguer ses troupes, et les mettre hors d'œuvre quand il faudroit combattre; qu'il valoit mieux attendre au lendemain, que de s'engager si precipitamment dans l'execution d'un dessein qui, mal entendu et mal entrepris, pouroit traîner aprés soy de fâcheuses suites. Il ne se paya point de touttes ces raisons dans lesquelles il ne voulut point entrer, jurant qu'il ne descendroit point de cheval jusqu'à ce qu'il eût trouvé les Anglois, ausquels il mouroit d'envie de donner bataille; et que ceux qui ne le suivroient pas seroient reputez pour traîtres et pour infames auprés de Sa Majesté, qui leur feroit sentir toutte son indignation. Il n'eut pas plûtôt fait ce serment, qu'il se mit en devoir de partir sur l'heure, n'ayant d'abord que cinq cens hommes d'armes à sa suite. Il faisoit si noir et si sombre, qu'on ne pouvoit pas voir cinq pieds devant soy, ny sçavoir quelle route il falloit prendre pour se bien conduire; et d'ailleurs une grosse pluye, secondée par un vent froid et piquant, les mettoit tous dans un desordre etrange. Jean de Beaumont prit la liberté de representer à Bertrand qu'il falloit au moins sonner la trompette pour s'assembler, et prendre des flambeaux pour s'éclairer au milieu des tenebres; mais Guesclin ne goûtant point cet expedient, insista que c'étoit donner aux Anglois des nouvelles du mouvement qu'ils alloient faire, et que le bruit des trompettes et la clarté des flambeaux alloient tout reveler à leurs ennemis, que quelque espion ne manqueroit pas d'informer de tout.

Chacun le suivit donc au travers de l'orage et de la nuit, du mieux qu'il luy fut possible. Les uns tomboient dans des fossez, d'autres s'ima

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travers champs, et leurs chevaux heurtoient souvent les uns contre les autres, en se rencontrant. Le maréchal d'Andreghem vit avec peine partir Bertrand Du Guesclin sans le suivre, et, pour exhorter les autres à l'imiter, il témoigna qu'on ne devoit pas abandonner un general que le ciel leur avoit donné pour retablir les fleurs de lys dans leur premier lustre, et qui n'avoit point son semblable dans toutte l'Europe. Ces paroles furent prononcées avec tant de force et de poids, que chacun se mit aussitôt en devoir de partir. Le maréchal commença le premier à faire un mouvement à la tête de cinq cens hommes d'armes. Le comte du Perche, le maréchal de Blainville, Olivier de Clisson qui fut depuis connétable de France, le vicomte de Rohan, Jean de Vienne, le sire de Rolans depuis amiral, les seigneurs de la Hunaudaye, de Rochefort et de Tournemine, se mirent aussi tous en marche pour seconder Bertrand dans la dangereuse expedition qu'il alloit entreprendre. Mais comme la grande obscurité ne leur permettoit pas de se reconnoître, ils sortoient de leurs rangs sans s'en appercevoir, et se rencontroient de buissons en buissons, se choquans sans y penser et faisans mille imprecations, et contre la nuit et contre celuy qui leur faisoit faire ce desagreable manege. Il y eut beaucoup de chevaux crevez dans cet embarras, et Bertrand en perdit deux des meilleurs de son écurie dans cette seule nuit. Chacun luy reprochoit le mal qu'il souffroit, et la perte qu'il faisoit de ses gens qui s'égaroient dans toute cette confusion tumultueuse. Il tâcha de consoler tout le monde en disant que les Anglois avoient assez d'or et d'argent pour les dédommager, et qu'aprés qu'on les auroit battus, on trouveroit dans leurs dépouilles dequoy se recompenser au centuple de tout ce qu'on auroit perdu dans l'effort qu'on faisoit pour les surprendre.

Il avoit dans ses troupes toute la belle jeunesse de Normandie, de la Bretagne, du Mans et du Poitou, qui ne demandoit qu'à jouer des mains avec les Anglois, et Bertrand les entretenoit toûjours dans cette noble chaleur de combattre; et tandis qu'il les animoit tous à bien faire, les tenebres se dissiperent, et vents se calmerent, les pluyes cesserent, et le jour parut, qui leur fit connoître qu'ils n'étoient pas loin de Ponvallain. Tous les soldats étoient trempez comme s'ils fussent sortis du bain. Bertrand, pour se delasser avec eux, et les faire un peu respirer, fit faire alte au milieu d'un pré, pour reconnoître tout son monde, et le rassembler. Il ne trouva pas plus de cinq cens

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