Imatges de pàgina
PDF
EPUB

|

nir, dit à ses gens: Orsus, mes amis, vecy oes gars qui viennent, et par Dieu qui peina en croix et le tiers jour suscita, ils seront déconfits et tous nótres. Il fit aussitôt sonner ses trompettes avec un tres grand bruit, et le Besque de Vilaines fit aussi de son côté la même contenance. Ils donnerent tous deux contre les Sarrazins. Henry se chargea d'attaquer Pierre son ennemy, se promettant bien de le joindre dans la mêlée, pour le combattre corps à corps et vuider tout leur differend aux dépens de la vie de l'un ou de l'autre. Comme on étoit sur le point d'en venir aux mains, tous les soldats des deux armées se disoient adieu les uns aux autres, et faisoient leurs prieres en se frappant la poitrine, et se recommandant à Dieu dans un peril si present et si eminent.

qui la composoient. Il ne put s'empêcher de le témoigner à Bertrand, auquel il montra l'étendard du jeune prince de Belmarin, luy disant que s'il pouvoit tomber dans ses mains, jamais homme n'auroit fait une si belle prise, car il en auroit pour sa rançon plus d'argent qu'il n'y en avoit dans tout le royaume d'Espagne. Guesclin luy répondit qu'il ne falloit faire quartier à personne; qu'il assommeroit tous les Juifs et les Sarrazins qu'il prendroit, avec autant de flegme qu'un boucher tuoit ses beufs et ses moutons, et qu'à moins qu'ils ne demandassent le baptême pour se faire Chrétiens, il n'en échapperoit pas un seul ; que c'étoit dans cet esprit qu'il alloit combattre, et qu'il avoit pensé de ranger leur armée dans cet ordre, sçavoir que le corps de bataille seroit au milieu commandé par le Roy, l'aile droite par lui même, et l'aile gauche par La bataille s'ouvrit par les gens de trait des le Besque de Vilaines. Il n'y avoit dans toutte cette deux côtez. Quand cette grêle qui dura quelque armée pas plus de vingt mille hommes. Le roy temps eut cessé, l'on s'approcha de plus prés, et Pierre en comptoit dans la sienne plus de cin- l'on combattit pied à pied, le sabre et l'épée à la quante mille, dont il fit cinq batailles. Quand il main. Le Besque de Vilaines ayant descendu de les eut rangé en belle ordonnance, il conjura le cheval avec tout son monde, qui suivit son exemfils du roy de Belmarin de se surpasser dans ple, se mêla dans la presse tête baissée, pour cette occasion, le priant d'affronter comme luy aller chercher le neveu du roy de Belmarin, sur tous les perils dans cette journée, parce que, s'il lequel il s'acharna particulierement, et luy dépouvoit une fois vaincre Henry, la couronne d'Es-chargea sur la tête un si grand coup d'une hache pagne seroit affermie sur sa tête pour toute sa vie. Le jeune prince l'assûra par avance de la victoire, étant tous deux incomparablement plus forts que leurs ennemis, qui n'étoient pas deux contre cinq.

Tandis qu'ils s'échauffoient l'un l'autre à bien faire, un capitaine sarrazin les interrompit en disant qu'ils ne devoient point douter du succés du combat qu'ils alloient donner, et que le corps de troupes qu'il commandoit n'ayant jamais påly devant les Chrétiens, et ne sachant ce que c'étoit que de reculer, il leur répondoit de la victoire, et qu'Henry leur feroit bientôt voir ses talons. Pierre ne parut pas bien persuadé de tous ces avantages dont il se flattoit, lui representant qu'il y avoit avec Henry deux intrepides chevaliers, Bertrand et le Besque de Vilaines, dont le premier avoit pour armoiries un aigle de sable en champ d'argent, et le second arboroit dans ses enseignes un quartier d'Espagne, à cause de la comté de Ribedieu, dont Henry luy avoit fait present; que ces deux generaux ne fuiroient jamais et vendroient cherement leur vie ; que s'ils pouvoient tomber prisonniers dans ses mains, il ne leur donneroit jamais la liberté pour quelque rançon qu'ils luy voulussent offrir. Aprés qu'il eut achevé ce discours, le jeune prince de Belmarin fit faire un mouvement à ses troupes qu'il fit marcher droit à Bertrand, qui, les voyant ve

qu'il tenoit à deux mains, qu'il le renversa mort; et poussant toûjours sa pointe, il fit une grande boucherie des Sarrazins, dont il coucha par terre la premiere ligne, et écarta le reste bien loin. L'un des fuyards vint tout éperdu donner avis au prince de Belmarin que, dans cette déroute, on avoit assommé son cousin germain. Cette nouvelle le desola fort. La rage qu'il en eut le fit jetter tout au travers de tous les dangers, pour venger, s'il pouvoit, cette mort sur le Besque de Vilaines, qui sans s'épouventer de cette furieuse temerité là luy fit payer cherement; car se presentant à luy pour luy tenir tête, il luy donna tant de coups et de si pesans sur le casque, que, sa tête en devenant tout étourdie, l'homme en tomba pâmé sur la place. Une foule de Sarrazins coururent à luy pour le secourir et le relever, et l'envelopperent, de peur que, ne se pouvant plus tenir sur ses pieds, on ne l'achevât. Le dépit qu'ils eurent de voir leur maître abbattu leur fit tourner la tête contre le Besque, qui les soûtint avec une valeur extraordinaire. Mais il auroit à la fin succombé sous la multitude, si Bertrand ne fût venu le dégager et se joindre à luy dans le reste du combat; si bien qu'ils ne faisoient eux deux qu'un seul corps de troupes, avec lequel ils chargerent les Sarrazins avec un courage invincible. Bertrand crioit à haute voix Guesclin, pour donner chaleur à la

mêlée. Ses Bretons, à ce signal, redoubloient leurs coups et faisoient des efforts incroyables pour seconder leur general. Le Besque de son côté payoit aussi fort bien de sa personne, encourageant ses soldats à bien faire par son exemple. Il avoit à ses cotez un de ses fils qui se signaloit beaucoup dans cette bataille, et qui donna tant de preuves de son courage et de sa valeur, que le roy Henry le fit chevalier tout au milieu de l'action.

Ce prince, qui ne s'endormoit pas tandis que Bertrand et le Besque faisoient des merveilles, tourna touttes ses forces du côté de Pierre, avec lequel il vouloit éprouver ses forces et mesurer son épée seul à seul, s'il le pouvoit démêler au milieu de ses troupes. Ce prince renegat étoit suivy de beaucoup de Chrétiens et de Juifs, moitié cavalerie moitié infanterie, monté sur un des meilleurs chevaux de toutte l'Espagne. On voyoit de loin, sur sa cotte d'armes, les lions de Castille arborez avec beaucoup d'éclat. Henry, qui se pretendoit souverain de la même nation, portoit aussi les mêmes armoiries, c'est ce qui fit qu'ils se reconnurent tous deux. La haine qu'ils avoient l'un pour l'autre, causée par la competence du sceptre et par le violent desir de voir cette querelle vuidée par la mort d'un des deux, les obligea de s'attacher l'un à l'autre avec un acharnement égal. Pierre commença par vomir cent injures contre Henry, l'appellant bâtard et faux traître, qui s'étoit revolté contre luy, pour luy ravir son sceptre et sa Couronne, et le menaçant qu'il ne sortiroit point de ses mains qu'il ne luy eût ôté la vie et ne luy eût mangé le cœur, ajoùtant qu'il étoit le fils de la concubine de son pere Alfonse, et qu'il ne meritoit que la corde. Henry luy répondit qu'il en avoit menty par sa gorge; que sa mere avoit été femme legitime d'Alfonse, qui l'avoit fiancée par le ministre et l'archevêque de Burgos, et dans la presence des principaux seigneurs de la Cour; qu'il étoit sorty de ce mariage, et que ce prince avoit reconnu la dame sa mere pour sa propre femme durant toutle sa vie; si bien que c'étoit à tort qu'il vouloit décrier sa naissance, à laquelle on ne pouvoit pas trouver des taches comme à la sienne.

Quand il eut achevé ces paroles, il poussa son cheval avec beaucoup de roideur contre Pierre, tenant l'épée haute sur luy. Ces deux rois se chamaillerent longtemps avec une égale furie, sans remporter aucun avantage l'un sur l'autre, car leurs armûres étoient si épaisses qu'ils ne les pouvoient entamer. Mais à la fin Henry fit de si grands efforts contre son adversaire, qu'il luy fit vuider la selle et l'abbattit à terre. Il

alloit achever en luy perçant les flancs de sa lance, mais les Sarrazins parerent le coup, et s'assemblerent en foule en si grand nombre autour de luy, qu'ils eurent non seulement le loisir de le remonter, mais encore d'envelopper Henry de tous côtez, qui se defendant contr'eux tous et ne voulant pas reculer, crioit à son enseigne et à ses gens. Le bruit de sa voix les fit courir à luy d'une grande force. Le combat se renouvella donc avec plus de chaleur qu'auparavant. Les deux princes se rapprocherent avec un grand acharnement l'un sur l'autre. Ils étoient tous deux de fort rudes joueurs. Pierre avoit une épée dans sa main plus trenchante et plus affilée qu'un rasoir, dont il voulut atteindre Henry; mais le coup porta sur la tête de son cheval avec tant de vigueur et de force que non seulement il la trencha, mais il abbattit en même temps et le cheval et l'écuyer. Henry, qui n'avoit aucune blessûre, n'eut pas beaucoup de peine à se relever, et ses gens aussitôt luy presenterent une autre monture. Quand il fut remis à cheval, il rallia touttes ses troupes et les mena contre celles de Pierre, qui déjà touttes fatiguées d'un si long combat, ne purent soûtenir davantage le choc des Chrétiens, qui se tenoient si serrez, qu'il étoit tout à fait impossible de les ouvrir ny de les rompre, et qui venans à tomber sur les Sarrazins recrus, blessez et dispersez, en firent un fort grand carnage. Bertrand Du Guesclin, le Besque de Vilaines, Guillaume Boitel, Alain de la Houssaye, Billard des Hostels, Morelet de Mommor, Carenloüet et les deux Mauny se signalerent beaucoup dans cette memorable journée, qui rendit les affaires de Pierre touttes déplorées et retablit entierement celles d'Henry.

Ce prince apostat ouvrit trop tard les yeux sur son malheur. Il vit bien que la main de Dieu l'avoit frappé pour le punir de son impieté. Ce fut alors qu'il témoigna le déplaisir extreme dont il étoit touché, d'avoir si lâchement abjuré sa religion pour suivre celle de Mahomet, qui luy avoit attiré la perte de tous ses Etats, et le danger de perdre la vie aprés avoir perdu la foy. Quand le fils du roy de Belmarin s'apperçut que touttes ses troupes étoient défaites et en fuite, il fut contraint de se jetter tout à travers champ, et de s'aller cacher dans une forêt avec le debris de sa déroute. Pierre eut de son côté recours à la vitesse de son cheval, et se retira dans le château de Montiel, avec seulement quatre cens hommes qu'il put ramasser. Les autres Sarrazins étoient errans, épars et dispersez par les campagnes, et quand ceux de Seville les virent ainsi fuir, ils sortirent de leurs mu

railles et coururent sur eux, les blessans à grands coups de dards, et leur disans mille injures. Il n'y eut pas jusqu'aux Juifs de la même ville, qui se mêlerent avec les autres pour les insulter, et leur reprocher la felonnie qu'ils avoient commise à l'égard d'Henry, leur roy legitime, qu'ils avoient lâchement trahy pour suivre le party de Pierre, sur qui la malediction de Dieu venoit de tomber avec tant de justice. Henry cependant n'avoit rien plus à cœur que de terminer cette grande affaire par la mort de son ennemy. C'est la confidence qu'il fit à Bertrand, au Besque de Vilaines et à tous les autres generaux, que toutte cette victoire, quelque glorieuse qu'elle fût, ne luy donneroit pas une entiere satisfaction tandis que Pierre seroit encore en vie. L'incertitude dans laquelle ils étoient tous du lieu de sa retraite, les tint en balance assez longtemps, ne sçachans quelle route prendre pour le chercher et le trouver, quand un avanturier les tira de peine, en leur apprenant que ce malheureux prince étoit entré dans Montiel, à la tête de quatre cens hommes, et qu'il s'étoit enfermé dans cette place dans le dessein de s'y bien defendre.

Cette nouvelle leur donna l'esperance de l'envelopper là dedans comme dans un filet. Ce fut la raison pour laquelle Henry, par le conseil de Bertrand, fit publier par toutte son armée que chacun le suivit, sous peine de la vie, sans partager les dépouilles et le butin qu'on avoit fait, jusqu'à ce qu'on eût pris le château de Montiel et l'oiseau qui en avoit fait sa cage. Ceux qui ne respiroient qu'aprés la part qu'ils pretendoient dans la distribution des bagages, des équipages et de tout l'argent monnoyé que les ennemis avoient laissé sur le champ de bataille, ne s'accommodoient gueres de cet ordre si precipité qui les empêchoit de satisfaire leur convoitise; mais il y fallut obeïr. Henry, pour ne les pas décourager, fit garder le butin par cinq cens hommes d'armes, avec defense d'y toucher jusqu'au retour de la prise de ce château. La diligence qu'il fit pour gagner Montiel fut si grande, que Pierre se vit investy par un gros corps de troupes lors qu'il y pensoit le moins. Il fut bien étonné de voir que les Chrétiens plantoient le piquet devant cette place, et distribuoient les quartiers entr'eux comme pour faire un siege dans les formes, et n'en point décamper qu'ils ne s'en fussent rendus les maîtres. Cet infortuné prince se voyant pris comme dans une ratiere, étoit extremement en peine comment il pouroit s'évader. Il demanda conseil au gouverneur pour sçavoir quelles mesures il luy falloit prendre pour se tirer d'un si mauvais pas,

luy disant que s'il pouvoit une fois avoir la clef des champs, il reviendroit dans peu fortifié d'un si puissant secours, que tous ses ennemis ne pouroient pas tenir devant luy. Le commandant luy répondit que la place manquoit de vivres et qu'il n'y en avoit pas encore pour quinze jours, aprés quoy l'on ne pouroit pas se defendre de se rendre à la discretion d'Henry.

Ce fut pour lors que Pierre repassant dans son esprit touttes les cruautez qu'il avoit exercées dans son regne, le meurtre detestable qu'il avoit commis sur la personne de sa propre femme, la credulité superstitieuse qu'il avoit eüe pour les Juifs, et le secours qu'il étoit allé chercher chez les Infidelles, dont il avoit embrassé la malheureuse secte; il vit bien qu'il avoit comblé la mesure de ses iniquitez, et que le ciel, pour le punir de touttes ses impietez et de tous ses crimes, l'alloit livrer entre les mains de son ennemy, qui, bien loin de luy pardonner, se feroit un plaisir de le faire mourir, pour n'avoir plus de competiteur à la Couronne, et regner ensuite dans une securité profonde. Il faisoit reflexion sur l'état pitoyable auquel l'avoient reduit Bertrand, le Besque de Vilaines et les autres partisans d'Henry, qui, sans eux, auroit succombé necessairement sous les forces qu'il avoit amenées du royaume de Belmarin. Ce malheureux Roy tomba dans une grande perplexité d'esprit, voyant qu'à moins qu'il n'eût des ailes pour voler comme les oiseaux, il ne pouvoit aucunement échapper des mains de ses ennemis. Les vivres manquoient dans la place, et les assiegez n'étoient point en état de faire de sorties, ny de forcer aucun quartier. D'ailleurs, pour rendre la prise de Pierre immanquable, Henry fit batir un mur assez haut tout autour du château de Montiel, et les assiegeans veilloient avec touttes les precautions imaginables afin que personne n'entrât dedans, ny n'en sortît. Pierre voyant que la garnison, pressée par la famine, parloit secrettement de se rendre et de le livrer, il assembla les principaux officiers qui commandoient sous luy dans ce château, les conjura de tenir encore durant quinze jours, et les assûra qu'avant que ce terme fut expiré, il leur ameneroit un secours si considerable, qu'il tailleroit les assiegeans en pieces, et feroit lever le siege de la place. Ces gens luy remontrerent qu'il étoit absolument necessaire qu'il leur vint un renfort, parce qu'ils seroient aux abois avant quinze jours, et que dans ce besoin pressant ils seroient forcez de capituler avec Henry pour faire avec luy leur condition la meilleure qu'il leur seroit possible.

Pierre leur promit qu'il reviendroit si tôt,

qu'il les tireroit de cet embarras. Il concerta donc avec eux qu'il partiroit la nuit, luy sixiême. Il fit charger sur des fourgons, son or, son argent et ses meubles les plus precieux, dans le dessein de lever de nouvelles troupes, quand même il devroit épuiser pour cela tous ses coffres. Les assiegeans ne sçavoient pas que Pierre avoit la pensée de tenter une évasion; car ils avoient seulement appris qu'il y avoit dans la place une grande disette. Cependant Bertrand croyant cette place imprenable, à moins que ce ne fût par assaut, voulut abreger chemin, disant à Henry qu'il luy conseilloit d'envoyer un trompette à Pierre pour le sommer de luy rendre la place, et luy proposer un accommodement entr'eux, qui seroit: Que Pierre luy cederoit la Couronne, à condition qu'Henry luy donneroit quelque duché dans l'Espagne pour avoir dequoy subsister honorablement. Ce conseil n'étoit pas fort agreable à Henry, qui avoit tout à craindre de Pierre s'il avoit une fois la vie et la liberté; car il le connoissoit remuant, ambitieux et perfide. Mais les obligations qu'il avoit à Bertrand luy firent avoir pour luy la complaisance de prêter l'oreille à cet avis, et de le suivre avec beaucoup de docilité, quoy que ce fût avec quelque repugnance. Il donna l'ordre à l'un de ses gens de s'aller presenter aux barrieres pour faire à ce prince une proposition qui luy devoit être fort agreable et fort avantageuse, puis qu'il étoit perdu sans ressource. Cet homme se coula jusques sous les murailles de la place, et fit signe de son chapeau qu'il avoit à parler au roy Pierre.

Ce malheureux prince ne pouvant s'imaginer que, dans l'état où étoient les choses, Henry voulût avoir pour luy la moindre indulgence, regarda ce message comme un piege qu'on luy tendoit, et se persuada qu'il ne se faisoit que pour apprendre au vray s'il étoit dans la place en personne. C'est ce qui le fit resoudre à se faire celer, commandant que l'on répondit qu'il y avoit longtemps qu'il en étoit sorty car il se promettoit sur ce pied que les assiegeans le croyans dehors, leveroient le piquet de devant ce château pour le chercher ailleurs, et qu'il pouroit par là s'évader ensuite à coup sûr. En effet, le commandant vint parler au trompette pour l'assûrer qu'il y avoit plus de douze jours que le roy Pierre étoit party pour aller chercher du secours, pretendant revenir bientôt sur ses pas avec de si grandes forces, que les assiegeans seroient trop foibles pour luy resister. Cette nouvelle étoit assez plausible pour y ajoûter foy. Henry, la croyant veritable, en tomba dans un grand chagrin, craignant d'avoir manqué le plus

beau coup du monde, et dont l'occasion ne se pouroit de longtemps recouvrer. Le comte d'Aine, comptant là dessus, luy conseilla de lever le siege. Mais Bertrand opina bien plus juste et plus judicieusement, quand il luy dit qu'il étoit persuadé que Pierre étoit encore là dedans, et que comme il apprehendoit de tomber vif entre ses mains, il avoit inventé cette ruse et ce mensonge pour le faire décamper de là; qu'il ne luy conseilloit pas de donner si bonnement dans ce paneau; car quand même la sortie de Pierre seroit veritable, il ne devoit pas pour cela abandonner le siege qu'il avoit entrepris, puisque ce seroit faire un arriere-pied qui seroit capable de decrediter la reputation de ses armes, qu'il falloit entretenir dans le public, de peur qu'on ne vint à rabattre beaucoup de l'estime qu'on avoit de sa valeur. Ces raisons parurent si fortes à Henry, qu'il prit la resolution de ne jamais partir de là qu'il ne se fût rendu tout à fait maître de Montiel, quand il se devroit morfondre devant avec touttes ses troupes durant tout l'hyver. Voulant enfin trouver dans la mort et le supplice de Pierre le couronnement de tous ses desirs, et la fin de toutes ses peines, il donna donc tous les ordres necessaires afin qu'on fit de nouveaux efforts contre cette place, et qu'on employât toute la vigilance possible pour empêcher ce prince apostat de sortir de Montiel, qu'il vouloit avoir vif ou mort, afin qu'il ne restât plus personne capable de luy disputer la Couronne qui luy appartenoit.

CHAPITRE XXX.

De la prise du roy Pierre par le Besque de Vilaines, comme il sortoit furtivement du château de Montiel pour se sauver.

Le roy Pierre demeurant toûjours enfermé dans le château de Montiel, et ne sachant point comment en sortir sans tomber entre les mains de ses ennemis, choisit le temps de la nuit pour en faire celuy de son evasion, se promettant de se dérober à leur vigilance, à la faveur des tenebres. Il ne voulut point s'embarrasser de son équipage, de peur que cela ne le fit découvrir, mais seulement partir luy sixiême, afin que, marchans tous ensemble à fort petit bruit, ils pussent plus facilement surprendre ceux qui les observoient, et se couler furtivement jusqu'au prés des murailles, où ils sçavoient qu'il y avoit une brêche dont l'ouverture leur devoit servir de porte pour gagner les champs. Il se mit donc à pied avec les autres, tenans tous leurs chevaux par la bride; et descendans tout dou

|

surprise. Le Besque le regardant fierement luy répondit que s'il pretendoit luy en faire un crime et l'accuser de quelque supercherie dans cette prise, il se feroit faire raison l'épée à la main, quand il voudroit, en vuidant tous deux le differend dans un duel. Le vicomte le radoucit en luy témoignant qu'il ne trouveroit pas son compte à se battre avec luy. Le Besque mena donc cet illustre captif dans la tente d'Alain de la Houssaye, qui s'estima fort honoré de ce qu'on l'avoit choisy pour garder un dépôt de cette importance. Il felicita le Besque sur le bonheur qu'il avoit eu de faire une si riche proye, luy disant qu'on alloit souvent à la chasse sans trouver un gibier de cette consequence, et qu'il avoit bien rencontré coutel pour sa gaine. Vilaines appella sur l'heure un de ses veneurs nommé Gilles du Bois, qu'il envoya tout aussitôt avertir Heuri, qu'il avoit en ses mains le Prince apostat qui luy disputoit sa couronne.

cement de ce château situé sur un haut rocher, ils arriverent sans aucun danger jusqu'à ce mur qu'on avoit fait nouvellement bâtir tout exprés pour fermer touttes les issues qui pouroient faciliter la fuite de Pierre. Ils n'avoient pas mal debuté jusques là; mais par malheur ils rencontrerent quelques gens du Besque de Vilaines qui, se promenans au pied du château, prêterent l'oreille à quelque bruit qu'ils entendirent, et furent aussitôt en donner avis au Besque, qui les renvoya sur leurs pas, avec ordre d'observer ce qui se passoit. Il fit en même temps armer tout son monde, dans l'opinion qu'il avoit que les assiegez avoient envie de faire une sortie. Ces gens luy vinrent rapporter qu'ils avoient veu six hommes approcher d'un mur, où il y avoit un grand trou qui ouvroit le chemin de la campagne tout à découvert. Le Besque, s'imaginant que ce pouvoit être le roy Pierre, se rendit aussitôt sur le lieu fort clandestinement, et, suivant pas à pas un cavalier qu'il ne pouvoit qu'entrevoir, il le saisit au corps comme il alloit pas-grande, que pour le recompenser d'une si agrea

ser la brêche, en luy disant : je ne sçay qui vous êtes, mais vous ne m'échapperez pas. Pierre se mit sur la defensive, et tâcha de luy donner d'un poignard dans le ventre. Mais le Besque, en ayant apperçû la lueur, le luy arracha des mains, en jurant que s'il ne se rendoit sur l'heure, il ne le marchanderoit pas, et que, s'il faisoit encore la moindre resistance, il luy passeroit son épée jusqu'aux gardes au travers du corps.

Pierre, se voyant pris, tâcha de fléchir le cœur du Besque, en luy declarant sa misere et son infortune, et luy declinant ingenûment son nom, le pria de luy vouloir sauver la vie, luy promettant de luy donner trois villes, douze châteaux et douze mulets chargés d'or. Un autre, plus interessé que le Besque, se seroit laisser tenter par de si belles offres; mais touttes ces richesses ne furent point capables d'ébranler sa fidelité. Ce brave general luy répondit qu'il n'étoit point capable de faire une lâcheté semblable, et qu'ille meneroit à Henry. Ce fut alors que, pour s'assûrer davantage de sa personne, il le prit par le pan de sa robbe. Le vicomte de Rouergue arriva là dessus, et voulut mettre aussi la main sur luy de peur qu'il n'échappât, s'offrant de le lier d'une corde s'il en étoit besoin; mais le Besque le pria de le laisser tout seul avec sa capture, et dont il viendroit bien à bout sans le secours de personne. Le vicomte, indigné de ce que le Besque ne vouloit pas partager avec luy l'honneur de l'avoir pris, luy dit qu'il ne l'avoit pas fait prisonnier de bonne guerre, mais par artifice et par

La joye que ce messager luy donna fut si

ble nouvelle, il se dépouilla d'un fort beau man-
teau qu'il portoit, et le luy mettant dans les
mains, il luy dit que ce present qu'il luy fai-
soit, n'approchoit pas du merite qu'il s'étoit fait
auprés de sa personne, en luy annonçant une
chose qui l'alloit rendre heureux pendant toute
sa vie. L'impatience qu'il avoit de voir son en-
nemy sous sa puissance, le fit monter precipi-
tamment à cheval, sans se soucier s'il étoit
suivy de quelque cortege; quelques-uns de ses
officiers coururent pour le joindre et ne le pas
laisser seul. Il alla droit à la tente d'Alain de la
Houssaye, dans laquelle il trouva le Besque de
Vilaines et beaucoup d'autres seigneurs qui s'é-
toient assemblez là pour sçavoir ce qu'ils fe-
roient de Pierre. Quand Henry l'apperçut dans
leurs mains, l'impatience qu'il avoit de s'en dé-
faire et la colere qui luy fit monter le sang au
visage, luy firent porter la main sur une dague
qu'il avoit sur soy pour en poignarder le mal-
heureux Pierre. Mais le Besque de Vilaines luy
retint la main pour l'en empêcher, en luy re-
montrant que Pierre étoit son prisonnier, et que
les lois de la guerre vouloient qu'on luy en payat
la rançon devant qu'il sortît de ses mains, et
que, tandis qu'il seroit en sa puissance,
il ne
souffriroit pas qu'on luy fit aucun outrage.
Henry luy promit de le satisfaire là dessus au-
delà même de son attente, et qu'il luy feroit
compter des sommes proportionnées à la qualité
du prisonnier qu'il luy livreroit. Il n'en fallut
pas davantage pour obliger le Besque à luy
lâcher Pierre. Aussitôt qu'Henry s'en vit le
maître, il commença par luy taillader le visage

« AnteriorContinua »