Imatges de pàgina
PDF
EPUB

devoit au roi d'Angleterre, qu'il ne décamperoit | Saint Michel, il y eut un chevalier de la garnipoint de là que toute cette province ne fût conquise par ses armes, et mise sous l'obeïssance du prince à qui l'on ne pouvoit la disputer qu'avec injustice. Robert Knole fit le même serment. Il ajoûta qu'il avoit un pressentiment que tout l'avantage demeureroit à Jean de Monfort, et que toute la bravoure de Bertrand, du comte d'Auxerre et du Vert Chevalier, ne feroient que blanchir contr'eux. Ils sererrent donc le château d'Auray de plus prés qu'auparavant, pour engager les assiegez à capituler, sçachans que la famine les pressoit si fort, qu'ils avoient été contraints de manger leurs chevaux.

En effet, la disette étoit si grande dans la place, qu'elle les avoit souvent obligé d'allumer des feux au haut du donjon, pour marquer l'extreme besoin dans lequel ils étoient de recevoir un prompt secours, si Charles vouloit conserver ce château plus long temps. Ce prince étoit campé dans un parc à Lonvaulx l'Abbaye: ce fut là que ses coureurs le vinrent avertir du signal qui paroissoit à la Tour d'Aüray. Cette nouvelle le mit dans une grande consternation, voyant bien que cette place étoit aux abois. Il y eut un arbalêtrier qui le rassûra, prenant la liberté de luy dire que s'il le trouvoit à propos il se serviroit d'un stratagême qu'il avoit medité pour encourager les assiegez à ne se pas encore rendre sitôt. Il luy representa qu'il attacheroit un billet au dard qu'il lanceroit de son arbalête, et qu'il tireroit si juste en se postant dans un lieu qu'il sçavoit, qu'il feroit tomber le papier dans la tour, dont la lecture avertiroit le gouverneur qu'il tint encore bon pendant quelque temps, parce qu'il seroit secouru dans peu.

son qui s'avisa de leur dire, que pour ne pas succomber à la faim qui les consumoit, il étoit à propos d'envoyer au comte de Monfort, et de luy faire offre de luy rendre la place, si dans la Saint Michel il ne leur venoit pas de secours : à la charge que jusqu'à ce temps il leur feroit fournir des vivres en payant, et que de leur côté, pour sûreté de leur parole, ils luy donneroient des ôtages. Tous les assiegez donnerent dans le sens de ce chevalier, et le gouverneur fit signe aux Anglois que quelqu'un vint parler à luy. Robert Knole se presenta devant la barriere pour sçavoir ce qu'il avoit à dire. Il luy proposa toutes les conditions que ce chevalier avoit suggerées. Elles parurent fort raisonable à Knole, qui luy répondit que bien qu'il scût que Charles de Blois se disposoit à les secourir, cependant il feroit de son mieux auprés du comte de Monfort pour les luy faire accepter, et que les assiegez meritoient bien qu'on les considerât: en effet, Knole fit si bien, qu'on reçut leurs ôtages et qu'on leur donna des vivres.

Cependant Charles de Blois qui n'avoit point de temps à perdre, parce que la place qu'il vouloit secourir étoit à la crise, partit en diligence avec tout son monde de Lonvaulx l'Abbaye. La reveüe qu'il en fit montoit à plus de trois mille hommes d'armes, gens fort lestes et fort determinez. Cette petite armée fit une marche si longue, qu'elle vit dans peu le château d'Aüray. Quand les assiegez apperçurent du donjon les enseignes de Charles, et ce corps de troupes qui faisoit un mouvement vers eux, ils arborerent aussi leurs étendards sur le haut de la tour, et pour témoigner la joye qui les transportoit, ils firent jouer tous leurs violons sur le

fracas, que les assiegeans l'entendirent, et tournans leurs yeux de ce côté là, virent les drapeaux et les enseignes de la garnison qui flottoient en l'air au gré des vents. Bertrand, qui marchoit à la tête du secours, s'appercevant de toutes les demonstrations de joye que ceux d'Aüray donnoient aux approches des François, admira le zele et la fidelité qu'ils avoient pour leur prince, et dit qu'ils meritoient bien qu'on les tirât d'affaire.

Ce prince goûta fort la pensée de cet arbalê-même endroit, avec tant de bruit et tant de trier; il luy donna l'ordre d'en venir au plutôt à l'exécution. Cet homme darda son coup avec tant de justesse et de force, que le billet tomba dans la tour tout auprés de ce signal de feu que les assiegez avoient allumé. Il fut mis entre les mains du gouverneur, qui sur l'heure assemblant ses gens, leur exposa ce que contenoit ce papier, et que Charles de Blois leur mandoit que dans le jour de Saint Michel prochain, qui devoit arriver bientôt, ils seroient secourus; qu'ils eussent donc à ne point precipiter avant ce temps la reddition de la place, et que s'ils n'avoient point de ses nouvelles dans ce jour prefix, ils pouroient alors faire leur condition la meilleure qu'ils pouroient avec leurs ennemis.

Cette bonne nouvelle donna quelque esperance aux assiegez mais comme ils n'avoient pas assez de vivres pour se soûtenir jusqu'à la

Ce general se vint poster si prés des ennemis, qu'il n'y avoit entre ses troupes et les assiegeans qu'un pré et un ruisseau qui les separoient, si bien que de part et d'autre on n'attendoit plus que le moment auquel on en viendroit aux mains. Guesclin surprit des espions qui venoient observer la contenance de ses troupes. Il apprit d'eux que tout se disposoit

au combat du côté du comte. Il reçut cette nouvelle avec beaucoup de joye, faisant publier par toute son armée qu'on eût à se tenir prêt, et qu'on joüeroit bientôt des couteaux. En effet, le comte brûloit d'une si grande envie de combattre, qu'il vouloit dés le soir même attaquer ce secours; mais Olivier de Clisson modera son ardeur, en luy representant qu'il falloit aller bride en main sans rien precipiter; que si l'on ouvroit la bataille sur le declin du jour, il étoit à craindre que la nuit venant à les surprendre, on ne se battroit qu'à l'aveugle, et tout se passeroit dans une étrange confusion; que pour lors on ne pourroit pas profiter de tous les avantages que donné à la guerre l'experience des generaux et la valeur de leurs soldats ; qu'enfin, si l'on donnoit la bataille aux ennemis lors qu'ils sont encore tous las et recrus de la fatigue des chemins, on imputeroit plutôt leur défaite à leur lassitude qu'au courage de leurs vainqueurs. Robert Knole appuya fort ce sentiment, et dit qu'il falloit attendre que les François tentassent le passage de ce ruisseau; qu'alors on les pourroit charger à coup sûr quand il en seroit passé la moitié. Cet avis étoit si judicieux et si salutaire, que le comte ne balança point à s'y rendre, et ne fit aucun mouvement, de peur de tout gåter en precipitant le combat.

Les François étoient toûjours retranchez dans leur parc, et comptoient fort d'être attaquez cette même nuit : ils s'étoient tenus pour cela sur leurs gardes, allumans force feux dans leur camp de peur d'être surpris, et postans sur les aîles des vedettes et des sentinelles pour veiller à tout. Guillaume de Launoy parut, à la pointe du jour, à la tête de ses arbalêtriers, pour observer la contenance des Anglois qui caracoloient de l'autre côté du ruisseau. Comme les mains démangeoient aux deux camps, et que l'emulation des deux nations ne leur donnoit point la patience d'attendre l'ordre de leurs generaux, il se fit quelques escarmoûches de part et d'autre, où les François eurent toûjours de l'avantage sur les Anglois. Jean de Chandos, craignant que ces derniers ne se commissent temerairement, et n'engageassent un combat prematuré, fit publier à son de trompe, que si quelqu'un sortoit de son rang pour escarmoûcher, il lui en coûteroit la vie, disant au comte qu'il étoit important au bien de ses affaires de laisser attaquer les François les premiers.

[ocr errors]
[blocks in formation]

Les deux armées étoient sur le point d'en venir aux mains devant le château d'Aüray. Jean de Monfort, pour mettre sa personne à couvert du dessein qu'on pourroit avoir sur sa vie dans cette bataille, s'avisa de faire revêtir un de ses parens de sa cotte d'armes, et s'habilla d'une maniere à se faire confondre avec les autres. Olivier de Clisson qui tenoit son party, fit lever l'étendard de Bretagne, et se mit à la tête des plus braves de toute l'armée : Chandos et Knole firent aussi fort bonne contenance, et rangerent tous les archers anglois en bataille, disans que cette journée decideroit la querelle des deux princes, en faveur de qui l'on alloit combattre, et qu'on verroit qui des deux seroit le mieux servy. Charles de Blois, qui venoit au secours de la place avec toute l'élite de la France, ne balança point à passer le ruisseau qui le separoit de ses ennemis, dont il franchit le gué, sans qu'on fit aucun mouvement pour luy disputer ce passage. Il se campa fort avantageusement. Les deux princes se voyoient de trop prés pour ne pas ouvrir le combat. Il fut commencé par les gens de trait : mais cette premiere attaque ne fit pas grande execution d'un côté ny d'autre, parce que les escadrons et les bataillons étant tous de fer, les dards, ni les flèches n'avoient pas beaucoup de prise sur eux.

Tandis qu'on s'éprouvoit ainsi de part et d'autre, Hugues de Caurelay vint dire tout bas à Chandos, qu'il le prioit d'agréer qu'il fit un détachement de cinq cens lances à la tête desquelles il se déroberoit secrettement du camp, pour s'assurer d'un poste, d'où il pourroit venir fondre sur les ennemis, en les attaquant par derriere. Chandos ne loua pas seulement son dessein: mais il luy donna l'ordre de l'executer sur l'heure. Caurelay se coula furtivement dans un vallon suivy de tout son monde, sans qu'il fût apperçu des gens de Charles: parce qu'il y avoit beaucoup de genêts et de broussailles sur ce terrain qu'il vint occuper, et ses troupes se cacherent derriere fort adroitement. Ceux du château d'Aüray qui d'en haut voyoient à plein toute la campagne, découvrirent ce piege; mais ils étoient trop éloignez des gens de Charles, pour se faire entendre au milieu du bruit d'un combat, et quelque signe qu'ils fissent, on ne pouvoit comprendre ce qu'ils vouloient dire.

On se battoit de part et d'autre avec beaucoup

de fureur. Olivier de Clisson, dont le courage et la valeur étoient singuliers, donnoit un grand branle au party du comte de Monfort, s'avançant avec une intrepidité surprenante au milieu des rangs des François, la hache à la main, dont il faisoit une terrible execution sur ceux qu'il frappoit. Bertrand qui combattoit pour Charles vit de loin l'un de ses amis tomber sous le bras de Clisson, ce qui luy donna tant de rage et tant de furie, qu'il s'élança comme un lion déchaîné tout au travers des Anglois, suivy de Guillaume Boitel, du Vert Chevalier, d'Eustache de la Houssaye et de Guillaume de Launoy. Ce fut là que secondé de tous ces braves, il faisoit un carnage horrible de tout ce qui se presentoit sous sa main. De l'autre côté, Robert Knole et Jean de Chandos qui tenoient pour Monfort, payerent aussi tres bien de leurs personnes. Le comte d'Auxerre faisoit aussi des merveilles en faveur de Charles mais il arriva par malheur qu'un chevalier anglois luy passant son épée tout au travers de la visiere luy perça l'œil gauche, et comme se voyant hors de combat il se mettoit en devoir de se retirer, il fut saisy par un autre qui l'arrêta tout court, et qui le reconnoissant luy cria de se rendre aussitôt, ou qu'il étoit mort. Le comte, que le sang qui sortoit de sa blessure avec abondance mettoit tout à fait hors d'œuvre, jusques là même que les gouttes dont son œil étoit tout remply ne luy permettoient pas de voir celuy qui luy parloit, prit le party de luy rendre son épée plûtôt que de commettre indiscrettement sa vie à la fureur d'un brutal qui ne l'auroit pas marchandé.

La prise d'un si grand capitaine consterna fort Charles de Blois, qui la regarda comme un triste preliminaire de cette journée. Cependant Bertrand que rien n'étoit capable d'ébranler, marcha droit contre Clisson pour effacer par un nouveau combat la disgrace qui venoit d'arriver au comte d'Auxerre. Charles de Dinan s'attacha personnellement à Robert Knole. Olivier de Mauny charpentoit par tout avec sa hache, dont il faisoit voler têtes, bras et jambes, et donnoit beaucoup de courage à ceux qui le suivoient en criant Mauny. La bravoure de ce capitaine donna tant de peur au comte de Monfort, qu'il croyoit déjà tout perdu pour luy, si Chandos ne l'eût rassuré, le priant de ne point tomber dans le découragement, et lui promettant que la journée seroit immanquablement à luy. Robert Knole prit aussi la liberté de luy donner la même esperance, en l'exhortant de ne se point démentir et de se soûtenir jusqu'au bout.

Le parent de Monfort, celuy là même auquel il avoit fait prendre les armes, voulut faire le

brave poussant son cheval et criant Bretagne, demandant par tout où étoit donc ce Charles de Blois, qui luy disputoit cette belle duché. Ce prince voulant répondre à ce fanfaron qu'il prenoit pour le comte de Monfort, parce qu'il en portoit toutes les marques, s'avança fierement de ce côté-là pour luy prêter le colet, et vuider leur different dans un combat singulier à la veüe des deux armées, qui leur firent place et s'ouvrirent pour être les spectatrices d'un duel de cette importance. Le chamaillis fut grand de part et d'autre; mais à la fin Charles de Blois déchargea sur la tête de son adversaire un coup de hache si fort, si rude et si pesant, qu'il le fit tomber par terre. Il voulut achever sa victoire en luy ôtant la vie :mais Olivier de Clisson, Robert Knole et Chandos se jetterent à la traverse pour secourir ce chevalier. Ceux du party de Charles accoururent pour le seconder contre tant de gens, qui le vouloient empêcher de couronner tout ce combat par la mort de son competiteur et de son ennemy. Comme l'on pensoit du côté de Charles, que ce chevalier renversé par terre étoit effectivement le comte de Monfort, l'on s'acharna tant sur ce seigneur travesty, qu'on ne le quita point qu'aprés l'avoir tué.

Charles se croyant pour lors au dessus de ses affaires, et seul maître de la Bretagne, s'écria sur le champ de bataille, qu'enfin Dieu l'avoit delivré d'un concurrent, qui luy avoit fait jusqu'alors de facheuses affaires. Mais la joye de ce prince fut bien vaine et bien courte; car quand le comte de Monfort eut appris la mort de son parent, qui s'étoit sacrifié pour luy, ce fut pour lors que, la colere et l'emportement ne luy permettant plus de se posseder, il s'alla presenter devant Charles, qui fut bien surpris de revoir contre luy les armes à la main, celuy qu'il pensoit avoir expedié du monde. Cette nouvelle apparition le desola fort, et luy fit rabattre beaucoup de ses esperances. Cependant pour ne se pas tout à fait décourager il recommença le combat avec une nouvelle ardeur, secondé de Bertrand Du Guesclin, du vicomte de Rohan, et du seigneur de Beaumanoir, qui firent en sa faveur des choses incroyables, et se surmonterent eux mêmes, et peut-être enfin que la victoire se seroit déclarée pour eux, s'ils n'eussent été chargez par derriere par les cinq cens lances que Caurelay tenoit cachez dans les genêts et dans les buissons, et qui prirent si bien leur temps qu'ils les attaquerent quand la chaleur de la mêlée commença de se ralentir. Bertrand fit volteface et soûtint long temps le combat à grands coups d'une hache qu'il tenoit à deux

mains.

avoir remporté la victoire entiere tandis que son ennemy seroit encore vivant, et qu'il pourroit, aprés avoir perdu la bataille, trouver de nouvelles ressources pour relever son party abattu. C'est la raison pour laquelle il fit les derniers efforts pour le prendre et pour le tuer. Chandos n'en vouloit qu'à Bertrand, et se persuadoit que s'il l'avoit entre ses mains, toute la journée seroit bientôt finie. Ce fut dans cet esprit qu'il envoya de ce côté-là toute l'élite de ses troupes, qui n'en pouvoient venir à bout; car il se defendoit toûjours avec un courage invinci

L'on recommença de plus belle de part et d'autre. Le sang ruisseloit de toutes parts. Olivier de Clisson faisoit aussi de grands fracas de son côté, tenant un gros marteau de fer, dont il frappoit à droite et à gauche, et faisoit tomber sous la violence de ses coups tous ceux qui se metoient en devoir de luy resister; et comme il vit que tout plioit devant luy : Courage, dit-il à ses gens, la journée est à nous. Cependant Charles de Blois tenoit toûjours bon, faisant des efforts incroyables avec le vicomte de Rohan, Charles de Dinan, et le Vert Chevalier, qui renversa par terre l'etendard du comte de Mon-ble; mais à la fin, voyant que les gens de Charfort, mais qui fut aussitôt relevé par Robert Knole, qui voyant que la victoire penchoit de son côté, poussa toujours sa pointe jusqu'à ce qu'elle eût été remportée. Caurelay, qui chargeoit toujours les gens de Charles par derriere, fut celuy qui fit le plus grand effet dans cette journée. Bertrand ne se rendoit point encore, et tout couvert de sang et de sueur, il disputoit toûjours le terrain pied à pied, déchargeant son maillet de fer sur la tête de tous ceux qu'il pouvoit atteindre. Jean de Chandos fit avancer tout son monde de ce côté là, se persuadant que ce ne seroit jamais fait, tant que Bertrand pouroit tenir pied. Ses gens s'acharnerent avec tant de furie sur luy, qu'à force de coups de sabre et d'épées ils le renverserent par terre: mais Eustache de la Houssaye, le Vert Chevalier et Charles de Dinan coururent à luy pour le relever, et le remirent sur ses pieds. Ce même Charles voyant Richer de Cantorbie, beau frere de Chandos, l'assomma d'un coup de hache, et luy fit sauter la cervelle, dont ce capitaine eut tant de déplaisir, qu'il jura qu'il ne sortiroit point de là qu'il n'en eût tiré la vengeance.

Bertrand ne se lassoit point de frapper, et le seigneur de Beaumanoir ne l'abandonnant point et se tenant toujours à ses côtez, chargea Gautier Huët avec tant de force, qu'il abbattit par terre ce chevalier anglois, qui n'en auroit pas été quite à si bon marché, si Clisson ne l'eût secouru sur l'heure, étant accompagné de tout ce qu'il avoit de braves à sa suite. Olivier crioit toujours: Beaumanoir, rendez-vous, aussi bien tous vos gens sont defaits. Mais ce dernier ne fit pas semblant de l'entendre et tourna ses armes d'un autre côté, craignant de tomber dans les mains de Clisson, qui s'étoit vanté qu'il ne lui feroit aucun quartier, ny à luy ny au vicomte de Rohan, s'il les pouvoit attraper tous deux dans la bataille dans ce jour.

Charles de Blois étoit au desespoir, voyant toute son armée presque mise en déroute. Le comte de Monfort, de son côté, ne croyoit pas

les s'éclaircissoient à veue d'œil et prenoient presque tous la fuite, il se souvint dans ce moment qu'il avoit eu tort de mépriser le conseil de sa femme, qui luy avoit recommandé de ne se point exposer dans les jours malheureux, entre lesquels celuy de ce combat se rencontra juste, comme elle l'avoit predit et preveu. Charles de Blois en porta toute la fatalité; car aprés avoir resisté longtemps, il fut environné de tant de gens qui s'acharnerent à le tuer, qu'il y eut un Anglois qui lui fit passer sa dague d'outre en outre, depuis la bouche jusqu'au derriere du cou, si bien que l'acier sortoit d'un demy pied par delà. Ce prince se sentant mortellement blessé, tomba tout aussitôt à terre, et ne songeant plus qu'à mourir dans la grace de Dieu, battit sa poitrine, et levant les yeux et les mains du côté du ciel, il le prit à témoin de son innocence, protestant qu'il n'avoit entrepris cette guerre qu'à la sollicitation de sa femme, qui l'avoit assûré que son droit étoit incontestable, et le pria sur l'heure de luy pardonner la mort de tant d'honnêtes gens, qui avoient bien voulu sacrifier leur vie pour la pretenduë justice de sa cause.

On ne luy donna pas le loisir d'en dire davantage; car il fut percé de tant de coups qu'il expira sur le champ. Bertrand fut si touché de cette mort, dont on luy vint porter la nouvelle, que la douleur ne luy permettant plus de combattre, et d'ailleurs voyant que Charles avoit perdu la bataille et la vie tout ensemble, il ne balança plus à se rendre; il tendit la main à Chandos, qui se chargea de sa personne avec toutes les honnêtetez possibles. Le vicomte de Rohan, Charles de Dinan et le seigneur de Beaumanoir, suivirent son exemple. Enfin tous ceux qui tenoient le party de Charles, furent tuez ou pris ou mis en fuite. Ceux du château d'Auray virent, du haut de leur tour, toute la campagne jonchée de morts et tout le party de leur prince entierement défait, ce qui les jetta dans une tres grande consternation. Le comte de Monfort, Chandos et Clisson s'appercevans que

tout étoit fait et que la victoire leur étoit entierement aquise, resterent sur le champ de bataille, encore tout dégouttans de sueur et de sang, et quand ils eurent un peu repris haleine, le comte remercia tous les seigneurs de son party, leur declarant qu'il leur étoit redevable de la souveraineté de Bretagne, et qu'il reconnoîtroit au plûtôt un service si essentiel ; qu'à l'égard de Charles, qui venoit d'expirer, il auroit souhaité volontiers qu'il fût encore vivant et qu'il eût voulu partager avec luy la Bretagne; ma's qu'il avoit eu le malheur de trop deferer aux pernicieux conseils de sa femme, qui avoit attiré sa ruine. Chandos interrompit ce prince en lui disant que, puisqu'il avoit Bertrand dans ses mains, il ne le devoit jamais rendre qu'en suite d'une paix qu'il aurait faite avec le roy de France, et qu'il la falloit acheter par la liberté de ce brave guerrier, qui n'avoit jamais été vaincu dans sa vie que cette seule fois.

Le comte l'assûra que c'était bien aussi son intention. Mais pour veiller à ce qui pressoit davantage, il fit chercher partout le cadavre de Charles avec des soins extraordinaires; et comme ceux qu'il avoit preposez pour cette recherche n'en pouvoient point venir à bout, aprés avoir regardé tous les morts les uns aprés les autres, ce prince fit serment qu'il ne sortiroit point du champ de bataille qu'il ne l'eût découvert et trouvé. C'est ce qu'il fit avec tant de vigilance et de precaution, qu'il le reconnut à la fin couché par terre, le visage tourné du côté de l'Orient. Mais ce qui tira des larmes de ses yeux, ce fut quand il vit ce pauvre prince couvert d'une haire sous ses habits, et dont les reins étoient serrez d'une grosse corde; il ne put s'empêcher de plaindre son malheureux sort, et le fit ensevelir avec la ceremonie la plus pompeuse qu'il pût s'imaginer, faisant enfermer son cadavre dans un cercueil de plomb. Il eut soin de le faire transferer ensuite à Guin, commandant qu'on lui fit là des obseques fort honorables et proportionnées à sa qualité de prince, ce qui fut ponctuellement executé. Ceux d'Auray ne manquerent pas d'ouvrir leurs portes au vainqueur; le comte y fit son entrée, secondé de Jean de Chandos et de Robert Knole, qui paroissoient à ses côtez comme ayant eu tous deux, aprés Clisson, le plus de part au gain de la bataille et de la journée. Chandos mena Bertrand prisonnier à Niort, et Knole fit garder à veüe le comte d'Auxerre, jusqu'à ce que, par un traité de paix, il fussent tous deux remis en liberté.

gan,

Charles le Sage, roy de France, apprit avec un déplaisir extrême la nouvelle de la mort de Charles de Blois et de la prise de Bertrand Du

Guesclin et du comte d'Auxerre. Il eût bien voulu declarer la guerre au comte de Monfort; mais li avoit sur les bras les Anglois et les Navarrois, qui faisoient des hostilitez jusques dans le sein de ses Etats, et, bien loin de penser à combattre les autres, il avoit assez d'affaire à se defendre luy même. Cependant les choses prirent un meilleur train qu'il ne s'étoit imaginé; car le comte de Monfort voulant s'affermir dans sa nouvelle conquête, n'osâ pas s'attirer la France. Il aima mieux envoyer des ambassadeurs à Charles pour luy faire offre de sa part, de luy rendre hommage pour le duché de Bretagne, et de se declarer son homme lige et son vassal. Le Roy donna volontiers les mains à l'agreable condition qu'il luy proposoit, et choisit l'archevêque de Rheims, de la maison de Craon, pour recevoir en son nom, la foy de ce prince en Bretagne, et luy donna tout le caractere dont il avoit besoin pour negocier la paix avec luy. Ce prelat s'aquita tres dignement de sa commission, representant au comte l'interêt qu'il avoit de s'accommoder avec la veuve de Charles de Blois, duchesse de Bretagne, qui pouroit encore renouveller ses pretentions, et chercher dans l'Europe de nouveaux appuis contre luy ; qu'il devoit être d'autant plus porté à entrer dans ce party, que la memoire de Charles de Blois étoit en benediction dans toute la Chrétienté, depuis les miracles dont le ciel avoit voulu publier son innocence et sa sainteté.

En effet, on aura peine à croire ce qui se passa sur le tombeau de ce pauvre prince; car celuy qui l'avoit tué dans la bataille, s'étant indiscrettement vanté d'avoir fait le coup, tomba dans une rage et dans une frenesie, dont il ne put jamais revenir, ny guerir, que ses amis ne l'eussent transporté sur la tombe de Charles à Guingan. L'homme revint dans son bon sens par les merites de ce prince, et se consacra depuis tout entier au service de cette église où l'on avoit inhumé son liberateur, tâchant d'expier, par la penitence, la sotte vanité qu'il avoit eüe de l'avoir tué. Mais pour revenir au traité qui fut fait entre le comte de Monfort et la duchesse de Bretagne, par le canal de l'archevêque de Rheims, il fut stipulé que cette veuve auroit le domaine de quelques villes et châteaux dans cette province, et que les prisonniers qu'on avoit fait dans la derniere bataille seroient delivrez en payant leur rançon. Cet accord remit en liberté le comte d'Auxerre, le vicomte de Rohan, Bertrand Du Guesclin et les autres.

Bertrand prit aussitôt le chemin de Paris pour venir offrir ses services au roy de France, qui luy fit un accueil tout plein d'honneteté, le rece

« AnteriorContinua »