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Nil pour se jeter dans le fleuve et se sauver dans les vaisseaux qui bordaient la rive. Bibars le poursuivit; et pendant que les nautonniers approchaient pour le recueillir, il l'atteignit et lui ôta la vie. Son corps resta pendant deux jours étendu sur le rivage, privé de la sépulture. Enfin, quelques fakirs (espèce de moines mendiants) l'enlevèrent et allèrent l'ensevelir sur la rive occidentale; Dieu lui fasse miséricorde ! »

On peut comparer le récit qu'on vient de lire avec celui du sire de Joinville, qui y est conforme. Makrizi s'en est éloigné en quelques points. D'après lui, le sultan était encore à table lorsque Bibars lui déchargea un coup de sabre. Aussitôt, le prince se réfugia dans sa tour de bois, criant qu'il voulait exterminer tous les mameloucks baharites; et ceux-ci, effrayés, se réunirent pour le tuer. Le sultan, les voyant avancer le sabre à la main, se retira au haut de la tour et ferma la porte sur lui. Pendant ce temps, le sang coulait de sa main. Les baharites ayant mis le feu à la tour, il descendit pour implorer l'appui d'Octay; il se jeta même à ses genoux. Comme Octay restait inexorable, il courut vers le Nil, en criant : « Je ne veux plus » du trône; qu'on me laisse retourner en Mésopotamie. O musulmans, n'y aura-t-il donc » personne parmi vous qui veuille prendre ma défense? » Mais l'armée resta immobile. Pendant ce temps, les flèches volaient de toutes parts; le sultan se jeta dans l'eau, et les conjurés, se précipitant après lui, le percèrent à coups d'épée. Il mourut donc, à la fois blessé, brûlé et noyé. Tous ses partisans avoient pris la fuite ou s'étaient cachés. Son corps resta trois jours sur le rivage, sans sépulture; ce ne fut que sur les sollicitations du député du calife, qu'on permit de l'ensevelir. Il avait régné un peu plus de deux mois.

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Tel est le récit de Gémal-eddin et de Makrizi. Ces deux auteurs ne font d'ailleurs à ce sujet aucune réflexion le premier se contente de dire que Touran-Schah avait quelque talent naturel, et qu'il était versé dans les arts et les sciences, mais qu'il avait l'esprit léger et le caractère violent.

De son côté, Yaféi rapporte comme un ouïdire, que les quatre mameloucks qui trempèrent leurs mains dans le sang du sultan, étaient les mêmes qui, dix ans auparavant, avaient, par ordre de son père, étranglé Malek-Adel, lorsqu'il fut renversé du trône; ce qui lui donne oc

(1) Pourtant on avait vu dans l'Indostan, deux cents ans auparavant, une femme appelée Radié, jouir de la plénitude de l'autorité souveraine. Il n'est pas moins vrai que les musulmans en général ont une espèce d'hor- |

casion d'observer que, sans doute, Dieu avait voulu punir en la personne de Touran-Schah le meurtre commis par Malek-Saleh. Les autres auteurs arabes ont montré encore plus d'indifférence. Abou-Schamé, écrivain contemporain, cité par Yaféi, après avoir fait un détail dégoûfinit tant de la mort de Touran-Schah, par cette exclamation : « N'est-il pas étonnant que deux si grands événements, la défaite de l'armée du roi de France et la mort du sultan, se soient passés à si peu de distance l'un de l'autre? C'est au commencement du mois de moharram que l'armée chrétienne fut anéantie; et le mois n'était pas encore fini, que le sultan périssait d'une mort honteuse. » Un autre auteur contemporain, Ibn-Giouzi, cité par Yaféi, ne s'étonne que d'une chose c'est, dit-il, que pour faire mourir le sultan, il ne fallut rien moins que le concours du fer, du feu et de l'eau.

Ensuite les émirs et les baharites s'assemblèrent au pavillon du sultan pour délibérer sur le gouvernement. Touran-Schah laissait des enfants, mais ils étaient restés en Mésopotamie; et d'ailleurs, on ne voulait pas élever les fils après avoir fait mourir le père. On décida que Scheger-eddor, veuve de Malek-Saleh, jouirait de l'autorité souveraine; que tout se ferait en son nom, et que, sous elle, un émir, avec le titre d'atabek, aurait le commandement des troupes. La dignité d'atabek fut d'abord offerte à l'émir Hossam-eddin, en considération de la faveur dont il avait joui sous Malek-Saleh ; mais il la refusa, et proposa l'émir Schehabeddin, qui la refusa aussi; un troisième, à qui on l'offrit, refusa encore; enfin, on s'adressa à l'émir Ezz-eddin Aybek, Turcoman d'origine, qui accepta. Alors, les émirs et les troupes prêtèrent serment à Scheger-eddor, en qualité de souveraine, et à l'émir Aybek, en qualité d'atabek. Le nom de Scheger-eddor fut placé sur les monnaies, et la prière fut faite en ce même nom dans les mosquées, ce qui ne s'était jamais vu dans l'islamisme (1). Cet événement surprit tellement, qu'au rapport de Soyouthi, le calife de Bagdad ne put retenir son indignation; il écrivit aux émirs pour leur demander si l'Egypte manquait d'hommes en état de la gouverner, dans lequel cas, il en enverrait un de son choix.

Au reste, suivant Aboulfarage, Scheger-eddor était une personne d'une grande prudence ; aucune femme ne l'égalait pour la beauté, au

reur pour le gouvernement d'une femme. Ils citent à ce sujet une tradition ou sentence sortie de la bouche de Mahomet, ainsi conçue: Pas de bonheur pour un peuple qui est gouverné par une femme.

cun homme pour la force de caractère. Makrizi raconte qu'elle était d'origine turque, d'autres disent arménienne, et qu'elle avait acquis un tel ascendant sur l'esprit de Malek-Saleh, que ce prince ne pouvait rien faire sans elle; il s'en faisait accompagner dans tous ses voyages. Scheger-eddor lui avait donné un fils nommé Khalil, mort en bas âge, et de là, elle prit le titre de mère de Khalil, sur les monnaies et dans tous les actes publics.

Suite de l'année 648 (1250 de J.-C.). Pendant tout ce temps, le roi de France était resté dans sa prison, et l'on n'avait pas songé à lui. Aboulmahassen se contente de dire qu'après l'assassinat de Touran-Schah, quelques mameloucks, les mains encore teintes de sang, se rendirent, le sabre à la main, à la tente du roi, et lui dirent qu'il leur fallait de l'argent. L'ordre s'étant enfin rétabli, on reprit les négociations. Ce fut l'émir Hossam-eddin qu'on chargea de traiter avec le roi, à cause de sa réputation de savoir et de prudence. Après quelques conférences, il fut convenu que Damiette serait rendue, et que le roi serait mis en liberté avec tous les prisonniers encore en vie.

Suivant Aboulmahassen, le roi s'engagea, par le traité, à payer cinq cent mille pièces d'or; Saadeddin dit huit cent mille, mais il ajoute que ces huit cent mille pièces d'or devaient servir de dédommagement pour les provisions et les vivres qui s'étaient trouvés dans Damiette au moment de l'entrée des Francs, et qu'on supposait avoir été consommés: or comme il s'en trouva environ la moitié encore

intacte, la somme fut réduite à quatre cent mille pièces d'or. Makrizi nous apprend que cette somme devait être livrée en deux paiements, et que le roi devait être mis en liberté après le premier.

Tout étant ainsi convenu, on fit monter le roi sur un mulet pour le mener à Damiette. Aboulmahassen rapporte qu'en arrivant, le roi vit des soldats musulmans qui essayaient d'escalader les murs et d'entrer de force. En ce moment, les principales forces qui défendaient Damiette étaient sorties et s'étaient retirées sur les vaisseaux. Il était donc à craindre que la ville ne fût prise, et qu'alors le roi ne fût retenu prisonnier. Le roi, en voyant ces soldats, se troubla et devint pâle; mais ils furent repoussés. Enfin, les chrétiens qui gardaient la ville, après avoir fait quelques difficultés, consentirent, pour obéir au roi, à ouvrir les portes. On était alors au vendredi 3 de safar (5 mai). Le roi fut aussitôt mis en liberté. Cependant, les musulmans, en entrant dans la ville, coururent au

pillage et massacrèrent les chrétiens qui n'étaient pas encore sortis; on fut obligé de les battre et de les mettre dehors pour faire cesser ce désordre. L'occupation de Damiette par les Francs avait duré près d'un an.

Aboulmahassen dit encore que, lorsque les musulmans eurent pris possession de Damiette, l'émir Hossam-eddin proposa de retenir le roi, vu que c'était le prince le plus puissant de la chrétienté, et qu'il serait dangereux de renvoyer un homme qui avait pénétré dans les secrets du gouvernement. Aybek et les autres émirs empèchèrent cette action, disant que ce serait s'exposer au reproche de mauvaise foi, ce qu'il fallait éviter. Mais, ajoute l'historien, l'avis d'Hossam-eddin était sans contredit le plus sage, et si les mameloucks le rejetèrent, ce fut par esprit d'intérêt, ne voulant pas être frustrés de la rançon qu'on leur avait promise.

Enfin, il est dit dans Aboulmahassen que, lorsque le roi se trouva libre avec les seigneurs de sa suite, il envoya un député aux émirs pour leur reprocher leur sottise et leur méchanceté: leur méchanceté, pour avoir massacré leur maitre et leur sultan; leur sottise, pour avoir renvoyé au prix de la modique somme de quatre cent mille pièces d'or, un prince tel que lui, qui était dominateur de la mer, et qui s'était trouvé à leur discrétion. « Par Dieu! ajouta-t-il, vous » m'auriez demandé un royaume que je vous » l'aurais cédé. »

Quoi qu'il en soit de cette anecdote, qui n'est guère vraisemblable, le roi, se voyant libre, mit à la voile pour la Palestine et débarqua dans Acre, d'où, après quelque séjour, il retourna dans ses états. Makrizi rapporte qu'il ramena avec lui son frère, sa femme, les gens de sa suite, et les chrétiens qui étaient retenus prisonniers au Caire et au vieux Caire, au nombre de douze mille cent dix. Dans le nombre, il y en avait qui avaient été pris dans les guerres précédentes. De son côté, le roi mit en liberté tous les captifs musulmans. « Ce fut ainsi, remarque Gémal-eddin, que Dieu purgea l'Egypte de la présence des infidèles. Ce triomphe fut encore plus glorieux que dans l'invasion précédente, sous Malek-Kamel; car les Francs y perdirent beaucoup plus de monde. »

A l'égard de l'armée musulmane, elle reprit le chemin du Caire, au milieu des acclamations et des transports de l'allégresse publique.

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Makrizi rapporte que la nouvelle de ces succès ne tarda pas à se répandre partout, et que joie fut générale parmi les musulmans. A cette occasion, un poète composa les vers suivants, qu'il était censé remettre à un de ses amis, afin

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» Dis-lui qu'on lui reserve la maison du fils de Lokman; qu'il y trouvera encore et ses chaînes et l'eunuque Sabih. »>

Au reste, les auteurs arabes varient sur le nombre des troupes chrétiennes. La plupart disent cinquante mille hommes; Makrizi dit soixante et dix mille. Si l'on en croit Aboulmahassen, l'émir Hossam-eddin assurait avoir entendu, de la bouche même du roi, qu'il avait amené avec lui en Egypte neuf mille et cinq cents cavaliers, et cent trente mille fantassins, sans compter les artisans et les valets de l'armée.

Quant à l'idée que les auteurs arabes donnent du caractère du roi, elle est en général avantageuse. Makrizi est le seul qui le représente comme un esprit rusé, artificieux, sans aucun principe de morale ni de religion. Aboulmahassen dit au contraire, d'après Saad-eddin, écrivain contemporain, que c'était un prince

(1) Il est parlé de ce point de jurisprudence canon:que dans le tome quatrième de la Bibliothèque des Croi sades, p. 370, à propos d'une convention de Saladin avec l'historien Boha-eddin. Sans doute l'émir Hossameddin donnoit à entendre par là qu'il regardait l'expédition du roi comme une entreprise insensée. Quant à ce qu'il dit des dangers de la mer, tout cela est relatif au pèlerinage de Jérusalem, qu'il supposait être l'objet principal de l'expédition du roi; car il remarque que chez les musulmans on n'est pas d'accord sur le plus ou

C. D. M., T. I.

d'un bon naturel, d'un caractère ferme et d'une certaine force de tête. Il était, ajoute-t-il, trèspieux, et c'est de là que les chrétiens avaient tant de confiance en lui.

Voici au reste une conversation que l'historien Gémal-eddin rapporte avoir eu lieu entre le roi et l'émir Hossam-eddin, et qui achèvera de faire connaître la manière dont les musulmans avaient jugé cette croisade. Gémal-eddin la tenait de la bouche même de Hossam-eddin. Cet émir, dans les relations qu'il eut avec le roi au sujet des négociations de la paix, ayant reconnu en lui beaucoup d'intelligence et de bon sens, Jui dit un jour : « Comment a-t-il pu venir dans >> l'esprit d'un homme aussi pénétrant et aussi sensé que le roi, de se confier ainsi à la mer, » sur un bois fragile; de s'engager dans un pays musulman défendu par de nombreuses armées, et d'exposer lui et ses troupes à une perte presque certaine?» A ces mots, le roi sourit et ne répondit rien. L'émir poursuivit : « Un de nos docteurs pense que celui qui expose deux fois sa personne et ses biens à la mer,

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An 648 (1250 de J.-C.) et années suivantes. Après la mort du sultan Touran-schah et l'élévation de Scheger-eddor au trône, les émirs, au rapport d'Aboulféda, s'étaient empressés d'instruire les autorités de Syrie de tout ce qu'ils avaient fait ; ils leur enjoignirent de se conformer à ce qui venait d'avoir lieu mais les Syriens, loin d'obéir, levèrent l'étendard de la révolte, et se mirent sous la dépendance de Malek-nasser, prince d'Alep, lequel prit aussitôt le titre de sultan.

De leur côté, les émirs égyptiens, gouvernés par une femme, ne tardèrent pas à se livrer à l'esprit de sédition; on fut obligé de conférer le titre de sultan à Aybek le Turcoman, et on lui

moins d'obligation du pèlerinage de la Mecque. Les uns croient que lorsqu'on n'a pas d'autre voie que celle de la mer, on en est dispensé, vu les dangers de la route; les autres soutiennent que, puisqu'il n'y a pas d'autres moyens de remplir le précepte, il faut s'y résigner, attendu que le plus souvent on en revient sain et sauf, Voyez le Tableau de l'empire ottoman, par Mouradgea d'Ohsson, t. III, p. 61, édition in-8°; voyez aussi le Jour nal asiatique, t. IX, p. 83 et 90.

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fit épouser Scheger-eddor. Comme l'ordre ne se | rétablissait pas, on fit choix d'un jeune prince du sang de Saladin, appelé Moussa, auquel on remit l'autorité souveraine. Sous le nouveau sultan, Aybek fut réduit de nouveau au titre d'atabek et de commandant des troupes. Pendant ce temps, Malek-nasser se faisait reconnaître à Damas et à Alep, et il s'élevait un troisième sultan au midi de la Syrie; c'était le jeune Moguit, qui avait été salué par la garnison de Gaza et des places voisines. Les émirs égyptiens, désespérant de rétablir le bon ordre, prirent le parti de s'en remettre à la décision du calife de Bagdad.

Cependant le sultan d'Alep avait levé de nombreuses troupes, et avait mis dans ses intérêts les princes de Hamah, d'Emesse et tous ceux qui étaient de la famille de Saladin. Comme il s'avançait vers l'Egypte, les émirs égyptiens prirent aussi les armes, et l'on en vint aux mains dans les environs de Gaza. Les Syriens eurent d'abord l'avantage; mais, ayant poursuivi les fuyards avec trop d'ardeur, ils furent mis dans une pleine déroute; et les émirs égyptiens, qui s'étaient vus à la veille de périr, devinrent plus forts que jamais.

En ce moment, le roi de France était encore en Palestine, occupé à rebâtir quelques places chrétiennes. Les auteurs arabes rapportent que, tant que dura cette guerre, les émirs égyptiens et le sultan de Syrie sollicitèrent à l'envi son alliance. Suivant Yaféi, les premiers lui offrirent, s'il voulait se joindre à eux, la ville de Jérusalem et le reste de la Palestine; de son côté, le sultan de Syrie lui faisait des propositions très-avantageuses.

An 655 (1257 de J.-C.) et années suivantes. Cependant, Aybek le Turcoman avait repris le titre de sultan ; mais l'autorité continuait à être 1; entre les mains de Scheger-eddor tout se faisait par ses ordres; et comme le bruit se répandit qu'Aybek songeait à s'affranchir de cette tutelle, elle le fit étouffer dans un bain. Les émirs, indignés, se saisirent aussitôt de Scheger-eddor et la mirent à mort; son corps fut jeté dans un fossé où il devint la pâture des chiens. Le fils d'Aybek, encore en bas âge, fut proclamé sultan; mais enfin un émir ture, appelé Kotouz, s'empara du gouvernement et prit le titre de sultan.

C'est vers ce temps que les Tartares et les Mogols, sous la conduite d'Houlagou, petitfils de Gengis-kan, après avoir envahi la Perse et l'Asie-Mineure, s'avancèrent en Mésopotamie et menacèrent l'islamisme d'une ruine totale. Houlagou prit Bagdad et détruisit pour toujours l'empire des califes. La Mésopotamie et une partie de la Syrie ne tardèrent pas à recevoir ses lois. Jamais la cause de Mahomet n'avait couru un tel danger. Les Tartares, la plupart idolâtres, montraient du penchant pour le christianisme; aussi les chrétiens d'Arménie et de Syrie n'avaient pas hésité à se joindre à eux.

An 658 (1260). On lit dans Aboulféda qu'à l'approche des Tartares, les chrétiens de Damas, se croyant enfin affranchis du joug qui pesait depuis si long-temps sur eux, montrèrent la plus grande insolence, et insultèrent les musulmans jusque dans leurs mosquées; les Francs de Syrie manifestèrent les mêmes dispositions. Celui d'entre eux qui montra le plus de zèle fut le prince d'Antioche, qui était en même temps comte de Tripoli: ce prince se rendit à Baalbek, pour se concerter avec les Tartares et consommer la ruine de l'islamisme; dans toutes les occasions, il ne cessa d'exciter l'ardeur des Tartares.

Cependant, le sultan Kotouz s'était hâté de rassembler toutes les forces de l'Egypte. Houlagou ayant été obligé de repasser l'Euphrate, Kotouz rentra en Syrie et attaqua les troupes

Enfin, au rapport de Makrizi, on mit bas les armes. Par un traité fait entre le roi et le sultan de Syrie, les chrétiens rentrèrent en possession de tous les pays situés entre le cours du Jourdain et la mer Méditerranée. Ce traité devait durer dix ans, dix mois et dix jours. Par un autre traité, Malek-nasser et les émirs égyptiens se garantirent leurs possessions réciproques : le premier eut la Syrie et les autres l'E-tartares qui gardaient le pays. On était alors gypte. En attendant, comme on avait toujours à craindre quelque nouvelle invasion de la part des chrétiens d'Occident, on se décida à raser Damiette, ville où se dirigeaient depuis longtemps les flottes ennemies. Cette cité fut ren-gés de repasser l'Euphrate. Ainsi, la Syrie versée de fond en comble, et les habitants s'établirent ailleurs. Quelques-uns élevèrent des cabanes sur les bords du fleuve, à quelque distance de l'ancienne Damiette, loin des bords de la mer. C'est ce qui donna naissance à la Damiette d'aujourd'hui.

au vendredi 25 de ramadan (septembre). L'action eut lieu dans les environs du Jourdain. Les Tartares, commandés par un lieutenant d'Houlagou nommé Ketboga, furent vaincus et obli

retomba au pouvoir de l'islamisme. Dans les premiers transports de leur joie, les musulmans se vengèrent des insultes qu'ils avaient reçues. A Damas, les maisons des chrétiens furent pillées, plusieurs églises détruites, et les chrétiens exposés à toute sorte d'outrages; Makrizi rap

porte même que plusieurs furent égorgés et le reste mis en prison. Ensuite, quand le sultan fit son entrée dans la ville, on leva sur eux une forte somme d'argent.

An 659 (1260). Le sultan Kotouz, après sa victoire, s'était empressé de rétablir les choses dans leur ancien état. Il avait enfin repris le chemin de l'Egypte, lorsque arrivé aux sables qui la bornent du côté de la Syrie, il fut assassiné dans un endroit écarté. Ce meurtre fut l'ouvrage de Bibars-Bondocdar, le même qui avait déjà trempé ses mains dans le sang de Touran-schah. Ce qui le porta à cette action, c'est qu'il avait demandé le gouvernement d'Alep, et que le sultan le lui avait refusé.

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Aboulféda rapporte qu'après l'assassinat, Bibars et ses complices s'étant présentés, les mains encore dégouttantes de sang, au chef des émirs, celui-ci demanda qui avait commis le meurtre : « C'est moi, dit Bibars. En ce cas, » répondit le chef des émirs, l'autorité t'appar» tient. » Et Bibars fut aussitôt proclamé sous le titre de Malek-daher, ou roi triomphateur. Il avait eu d'abord l'intention de prendre celui de Malek-kaher, ou roi terrible; mais on lui fit observer que ce titre ne serait pas de bon augure.

Dès que Bibars fut maître des affaires, il s'occupa des deux grands objets qui illustrèrent son règne la ruine des chrétiens de Syrie et l'abaissement des Tartares. Les Francs, à l'aide de la longue paix dont ils jouissaient depuis l'invasion du roi de France, et surtout à la faveur de la diversion des Tartares, avaient acquis un grand accroissement de forces. Le prince d'Antioche surtout avait étendu son autorité sur les terres musulmanes voisines d'Alep, et ne cessait de menacer tout le nord de la Syrie; de leur côté, les Tartares, quoique plusieurs fois repoussés, n'étaient rien moins qu'abattus, et attendaient l'occasion favorable pour rentrer en Syrie.

Le sultan résolut d'abord de mettre l'Égypte à l'abri des invasions des Francs, et, dans cette vue, il fit fermer la bouche de la branche du Nil qui passe à Damiette. On a déjà vu que cette ville, dans la même intention, avait été entièrement rasée. Le sultan voulut ôter tout moyen aux vaisseaux chrétiens de pénétrer dans le cœur du pays. Ce fait est ainsi raconté par Makrizi: « On enfonça des troncs d'arbre dans le lit du

(1) Quelques écrivains, pour avoir ignoré ce fait, ont cru mal à propos que la distance qui existe entre la Damiette actuelle et la mer, provient en entier du limon que le Nil charrie chaque année dans la mer, et là dessus ils se sont exagéré l'importance des alluvions. Voltaire

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| fleuve, à l'endroit où il se jette dans la mer, et | il devint impossible aux gros navires de le remonter. Encore aujourd'hui, poursuit Makrizi, les gros bâtiments qui viennent par mer ne peuvent franchir le passage; on est obligé de décharger les marchandises sur des barques particulières nommées germes, qui les transportent à la nouvelle Damiette : un gros bâtiment ne pourroit tenter le passage sans de grands dangers. La Damiette actuelle n'est pas à la même place que l'ancienne; elle est plus éloignée de la mer (1) : elle commença par des cabanes de roseaux, et aujourd'hui elle est devenue une ville importante, commerçante, ornée de bains, de mosquées, de colléges, en un mot une des plus belles villes de Dieu qui se puissent voir. »

Ensuite Bibars s'occupa à se faire des alliés chez les chrétiens d'Occident, et à s'instruire par leur moyens de tous les projets des ses ennemis. Dans cette vue, il envoya une ambassade à Manfred ou Mainfroi, qui avait succédé à Frédéric II, dans le royaume de Naples et de Sicile, et qui, par ses querelles avec le saint siége, était tout disposé à favoriser l'islamisme. Celui qu'il choisit pour cette mission est l'historien Gémal-eddin, le même que nous avons si souvent cité. Gémal-eddin rapporte lui-même qu'il fut très-bien accueilli, et que non seulemeut Mainfroi lui permit de rester auprès de lui, mais qu'il l'admit dans sa société. Gémal-eddin parle avec admiration du crédit dont les musulmans jouissaient à la cour de Mainfroi: ce prince en avait un grand nombre à son service, et leur témoignait en toute occasion la plus grande confiance; on proclamait dans son camp la prière, et l'islamisme y était publiquement professé.

Un autre auteur arabe, Yaféi, rapporte que Bibars, pour mieux s'attacher Mainfroi, lui envoya en présent une giraffe et quelques prisonniers tartares, avec leurs chevaux de race mogole. Ces relations entre le sultan et Mainfroi durèrent jusqu'à la mort de ce dernier; Makrizi eu fait mention plusieurs fois. Après Mainfroi, Bibars essaya d'en établir de nouvelles avec son successeur, Charles d'Anjou, lequel lui envoyait de temps en temps des lettres dans lesquelles il se disoit son très-dévoué serviteur.

Il arriva alors un événement très-funeste aux chrétiens d'Orient, et qui remplit Bibars de joie; ce fut la chute de l'empire fondé par les Latins à Constantinople, et l'expulsion des Francs

avait déjà commis cette erreur dans la Philosophie de l'histoire; M. le baron Cuvier l'a répétée. Voyez son discours préliminaire sur les ossements fossiles, p. 70 de la dernière édition.

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