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Francs s'entourèrent d'abord de fossés, de murs et de palissades; ils dressèrent aussi leurs machines, et les firent jouer contre ceux qui défendaient la rive opposée. Ils avaient leur flotte à portée sur le Nil. Pour la flotte musulmane, elle était aussi sur le Nil, et avait jeté l'ancre sous les murs de Mansoura. On commença par s'attaquer à coups de traits et de pierre, tant sur terre que sur le fleuve. Il ne se passait presque pas de jours sans quelques combats; chaque fois un certain nombre de chrétiens étaient tués ou faits prisonniers ; des braves de l'armée musulmane allaient jusque dans leur camp et les enlevaient dans leurs tentes; quand ils étaient aperçus, ils se jetaient à l'eau et se sauvaient à la nage. Il n'y avait pas de ruse qu'ils ne missent en œuvre pour surprendre les chrétiens. J'ai ouï dire que l'un d'eux imagina de creuser un melon vert et d'y cacher sa tête; de manière que, pendant qu'il nageait, un chrétien s'étant avancé pour prendre le melon, il se jeta sur lui et l'emmena prisonnier. Vers le même temps la flotte musulmane s'empara d'un navire chrétien monté par deux cents guerriers. Un autre jour, dans le mois de schoual (janvier 1250), les musulmans traversèrent le canal et attaquèrent les chrétiens dans leur propre camp; plusieurs d'entre les Francs perdirent la vie, d'autres furent faits prisonniers ; le lendemain il en arriva soixante-sept au Caire, entre lesquels on remarquait trois templiers. Un autre jour, la flotte musulmane brûla un vaisseau chrétien.

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Cependant le canal qui séparait les deux armées n'était pas large, et encore il offrait plusieurs gués faciles. Un mardi, 5 de doulcada (8 février), la cavalerie chrétienne, conduite par un perfide musulman, passa à gué à l'endroit nommé Salman, et se déploya sur l'autre rive. Ce mouvement fut si subit qu'on ne s'en aperçut pas à temps : les musulmans furent surpris dans leurs propres tentes. L'émir Fakr-eddin était alors au bain. Aux cris qu'il entendit, il sortit précipitamment et monta à cheval; mais déjà le camp était forcé, et Fakr-eddin s'étant avancé imprudemment, fut tué. Dieu ait pitié de son âme (1)! sa fin ne pouvait être plus belle. Il avait joui de l'autorité un peu plus de deux

mois.

Cependant, le frère du roi de France avait pénétré en personne dans Mansoura, Il s'avança

(1) On lit dans Makrizi un trait qui montre quel désordre effroyable régnait alors dans l'armée musulmane. Le bruit de la mort de Fakr-eddin n'ayant pas tardé à se répandre, les mameloucks et une partie des émirs se débandèrent pour courir à sa maison et la piller. Ses coffres furent brisés, l'argent fut enlevé, les meubles et les

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jusque sur les bords du Nil, au palais du sultan. Les chrétiens s'étaient répandus dans la ville. Telle était la terreur générale, que les musulmans, soldats et bourgeois, couraient à droite et à gauche dans le plus grand tumulte ; peu s'en fallut que toute l'armée ne fût mise en déroute. Déjà les Francs se croyaient assurés de la victoire, lorsque les mameloucks, appelés giamdarites et baharites, lions des combats et cavaliers habiles à manier la lance et l'épée, fondant tous ensemble et comme un seul homme sur eux, rompirent leurs colonnes et renversèrent leurs croix (2). En un moment ils furent moissonnés par le glaive, ou écrasés par la massue des Turcs; quinze cents d'entre les plus braves et les plus distingués couvrirent la terre de leurs cadavres. Ce succès fut si prompt, que l'infanterie chrétienne, qui était déjà parvenue au canal, ne put arriver à temps. Un pont avait été jeté sur le canal. Si la cavalerie avait tenu plus long-temps, ou si toute l'infanterie chrétienne avait pu prendre part au combat, c'en était fait de l'islamisme : mais déjà cette cavalerie était presque anéantie; une partie seulement parvint à sortir de Mansoura et se réfugia sur une colline nommée Gédilé, où elle se retrancha. Enfin, la nuit sépara les combattants. Cette journée devint la source des bénédictions de l'islamisme et la clé de son allégresse. Lorsque l'action commença, un pigeon en apporta la nouvelle au Caire. On était alors dans l'aprèsmidi. Le billet était adressé à l'émir Hossam

eddin, qui me le donna à lire; il était ainsi conçu : « Au moment où ce billet est écrit, >> l'ennemi fond sur Mansoura; on en est aux >> mains. » Il ne contenait rien de plus. Ces paroles nous frappèrent tous de terreur; on regardait généralement l'islamisme comme perdu. A la fin du jour, les fuyards commencèrent à arriver du camp; la porte de la Victoire, tournée de ce côté, resta toute la nuit ouverte pour leur donner asile. Enfin, le lendemain, au lever du soleil, nous reçûmes l'heureuse nouvelle de la

victoire des musulmans. Aussitôt le Caire et le vieux Caire se couvrirent de tapisseries; les rues retentirent des marques de la joie publique; les cœurs se livrèrent à l'allégresse, l'on commença à se rassurer sur l'issue de cette guerre. >>

et

Vers le même temps on apprit que le nou

chevaux emportés; après quoi la maison fut livrée aux flammes.

(2) Makrizi remarque qu'au milieu des Tures brillait surtout Bibars Bondocdar, le même qui devint sultan dans la suite.

sitôt le vent changea; les navires chrétiens furent poussés les uns contre les autres, et l'islamisme triompha. » Soyouthi ajoute que les musulmans témoins de ce miracle s'écrièrent tout d'une voix : « Grâces soient rendues au » Seigneur, qui a suscité parmi les disciples de >> Mahomet un homme à qui le vent obéit!»

veau sultan était sur le point d'arriver. Ce prince, au rapport de Makrizi, n'eut pas plutôt appris la mort de son père, qu'il fit ses dispositions pour venir occuper le trône. Il était instruit des secrets desseins de Fakr-eddin et craignait d'être prévenu; il brava les menaces des princes de Mésopotamie, ses ennemis. En vain des embûches lui furent tendues sur la route; il se mit en marche avec cinquante cavaliers seulement, et arriva sain et sauf à Damas, d'où, après quelques jours de repos, il se rendit à Mansoura. On était alors au 24 de doulcada (27 février), dix-neuf jours après la bataille. A l'approche du sultan, les émirs et les mameloucks allèrent à sa rencontre, en lui prodiguant à l'envi les marques de respect. Ce fut alors que l'on commença à parler publique-l'armée chrétienne avait à souffrir d'une horment de la mort de Malek-Saleh : jusque-là, il n'avait été censé que malade. Touran-Schah monta donc paisiblement sur le trône, et tous le reconnurent sans difficulté.

An 648 (1250). Après l'arrivée de TouranSchah, la guerre recommença avec une nouvelle fureur. Comme les chrétiens recevaient leurs provisions de Damiette, le sultan essaya d'intercepter leurs communications, par une entreprise semblable à celle qui avait réussi trente ans auparavant à son aïeul, le sultan Malek-Kamel. Il fit démonter, au rapport de Makrizi, plusieurs navires qu'on transporta à dos de chameau du côté de l'occident, dans le canal de Méhallé. Ce canal se jette dans le Nil, en face de Baramoun, et l'on pouvait de là inquiéter les navires chrétiens qui remontaient ou descendaient le fleuve. En même temps, la flotte musulmane, qui avait jeté l'ancre sous les murs de Mansoura, descendit le fleuve, et les vaisseaux chrétiens furent pris en tête et en queue. Bientôt cinquante-deux d'entre eux, dit Gémaleddin, tombèrent au pouvoir des musulmans. « J'étais, ajoute-t-il, le jour même du combat, dans Mansoura, et je passai de l'autre côté du Nil pour jouir de ce spectacle. Dans cette journée, Dieu couvrit l'islamisme de gloire et brisa les forces des infidèles. »

On lit sur ce même combat, dans Soyouthi, un trait qui fait voir quel était l'esprit des musulmans : « Il y avait alors, dit-il, au camp un schéikh nommé Ezz-eddin, fils d'Abd-Alsalam, qui faisait le prophète, et qui avait prédit que les musulmans, après quelques revers, finiraient par l'emporter. Le jour du combat, ce schéickh ayant vu que le vent soufflait contre les vaisseaux musulmans et les menaçait d'une ruine entière, se mit à crier de toute sa force: O vent, souffle contre les vaisseaux des Francs! Aus

Dès lors, les chrétiens se trouvèrent dans le plus grand embarras. Suivant la remarque de | Gémal-eddin, leurs communications étaient coupées avec Damiette, et ils ne recevaient plus de provisions. Ils écrivirent au sultan pour lui demander la paix, offrant de rendre Damiette, si on leur cédait Jérusalem et la Palestine; mais leurs propositions furent rejetées.

Aboulmahassen rapporte que dans ce moment

rible épidémie, suite naturelle de la disette; après quoi il poursuit ainsi : « Les Francs, se trouvant sans ressources, résolurent de profiter des ténèbres de la nuit pour quitter leur camp et gagner Damiette. Une partie de leurs troupes était sur la rive méridionale du canal d'Aschmoun, du côté de Mansoura; l'autre partie occupait l'ancien camp: un pont de bois de pin, jeté sur le canal, servait à la communication des deux corps d'armée. Leur retraite fut si précipitée, qu'ils négligèrent de couper le pont. Leurs tentes furent laissées dans le même état qu'auparavant; ils n'emportèrent pas même leurs bagages.

>> Les musulmans s'étant aperçus de ce mouvemen, passèrent aussitôt le pont et se mirent à la poursuite des chrétiens. On était alors dans la nuit du mercredi 3 de Moharram (6 avril), jour marqué pour un insigne triomphe et une victoire éclatante. Les Francs s'étaient mis en marche du côté de Damiette, infanterie et cavalerie, suivis de leurs vaisseaux qui côtoyoient la rive; les musulmans les poursuivirent toute la nuit et les atteignirent le lendemain au matin. Presque tous furent tués ou faits prisonniers; très-peu se sauvèrent; on dit qu'il en périt ce jour-là trente mille. Les mameloucks du sultan se distinguèrent le plus dans cette journée. Le roi de France et sa suite se réfugièrent sur une hauteur, dans le village appelé Minié-AbouAbdallah, où ils ne tardèrent pas à être cernés de toutes parts. Déjà la flotte chrétienne qui descendait le fleuve avait été détruite, et il ne restait plus de moyen de salut. Environ cinq cents chrétiens des plus braves se rallièrent autour de leur roi comme ils ne pouvaient résister, ils se rendirent. L'eunuque Gémal-eddin les reçut à composition, et les ramena à Mansoura. Le roi fut placé sur un héraké ou bateau, et conduit à

Mansoura, sous l'escorte de la flotte musulmane et au bruit des trompettes et des tambours. Les prisonniers chrétiens étaient menés garottés avec des cordes. L'armée musulmane défilait sur la rive orientale dans une attitude triomphante, tandis que, sur l'autre rive, les Arabes et tout le peuple s'avançaient avec de grandes démonstrations de joie, en se félicitant de cette grande victoire.

>> Pendant ce temps, les débris de l'armée chrétienne continuaient à fuir vers Damiette, mais toujours en se défendant. A la fin, ils furent entièrement détruits. Deux cavaliers seulement parvinrent à s'échapper; encore se virentils à la fin obligés de se jeter dans le fleuve, où ils se noyèrent. Le butin fut immense. Cette journée fut vraiment admirable; en un mot, une grande journée.

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avec bonté. Aboulmahassen rapporte, d'après Saad-eddin, « qu'un jour le sultan envoya par honneur au roi de France et aux seigneurs qui étaient avec lui, des khilas ou habits d'honneur, au nombre de plus de cinquante. Tous les revêtirent, excepté lui; il répondit qu'il était aussi riche en domaines que le sultan, et qu'il ne lui convenait pas de revêtir les habits des autres. Le lendemain, suivant le même Saad-eddin, le sultan ayant invité le roi à un festin splendide, ce maudit refusa d'y assister, prétendant qu'on vouloit le donner en spectacle et le couvrir de ridicule. »>

On lit, dans la Chronique syriaque d'Aboulfarage, une autre particularité qui mérite d'être rapportée; c'est que, sur ces entrefaites, la reine, femme du roi de France, qui était restée à Damiette, ayant accouché d'un fils, le sultan envoya de riches présents à la mère, avec un berceau d'or et des vêtements magnifiques pour l'enfant.

Pendant ce temps, on négociait pour la paix, et des députés allaient et venaient de part et d'autre. Comme on était sur le point de se mettre d'accord, le sultan reprit avec son armée le chemin de Damiette, et vint s'établir dans les environs de cette ville, sur les bords du Nil, à Farescour, où il fit dresser un pavillon et une

Aboulmahassen remarque, d'après un auteur contemporain nommé Saad-eddin, qu'il n'eût tenu qu'au roi de France d'éviter son malheureux sort, en se sauvant à temps, soit sur un cheval, soit dans un bateau; mais qu'il préféra demeurer à l'arrière-garde, pour veiller au salut de ses troupes. Saad-eddin dit de plus que le nombre des chrétiens qui furent faits prisonniers en cette occasion, fut de plus de vingt mille, sans compter sept mille hommes qui périrent dans le combat ou se noyèrent. « J'ai vu, ajoute-tour de bois, et se livra à la débauche. Il s'était t-il, j'ai vu les morts et les mourants; ils couvraient par leur masse la face de la terre. Jamais journée ne fut si glorieuse; il ne périt pas plus de cent musulmans dans cette occasion. »

Cependant le roi de France, à son arrivée à Mansoura, fut chargé de chaînes, et logé dans la maison du scribe Fakr-eddin, fils de Locman. L'eunuque Sabih fut commis à sa garde. Makrizi observe qu'un de ses frères avait été pris avec lui, et qu'ils furent enfermés ensemble: un homme était chargé de leur apporter tous les jours à manger. Quant au reste des prisonniers, ajoute Makrizi, comme ils embarrassaient par leur multitude, le sultan ordonna à un de ses émirs de l'en défaire peu à peu. Chaque jour cet émir, appelé Sayf-eddin-Youssouf, et l'un de ceux qu'il avait amenés de Mésopotamie, mettait trois ou quatre cents de ces prisonniers à part et leur coupait la tête, après quoi il jetait leurs corps dans le fleuve. Cela dura jusqu'à ce qu'il ne restât presque plus de prisonniers. Si l'on en croit Aboulmahassen, le sultan avait d'abord placé en réserve les artisans et les gens de métiers, afin de mettre à profit leur industrie; mais ensuite il les fit mourir comme les autres.

Pour ce qui est du roi, le sultan le traita

fait accompagner, dans son voyage, du roi de France et des principaux prisonniers. C'est de là qu'il écrivit de sa main à l'émir Gémal-eddin, vice-roi de Damas, une lettre où il lui rendait compte des derniers événements. Dans cette lettre, il l'appeloit son père; la voici; nous l'empruntons de la Description de l'Egypte, par Makrizi, à l'article Damiette: «Louanges à Dieu,

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qui nous a tirés de notre tristesse ; car c'est de Dieu que nous vient la victoire. En ce jour » les fidèles sont dans la joie, àc ause de la » victoire que Dieu leur a envoyée. Quant aux >> bienfaits du Seigneur, contente-toi d'en don» ner une idée; car si tu voulais les énumérer, tes efforts seroient inutiles. Sans doute, son » excellence le vice-roi de Syrie et tous les mu>> sulmans avec lui auront été ravis de joie en apprenant les grâces que Dieu vient de répandre sur l'islamisme. Il nous a donné la vic>>toire sur les ennemis de notre religion. Déjà >> les Francs s'étaient rendus tout-puissants; leur » malice était devenue formidable: les fidèles » commençaient à désespérer du salut de leur » patrie, de leurs familles, de leurs enfants, » malgré le précepte de l'Alcoran, qui dit de ne jamais désespérer de l'esprit de Dieu. Tout coup, le lundi, commencement de cette heu

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» reuse année (4 avril 1250), Dieu mit le com» ble à ses faveurs pour l'islamisme. Déjà nous avions ouvert nos trésors, prodigué nos ri» chesses, distribué des armes. A notre appel, » des Arabes et des volontaires dont Dieu seul » connaît le nombre, s'étaient rassemblés sous » nos drapeaux ; il en était venu des régions les » plus éloignées. Quand l'ennemi fut témoin de » tant d'ardeur, il demanda la paix aux mêmes » conditions que sous Malek-Kamel. Nous rejetâmes avec mépris ses propositions. Alors, » la nuit du mardi, les infidèles abandonnèrent ⚫ leurs tentes et leurs bagages, et s'enfuirent » du côté de Damiette. Nous nous mîmes à leur poursuite, et nos épées ne cessèrent, durant toute la nuit, de se jouer sur leurs dos. Déjà ils étaient tombés au dernier degré de l'opprobre et du malheur. Le lendemain, nous en - massacrâmes trente mille, sans compter ceux qui furent engloutis dans les flots; nous ôtâmes aussi la vie aux prisonniers, et nous jetâmes leurs corps dans le fleuve. Si tu veux te faire une idée du nombre des morts, tu n'as qu'à te figurer les sables de la mer; tu ne te tromperas pas. Le roi de France s'était réfugié à Minié-Abou-Abdallah; il nous demanda la vie sauve, et nous la lui accordâmes; il se remit entre nos mains, et nous usâmes envers lui de bons traitements. Il a promis de nous rendre Damiette par une faveur spéciale de la suprême majesté. » Makrizi ajoute que cette lettre conenait beaucoup d'autres choses qu'il a passées your abréger. Il dit encore que le sultan avait oint à la lettre le propre manteau du roi de France, qui avait été pris dans la déroute; il tait d'écarlate, fourré d'hermine. Le vice-roi evêtit ce manteau, et l'on composa les vers suivants à cette occasion:

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de repos pour se débarrasser de tous ceux qui lui portaient ombrage. On lit ce qui suit dans la chronique arabe d'Aboulfarage.

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Le sultan voyait avec peine qu'il ne pouvait disposer du pouvoir comme il aurait voulu; les anciens émirs de son père avaient presque toute l'autorité; son impatience était encore excitée par les jeunes gens qu'il avait amenés de Mésopotamie, tous compagnons de son enfance et confidents de ses débauches. « Toute la puissance, » lui disaient-ils, est entre les mains de Scheger-eddor et des émirs; vous n'êtes souve>> rain que de nom : à ce prix, il eût mieux valu >> rester en Mésopotamie. Jusqu'ici, vous avez >> avez eu besoin des émirs pour tenir tête aux » Francs. Que ne faites-vous la paix avec le roi de France, et vous serez le maître. Si vous le » traitez bien, il consentira à tout: il vous ren» dra Damiette; il évacuera l'Egypte, et alors » vous vous passerez des émirs; vous ne serez plus à la merci de l'armée; vous laisserez qui » vous voudrez en place, et vous déposerez ceux qui vous déplairont.

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Touran-Schah se laissa persuader et se hâta de conclure la paix ; telle était sa précipitation, qu'il ne prit pas même la peine de consulter les émirs : cette conduite causa une indignation générale. L'historien Gémal-eddin se plaint d'abord de ce que le sultan n'avait pas profité de l'état déplorable où étaient les chrétiens, pour attaquer Damiette et s'en emparer. Par-là, ditil, on eût été maître de cette place, et l'on eût fait du roi ce que l'on aurait voulu. Il reproche encore au sultan de passer son temps à Farescour, uniquement occupé de ses plaisirs. « Ce malheureux, ajoute-t-il, entraîné par sa fatale destinée, courait à sa perte. Un jour l'émir Hossam-eddin, gouverneur du Caire et homme très-sage, me dit : « Ce jeune homme (le sultan) >> se conduit comme son oncle Malek-Adel (1); ses » vues sont les mêmes : il mécontente les émirs; » comme lui il sera déposé et massacré. » Sur ces entrefaites, Hossam-eddin étant venu du Caire pour faire sa cour au prince, il ne lui fit pas l'accueil qu'il méritait; l'émir ne voyait le sultan qu'aux heures de repas, et on ne le consultait sur aucune affaire. Touran-Schah en usait de même avec tous les émirs de son père et les grands de l'empire; il affectait de les tenir loin de sa personne, ne les voyant qu'à table, en présence de la foule des courtisans: dès que le repas était fini, il les renvoyait à leurs tentes. Toute sa confiance était pour les jeunes gens

(1) Malek-Adel était le fils aîné du sultan Malek-Kamel et son successeur au trône d'Egypte. Comme il mécontenta les émirs, on se souleva contre lui et il fut étranglé,

peu

qui étaient venus avec lui de Mésopotamie. | la tête du prince. Le sultan ayant envoyé la Ainsi, il mettait son appui sur des gens inconnus au peuple. Son dessein était de changer le gouvernement, et pour cela il n'attendait pas même d'être affermi; bien différent de son père Malek-Saleh, qui, dans des circonstances près pareilles, n'avait rien fait que lentement et par degrés. Il s'aliéna par là tous les esprits, particulièrement l'émir Faress - eddin Octay, chef des mameloucks giamdarites, homme trèspuissant, qui, après la mort de Malek-Saleh, était allé le chercher en Mésopotamie, et l'avait accompagné en Egypte à travers mille dangers. Le sultan avait promis à cet émir de lui donner en récompense le gouvernement d'Alexandrie; il ne lui tint point parole. En vérité, quand Dieu veut une chose, il en prépare les causes. »

Makrizi fait le même tableau de la conduite du sultan envers les émirs. Il dit que tous les hommes puissants, tous ceux qui avaient eu jusque-là le pouvoir de lier et de délier, étaient vus de mauvais œil et éloignés des affaires. Le bruit courut, sur ces entrefaites, que le sultan avait tenté de se défaire d'Octay, soit par l'exil, soit par le meurtre, et les mameloucks commencèrent à craindre pour eux-mêmes. Dans le même temps, au rapport de Makrizi, TouranSchah mécontenta Scheger-eddor, qui l'avait si bien servi lors de la mort de son père, et il lui demanda compte des trésors de l'état. Schegereddor, indigné, répondit que ces trésors avaient été dépensés dans la guerre contre les infidèles, et se plaignit amèrement aux mameloucks baharites. Les plaintes de Scheger-eddor firent beaucoup d'impression sur l'esprit des mameloucks. A cela se joignirent les menaces imprudentes de Touran-Schah. On rapporte que la nuit, au milieu des fumées du vin, il ramassait tous les flambeaux qui étaient sur la table, et en coupait la sommité avec son sabre, disant qu'il en ferait autant aux chefs des baharites, qu'il désignait par leurs noms.

Plusieurs mameloucks résolurent sa mort. Cet événement est ainsi raconté par Gémal-eddin, qui était alors en Egypte, et qui mérite toute confiance. « Le lundi matin 29 de moharram (1 mai), après que le sultan et les émirs se furent levés de table, et tandis qu'ils se retiraient, ceux-ci à leurs tentes et le prince à son pavillon pour s'y reposer, Bibars Bondocdar, un des mameloucks giamdarites, et le même qui devint sultan dans la suite, entra tout à coup, le sabre à la main, et en déchargea un coup sur

(1) Un autre auteur arabe dit que les mameloucks menacèrent d'affranchir l'Egypte du joug de l'autorité spi

main pour parer le coup, ne fut blessé qu'aux doigts. Cependant, à la vue du sang, Bibars fut si saisi d'effroi, qu'il jeta son sabre et prit la fuite. Pour le sultan, il perdit d'abord connaissance; ensuite, revenant à lui, il s'assit sur un sopha et appela du secours. Alors les mameloucks baharites vinrent le trouver et lui demandèrent qui l'avait blessé. Il répondit que c'était un baharite. C'est peut-être, répondirent les baharites, un ismaélien (sectateur du Vieux de la | Montagne). Non, répartit le prince, ce ne peut » être qu'un baharite; j'en suis sûr. » A ces mots, les mameloucks sortirent tout troublés; et jugeant qu'il n'y avait plus de salut pour eux, ils conspirèrent la mort du sultan. Pendant que le prince s'était rendu à sa tour de bois, sur les bords du Nil, et qu'il se faisait panser, ils s'avancèrent les armes à la main, ayant l'émir Octay à leur tête. Le sultan se hâta d'ouvrir une fenêtre pour appeler du secours : mais personne ne vint le défendre; tous les cœurs étaient tournés contre lui. D'ailleurs, on voyait les baharites décidés à tout, et chacun craignait pour soi; car on ne pouvait lutter avec eux pour la force et le courage. Les mameloucks firent d'abord apporter du bois dans l'intention de mettre le feu à la tour. En même temps Octay criait au sultan : « Descends ! descends! ne crains

rien; sinon nous allons te brûler. » Déjà la tour était environnée, et personne ne pouvait approcher. L'émir Hossam-eddin s'étant avancé à cheval avec le corps des mameloucks connus sous le nom de keymarites, trouva le passage fermé, et les baharites lui dirent que le sultan était mort, et que ce serait vouloir inutilement compromettre l'islamisme. Le député du calife de Bagdad, qui était au camp, et qui voulut aussi s'interposer en faveur du prince, fut arrêté par les baharites, et menacé de la mort s'il allait plus avant (1). Quelques chefs essayèrent de faire battre le tambour, dans l'espoir de mettre le reste de l'armée en mouvement; mais les baharites firent cesser ce bruit par leurs menaces. Cependant le sultan, persuadé par les instances d'Octay, était descendu de la tour. Octay lui fit les plus sanglants reproches. Vainement Touran-Schah s'efforça de le toucher, lui disant : « Je t'ai promis Alexandrie, je te tien» drai parole; je ferai tout ce que tu voudras. » Octay resta inexorable. Bibars Bondocdar s'avança de nouveau, le sabre à la main, pour tuer le prince. Le sultan courut aussitôt vers le

rituelle du calife, si le député faisait la moindre démarche.

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