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rames pour rentrer dans leurs principautés. Une bataille mit fin à cette querelle : les Karismins, vaincus, furent exterminés ; la plupart de ceux qui se sauvèrent furent assommés par les paysans et les habitants des campagnes; d'autres allèrent se fondre dans les armées tartares qui désolaient alors l'Asie, et il ne fut plus question d'eux.

Pendant que ces événements se passaient en Orient, l'Occident était déchiré par les querelles de Frédéric et du Saint-Siége. Un auteur arabe qui prend le nom de Yaféi, cite un fait que nous ne garantissons pas, mais qu'il est bon de connaître, pour savoir quelle idée les musulmans se faisaient de ces divisions. Un vaisseau, dit-il, venu de Sicile à Alexandrie, annonça que le pape, irrité contre l'empereur, avait engagé trois des courtisans du prince à le tuer pendant la nuit, sous prétexte qu'intérieurement il était musulman: pour les décider, il leur avait partagé d'avance les états du prince. L'empereur ayant été averti du complot, fit coucher un de ses gardes dans son lit, et se cacha lui-même dans un endroit voisin avec cent soldats. Au moment fixé, les trois assassins se jetèrent sur le garde et le poignardèrent. L'empereur ne douta plus de la vérité; et sortant du lieu où il était, il tua les assassins de a main; ensuite il les fit écorcher: on remplit leur peau de paille, et ils furent suspendus pour l'exemple à la porte du palais. L'auteur ajoute que le pape, informé du mauvais succès de ses démarches, envoya une armée contre Frédéric, et que de nouvelles querelles s'élevèrent entre les princes chrétiens. A la même époque, Makrizi dit un mot d'une ambassade du pape au sultan d'Egypte.

An 646 (1248). On sait que saint Louis ne put retenir ses larmes lorsqu'il apprit les malheurs de la Terre-Sainte; son premier mouvement fut de se revêtir de la croix et de marcher pour aller délivrer les saints lieux. Makrizi et Yaféi nous apprennent que la première nouvelle de cette expédition vint au sultan par Frédéric; ce fut par l'intermédiaire d'un député déguisé en marchand. Le sultan était alors en Syrie, occupé à y établir son autorité. Déjà il était attaqué de la maladie qui l'emporta bientôt au tombeau; c'était une tumeur au jarret, laquelle, ayant dégénéré en ulcère, lui ôtait toute facilité d'agir. A la nouvelle du danger qui menaçait ses états, il se fit transporter en litière en Egypte.

An 647 (1249). C'est cette année que le roi de France fit sa descente en Egypte. Son nom, ainsi que l'observe Makrizi, était Louis, fils de

| Louis, et on le surnommait le Français. Tous les Francs établis en Palestine étaient venus se joindre à lui.

Ce roi, au rapport de Gémal-eddin, était un des plus puissants princes de l'Occident; il était roi de France (reyd-efrens). « Le peuple de France, ajoute-t-il, s'est rendu célèbre entre toutes les nations des Francs. Ce roi était trèsreligieux observateur de la foi chrétienne. II voulait conquérir la Palestine, et soumettre d'abord l'Egypte. Il était accompagné de cinquante mille guerriers, et venait de passer l'hiver dans l'île de Chypre. Il se présenta sur la côte, près de l'embouchure de la branche du Nil qui passe à Damiette, un vendredi 21 de safar (4 juin 1249). Le sultan était alors campé à Aschmoun-Thenah, sur le canal d'Aschmoun, non loin de Mansoura; c'est de là qu'il avait ordonné les préparatifs nécessaires. Il avait fourni Damiette de tout ce qui pouvait mettre la place en état de faire une longue résistance des vivres et des provisions y avaient été amassées pour plus d'une année; une forte garnison en avait la défense; on distinguait entre autres les Arabes kénanites, guerriers fameux par leur bravoure. De plus, le lit du fleuve était gardé par des vaisseaux envoyés du Caire. Enfin, une armée formidable, sous la conduite de l'émir Fakr-eddin, qui avait figuré dans les négociations du père du sultan avec l'empereur Frédéric, occupait la côte où

les chrétiens devaient aborder.

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Makrizi rapporte que le roi de France, avant de mettre pied à terre, crut devoir écrire au sultan, comme pour lui faire sa déclaration ; si on l'en croit, la lettre était ainsi conçue : « Tu n'ignores pas (1) que je suis le chef de la chrétienté, comme tu l'es de l'islamisme. Tu n'i» gnores pas de quelle manière j'ai traité les » musulmans d'Espagne, lesquels aujourd'hui >> nous paient tribut et marchent devant nous » comme de vils troupeaux : nous avons massacré les hommes et rendu les femmes veuves; »> nous avons réduit les garçons et les filles à l'esclavage; nous les avons emmenés loin

» de leur patrie. Voilà ce que j'avais à te » dire. Je t'ai donné les avertissements que tu » avais droit d'attendre de moi; à présent, quand tu aurais recours aux serments les plus saints, quand tu viendrais devant moi accom>pagné de prêtres et de moines, quand tu te >> présenterais un cierge à la main en signe de

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(1) Makrizi remarque que la lettre était précédée d'un petit préambule analogue aux impiétés de la religion chrétienne, qu'il s'est fait scrupule, dit-il, de rappor

ter.

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> respect pour la religion chrétienne, rien ne » pourrait me détourner d'aller à toi et de te >> combattre en tout lieu. Si tes états tombent >> entre mes mains, ce sera pour moi une nouvelle source de richesses; si la victoire se dé» clare en ta faveur et que l'Égypte te reste en » partage, tu pourras alonger la main et l'éten»dre jusqu'à moi; tu pourras disposer à ton gré » de ma vie. J'ai cru de mon devoir de t'avertir » d'avance. Voilà que les troupes qui sont sous » mes ordres couvrent les plaines et les monta» gnes : leur nombre est égal à celui des sables » de la mer; elles vont contre vous avec le glaive >> du destin.

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Cette lettre n'a rien qui convienne au caractère bien connu et à la situation de saint Louis. Il est évident qu'il s'agit ici de quelque roi chrétien d'Espagne en guerre avec les Maures ses voisins. Sans doute une lettre semblable aura jadis été écrite (1), et Makrizi l'aura mise, par erreur sur le compte du roi de France. Quoiqu'il en soit, Makrizi ajoute que cette lettre fit la plus vive impression sur l'esprit du sultan. Ce prince commençait alors à être accablé par la maladie dont il était attaqué; il ne put retenir ses larmes. Son premier mouvement fut de se recommander à Dieu et de se résigner à ses volontés. Ensuite il fit faire par son secrétaire la réponse suivante : « Au nom du Dieu clément et >> miséricordieux, le salut soit sur notre pro>> phète Mahomet et sur sa famille. Ta lettre »> nous est parvenue; tu cherches à nous faire » peur du nombre de tes armées et de la multitude de tes soldats. Apprends que nous savons » aussi manier le glaive, et qu'aucun de nous » ne périra qu'il ne soit sur-le-champ remplacé, » tout comme aucun de vous ne pourra nous entamer, sans être aussitôt exterminé. Ah! si tes » yeux, ◊ homme présomptueux, si tes yeux » pouvaient voir la pointe de nos épées et la >> force de nos lances; si vous aviez vu avec >> quelle vigueur nous avons subjugué les pro» vinces et les châteaux de la Palestine, si vous » aviez vu les ravages que nous avons faits, » comme tu te mordrais les doigts! Va, tu ne >> peux manquer de tomber. Le commencement » de ce jour est pour nous, et la fin est contre » vous. Oh! qu'alors tu seras fâché contre toi» même! Il faut bien que les méchants connais» sent le sort qui leur est réservé (2). En lisant

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(1) En effet, les auteurs arabes font écrire cent cinquante ans auparavant la même lettre par Alphonse VI, roi de Castille, à un empereur de Maroc; or Alphonse avait vaincu les Maures d'Espagne et d'Afrique. Voyez Casiri, Bibliothèque arabe de l'Escurial, t. II, p. 116. Aboulfarage en rapporte une autre du même style,

» ma lettre, rappelle-toi le premier verset de la » sourate des Abeilles: Le décret de Dieu va » toujours son cours; gardez-vous d'en háter le » terme. Rappelle-toi ce dernier verset de la » sourate Sad: Dans peu vous connaîtrez ce » qu'il voulait vous dire. Moi je m'en rapporte à » ces paroles du Très-Haut. Assurément, je » n'en puis citer de plus véridiques. Combien de » fois une poignée d'hommes n'a-t-elle pas mis »en fuite des armées innombrables, par la » permission divine? car Dieu est avec ceux qui lui sont fidèles. Et d'ailleurs, les sages n'ont-ils pas dit que le méchant s'attirera sa » propre ruine? Va! ta méchanceté te renverse» ra; elle causera ta perte. Adieu. »

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Ensuite, reprend Gémal-eddin, « le roi de France se mit en devoir d'aborder sur la côte. On était alors au samedi 22 de safar (5 juin). II débarqua avec toutes ses troupes et dressa son camp sur le rivage. La tente du roi était rouge. Il y eut ce jour-là un engagement entre les Francs et les Égyptiens, où plusieurs émirs musulmans furent tués. Le soir, Fakr-eddin repassa le Nil avec son armée, sur le pont qui était en face de Damiette; et, sans s'arrêter, il se rendit sur le canal d'Aschmoun, auprès du sultan. Il régnait alors une extrême insubordination dans l'armée, à cause de la maladie du prince : personne ne pouvait plus contenir les soldats. Les kénanites chargés de défendre Damiette, se voyant abandonnés, quittèrent précipitamment la ville et se dirigèrent aussi vers le canal d'Aschmoun; les habitants suivirent cet exemple. Hommes, femmes, enfants, tous s'enfuirent dans le plus grand désordre, abandonnant les vivres et les provisions; car ils se trouvaient sans défense, et ils craignaient d'éprouver le même sort que trente ans auparavant, sous le sultan Malek-Kamel. En un moment, Damiette se trouva déserte. Le lendemain dimanche, les chrétiens, ne voyant plus d'ennemis, passèrent aussi le Nil et entrèrent sans résistance. Il n'y avait pas d'exemple d'un événement aussi désastreux. A cette époque, ajoute Gémal-eddin, j'étais au Caire, chez l'émir Hossam-eddin, gouverneur de la ville. Nous apprîmes le jour même, par un pigeon, la prise de Damiette. Ce malheur nous pénétra tous de crainte et d'horreur; il nous sembla que c'en était fait de l'Egypte, surtout à cause de la maladie du sultan. La conduite de Fakr-eddin et

écrite un siècle après par un roi d'Espagne à un empereur de Maroc. Apparemment c'était une formule consacrée ; il n'y avait de différence que dans les mots. Voyez la Chronique arabe d'Aboulfarage, p. 423.

(2) Les passages en italique sont empruntés à l'Alco

ran.

de la garnison fut en cette occasion inexcusable; car la ville eût pu tenir très-long-temps. Dans l'invasion précédente, sous Malek-Kamel, Damiette était sans garnison, sans approvisionnements; et pourtant elle avait résisté pendant un an encore fallut-il, pour la réduire, le concours de la famine et de la peste. Sa situation dans la guerre présente était bien plus favorable; même après la retraite de Fakreddin, si les kénanites et les habitants étaient restés, s'ils avaient seulement tenu leurs portes fermées, ils auraient arrêtés tous les efforts des Francs. Pendant ce temps, l'armée serait revenue et les Francs auraient été repoussés. Mais quand Dieu veut une chose, on ne peut l'empê

cher. >>

Le sultan fut si indigné contre les kénanites, qu'il fit pendre tous les chefs. Vainement, suivant Makrizi, ils firent des représentations; vainement dirent-ils : « En quoi sommes-nous coupables? Que pouvions-nous faire, étant abandonnés des émirs et de toute l'armée ? › On n'écouta pas leurs excuses; les chefs furent pendus, au nombre de cinquante. Dans le nombre étaient un père et son fils, jeune homme de la plus grande espérance : le père demanda de mourir le premier; le sultan le lui refusa. Le prince s'était muni d'avance de l'approbation des docteurs de la loi, qui tous avaient décidé qu'un homme qui abandonne son poste est digne de mort. Makrizi ajoute que le sultan témoigna aussi son mécontentement à l'émir Fakreddin. « Ne pouviez-vous pas, lui dit-il, tenir

au moins un instant? Pas un seul d'entre vous ne s'est fait tuer. » Sans l'état pitoyable où il était, poursuit Makrizi, il se serait probablement porté à quelque violence. Presque tous les émirs blåmaient Fakr-eddin: déjà on craignait pour sa vie; déjà ses amis se disposaient à se défaire du sultan ; mais Fakr-eddin les retint ; et les décida à attendre. Si le sultan mourait, on en était délivré; sinon, l'on était toujours à temps de le faire périr.

Gémal-eddin remarque aussi que le sultan fut tenté de punir Fakr-eddin; mais, ajouta-til, son état était devenu critique, et les circonstances conseillaient la patience.

Dans ces conjonctures, suivant Makrizi, le sultan, se sentant près de sa fin, fit publier que tous ceux qui avaient quelque grief contre lui eussent à se présenter, et qu'il leur donnerait satisfaction. Il était impatient de mettre sa conscience en repos. Tous ceux qui se présentèrent furent renvoyés satisfaits.

Suite de l'année 647 (1249). Nous allons laisser parler Gémald-eddin. « Cependant le

sultan se fit transporter à Mansoura, au lieu même qu'avait occupé son père Malek-Kamel trente ans auparavant. Mansoura est située sur la rive orientale du Nil, à l'endroit où ce fleuve se partage en deux branches, dont l'une passe à Damiette, l'autre va se perdre dans le lac de Menzalé; c'est cette dernière branche qu'on appelle le canal d'Aschmoun. Mansoura devait son existence à Malek-Kamel, père du sultan ; ce prince y avait fait bâtir un palais, avec des maisons pour les émirs et les soldats. Bientôt il s'y éleva des bazars, des bains, des marchés; en un mot, tout ce qui compose une grande ville. C'est là que le sultan prit position avec son armée. La flotte égyptienne avait descendu le fleuve et s'était placé sous les murs de Mansoura. On vit aussi arriver de tous côtés. des volontaires et des guerriers qui brûlaient de prendre part à la guerre sacrée.

« Dans le même temps, le sultan dirigea contre les Francs des bandes d'Arabes nomades ; ces Arabes ne leur laissèrent pas de repos. A la fin de rébi (premier juillet), nous vîmes, poursuit Gémald-eddin, arriver au- Caire trente-six prisonniers chrétiens, parmi lesquels étaient deux cavaliers : quelques jours après, il en vint trente-neuf, puis vingt-deux, puis trente-cinq, et successivement plusieurs autres. A la même époque, les troupes du sultan qui étaient en Syrie, firent diversion et enlevèrent Sidon aux chrétiens.

Cependant, la maladie du sultan devenait de plus en plus grave; ses forces ne cessaient de s'affaiblir; jour et nuit les médecins étaient autour de lui sans pouvoir le soulager; et pourtant il n'était pas abattu; toujours il montrait la même force de caractère. Il était à-la-fois atteint de deux maladies terribles, la phtisie et l'ulcère au jarret ; mais il espérait toujours. L'ulcère étant venu à se fermer, il se crut hors de danger, et écrivit à l'émir Hossam-eddin qu'il était en pleine convalescence; qu'il ne lui manquait plus que de monter à cheval et d'aller jouer au mail : mais déjà il était près de sa fin. Il mourut le dimanche 14 de schaban (novembre), six mois après l'entrée des chrétiens dans Damiette et à l'âge de quarante-sept ans. Ainsi finit le sultan Malek-Saleh Negm-eddin (ou l'Étoile de la religion), au milieu d'une guerre qu'il soutenait pour la gloire de Dieu, passant de ce monde périssable au sein de la bonté et de la miséricorde divines. ».

Aboul-Mahassen fait le portrait suivant du sultan : « C'était un prince sobre, modeste dans ses discours et d'une belle âme; il ne pouvait souffrir la plaisanterie et les choses futiles; il

avait même l'humeur désagréable; il était naturellement taciturne. Sa prédilection était pour les esclaves turcs qu'il achetait sur les bords de la mer Noire et de la mer Caspienne, et dont il fit ses mameloucks et sa garde particulière. Sous lui, cette milice devint beaucoup plus nombreuse qu'auparavant : il les préférait aux Curdes, qui jusques-là avaient formé le nerf des armées égyptiennes. C'est pour eux qu'il fit bâtir une caserne dans l'île de Rauda, sur le Nil, en face du Caire (1). Cependant il savait leur imposer; ces esclaves, tout braves et audacieux qu'ils étaient, tremblaient devant lui. Rien ne pouvait l'émouvoir; quand il entrait en colère, la seule expression de reproche dont il se servait, était celle-ci Ah! paresseux! Chose singulière il était insensible aux charmes de la musique ; quand il assistait à un concert, il restait immobile, et ses officiers étaient obligés de faire comme lui. Il était très-enclin à l'amour; mais il voyait de préférence des esclaves; car à la fin il n'eut plus que deux épouses. Ses ministres ne décidaient jamais rien que d'après ses volontés : le prince voulait tout voir par lui-même ; il travaillait directement avec eux, mais seulement par écrit, marquant ses volontés de sa propre main au bas du papier. Il aimait les gens de mérite et les gens pieux; mais il était sans goût pour la lecture; son plaisir était de s'isoler et de vivre seul; sa passion était le jeu de mail et la bâtisse. Il reste de lui, au Caire et dans l'île de Rauda, plusieurs édifices superbes.

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A cette époque les chrétiens étaient plus nombreux en Egypte qu'ils ne le sont aujourd'hui ; | ils étaient, comme ils sont encore de nos jours, chargés de la levée des impôts, de l'administration des finances et de l'entretien des troupes, alors payées avec le revenu de certaines terres. Il parait qu'à l'exemple de ce qui avait eu lieu dans les croisades précédentes, le gouvernement soupçonna les chrétiens du pays, d'intelligence avec les guerriers d'Occident. Voici ce qu'on lit dans les instructions laissées par Malek-Saleh, à son fils, et qui sont rapportées tout au long par l'historien arabe Novayry:

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ces d'or, ils la lui assignent sur six endroits éloignés l'un de l'autre; alors le soldat a besoin de plusieurs agents différents qui absorbent son revenu. Telle est la cause de la décadence de l'esprit militaire; les chrétiens agissent ainsi pour ruiner le pays et affaiblir l'armée, afin de nous obliger à évacuer l'Égypte. Nous avons ouï dire qu'ils avaient mandé ces mots aux princes francs de Palestine et d'Europe: Vous n'avez pas besoin de faire la guerre aux musulmans; nous-même la leur faisons nuit et jour; nous nous emparons de leurs biens; nous sommes maîtres de leurs femmes; nous ruinons leur pays; nous affaiblissons l'armée. Venez; prenez possession du pays: vous ne rencontrerez aucun obstacle. O mon fils! l'ennemi est auprès de toi, au sein du royaume : ce sont les chrétiens; ne te fie pas à ceux d'entre eux qui se sont faits musulmans; aucun d'eux n'a embrassé de bonne foi l'islamisme : son ancienne religion reste cachée dans son cœur comme le feu dans le bois. »

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Malek-Saleh, suivant la remarque de l'historien Gémal-eddin, ne laissait qu'un fils appelé Malek-Moadam Touran-Schah, alors gouverneur de Haran, d'Édesse et des autres villes que le sultan possédait en Mésopotamie. Dans l'état où l'on se trouvait, menacé comme on l'était par l'armée chretienne, on résolut de cacher la mort du sultan jusqu'à l'arrivée de son fils. Le corps du prince fut secrètement lavé et enseveli avec les prières d'usage, et placé dans une caisse pour être transporté en bateau dans l'île de Rauda. Sa veuve, Scheger-eddor, celle de ses femmes qu'il avait le plus aimée, dirigeait tout: elle se concerta avec le chef des eunuques, et ils convinrent de ne confier le secret de la mort du sultan qu'à l'émir Fakr-eddin, qui fut nommé atabek ou régent, comme l'homme le plus capable de gouverner, et celui qui avait le plus d'influence sur l'armée. Tous les trois se promirent de tenir la mort du sultan secrète jusqu'à l'arrivée de Touran-Schah. En attendant, ils firent prêter serment de fidélité aux émirs et aux troupes, d'abord au nom du sultan Malek-Saleh, comme s'il eût été encore en vie, ensuite en celui de son fils on jura aussi obéissance à l'émir Fakreddin, en qualité d’atabek ou régent. Les émirs et les soldats furent appelés pour cet objet au pavillon du sultan, et jurèrent sans difficulté: personne ne se douta de la vérité. L'émir Hos

O mon fils, porte ton attention sur l'armée que les chrétiens ont affaiblie, en même temps qu'ils ont ruiné le pays : ils vendent les terres, comme si l'Égypte leur appartenait. Ils exigent d'un émir, lorsqu'il reçoit le brevet de son bénéfice, deux cents pièces d'or et plus, et d'un simple militaire, jusqu'à cent; si la somme desti-sam-eddin, gouverneur du Caire, ayant reçu née à l'entretien d'un cavalier est de mille piè

(1) De là ces mameloucks reçurent le nom de Baharites, du mot arabe bahr, qui signifie mer, et par lequel les Egyptiens désignent le Nil.

un ordre semblable, jura et fit jurer tous ceux qui étaient sous ses ordres. La mort du sultan était tenue si secrète, que, grands et petits, personne n'en eut le moindre soupçon. Chaque jour

l'émir Hossam-eddin recevait des dépêches du camp comme par le passé. Les lettres étaient expédiées au nom du sultan; on y voyait, entre les lignes, son élamé ou signature accoutumée, consistant dans ces mots : Ayoub, fils de Mohammed, fils d'Aboubekr (1). Celui qui écrivait l'élamé était un eunuque, habile à contrefaire toutes sortes d'écritures. A la fin cependant on commença à soupçonner la vérité. On voyait l'émir Fakr-eddin, libre de tout frein, disposer en maître de l'Égypte : il rendait la liberté aux émirs qui étaient en prison; il rétablissait ceux qui avaient perdu leurs places; il distribuait à ses amis les trésors amassés par le sultan; en un mot, il exerçait pleinement l'autorité souveraine: mais on n'osait éclater, à cause de la présence de l'ennemi et du danger ou l'on était. Une chose qui fit une grande sensation, c'est que lorsqu'il fut question d'envoyer des courriers à Touran-Schah pour hâter son arrivée, Scheger-eddor et le chef des eunuques furent les seuls qui montrèrent de l'empressement. Fakr-eddin refusa d'écrire de son côté ; et s'il se décida enfin à expédier un courrier en son propre nom, ce fut dans la crainte de se compromettre.

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Makrizi donne ouvertement à entendre que Fakr-eddin, dans cette occasion, ne travaillait nullement pour les intérêts de Touran-Schah. Après avoir observé que, suivant quelques auteurs, Malec-Saleh, connaissant la légèreté de son fils, n'avait pas désigné de successeur, mais qu'il avait dit à l'émir Hossam-eddin : Quand » je serai mort, vous mettrez mes états à la disposition du calife de Bagdad, et ce sera à lui » de nommer celui qui doit régner sur l'Egypte; » il poursuit ainsi : « Les uns soupçonnaient Fakr-eddin de vouloir s'emparer du trône; les autres, de servir les intérêts d'un jeune prince nommé Malck-Moguit Omar, de la race de Malek-Adel, lequel était alors élevé au Caire, et sous qui il espérait de devenir le maître des affaires. Ces soupçons acquirent une telle force, que l'émir Hossam-eddin, qui commandait dans la capitale, et qui n'aimait pas Fakr-eddin, crut devoir, par mesure de précaution, se faire remettre le jeune prince, et le fit enfermer. En attendant, Fakr-eddin jouissait de tous les dehors de la souveraine puissance : il sortait à cheval, escorté d'une suite nombreuse; les émirs lui faisaient la cour comme à leur maître, le recevant à pied quand il descendait de cheval, et lui tenant compagnie à table. (1) Ayoub était le nom propre du sultan, Mohammed celui de son père le sultan Malek-Kamel, et Aboubekr celui de son grand-père le célèbre Malek-Adel.

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Cependant Scheger-eddor continuait à diriger les affaires; tout se passait comme de coutume : chaque jour on dressait le pavillon du sultan; les tables étaient servies comme à l'ordinaire; les émirs faisaient le même service qu'auparavant. Le sultan était censé malade et hors d'état pour le moment de recevoir. » Telle était la situation des choses, lorsque l'armée des chrétiens s'avança dans l'intérieur de l'Egypte.

Suite de l'année 647 (1249). Suivant Gémaleddin, « les chrétiens étaient restés jusqu'alors à Damiette, occupés à s'y fortifier. Apprenant enfin la mort du sultan, ils se hâtèrent d'avancer, cavalerie et infanterie, et se mirent en marche vers Mansoura. On était alors à la fin de schaban (fin de novembre). Leur flotte remonta le Nil et suivit tous leurs mouvements. Ils arrivèrent d'abord à Farescour. A cette nouvelle, l'émir Fakr-eddin écrivit au Caire pour appeler tous les musulmans aux armes; la lettre contenait, entre autres choses, ces paroles de l'Alcoran : « Accourez, grands et petits, et ve» nez combattre pour le service de Dieu. Sacri>> fiez-lui vos biens, vos personnes : c'est tout >> ce qui peut vous arriver de plus heureux. » Cette lettre, ajoute Gémal-eddin, était fort éloquente; on y remarquait plusieurs passages propres à encourager les musulmans à la guerre sacrée. « Les Francs, que Dieu maudisse, y >> était-il dit, sont venus envahir notre patrie; ils desirent s'en rendre maîtres. Il est du de» voir des vrais croyants de marcher tous contre >> eux et de les repousser. » Cette lettre fut lue en chaire le vendredi suivant, en présence de tout le peuple, et arracha des larmes à tous les assistants. Bientôt on vit arriver à Mansoura une multitude innombrable de musulmans de la capitale et des provinces. La mort du sultan et l'invasion de l'ennemi avaient répandu une terreur universelle. On tenait pour certain que si l'armée égyptienne reculait seulement d'une journée, c'en était fait de toute l'Egypte.

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Au commencement du ramadan (3 décembre), il s'engagea un premier combat entre l'armée chrétienne et les avant-postes musulmans : un émir et plusieurs soldats y souffrirent le martyre. Les Francs arrivèrent ensuite au lieu appelé Scharmesah, quelques jours après à Baramoun, et enfin sur le canal d'Aschmoun, en face de Mansoura. On était alors au 13 de ramadan, et la consternation était générale. Les chrétiens campèrent au même endroit où ils s'étaient placés trente ans auparavant de son côté, l'armée musulmane était rassemblée à Mansoura, occupant les deux rives du Nil; elle n'était séparée de l'ennemi que par le canal d'Aschmoun. Les

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