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Assés y ot de nos gens qui furent à cele ba- | de mairien assés perilleuse par dessus le pas, taille, qui puis dirent et affermerent certaine- car l'iaue estoit par desous si rade et si parment que se li Roys ne se fust maintenus si fonde et si perilleuse pour le lieu qui estoit hardiement et si vigoureusement qu'il eussent estrechiés par la chauciée qui là estoit faite, que esté et tout mort et tout pris. Onques li Roys nuls ni cheist qui tantost ne fust perdus. Tanne tres tourna son viaire, ne mestuia son cors tost passerent perilleusement, plus isuelement des Turs. I confortoit et admonestoit nostre que il porrent pour aidier le Roy. Mais quant gent de bien faire, si que il on estoient tout li Sarrasins les virent venir et passer le flun, rafresci. Moult se defendoient vigoureusement, il se traissent arriere et se partirent de la si au desous comme il estoient et souffroient endroit et s'en alerent à leur berberges. En cele celle grant plenté de Sarrasins qui dechevoient bataille perdirent li Sarrasins assés de leur euls les unes routes après les autres. Ainsi dura gens qui furent occis, des nostres ni ot il cele bataille jusques en tour Nonne. Li cheva- gueres de mors; mais assés en y ot de navrés, liers et les autres gens qui estoient à nos her- et assés perdirent de lor chevaus qui furent tous berges qui bien veoient que les choses ne les occis et navrés en diverses manieres. Li nostres povoient secorre pour le flun qui estoit en- quant il orent retenu et gaaignée le champ à tre deus, tout et petits et grans braioient l'aide de Dieux, s'en retournerent jusque deles et ploroient à haute vois, batoient lor pis le pas. Là firent tendre lor paveillons et leur et lor testes, tordoient lor poins, enrachoient tentes et se logerent deles les engiens des Sarlor cheveus, esgratinoient lor visage, et di- sins, dont il y en avoit vingt-quatre. Assés trousoient las! las! las! Li Roys, et ses freres et verent nos gens illecques endroit mairien, toute leur compagnie sont tout perdu! Adone tentes, paveillons et autres harnois que li coururent les gens à pié et li communs pueples Sarrasins avoient laissiés quant il furent sousde l'ost hardiement et tres hastivement au mai- pris de l'avant garde. Cele nuit demoura li rien, aus engiens et aus autres estrumens de | Roys là endroit à peu de gent. Mais li pons qui l'ost et commencierent à essaier se il porroient estoit fait desus le flun fu avant bien atirés faire aucune voie dessus ce pas par laquelle il et bien parfais de grans fus et de maipeussent passer outre pour aidier le Roy. Par rien, si que on povoit aler seurement par grans paines, par grans travaus firent une voie dessus de l'un ost à l'autre. Le jour des cen

courageoit et admonestoit nos gens à bien faire,
de manière qu'ils en étoient tout rafraîchis. Ils
se défendoient moult vigoureusement, quoiqu'ils
fussent en si petit nombre, et ils supportoient cette
grande multitude de Sarrasins qui démontoient
leurs compagnies l'une après l'autre. Cette ba-
taille dura ainsi jusque vers nones. Les chevaliers
et les autres gens qui étoient sous nos tentes el
qui voyoient bien qu'ils ne les pouvoient secourir
à cause du fleuve qui étoit entre deux, tous petits
et grands crioient à haute voix et pleuroient,
frappoient leur poitrine et leur tête, tordoient
leurs poings, arrachoient leurs cheveux, égrati-
gnoient leur visage et disoient : « Hélas! hélas! |
le roi et ses frères et toute leur compagnie sont
tous perdus! » Alors les gens de pied et le menu
peuple de l'armée coururent hardiment et en
grande hâte au mairain, aux engins et aux autres
machines de l'armée et commencèrent à essayer,
s'ils pourroient faire un chemin qui pût les con-
duire à aider le roi. Ils firent avec grand'peine
et avec grands travaux un chemin de mairain as-
sez périlleux par-dessus le passage. Car l'eau qui
couloit dessous étoit si rapide et si profonde et si
dangereuse à cause du lieu que la chaussée avoit
rétréci, que nul n'y tomboit qui ne fût aussitôt
- perdu. Ils passèrent périlleusement le plus vite
qu'ils purent pour aider le roi. Mais quand les

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Sarrasins les virent venir et passer le fleuve, ils se rétirèrent en arrière et quittèrent cet endroit, et s'en allèrent dans leurs demeures. Dans cette bataille les Sarrasins perdirent assez de leurs gens qui furent occis; des nôtres il n'y en eut guère de morts, mais il y en eut assez de blessés et assez perdirent de leurs chevaux qui furent tous tués et blessés de diverses manières. Quand les nôtres eurent gagné le champ de bataille avec l'aide de Dieu, ils s'en retournèrent jusqu'au delà du passage; ils y firent dresser leurs tentes et leurs pavillons, et se logèrent près des engins des Sarrasins dont il y avoit vingt-quatre. Nos gens trouvèrent là assez de mairain, de tentes, de pavillons et autres harnois que les Sarrasins avoient laissés lorsqu'ils avoient été surpris par l'avantgarde. Le roi demeura cette nuit dans cet endroit avec peu de gens. Mais le pont, qui étoit sur le fleuve, fut bien ajusté et bien achevé avec de grands bois et du mairain, de manière qu'on pouvoit aller en sûreté par-dessus d'un camp à l'autre. Le jour des Cendres, qui fut le lendemain, le roi commanda que les vingt-quatre engins que les chrétiens avoient gagnés, fussent dépecés et qu'on en fit de bons retranchements tout autour de notre camp. Quand ce vint le vendredi après les Cendres, les Sarrasins se rassemblèrent de toutes parts et s'approchèrent de nos gens; ils tirèrent, comme

dres, qui fu le lendemain, commanda li Roys | nostre s'entreferoient de maches, de lances,

que les vingt quatre engiens que il avoient gaaignés fussent depeschiés et que on y feist bonnes lices tout entour nostre ost. Quant ce vint le vendredi après la cendre, li Sarrasins se rassemblerent de toutes pars. Quant il aprocierent de nos gens, si come est lor coustume, si grans plenté traisent de sajettes, de quarriaus lancierent, frandillerent et geterent pierres que aucuns de ceuls qui là estoient disent que il n'avoient onques veu plus espessement gresiller, et tant de diverses manieres longues et espoentables et oribles assaillirent nos gens aus lices que cil du pays qui là estoient disoient que il n'avoient onques mais veu et parties d'Outremer, si hardiement assaillir ne si cruelement. Il semblait bien qu'il ne doutaissent, ne prisaissent rien la mort. Tantost quant li uns estoient las, li autre revenoient en leur liens qui estoient tous fres et tout nouvel; il ne sambloit pas que il fuissent hommes, mais bestes sauvages toutes erragiées. Li nostres estoient uns au bersail dedens leur lices merveilleusement leur prioit li Roys et admonestoit de bien faire; bien disent aucuns qui devant avoient

esté ne qui furent après, ne virent le Roy faire

mauvais samblant ne couard, ni esbahi, n'il sam-
bloit bien à se chiere qu'il n'eust en son cuer
ne paour,
ne doutance, ne esmai. Li Turs et li

d'espées, de haces danoises, de fauchars, de coutiaus et d'autres armeures tout ainsi comme il feissent seur pierres, ou seur fus bois, ou seur autres choses qui rien ne sentissent. Quant cele bataille ot si longuement duré et li Sarrasins furent lassé et orrent assés perdu, il se traissent arriere et retournerent à leur herberges. Plus assés et occis en cele bataille et navrés des Turs que des nostres. Après ces choses se tinrent li Turs tout coi une piece; se ne fu aucuns paletois qui fu de peu de gens en aucuns lieus. Ne demoura mie moult après cele bataille que li fils le Soudan qui mors estoit, que il avoit mandé ains que il mourust es parties d'Orient vint à tout grant gens en l'ost des Sarrasins qui estoit assemblés à la Massorre. Cil d'Egypte le reçurent à moult grant joie à timbres, à muses, à flahutes et autres manieres d'estrumens, à seigneur et Soudan le reçurent ainsi come il avoient juré à son pere, li firent féauté selon le sus et les coustumes don pays. De sa venue crut mout durement la force et li pooir des mescréans.

Comment li Roys et li crestiens estoient à grent meschief à la Massorre.

Grant pitié et grant angoisse doivent avoir à leur cuers toutes manieres des crestiens, et à

rien ne sentit. Quand cette bataille eut si longuement duré, et que les Sarrasins furent fatigués et eurent assez perdu de monde, ils se retirèrent en arrière et retournèrent à leurs demeures. Il y eut en cette bataille plus de Turcs occis et blessés que des nôtres. Après cela, les Turcs se tinrent tout coi un peu de temps, hors aucunes escarmouches qui eurent lieu en quelques endroits entre peu de gens. Il ne s'écoula moult de temps après cette bataille que le fils du soudan qui étoit mort et qu'il avoit mandé avant qu'il mourut des parties d'Orient, vint avec grand monde au camp des Sarrasins, qui étoit réuni à la Massoure. Ceux d'Egypte le reçurent avec grande joie, au son des tambours de basque, des cornemuses, des flûtes et d'autres sortes d'instruments. Ils le reçurent, ainsi qu'ils l'avoient juré à son père, comme leur seigneur et soudan, et lui promirent fidélité selon les us et coutumes du pays. Sa venue augmenta moult grandement la force et la puissance des mécréants.

c'est leur coutume, une si grande quantité de traits, jouèrent des frondes et lancèrent tant de pierres qu'aucuns de ceux qui étoient là disoient qu'ils n'avoient oncques vu grésiller plus épais; ils assaillirent nos gens aux retranchements de tant de diverses manières longues et épouvantables et horribles, que ceux du pays qui étoient là disoient qu'ils n'avoient oncques jamais vu dans les contrées d'outre-mer si hardiment ni si cruellement assaillir. Il sembloit bien qu'ils ne redoutoient pas la mort et qu'ils la prisoient comme rien. Aussitôt que les uns étoient fatigués, d'autres revenoient en leur place tout frais et tout nouveaux. Il ne sembloit pas qu'ils fussent des hommes, mais plutôt des bètes sauvages tout enragées. Les nôtres étoient exposés aux traits, dans leurs retranchements. Le roi les prioit merveilleusement et les admonestoit de bien faire. Aucuns qui devant avoient été ou qui furent après, dirent bien qu'ils ne virent le roi faire mauvais semblant ni couard, ni ébahi. On voyoit bien à son visage qu'il n'avoit dans son cœur ni peur, ni crainte, ni émoi. Les Turcs et les nôtres s'entre-frappoient de coups de massue, de lances, d'épées, de haches danoises, de faux, de cou- Tous chrétiens, quels qu'ils soient, doivent senteaux et d'autres armes, tout ainsi qu'ils eussent tir dans leur cœur grande pitié et grandes angoisfait sur pierre ou sur bois, ou sur autre chose quises par ce qui va suivre. On doit raconter avec

Comment le roi et les chrétiens étoient à grand méchief à la Massoure.

grans pitié, et à grans larmes, et à grans gémis- | les povoient trouver et leur sambloient moult semens doivent estre racontées entres toutes grant richece. Apres il prenoient encor pluimanieres de crestiens qui aiment de vrai cuer seurs choses quant il les pooient trouver; qui lonneur et l'ensauchement de la foi crestienne trouvast un chien ou un chat il fust mengié des choses qui puis advindrent au Roy et à la dellen de grant devise Assés y avoit de haus crestienté qui estoient logiés à la Massorre et hommes et de puissans qui sen batoient tout des qui le flun avoit conquis sur les Sarrasins par semons es lieus là ou il savoient que on manjoit force, par quoi toutes choses leur avindrent pour la faim que il avoient. Nule viande ne popuis par contraire et encontre leur volenté. voit venir de Damiete, car li nouvaus Soudans Une grande mortalité si pesme et si gene- avoit fait mener par terre seur chars et seur auraus vint es hommes et es chevaus endemen- tres estrumens cinquante galies au flun dou Nil tres que il sejornoient là que à paine veist-on entre nostre ost et Damiete et les avoit moult nul jour que par les chapeles ne fust bien vingt bien garnies de Turs fors et hardis et bien arbieres ou trente. Chascun atendoit la mort tout més. Cil entretenoient si bien nos gens que nus prestement, nul n'en cuidoit eschaper. A paines ne povoit aller ne venir par le flun de nostre ost trouvast-on en si grand ost celui qui ne plou- à Damiete. Cils nouviaus Soudans meismes rast ou qui ne doulast un sien ami qui fust mors. avoit les grans routes de Turs par les chemins A paines trouvast-on tente, ne paveillon, ne loge que nul ne povoit aler ne venir par terre qui ne que il ni eust ou mors ou malade de cele pesti- fust tantost ou mors ou pris. Nos gens estoient lence. Cil qui estoient lani tout haitée avoient si asségié que nul ne povoit ne aler ne venir par grant doutance que il ne fuissent demain ou nostre ost. Ces cinquante galies qui estoient ou flun mors ou malades. Li sain estoient tout en blanc prisent assés de nos vaissiaus qui portoient viande de garder les enfers. Tout autel estoit-il des che de Damiete à nostre ost. Entre ces autres domavaus. Viandes estoient toutes faillies en l'ost et ges il en firent deux trop grans à la crestienté; à hommes et à chevaus. Famine estoit si grant car nostre gent qui estoient à Damiete envoièen l'ost que li haitée mesmes estoient si maigres rent par deuz fois deux carvanes de nes ou il et si défailli que il ne se pooient aidier. Il me avoit bien cent cinquante vaissiaus et plus qui nioient les charoignes des chevaus, des asnes, portoient pain et vin, farine, chair salée et audes mulets et des autres bestes de l'ost quant il tre chose qui mestier avoit à nostre ost et qui

grande pitié et avec grandes larmes et avec grands gémissements, à tous ceux qui aiment d'un cœur vrai l'honneur et la propagation de la foi chrétienne, les choses qui advinrent au roi et à l'armée qui étoient logés à la Massoure et qui avoient conquis de force le fleuve sur les Sarrasins, et tout ce qui leur advint depuis de contraire et à l'encontre de leur volonté. Une si grande mortalité si mauvaise et si générale survint aux hommes et aux chevaux pendant qu'ils séjournoient là, qu'à peine vit-on aucun jour où il n'y eût bien vingt ou trente bières dans les chapelles. Chacun attendoit tout prestement la mort, et nul ne cuidoit y échapper; à peine trouvoit-on dans une si grande armée quelqu'un qui ne pleurât ou ne plaignît un sien ami qui fût mort ; à peine trouvoit-on tente ou pavillon ou demeure qui n'eût un mort ou un malade frappé par cette peste. Ceux qui étoient aujourd'hui tous bien portants, avoient grande crainte qu'ils ne fussent demain morts ou malades. Les gens bien portants étoient tout couverts de taches, en gardant les pestiférés; il en étoit tout de même des chevaux; les provisions manquoient dans tout le camp; la famine y étoit si grande, que les gens en santé même étoient si maigres et si faibles, qu'ils ne se pouvoient aider; ils mangeoient des chevaux, des ânes, des mulets et des autres bêtes de l'armée, quand ils

en pouvoient trouver, et cette chair sembloit moult savoureuse; ils prenoient encore plusieurs choses quand ils en pouvoient trouver; un chien ou un chat étoit mangé avec un grand plaisir. Il y avoit assez de hauts et puissans personnages qui, à cause de la faim qu'ils avoient, ne dédaignoient pas de se rendre aux lieux où ils savoient qu'on mangeoit. Nulle provision ne pouvoit venir de Damiette, car le nouveau soudan avoit fait amener par terre, sur des chars ou sur autres machines, quarante galères au fleuve du Nil, entre notre camp et Damiette, et il les avoit moult garnies de Turcs forts et hardis et bien armés, qui repoussoient si bien nos gens, que nul ne pouvoit aller ni venir par le fleuve de notre camp à Damiette. Ce nouveau soudan même avoit de grandes compagnies de Turcs par les chemins, de manière que nul ne pouvoit aller ni venir par terre, qu'il ne fût aussitôt ou pris ou mort. Nos gens étoient si assiégés, que nul ne pouvoit ni aller ni venir par le camp. Ces quarante galères qni étoient au fleuve prirent assez de nos vaisseaux qui portoient des vivres de Damiette à notre camp; entre autres dommages, ils en firent deux trop grands à la chrétienté, car nos gens qui étoient à Damiette envoyèrent par deux fois deux caravanes de nefs, où il y avoit bien cent cinquante bâtiments et plus, qui portoient pain,

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grand à nos lices. Le jour du ieudi d'absols, le vendredi de crois courée; le samedi de Pasques et le diemence de la grant Pasque firent li Sarrasins ausi grans assaus à nos lices et ausi longuement et vindrent en autel convoi que nous avons dit devant que il firent le vendredi après

bien estoient garnies de maronniers et de gent armée. Quant il s'en aloient outremont le flun, les galies les assaillirent et les desconfirent. Assés en occissent, les autres prisent et les nes et quau qu'il avoit dedens les nes detindrent les viandes envoierent en lost des Sarrasins qui moult en fu remplis. En tele maniere prisent illes Cendres. Li Roys se douta moult que li Sarles deux carvanes lune après lautre. Li ost de la crestienté en fu apovrie et li ost des Turs en fu enrichis. Quant li Roys et li crestien virent et sorrent ces grans mescheances qui chacun jour leur croissoient de toutes pars, moult furent esbahis; il disoient apertement que il estoient tout perdu. Cil meismes qui haitie estoient et qui aidier se pooient avoient prise la besoigne contre cuer que nuls ne faisoit son pooir de la besoigne faire. Il disoient que tout le meilleur de nostre ost estoient perdu avecques le conte d'Artois. Encore disoient ils que li saudoier ne povoient estre paié de choses que li Roys leur deust. Encore disoient il que assés de crestiens s'en estoient alé en lost des Sarrasins par defaute de viande et que cestoient cil qui plus de mal faisoient à nos gens. Par ces choses que nous avons devant dites estoient moult aflobies et amenuisies li ost des crestiens, presque chacun jour il avoient assaus ou paleteis ou petit ou

rasins ne l'assausisent aucun jour si durement que il les preissent par force et les meissent tous à lespée. Nos gens meismes qui avecques lui estoient disoient de tels y avoit assés tout apertement que cele besoigne ne leur plaisoit mais point, car bien lor sambloit que Diex ne le voloit mie et que se il avoient pooir de departir dilec il s'en r'iroient en lor pays, que ja plus en cele terre ne demorroient. Pour toutes ces desconvenences et pour toutes les autres devant dites, li Roys par le conseil de ses barons envoie au Soudan ses messages pour requerre trives. Li Soudan et li Sarrasins qui avecques lui estoient firent semblant que il en renvoieroient volentiers la parole, mais il n'en avoient corage ne volenté d'en donner si comme il apparut après. Toutes voies dist le Soudans quil voudroit conseiller et que il revenissent à un jour que on leur nomma. Ainsi les fist aler et venir par trois fois ou par quatre ades prenoit

vin, farine et chair salée et autres choses néces- vendredi-saint et le samedi de Pâques et le dimansaires à notre camp, et qui étoient bien garnis che de Pâques, les Sarrasins firent aussi grands de matelots et de gens armés. Quand ils s'en al-asssauts à nos retranchements et aussi longueloient, en remontant ce fleuve, les galères les assaillirent et les déconfirent; ils tuèrent assez de monde; d'autres prirent et les nefs et tout ce qu'il y avoit dans les nefs, et les retinrent. Ils envoyèrent des provisions au camp des Sarrasins, qui moult en fut rempli; ils prirent de cette manière les deux caravanes l'une après l'autre. Le camp des chrétiens en ful appauvri, et le camp des Turcs en fut enrichi. Quand le roi et les chrétiens virent et surent ces grands malheurs qui, chaque jour, croissoient de toutes parts, ils furent moult ébahis; ils disoient ouvertement qu'ils étoient tous perdus; ceux même qui étoient en bonne santé, et qui se pouvoient aider, avoient pris la besogne si fort à contre-cœur, que nul ne faisoit d'effort pour la faire; ils disoient que tous les meilleurs de notre armée étoient perdus avec le comte d'Artois; encore, disoient-ils, que les soldats ne pouvoient être payés de ce que le roi leur devoit; encore, disoient-ils, qu'assez de chrétiens s'en étoient allés dans l'armée des Sarrasins par défaut de vivres, et que c'étoient ceuxlà qui faisoient le plus de mal. Pour ces choses devant dites, l'armée des chrétiens étoit moult affaiblie et diminuée. Presque chaque jour, il y avoit à nos retranchements assauts ou escarmouches petites ou grandes. Le jour du jeudi saint, le

ment, el vinrent en pareil nombre que nous avons dit qu'ils étoient venus le vendredi après les Cendres. Le roi craignit moult que les Sarrasins ne l'attaquassent quelque jour si vivement, qu'ils ne les prissent de force et ne les passassent au fil de l'épée. Parmi nos gens même qui étoient avec lui, il y en avoit assez qui disoient tout hautement que cette besogne ne leur plaisoit nullement, car bien leur sembloit que Dieu ne le vouloit pas, et que, s'ils pouvoient partir de là, ils s'en iroient dans leur pays, qu'ils ne resteroient pas dans cette terre pour toutes ces déconvenues et pour toutes les autres ci-devant dites. Le roi, de l'avis de ses barons, envoya des députés au soudan pour demander une trève. Le soudan et les Sarrasins qui étoient avec lui firent semblant qu'ils renverroient volontiers une réponse, mais ils n'avoient ni l'intention ni la volonté d'en donner comme il y parut bientôt. Toutefois, le soudan dit qu'il vouloit prendre conseil, et que les députés revinssent à un jour qu'on leur assigna. Il les fit aller et venir ainsi par trois ou quatre fois, et toujours il prenoit jour pour se consulter. Tant qu'on parla de trève, les Sarrasins laissèrent nos gens en paix. Au dernier jour que nos députés furent retournés vers le soudan pour ouir sa résolution concernant la trève, le soudan

jour de lui conseillier. Tant que on parla des|
trives laissient li Sarrasins auques en pais
nostre gent. Au derrain jour que nostre message
furent revenu au Soudan por oir son conseil
des trives li Soudan leur repondit en tele ma-
niere « Sace bien vostre Roys et tout li cres-
tien qui avecques lui sont que je ne leur don-
rai nule trives je san miex leur convine et leur
» pooir que il ne cuident il sont tout mis en ma
» volenté. Je ferai deuls qanque me plaira soit de
» mort ou de vie. Ralez vous en et leur dites que
» il facent dou miex que il pucent. » Quant nos-
tre message furent revenu et il orent dit au Roy
et aus barons ce que li Soudan leur avoit re-
pondu tout furent esbahi, car la endroit ne po-
voient il plus demorer. Tout s'accorderent à ce
que on sen ralast vers Damiete se nostre sires
le vouloit souffrir.

miete se il povoit eschaper; car li remenans estoit tous perdus. Li autres disoient que il enmenast ses freres avecques lui. Mais li Roys et ses freres si tranchierent tantost la parole et distrent que ce ne feroient-il en nulle maniere ains demorroient avecques eux fust à mort ou fust à vie. Moult loerent au Roy que au moins il s'en alast, mais li Roys ne pot oncques être mené à ce que il le voulist faire. Quant il virent que le Roys ne s'en iroit pas si commencierent à deviser comment il s'en retorneroient. Il atirerent que on mettroit tous les malades et tous les floibles au flun dedens les nes, et que on y mettroit marronniers et nageurs et gens à armes qui les conduiroient contre val jusqu'à Damiete si Deix lavoit pourvue. Atiré fu que il lairroient grant partie de ler tentes et de lor paveillons en lor lices entreves pour ce que li Sarrasins ne se Comment li Roys et li crestien s'en retourne-percevroient mie sitost de leur retour. Devisé fu rent pour venir à Damiete et furent tous que il se departiroient par nuit pour ce que il pris entre noiés.

Aucun baron vindrent au Roy et li dirent priveement et conseillierent que il montast sur le meilleur cheval que il porroit oncques trouver et que il s'en alast au ferir des esperons par terre. Li autre disoient que il entrast en une galie bien armée et que il sen alast à force contre val le flun pour venir en sauveté à Da

se delogeaissent avant et peussent le flun de Thanis repasser arriere avant que li Sarrasins s'en preissent garde. Bien fu di que tout s'en iroient ensemble et à pié et à cheval, et par iaue' et par terre, tout serré li un encontre l'autre. Quant il orent ainsi devisé leur choses comme ci qui avoient plus affaire plus que euls meismes ne cuidoient par estovoir et par nécessité si grant que à paine le porroit nul

leur répondit de cette manière: «Que votre roi » et tous les chrétiens qui sont avec lui, sachent >> bien que je ne leur donnerai nulle trève; je >> connais mieux leur situation et leur force qu'ils >> ne pensent; ils sont tous à ma volonté, je ferai » d'eux tout ce qu'il me plaira, soit de leur mort, >> soit de leur vie; retournez-vous-en, et leur dites » qu'ils fassent du mieux qu'ils puissent. » Quand nos députés furent revenus, et qu'ils eurent dit au roi et aux barons ce que le soudan leur avoit répondu, tous furent ébahis, car là ne pouvoient ils plus demeurer. Tous s'accordèrent à ce qu'on retournât vers Damiette, si notre Seigneur le vouloit permettre.

Comment le roi et les chrétiens s'en retournèrent pour aller à Damiette, et furent tous pris ou noiés.

qu'il emmenât ses frères avec lui; mais le roi et ses frères leur coupèrent aussitôt la parole, et dirent que ce ne feroient-ils d'aucune manière, mais qu'ils demeureroient avec eux à la mort ou à la vie. Plusieurs conseillèrent au roi qu'au moins il s'en allat; mais le roi ne put oncques être persuadé à vouloir le faire. Quand ils virent que le roi ne s'en iroit pas, ils commencèrent à consulter comment ils s'en retourneroient; ils décidèrent que l'on mettroit tous les malades et tous les gens faibles sur le fleuve dedans les nefs, et qu'on y mettroit matelots, nageurs et gens armés qui les conduiroient en descendant jusqu'à Damiette, si Dieu l'avoit ainsi résolu. Il fut arrêté qu'ils laisseroient grande partie de leurs tentes et de leurs pavillons dans leurs retranchements, afin que les Sarrasins qui les verroient encore, ne s'aperçussent pas sitôt de leur retraite. Il fut convenu qu'ils partiroient de nuit, afin qu'ils délogeassent et pussent repasser le Thanis avant que les Sarrasins n'y prissent garde. Bien fut dit que tous s'en iroient ensemble et à pied et à cheval, et par eau et par terre, tous serrés les uns contre les autres. Quand ils eurent ainsi ré

Aucuns barons vinrent trouver le roi et lui dirent en particulier, et lui conseillèrent de monter sur le meilleur cheval qu'il pourroit trouver, et de s'en aller par terre en piquant toujours des deux d'autres disoient qu'il devoit monter une galère bien armée et s'en aller à toute force en descendant le fleuve pour venir en sûreté à Da-glé tout ce qu'ils avoient à faire, moins peut-être miette, s'il pouvoit échapper, car ceux qui restoient étoient tous perdus ; d'autres disoient

par envie que par nécessité, qui étoit si grande, qu'à peine pourroit-on dire ou croire qu'ils pus

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