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>> deffendre de porter blé, ne vin, ne autres marcheandises hors de nostre royaume, sanz cause nécessaire; et quant il couvendra que deffense >> en soit fète, nous voulons qu'elle soit faite » communément en conseil de preudoumes, sanz » souspeçon de fraude ne de boidie. Item, nous » voulons que touz Bailliz viés, Vicontes, Pre» vos et Maires soient, après ce que il seront hors de leur offices, par l'espace de quarante » jours ou pays où il ont tenu leur offices, en >> leur propres persones ou par procureur, pour » ce que il auroient mesfèt contre ceulz qui se ›vourroient pleindre d'eulz. »

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380. Par cest establissement amenda moult le royaume. La prevosté de Paris estoit lors vendue aus bourjois de Paris, ou à aucuns; et quant il avenoit que aucuns l'avoit achetée, si soustenoient leur enfans et leur neveus en leur outrages; car les jouvenciaus avoient fiance en leur parens et en leur amis qui les tenoient. Pour ceste chose estoit trop le menu peuple défoulé, ne ne pouoient avoir droit des riches homes, pour les grans présens et dons que il fesoient aus Prevoz. Qui à ce temps disoit voir devant le Prevost, ou qui vouloit son serement garder qui ne feust parjure, d'aucune debte ou d'aucune chose ou feust tenu de respondre, le Prevost en

» doit chevauchée ne soit commandé d'aller à l'ar» mée sans cause nécessaire; et ceux qui voudront >> y aller en personne ne seront pas contraints de >> racheter leur voyage par argent. Après, nous » défendons que baillifs ni prevôts fassent dé>> fendre de porter blé, ni vin, ni autres mar>>chandises hors de notre royaume, sans cause » nécessaire; et quand il conviendra que dé>> fense en soit faite, nous voulons qu'elle soit >> faite communément en conseil de prud'hommes, >> sans soupçons de fraude ni de tromperie *] » Item, nous voulons que nos baillifs, hors de » charge, vicomtes, prevôts et maires, soient, >> après qu'ils seront hors de leur office, par l'es>> pace de quarante jours, au pays où ils l'au>> ront tenu, ou en personne ou par procureur, >> afin qu'ils puissent répondre à ceux qui auroient » à se plaindre de leur méfait **. »

380 Par cet établissement le roi moult amenda le royaume. La prevôté de Paris étoit alors vendue aux bourgeois de Paris ou à aucuns; et quand il advenoit que aucuns l'avoient achetée, ils soutenoient leurs enfants et leurs neveux dans leurs excès, car les jouvenceaux se fioient en leurs pa rents ou en leurs amis qui tenoient la prevôté. Pour cela le menu peuple étoit foulé et ne pouvoit avoir droit contre les riches hommes, à cause des

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levoit amende, et estoit puni. Par les grans jures et par les grans rapines qui estoient faites en la prevosté, le menu peuple n'osoit demourer en la terre le Roy, ains aloient demourer en autres prevostés et en autres seigneuries; et estoit la terre le Roy si vague, que quant il tenoit ses plèz il n'y venoit pas plus de dix personnes ou de douze. Avec ce il avoit tant de maulfèteurs et de larrons à Paris et dehors, que tout le pais en estoit plein. Le Roy, qui mètoit grant diligence comment le menu peuple feust gardé, sot toute la vérité; si ne voult plus que la prevosté de Paris feust vendue; ains donna gages bons et grans à ceulz qui dès or en avant la garderoient; et toutes les mauvèses coustumes dont le peuple pooit estre grevé, il abatit; et fist enquerre par tout le royaume et par tout le pays, où l'en feist bone justise et roide, et qui n'espargnast plus le riche home que le poure. Si li fu enditié Estienne Boilyaue, lequel maintint et garda si la prevosté, que nul malfaiteur, ne liarre, ne murtrier n'osa demourer à Paris, qui tantoste ne feust pendu ou destruit; ne parent, ne lignage, ne or, ne argent ne le pot garantir. La terre le Roy commença à amender, et le peuple y vint pour le bon droit que en y fèsoit. Si moulteplia tant et amenda, que les ventes, les

grands présens et dons qu'ils faisoient au prevôt. Dans ce temps, celui qui disoit la vérité devant le prevôt, ou qui vouloit garder son serment pour n'être pas parjure touchant aucune dette ou autre chose dont il fût tenu de répondre, le prevôt levoit amende sur lui et le punissoit à cause des grandes injustices et des grandes rapines qui étoient faites en la prevôté; le menu peuple n'osoit demeurer en la terre du roi, et alloit demeurer en autres prevôtés et en autres seigneuries, et la terre du roi étoit si déserte, que quand le prevôt tenoit ses plaids, il n'y venoit pas plus de dix personnes ou de douze. Avec cela, il y avoit tant de malfaiteurs et de larrons à Paris et dehors que tout le pays en étoit plein. Le roi qui mettoit grande diligence à savoir comment le menu peuple étoit gardé, sut toute la vérité; aussi il ne voulut pas que la prevôté de Paris fût vendue; mais donna bons et grands gages à ceux qui dorénavant la garderoient, et il abattit toutes les mauvaises coutumes dont le peuple pouvoit être grevé. Il fit enquérir par tout le royaume et par tout le pays où il pourroit trouver homme qui fit bonne et roide justice, et qui n'épargnât pas plus le riche homme que le pauvre; on lui indiqua Etienne Boileau, lequel maintint et garda si bien la prevôté, que nul malfaiteur, ni larron, ni meurtrier

pour la forme, et manque de plusieurs dispositions, comme nous l'avons indiqué.

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avoient mangé, il emportoient certeinne somme d'argent. Pardesus toutes ces choses; le Roy donnoit chascun jour si grans et si larges aumosnes aus poures de religion, aus poures hospitaus, aus poures malades, et aus autres poures collèges, et aus poures gentilzhomes et fames et damoiselles, à femmes décheues, à poures femmes veuves et à celles qui gisoient d'enfant, et à poures qui par vieillesce ou par maladie ne pooient labourer ne maintenir leur mestier, que à peinne porroit l'en raconter le nombre; dont nous poon bien dire que il fu plus bienaeureus que Titus l'empereur de Rome, dont les anciennes escriptures racontent que trop se dolut et fu desconforté, d'un jour que il n'avoit donné nul bénéfice. Dès le commencement que il vint à son royaume tenir et il se sot aparcevoir, il commença à édefier moustier et pluseurs maisons de religion; entre lesquiex l'abbaye de Royaumont porte l'onneur et la hautesce. Il fist édefier pluseurs mèson-Dieu, la mè

381. Dès le tens de s'enfance fu le Roy piteus des poures et des souffraiteus; et accoustumé estoit, que le Roy par-tout où il aloit, que six vingt poures feussent tout adès repeu en sa mèson, de pain, de vin, de char ou de poisson chascun jour. En quaresme et ès auvens croissoit le nombre des poures; et pluseurs foiz avint que le Roy les servoit et leur metoit la viande devant eulz, et leur tranchoit la viande devant culz, et leur donnoit au départir, de sa propre main des deniers. Meismement aus hautes végiles des festes sollempnielx, il servoit ces pou-son-Dieu de Paris, celle de Pontoise, celle de res de toutes ces choses desusdites, avant que il mangast ne ne beust. Avec toutes ces choses avoit-il chascun jour au disner et au souper près de li, anciens homes et débrisiés, et leur fèsoit donner tel viande comme il mangoit; et quant il

Compieingne et de Vernon, et leur donna grans rentes. Il fonda l'abbaye de saint Mathe de Roan, où il mist femmes de l'ordre des Frères Preescheurs, et fonda celle de Lonc-champ, où il mist femmes de l'ordre des Frères Meneurs,

giles des fêtes solennelles, il servoit ces pauvres de toutes ces choses susdites avant qu'il mangeât ni ne bût. En outre, il avoit chaque jour à dîner et à souper près de lui des vieillards et des estropiés auxquels il faisoit donner des viandes qu'il mangeoit, et quand ils avoient mangé, ils emportoient certaine somme d'argent. Par dessus tout cela, le roi donnoit chaque jour grandes et larges aumones aux pauvres de religion, aux pauvres hôpitaux, aux pauvres malades et aux pauvres

n'osa demeurer à Paris, craignant d'être aussitôt pendu ou détruit; car il n'y avoit ni parent, ni lignage, ni or, ni argent qui le pût garantir. Aussi la terre du roi commença à amender, et le peuple y vint à cause du bon droit qu'on y faisoit. Il s'y multiplia tant et tout amenda si bien que les ventes, les saisies, les achats et les autres levées valoient le double de ce que le roi y prenoit par avant. «En toutes ces choses que nous avons » ordonnées, disoit le roi, pour le profit de nos >> sujets et de notre royaume, nous nous réser-colléges et aux pauvres gentilshommes et femmes >>vons le pouvoir d'éclaircir, d'amender, d'ajou»ter, de diminuer, selon ce que nous aurons con» seil *. » Par cette ordonnance l'état du royaume de France devint meilleur, comme le témoignent plusieurs sages et anciens.

381. Dès le temps de son enfance, le roi fut compatissant pour les pauvres et pour tous ceux qui souffroient. C'étoit la coutume que partout où le roi alloit, six vingt pauvres fussent toujours nourris, en sa maison, de pain, de vin, de viande ou de poisson, chaque jour. En carême et pendant l'avent, le nombre des pauvres croissoit; et plusieurs fois il advint que le roi les servoit et leur mettoit le pain devant eux et le leur coupoit; à leur départ, il leur donnoit des deniers de sa propre main. Même aux grandes vi

* Voyez le Recueil des Ordonnances de nos rois de la troisième race, t. I, p. 78. Tout ce qu'on vient de lire C. D. M., T. I.

et demoiselles, aux pauvres femmes veuves et à celles qui étoient en couche, et aux pauvres ménétriers qui, par vieillesse ou par maladie ne pouvoient travailler ni faire leur métier ; à peine pourroit-on compter le nombre de ses charités. Et nous pouvons bien dire qu'il fut plus heureux que l'empereur Titus de Rome, dont les anciennes histoires racontent qu'il se plaignit et se lamenta · pour un jour qu'il avoit passé sans faire de bien à personne. Dès le commencement qu'il vint à tenir son royaume, et qu'il sut se connoître, il fit bâtir couvents et plusieurs maisons de religion, entre lesquels l'abbaye de Royaumont est la plus distinguée. Il fit édifier plusieurs MaisonsDieu, la Maison-Dieu de Paris, celle de Pontoise, celles de Compiègne et de Vernon et leur

sur la prévôté de Paris est fort abrégé dans les autres éditions.

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et leur donna grans rentes; et otroia à sa mère à fonder l'abbaie du Liz delez Meleun-surSeinne, et celle delez Pontoise que l'en nomme Malbisson; et fist fère la mèson des aveugles delez Paris, pour mettre les aveugles de la citié de Paris; il leur fist fère une chapelle pour oyr leur servise Dieu, et fist fère le bon Roy la mèson des Chartriers au dehors de Paris, qui fu appelée la mèson aus Filles-Dieu, et fist mettre grant multitude de femmes en l'ostel, qui par poureté estoient mises en péchié de luxure, et leur donna quatre cens livrées de rente pour elles soustenir; et fist en pluseurs liex de son royaume mèsons de Beguines, et leur donna rentes pour elles vivre, et commanda l'en que en y receust celles qui vourroient fère contenance à vivre chastement. Aucun de ses familéz groussoit de ce que il fèsoit si larges aumosnes et que il y despendoit moult; et il disoit : « Je aimme miez que l'outrage de grans despens » que je faiz, soit fait en aumosne pour l'amour Dieu, que en boban ne en vainne gloire de ce » monde. » Jà pour les grans despens que le Roy fèsoit en aumosne, ne lèssoit-il pas à fère grans despens en son hostel, chascun jour. Largement et libéralement se contenoit le Roy aus parlemens et aus assemblées des barons et des chevaliers, et fesoit servir si courtoisement à sa Court,

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donna grandes rentes. Il fonda l'abbaye de SaintMathieu de Rouen, où il mit des femmes de l'ordre des frères prêcheurs, et fonda celle de Long-Champs, où il mit des femmes de l'ordre des frères mineurs et leur donna grandes rentes; il octroya à sa mère de fonder l'abbaye du Liz, près de Melun-sur-Seine, et celle près de Pontoise que l'on nomme Maubuisson; il fit bâtir la maison des aveugles, près Paris, et leur fit faire une chapelle pour ouïr le service de Dieu; et le bon roi fit faire la maison des Chartreux au dehors de Paris, et assigna rentes suffisantes aux moines qui y étoient et servoient Notre-Seigneur. Aussitôt après, il fit construire une autre maison en dehors Paris, au chemin de Saint-Denis, qui fut appelée la maison aux Filles-Dieu, et fit mettre grande multitude de femmes en l'hôtel, lesquelles s'étoient mises en péché de luxure par pauvreté, leur donna quatre cents livres de rente pour se soutenir. Il fit en plusieurs lieux de son royaume maisons de béguines et leur donna rentes pour vivre, et commanda qu'on y reçut celles qui voudroient faire un vœu de continence. Aucun de ses familiers murmurèrent de ce qu'il faisoit si grandes aumônes et qu'il y dépensoit moult : « J'aime mieux, >> répondoit-il, que l'excès des grandes dépenses » que je fais soit fait en aumônes pour l'amour » de Dieu qu'en luxe ni en vaine gloire de ce » monde. >> Malgré les grandes dépenses que le

et

et largement et habandonnéement, et plus que il n'y avoit eu lonc temps passé à la Court de sesi devanciers. Le Roy amoit toutes gens qui se metoient à Dieu servir et qui portoient habit de religion; ne nulz ne venoit à li qui faillist à avoir chevance de vivre. Il pourveut les Frères du Carme et leur acheta une place sur Seinne devers Charenton, et fist fère une leur mèson, et leur acheta vestemens, calices, et tiex choses comme il appartient à fère le servise Nostre-Seigneur. Et après il pourveut les Frères de saint Augustin, et leur acheta la granche à un bourjois de Paris et toutes les apartenances, et leur fist fère un moustier dehors la porte de Monmartre. Les Frères des Saz il les pourveut, et leur donne place sur Seinne par devers SaintGermein-des-prez, où il se hébergèrent; mèz il n'y demourèrent guères, car il furent abatus assez tost. Après ce que les Frères des Saz furent herbergiés, revint un autre manière de Frères que l'en appèle l'ordre des Blansmantiaus, et requistrent au Roy que il leur aidast que il peussent demourer à Paris : le Roy leur acheta une mèson et vieilz places entour pour eulz herberger, delez la viez porte du Temple à Paris, assez près des Tissarans. Iceulx Blancs furent abatus au Concile de Lyon que Grégoire le dixième tint. Après revint une autre ma

roi faisoit en aumônes, il ne laissoit pas d'en faire de grandes en son hôtel chaque jour. Largement et libéralement se conduisoit le roi aux parlements et aux assemblées des barons et des chevaliers; il faisoit servir à sa cour aussi courtoisement, et largement, et abondamment et plus qu'il n'avoit été fait depuis long-temps à la cour de ses devanciers. Le roi aimoit toutes gens qui se mettoient au service de Dieu et qui portoient habit de religion; et nul d'eux ne venoit à lui qu'il manquât de secours pour vivre. Il pourvut les frères Carmes et leur acheta une place sur Seine devers Charenton; il fit faire leur maison et leur acheta vêtements, calices, et toutes choses qui appartiennent au service de Dieu; et après il pourvut les frères de Saint-Augustin, et leur acheta la grange d'un bourgeois de Paris et toutes les appartenances, et leur fit faire un couvent dehors de la porte de Montmartre. Il pourvut les frères des Saz et leur donna place sur Seine par devers Saint-Germain-des-Prez, où ils se logèrent; mais ils n'y demeurèrent guère, car ils furent abattus assez tôt. Après que les frères des Saz furent pourvus, il vint une autre manière de frères qu'on appelle l'ordre des Blanc-Manteaux, qui requirent du roi qu'il les aidat pour qu'ils pussent demeurer à Paris. Le roi leur acheta une maison et de vieilles masures autour pour les loger, près la vieille porte du Temple, à Paris, assez près des Tisserands. Ces

nière de Frères, qui se fèsoient appeler Frères de Sainte-Croiz, et portant la croiz devant leur piz, et requistrent au Roy que il leur aidast. Le Roy le fist volentiers, et les herberga en une rue qui est appelée le quarrefour du Temple, qui ore est appelée la rue Sainte-Croix. Einsi avironna le bon Roy de gens de religion de la ville de Paris.

382. Après ces choses desus dites, avint que le Roy manda touz ses barons à Paris en un quaresme. Je me excusai vers li pour une quartaine que j'avoie lors, et li priai que il me vousist souffrir; et il me manda que il vouloit outréement que je y alasse; car il avoit illée bons Phisiciens qui bien savoient guérir de la quarteinne. A Paris m'en alai. Quant je ving le soir de la végile Nostre-Dame en Mars, je ne trouvai ne Roy, n'autre qui me sceut à dire pourquoy le roi m'avoit mandé. Or avint ainsi comme Dieu voult, que je me dormi à matines, et me fu avis en dormant que je véoie le Roy devant un autel à genoillons, et m'estoit avis que pluseurs prélas revestus le vestoient d'une chesuble vermeille de sarge de Reins. Je appelai après ceste vision monseigneur Guillaume mon prestre, qui moult estoit sage, et li contai la vision. Et il me dit ainsi : « Sire, vous verrés que le Roy se croi» sera demain. » Je li demandai pourquoy il le

Blancs-Manteaux furent supprimés au concile de Lyon, que tint Grégoire le dixième. Après revint une autre manière de frères qui se faisoient appeler frères de Sainte-Croix, et portant la croix sur leur poitrine; ils requirent du roi qu'il les aidat. Le roi le fit volontiers et les hébergea en une rue qui est appelée le carrefours-duTemple, et qui maintenant a nom rue SainteCroix. Ainsi le bon roi environna de gens de religion la ville de Paris *.

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cuidoit; et il me dit que il le cuidoit, par le songe que j'avoie songé; car le chasible de sarge vermeille senefioit la croiz, laquelle fu merveille du sanc que Dieu y espandi de son costé, et de ses mains et de ses piez : « Ce que le chasuble estoit » de sarge de Reins, senefie que la croiserie » sera de petit esploit, aussi comme vous verrés » se Dieu vous donne vie. »

383. Quant je oi oye la messe à la Magdeleinne à Paris, je alai en la chapelle le Roy et trouvai le Roy qui estoit monté en l'eschaufaut aus reliques, et fèsoit aporter la vraie Croiz aval. Endementres que le Roy venoit aval, deux chevaliers qui estoient de son conseil, commencérent à parler l'un à l'autre, et dit l'un : « Jamės »> ne me créez, se le Roy ne se croise illec; » et l'autre respondi que se le Roy se croise, ce yert une des délivreuses journées qui oncques feust en France : « Car se nous ne nous croisons, » nous perdrons le Roy; et se nous nous croi» sons, nous perdrons Dieu, que nous ne nous » croiserons pas pour li. »

384. Or avint ainsi, que le Roy se croisa lendemain et ses trois filz avec li; et puis est avenu que la croiserie fu de petit esploit, selonc la prophecie de mon prestre. Je fu moult pressé du roy de France et du roy de Navarre de moy croisier. A ce respondis-je, que tandis comme

seigneur Guillaume mon prêtre qui moult étoit
sage et lui contai la vision. Et il me dit ainsi :
« Sire, vous verrez que le roi se croisera demain. »>
Je lui demandai pourquoi il le croyait et il me dit
qu'il le croyait par le songe que j'avois eu, car la
chasuble de serge vermeille signifioit la croix, la-
quelle fut vermeille du sang que Dieu y répandit
de son côté et de ses mains et de ses pieds; et la
chasuble de serge de Reims, ajouta-t-il, signifie
que
la croisade sera de petit exploit, comme vous
verrez si Dieu vous donne vie.

382. Après ces choses susdites, advint que le roi manda tous ses barons à Paris, en un carême. 383. Quand j'eus ouï la messe à la Madeleine, Je m'excusai auprès de lui pour une fièvre quarte à Paris, j'allai en la chapelle du roi et trouvai le que j'avais alors, et le priai qu'il me voulut lais- roi qui étoit monté sur l'échafaud aux reliques, et ser; et il me manda qu'il vouloit absolument que faisoit descendre la vraie croix. Pendant que le j'y allasse, car il y avait là bons médecins qui | roi descendoit, deux chevaliers qui étoient de son savoient guérir de la fièvre quarte. Je m'en allai conseil commencèrent à parler l'un à l'autre, et donc à Paris. Quand je vins le soir de la Vigile-l'un dit : «< Jamais ne me croyez si le roi ne se Notre-Dame en mars, je ne trouvai ni le roi ni autre qui me sût dire pourquoi le roi m'avoit mandé. Or, advint ainsi, comme Dieu veut que je m'endormis à Matines et me fut avis en dormant que je voyois le roi devant un autel, à genoux, et que plusieurs prélats revêtus de leurs ornemens, le couvroient d'une chasuble vermeille de serge de Reims. J'appelai après cette vision mon

Une partie de ces détails manque dans les autres éditions; et le reste est ou indiqué ou abrégé, mais on

» croise là.» et l'autre répondit que si le roi se croisoit ce seroit une des douloureuses journées qui oncques fût en France; «car, disoit-il, si nous ne >> nous croisons nous perdrons le roi, et si nous >> nous croisons, nous perdrons Dieu, parce que >> nous ne nous croiserons pas pour lui. »>

384. Or, advint ainsi que le roi se croisa le lendemain et ses trois fils avec lui; et puis est ad

trouve dans Pierre de Rieux une addition par laquelle on voit comment le comte d'Anjou devint roi de Sicile.

je avoie esté au service Dieu et le Roy outremer, et puis que je en reving, les serjans au roy de France et le roy de Navarre m'avoient destruite ma gent et apouroiez, si que il ne seroit jamès heure que moy et eulz n'en vausissent piz; et leur disoie ainsi, que se je en vouloie ouvrer au gré Dieu, que je demourroi ci pour mon peuple aidier et deffendre; car se je métoie mon cor en l'aven du pélérinage de la Croiz, là où je verroie tout clèr que ce seroit au mal et au doumage de ma gent qui mist son cors pour son peuple sauver.

385. Je entendi que touz ceulz firent péché mortel, qui li loèrent l'alée, pource que ou point que il estoit en France, tout le royaume estoit en bone pèz en li meismes et à touz ses voisins; ne onques puis que il en parti, l'estat du royaume ne fist que empirer. Grant péché firent cil qui li loèrent l'alée, à la grant flébesce là où son cors estoit; car il ne pooit souffrir ne le charrier, ne le chevaucher. La flébesce de li étoit si grant, que il souffri que je le portasse dès l'ostel au conte d'Ausserre, là où je pris congé de li, jeusques aus Cordeliers entre mes bras; et si fèble comme il estoit, se il feust demouré en France, peust-il en

venu que la croisade a été de petit exploit, selon la prophétie de mon prêtre. Je fus moult pressé du roi de France et du roi de Navarre de me croiser. A cela je répondis que tandis que j'avois été outremer au service de Dieu et du roi, et depuis que j'en étois revenu, les sergens du roi de France et et du roi de Navarre m'avoient détruit et appauvri ma gent, tellement qu'eux et moi nous en sentirions toujours. Je leur disois que si je voulois en faire au gré de Dieu, je demeurerois ici pour aider et défendre mon peuple; car si je mettois ma personne à l'aventure du pélérinage de la croix, là où je voyois tout clair que ce seroit au dommage de mes pauvres gens, je m'attirerois le courroux de Dieu qui se sacrifia pour sauver son peuple.

385. J'ai entendu dire depuis que tous ceux qui conseillèrent au roi le départ, firent péché mortel, parce qu'au point où en étoit la France, tout le royaume étoit en bonne paix au dedans et avec tous ses voisins, et que, depuis le départ, l'état du royaume ne fit qu'empirer. Grand péché firent ceux qui lui conseillèrent le voyage, à cause de la grande faiblesse où il étoit ; car il ne pouvoit souffrir ni la voiture ni le cheval. Sa foiblesse étoit si grande qu'il souffrit que je le portasse entre mes bras depuis l'hôtel du comte d'Auxerre, là où je

*Ce fait est tout autrement raconté dans Pierre de Rieux, dans Mesnard et Ducange, du moins quant à l'époque. Se trouvent dans de Rieux quelques détails

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core avoir vousc assez et fait moult de biens.

386. De la voie que il fist à Thunes ne veilje riens conter ne dire, pource que je n'i fu pas, la merci Dieu; ne je ne veil chose dire ne mettre en mon livre, dequoy je ne soie certein. Si parlerons de nostre saint Roy sanz plus, et dirons ainsi, que après ce que il fu arrivé à Thunes, devant le chastel de Carthage, une maladie le prist du flux du ventre, dont il acoucha au lit, et senti bien que il devoit par tens trespasser de cest siècle à l'autre. Lors appela monseigneur Phelippe son filz, et li commanda à garder aussi comme par testament, touz les enseignemens que il li lèssa, qui sont ci-après escript en françois; lesquiex enseignemens le Roy escript de sa sainte main, si comme l'en dit :

387. « Biau filz, la première chose que je t'enseigne, si est que tu mettes ton cuer en amer Dieu; car sanz ce nulz ne peut estre sauvé. » Garde-toy de fère chose qui à Dieu desplèse; >> c'est à savoir péchié mortel, ainçois devroies >> souffrir toutes manières de vileinnies, tormens, » que faire mortel péché. Se Dieu t'envoie >> perversité, si le recoif en patience, et en >> rent graces à Nostre-Seigneur, et pense que

pris congé de lui, jusqu'aux Cordeliers. Et tout faible qu'il étoit, s'il fût demeuré en France, il eût pu encore vivre assez et faire moult de bien *.

386. Du voyage que le roi fit à Tunis, je ne veux rien raconter ni dire, parce que je n'en fus pas, Dieu merci ; et je ne veux dire ni mettre en mon livre chose dont je ne sois certain. Mais je dirai seulement qu'après qu'il fut arrivé à Tunis devant le château de Carthage, un flux de ventre le prit; le roi se mit au lit et sentit qu'il devoit bientôt passer de ce siècle à l'autre. Lors le roi appela monseigneur Philippe son fils, et lui commanda de garder, comme par testament, tous les enseignemens qu'il lui laissa, qui sont ci après écrits en françois; lesquels enseignemens le roi avoit écrits de sa main, ainsi que l'on dit :

387. «Biau fils, la première chose que je t'en»seigne, c'est que tu mettes ton cœur à aimer Dieu, » car sans cela nul ne peut être sauvé. Garde-toi » de faire chose qui déplaise à Dieu; c'est à savoir » péché mortel; mais plutôt souffrir toutes maniè>> res de vilainie et de tourmens que de faire péché » mortel. Si Dieu t'envoye adversité, reçois la en » bonne patience et en rends grâce à notre sei>> gneur, et pense que tu l'as mérité, et que tout >> te tournera à profit. S'il te donne prospérité,

sur la croisade qui sont évidemment ajoutés par lui au récit de Joinville.

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