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356. Je dis au Roy que il ne le lessast pas partir de sa compaignie, tant comme il pot: mès il n'en vouloit rien fère pour li. Lors me prist le Roy par la main, et me dit : « Alons li encore prier. Nous venimes à li, et je li dis : « Sire, faites ce que mon seigneur vous proie, de demourer avec li tant comme li yert en Provence. >> Et il me respondi moult iréement : « Certes, Sire, » non ferai, ains irai en tel lieu là où Dieu m'a» mera miex que il ne feroit en la compaignie le Roy. » Un jour demoura avec nous, et lendemain s'en ala. Ore m'a l'en puis dit que il gist en la cité de Marseille, là où il fet moult bèles miracles.

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357. Le jour que le Roy se parti de Mirres, il descendi à pié du chastel pource que la coste | estoit trop roite, et ala tant à pié que, pource que il ne pot avoir son palefroi, que il le couvient monter sur le mien. Et quant ses palefrois furent venus, il courut sus moult aigrement à Poince l'escuier; et quant il l'ot bien mésamé, je li dis : « Sire, vous devez moult soufrir à Poince

>> ajouta-t-il, puisqu'il s'en va en France, qu'il >> fasse tel bon droit à son peuple qu'il en retienne >> l'amour de Dieu, de telle manière que Dieu ne >> lui ôte le royaume de France durant sa vie. » 356. Je dis au roi qu'il ne laissât pas partir ce moine de sa compagnie, et il me répondit qu'il l'en avoit prié, mais qu'il n'en vouloit rien faire pour lui. Lors, le roi me prit par la main et me dit : « Allons le prier encore. » Nous allȧmes à lui, et je lui dis : «Sire, faites ce que monsei>> gneur vous demande et demeurez avec lui tant » qu'il sera en Provence ; » et il me répondit fort en colère : « Certes, Sire, non ferai-je, mais j'irai en » tel lieu là où Dieu m'aimera mieux qu'il ne >> feroit si j'étois en la compagnie du roi. » Il demeura avec nous un jour, et le lendemain, il s'en alla. On m'a dit depuis qu'il gît en la cité de Marseille, là où il fait moult beaux miracles.

357. [Le jour que le roi partit d'Yères, il descendit à pied du château, parce que la côte étoit trop roide; il chemina quelque temps à pied, puis, n'ayant pas son palefroi, il monta sur le mien. Quand ses palefrois furent venus, il courut sus moult aigrement à Ponce, son écuyer, et quand il l'eut bien tancé, je lui dis : « Sire,

* Cet article manque dans les autres éditions.

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l'escuier; car il a servi vostre aieul et vostre » pere, et vous. Seneschal, fist-il, il ne nous a » pas servi, mès nous l'avons servi quant nous >> l'avons soufert entour nous, aus mauvès >> taches que il a; car le roy Phelippe mon aieul » me dit que l'en devoit guerre donner à sa meisnie, à l'un plus, à l'autre moins, selone ce » que il servent; et disoit encore que nul ne pooit estre bon gouverneur de terre, se il ne » savoit aussi hardiement escondire comme il >> sauroit donner. Et ces choses, fist le Roy, » vous apren-je, pource que le siecle est si engrès » de demander, que pou sont de gent qui resgardent au sauvement de leur ames ne à l'on»> neur de leur cors, que il puisse traire l'autrui chose par devers eulz, soit à tort, soit à » droit. »

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358. Le Roy s'en vint par la contée de Provence jusques à une cité que en appèle Ays en Provence, là où l'en disoit que le cors à Magdeleinne gisoit; et fumes en une voûte de roche moult haut, là où l'en disoit que la Magdeleinne avoit esté en hermitage dix-sept ans. Quant le Roy vint à Biaukaire, et je le vi en sa terre et en son pooir, je pris congé de li et m'en ving par la Daufine de Viennois ma nice, et par le conte de Chalon mon oncle, et par le conte de Bourgoigne son fils, et quant j'oi une piesce demouré à Joinville et je oy fètes mes besoignes, je me muz vers le Roy, lequel je trouvai à Sois

>> vous devez moult supporter Ponce, l'écuyer, >> car il a servi votre aïeul, votre père et vous. >> Sénéchal, reprit le roi, il ne nous a pas servis, >> mais nous l'avons servi quand nous l'avons souf>> fert auprès de nous avec les mauvaises qualités » qu'il a; car le roi Philippe, mon aïeul, me dit » que l'on devoit donner aux gens de sa maison, à » l'un plus, à l'autre moins, selon qu'ils méritent, >> et il disoit encore que nul ne pouvoit être bon >> gouverneur de terre s'il ne savoit aussi hardi>>ment refuser qu'il sauroit donner. Et je vous >> apprends ces choses, ajouta-t-il, parce que le >> siècle est si avide de demander, qu'il y a peu de >> gens qui regardent au salut de leurs àmes, ni à >> l'honneur de leurs personnes, pourvu qu'elles >> puissent attirer le bien des autres à elles, soit » à tort, soit à raison *. » ]

358. Le roi s'en vint par la comté de Provence jusqu'à une cité qu'on appelle Aix, en Provence, là où l'on disoit que le corps de Magdeleine gisoit; et nous allames en une voûte de rocher moult haut **, là où l'on disoit que la Magdeleine avoit été en ermitage dix-sept ans. Quand le roi vint à Beaucaire, et que je le vis dans sa terre et dans son royaume, je pris congé de lui, et m'en

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sons; et me fist si grant joie, que touz ceulz qui la estoient s'en merveillerent. Illec trouvai le conte Jehan de Bretaigne, et sa femme la fille de le roy Tybaut, qui offri ses mains au Roy, tele droiture comme elle devoit avoir en Champaingne; et le Roy l'ajourna au Parlement à Paris, et le roy Thybaut de Navarre le secont, qui là estoit pour oyr et pour droit faire aus parties.

359. Au Parlement vint le roy de Navarre et son Conseil, et le conte de Bretaingne aussi. A ce Parlement demanda le roy Thybaut madame Ysabel la fille le Roy pour avoir à femme, qui estoit fille le Roy, et les paroles que nos gens de Champaigne menoient par-dariere moy, pour l'amour que il orent veue que le Roy m'avoit moustrée à Soissons, je ne laissai pas pour ce, que je ne venisse au roy de France pour parler dudit mariage. «< Alez, dit le Roy, si vous apai» siés au conte de Bretaingne, et puis si ferons » nostre mariage. » Et je li dis que pour ce ne devoit-il pas lessier. Et il me respondi que à nul feur il ne feroit le mariage, jeusques à tant que la pèz fust faite, pource que l'en ne deist que il mariast ses enfans ou desheritement de ses barons.

360. Je raportai ces paroles à la royne Marguerite de Navarre et au Roy son filz, et à leur autre Conseil ; et quant il oyrent ce, il se hasterent de fère la pèz. Et après ce que la pèz fù faite, le roy de France donna au roy Thybaut sa fille; et furent les noces fètes à Meleun grans et plénères; et de là l'amena le roy Thybaut à Provins, là où la venue fu faite à grant foison de barons.

361. Après ce que le Roy fut revenu d'Outremer, il se maintint si dévotement que onques puis ne porta ne vair, ne gris, ne escarlatte, ne estriers, ne esperons dorez: ses robes estoient de camelin ou de pers; ses pennes de ses couvertouers et de ses robes estoient de gamites, ou de jambes de lievres.

362. Quant les menestriers aus riches homes venoient léans et il apportoient leur vielles après manger, il attendoit à oir ses graces tant que le menestrier eust fait sa lesse; lors se levoit, et les prestres estoient devant li, qui disoient ses graees. Quant nous estions privéement léans, il s'asséoit aus piés de son lit; et quant les Préescheurs et les Cordeliers qui là estoient, li ramentevoient aucun livre qu'il oyst volentiers, il leur disoit : « Vous ne me lirez point, car il

pour qu'on ne dit pas qu'il mariât ses enfants au préjudice de ses barons.

vins par le dauphiné de Viennois, qui apparte-roit le mariage jusqu'à ce que la paix fût faite, noit à ma nièce, et par la comté de Châlons qui appartenoit à mon oncle, et par la comté de Bourgogne, qui appartenoit à son fils. Et quand j'eus un peu demeuré à Joinville, et que j'eusse arrangé mes affaires, je retournai vers le roi que je trouvai à Soissons; il me fit si grande fête, que tous ceux qui étoient là s'en émerveillèrent. J'y trouvai le comte Jean de Bretagne et sa femme, fille du roi Thibault, laquelle offrit son hommage au roi pour ses droits en Champagne**; le roi l'ajourna au parlement de Paris, ainsi que le roi Thibault II, roi de Navarre, qui étoit là pour ouïr et faire droit aux parties.

359. Le roi de Navarre et son conseil, et le comte de Bretagne aussi, vinrent au parlement; le roi Thibault y demanda madame Isabelle, fille du roi, pour femme; et, aux prières que firent nos gens de Champagne qui m'avoient amené, à cause de l'amour qu'ils avoient vu que le roi m'avoit montré à Soissons, je ne laissai pas d'ajouter les miennes pour ledit mariage. Le roi répondit : « Allez faire la paix avec le comte de Bre>> tagne, et puis nous ferons le mariage. » Et je lui dis que, pour cela, ne devoit-il pas laisser de le faire; et il reprit qu'en nulle manière, il ne fe

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360. Je rapportai ces paroles à la reine Marguerite de Navarre, au roi son fils et à leur conseil; et, quand ils les eurent ouïes, ils se hatèrent de faire la paix. Après que la paix fut faite, le roi de France donna sa fille au roi Thibault, et les noces furent faites à Melun, grandes et plénières; de là, le roi Thibault amena sa femme à Provins, où elle fut reçue par grand nombre de barons.

361. Après que le roi fut revenu d'outre-mer, il se maintint si dévotement, que oncques depuis il ne porta ni vair, ni gris, ni écarlate, ni étriers, ni éperons dorés; ses robes étoient de camelot ou de pers (bleu tirant sur le noir); les fourrures de ses couvertures et de ses robes étoient de peaux de garnutes et de pattes de lièvres.

362. [Quand les ménétriers des riches hommes venoient à la cour, et qu'ils apportoient leurs vielles après les repas, il attendoit, pour ouïr ses grâces, que le ménétrier eût achevé son lay; alors il se levoit et les prêtres se tenoient debout devant lui et disoient ses grâces. Quand nous étions privément avec lui, il s'asseyoit aux pieds de son

jeu sa première femme, quélques dissensions pour des droits que le roi de Navarre prétendait avoir au pays de Champagne.

» n'est si bon livre après manger, comme quoli- | Crestienté ne li donroient-il la congnoissance.

» bez; » c'est-à-dire, que chascun die ce que il veut. Quant aucunz riches homes mangoient avec li, il leur estoit de bone compaingnie.

363. De sa compaingnie vous dirai-je. Il fu tel foiz que l'en tesmoingnoit qu'il n'avoit si sage à son Conseil comme il estoit; et parut à ce que tout senz son conseil, tout de venue dont je ai oi, il respondi à touz les prélas du royaume de France, d'une requeste que il li firent, qui fu tele.

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364. L'évesque Gui d'Aucerre li dit pour eulz touz:« Sire, fist-il, ces arcevesques et ces évesques » qui ci sont, m'ont chargé que je vous die que » la Crétienté déchiet et font entre vos mains, et décherra encore plus se vous n'i metés conseil, pource que nulz ne doute hui et le jour escom» meniement : si vous requerons, Sire, que vous » commandez à vos baillifz et à vos serjans que >> il contreingnent les escommeniés an et jour, >>`parquoy il facent satisfaccion à l'Eglise. » Et le Roy leur respondi touz sanz conseil, que il commanderoit volentiers à ses bailliz et à ses serjans que il constreignissent les escommeniés ainsi comme il le requeroient, mès que en li donnast la congnoissance se la sentence estoit droituriere ou non. Et il se conseillerent et respondirent au Roy, que de ce que il afféroit à la

lit; quand les prêcheurs et les cordeliers qui étoient là, lui rappeloient aucun livre qu'il eût ouï lire volontiers, il leur disoit : « Vous ne me lirez >> point, car il n'est si bon livre après le manger, » comme quolibez, c'est-à-dire que chacun dise ce » qu'il veut. »> Quant aucuns riches hommes étrangers mangeoient avec lui, il leur étoit de bonne compagnie.

363. De sa sapience, vous dirai-je qu'elle fut telle, que on témoignoit qu'il n'y avoit en son conseil si sage homme que lui; et il y paroissoit bien, car, quand on lui parloit d'aucunes choses, il ne disoit pas: je m'en conseillerai; mais quand il voyoit le droit tout clair et apparent, il répondoit sans hésiter, comme ce que j'ouïs qu'il répondit à tous les prélats du royaume de France à une requête qu'ils lui firent, et qui fut telle :

364. L'évêque Guy d'Auxerre, lui dit pour eux tous: « Sire, ces archevêques et évêques qui sont » ici m'ont chargé de vous dire que la chrétienté » décheoit et fond entre vos mains, et décherra si >> vous n'y mettez ordre, parce que nul aujour» d'hui ne craint les excommunications; ainsi >> vous requérons, Sire, que vous commandiez à » vos baillifs et à vos sergents qu'ils contraignent » les excommuniés d'un an et un jour, à faire sa>>tisfaction à l'Eglise. » Et le roi leur répondit sans prendre aucun conseil, qu'il commanderoit volontiers à ses baillifs et à ses sergents qu'ils con

Et le Roy leur respondi aussi que de ce que il afferoit à li, ne leur dourroit-il jà la congnoissance, ne ne commanderoit jà à ses serjans que il constreinsissent les escommeniés à eulz fère absoudre, fu tort, fu droit : « Car se je le fesoie, >> je feroie contre Dieu et contre droit. Et si vous » en mousterrai un exemple qui est tel; que les évesques de Bretaingne ont tenu le conte de Bre» taingne bien sept ans en escommeniement, et puis a eu absolucion par la Court de Rome; et » se je l'eusse contreint dès la première année, je l'eusse contreint à tort. »

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365. Il avint que nous fumes revenu d'Outremer que les moinnes de Saint-Urbain esleurent deux abbés; l'évesque Pierre de Chaalons, que Diex absoille, les chassa touz deuz et beney en abbé monseigneur Jehan de Mymeri, et li donna la croce. Je ne voil recevoir, pource qu'il avoit fèt tort à l'abbé Geffroy, qui avoit appelé contre li et estoit alé à Rome. Je ting tant l'abbaie en ma main, que ledit Geffroy emporta la croce, et celi là, perdi à qui l'évesque l'avoit donnée; et tandis que le contens en dura, l'évesque me fit escommenier: dont il ot à un parlement qui fu à Paris, grant tribouil de moy et de l'évesque Pierre de Flandres, et de la contesse Marguerite de Flandres et de l'arcevesque de Reins qu'elle

traignissent les excommuniés, comme ils le requé– roient, pourvu qu'on lui donnât la connoissance de la sentence, afin qu'il vît si elle étoit juste ou non. Les évêques se conseillèrent, et répondirent au roi qu'ils ne lui donneroient pas connoissance de ce qui concernoit la religion; et le roi leur répondit aussi que de ce qui le concernoit, il ne leur donneroit pas non plus connoissance et ne commanderoit pas à ses sergents qu'ils contraignissent les excommuniés à se faire absoudre, soit à tort, soit à raison: « Car si je le faisois, je ferois contre Dieu et con>> tre droit; je vous en citerai un exemple qui est » tel: les évêques de Bretagne ont tenu le comte » de Bretagne bien sept ans en excommunication, >> et puis il a eu absolution de la cour de Rome; » si je l'eusse contraint, dès la première année, je >> l'eusse contraint à tort. >>

365. [ I advint quand nous fùmes revenus d'outre-mer que les moines de saint Urbain élurent deux abbés : l'évêque Pierre de Châlons, que Dieu absolve, les chassa tous deux et bénit pour abbé monseigneur Jean de Mymeri, et lui donna la crosse. Je ne le voulus recevoir, parce qu'il avoit fait tort à l'abbé Geffroy, qui avoit appelé contre lui et étoit allé à Rome. Je tins l'abbaye en ma main jusqu'à ce que ledit Geffroy emporta la crosse, et que celui à qui l'évêque l'avoit donnée la perdit. Tant que le procès dura, l'évêque me fit excommunier; il y cut pour cela

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desmanti. A l'autre Parlement qui vint après, prierent touz les prélas au Roy que il venist parler à eulz tout seul. Quant il revint de parler aus prélas, il vint à nous qui l'attendions en la chambre ou palais, et nous dit tout en riant, le tourment que il avoit eu aus prélas, dont le premier fu tel, que, l'arcevesque de Reins avoit dit au Roy : « Sire, que me ferez-vous de la garde saint Remi de Reins que vous me tollez? car je ne vouroie avoir un tel péchié comme vous avez, pour le royaume de France. Par les Sains de céans, fist le Roy, si feriés pour Com» pieigne, par la convoitise qui est en vous; or » en y a un parjure. L'évesque de Chartres me requist, fist le Roy, que je li feisse recroire ce que je tenoie du sien; et je li diz que non fe[*roie, jeusques à tant que mon chastel seroit paiés; et li dis que il estoit mon home de ses ...* mains, et que il ne se menoit ne bien ne loialment vers moy, quant il me vouloit deshériter. L'évesque de Chalons me dist, fist le Roy: Sire, que me ferez-vous du seigneur de Joinville, qui tolt à ce poure moinne l'abbaie de saint Urbain? Sire évesque, fist le Roy, entre vous avez establi que l'en ne doit oyr nul es⚫ commenié en Court laie, et j'ai veues lettres seelées de trente-deux séaux, que vous estes

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i un parlement qui se tint à Paris, grand trouble entre moi et l'évêque Pierre de Flandres et la comtesse Marguerite de Flandres, et l'archevêque le Reims qu'elle démentit. A l'autre parlement qui vint après, tous les prélats prièrent le roi de eur venir parler tout seul. Quand il revint de parler aux prélats, il vint à nous qui l'attendions dans la chambre aux plaids, et nous dit tout en riant les tourments qu'il avoit eus avec les prélats. L'archevêque de Reims avoit dit d'abord au roi : Sire, quelle justice me ferez-vous de la garde » de Saint-Remi de Reims que vous m'ôlez, car je ne voudrois avoir un péché tel que celui » que vous avez, pour le royaume de France. » Par les saints de céans, reprit le roi, vous le » feriez bien pour Compiègne, par la convoitise » qui est en vous. Or il y en a un parjure. L'évêque » de Chartres me requit, ajouta le roi, que je le » remisse en possession de ce que je retenois du sien, et je lui dis que non ferai-je jusqu'à tant » que mon château fût payé; qu'il étoit mon » homme, et qu'il ne se conduisoit ni bien ni » loyalement envers moi, quand il me vouloit dé» pouiller. L'évêque de Châlons me dit : «< Sire, » quelle justice me ferez-vous du seigneur de » Joinville qui enlève à ce pauvre moine l'abbaye » de Saint-Urbain? Sire évêque, repartit le

C'est-à-dire qu'il fit vérifier le droit de possession ou d'héritage du sieur de Joinville.

» escommenié : dont je ne vous escouterai jeus» ques à tant que vous soiés absoulz. » Et ces choses vous moustréje, pource que il se délivra tout seul par son senz, de ce qu'il avoit à fère.

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366. L'abbé Geffroy de saint Urbain, après ce que je li oz faite sa besoigne, si me rendi mal pour bien, et appela contre moy. A nostre saint Roy fist entendant que il estoit en sa garde. Je requis au Roy que il feist savoir la vérité, se la garde estoit seue ou moye. « Sire, fist l'Abbé, ce ne ferez-vous jà, se Dieu plèt; mèz nous » tenez en plèt ordené entre nous et le seigneur » de Joinville que nous amons miex avoir nostre >> abbaie en vostre garde, que nous à celi qui l'éritage est. Lors me dit le Roy: Dient-il voir » que la garde de l'abbaie est moye? Certes, Sire, fiz-je, non est, ains est moye. Lors dit le Roy: il peut bien estre que l'éritage est vostre; » mèz en la garde de vostre abbaie n'avés-vous riens; ains couvient se vous voulés et selonc » ce que vous dites et selonc ce que le Seneschal dit, qu'elle demeure ou à moy ou à li; ne je ne » lèrai jà pour choses que vous en dites, que je » n'en face savoir la vérité; car se je le métoie » en plèt ordené, je m'esprenroie vers li est mon home, se je li métoie son droit en plèt, dou

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» roi, vous avez établi entre vous que l'on ne doit >> ouïr nul excommunié en cour laïque, et j'ai vu » lettres scellées de trente-deux sceaux par les» quelles vous êtes excommunié : donc je ne vous » écouterai jusqu'à tant que vous soyez absous. >> Et ces choses vous rapportai-je pour que vous voyiez comment il se délivra tout seul par son sens de ce qu'il avoit à faire.

366. L'abbé Geffroy de Saint-Urbain, après ce que j'avois fait pour lui, me rendit le mal pour le bien et appela contre moi. Il fit entendre à notre saint roi qu'il étoit en sa garde. Je requis du roi qu'il fit savoir la vérité *, si la garde étoit sienne ou mienne. « Sire, dit l'abbé, cela vous ne ferez, » s'il plaît à Dieu. Mais vous tiendrez en justice » réglée ** entre nous et le seigneur de Joinville » que nul ne peut avoir notre abbaye en garde » que vous à qui est l'héritage. « Lors le roi me dit : « Dit-il vrai que la garde de l'abbaye est mienne? >> -Certes, Sire, répondis-je, non elle n'est vôtre, >> mais elle est mienne. » Alors le roi dit : « Il peut » bien être que l'héritage soit vôtre. » Puis, s'adressant à l'abbé : « Vous n'avez rien pour la garde » de votre abbaye; il convient donc, si vous vou» lez, et selon ce que vous dites et selon ce que » le sénéchal dit, qu'elle demeure ou à moi ou à » lui; malgré les choses que vous dites, je ne lais

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367. Il avint que le saint Roy pourchassa tant, que le roy d'Angleterre, sa femme et ses enfans vindrent en France pour traitier de la pèz de li et d'eulz. De ladite pèz furent moult contraire ceulz de son Conseil, et li disoient ainsi : « Sire, nous nous merveillons moult que >> vostre volenté est tele, que vous voulés donner » au roy d'Angleterre si grant partie de vostre » terre que vous et vostre devancier avez conquise sus li et par leur meffait; dont il nous » semble que se vous entendez que vous n'i aiés droit, que vous ne fètez pas bon rendage au » roy d'Angleterre, se vous ne li rendez toute la » conqueste que vous et vostre devancier avez >> faite; et se vous entendez que vous y aiés droit, il nous semble que vous perdez quant» que vous li rendez. » A ce respondi le saint Roy en tele maniere : « Seigneurs, je sui les de» vanciers au roy d'Angleterre ont perdu tout » par droit la conqueste que je tieing; et la terre » que je li donne, ne li donnè-je pas pour chose » que je soie tenu à li ne à ses hoirs, mès pour » mettre amour entre mes enfans et les siens

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>> serai pas d'en faire savoir la vérité; car si je le >> mettois en justice réglée, je ferois tort à lui qui >> est mon homme; ainsi je ferai examiner son >> droit duquel il m'offre de faire savoir la vérité >> clairement. » Il fit savoir la vérité, et la vérité sue, il me délivra la garde de l'abbaye et me bailla ses lettres **.]

367. Il advint que le saint roi fit tant que le roi d'Angleterre, sa femme et ses enfants vinrent en France pour traiter de la paix entre lui et eux. A cette paix ceux de son conseil furent moult contraires; ils disoient ainsi : « Sire, nous nous émer>> veillons moult que votre volonté soit telle que » vous voulez donner au roi d'Angleterre si >> grande partie de votre terre que vous et votre >> devancier avez conquise sur lui, et par leur mé>> fait; il nous semble que si vous entendez que » vous n'y avez droit, vous ne ferez pas bonne >> restitution au roi d'Angleterre, en ne lui ren>> dant pas toute la conquête que vous et votre de>> vancier avez faite; et si vous entendez que vous » y avez droit, il nous semble que vous perdez »>> tout ce que vous lui rendez. » A cela répondit le roi: «Seigneurs, je suis certain que les devan» ciers du roi d'Angleterre ont perdu par droit >> toute la conquête que je tiens; et la terre que

* Il y a sans doute ici, dans le texte, une erreur de copiste.

Tous ces détails manquent dans les autres éditions.

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qui sont cousins germains; et me semble que >> ce que je li donne emploiè-je bien, pource que » il n'estoit pas mon home, si en entre en mon » houmage. Ce fu l'omme du monde qui plus se traveilla de paiz entre ses sousgis et espécialement entre les riches homes voisins et les Princes du royaume; si comme entre le conte de Chalon oncle au seigneur de Joinville, et son filz le conte de Bourgoingne, qui avoit grant guerre quant nous revenimes d'Outremer; et pour la pèz du pere et du fil, il envoia de son Conseil en Bourgoingne et à ses despens; et par son pourchas fu fète la pèz du père et du filz.

368. Puis ot grant guerre entre le secont roy Tibaut de Champaigne et le conte Jehan de Chalon, et le conte de Bourgoingne son filz, pour l'abbaie de Lizeu; pour laquelle guerre appaisier monseigneur le Roy y envoia monseigneur Gervaise Descrangnes, qui lors estoit mestre Queu de France; et par son pourchas il les apaisa.

369. Après ceste guerre que le Roy appaisa, revint une autre grant guerre entre le conte Thybaut de Bar et le conte Henri de Lucembourc, qui avoit sa sereur à femme; et avint ainsi, que il se combatirent l'un à l'autre desouz Priney, et prist le conte Thybaut de Bar

» je lui donne, je ne la lui donne pas parce que » j'y suis tenu en rien envers lui ni envers ses >> hoirs, mais pour mettre amour entre mes en>> fants et les siens qui sont cousins-germains, et >> il me semble que ce que je lui donne, je l'em>> ploie bien, car il n'étoit pas mon homme, et il >>> entre en mon hommage. » Ce fut l'homme du monde qui plus s'occupa de mettre la paix entre ses sujets, spécialement entre les riches hommes voisins et les princes du royaume; comme entre le comte de Châlons, oncle du seigneur de Joinville, et son fils le comte de Bourgogne, qui avoient grande guerre quand nous revinmes d'outre-mer; et pour la paix du père et du fils, le roi envoya quelques-uns de son conseil en Bourgogne, à ses dépens; et par ses soins la paix fut faite entre le père et le fils.

368. Puis il y eut grande guerre entre Thibault II, roi de Champagne, et le comte Jean de Chalons et le comte de Bourgogne, son fils, pour l'abbaye de Luxeu; pour laquelle guerre apaiser monseigneur le roi y envoya monseigneur Gervais Descrangnes, qui lors étoit maître-queux de France, et par ses soins il les apaisa.

369. Après cette guerre que le roi apaisa, revint une autre grande guerre entre le comte Thibault de Bar et le comte Henri de Luxembourg, qui avoit la sœur de Thibault pour femme; il advint qu'ils se combattirent l'un l'autre sous Piney; le comte Thibault de Bar fit prisonnier le

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