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que il y alast. Par nos journées venimes ou sablon d'Acre, là où le Roy et l'ost nous lojames illec. Au lieu vint à moy un grant peuple de la grant Hermenie qui aloit en pélerinage en Jérusalem, par grant treu rendant aus Sarrazins qui les conduisoient, et un latimier qui savoit leur language et le nostre. Il me firent prier que je leur moustrasse le saint Roy. Je alai au Roy là où il se séoit en un paveillon, apuié à l'estache du paveillon, et séoit ou sablons sanz tapiz et sanz nulle autre chose desouz li. Je le dis: Sire, il a là hors un grant peuple de la grant >> Hermenie qui vont en Jérusalem, et me proient, Sire, que je leur face mouster le saint Roy; mès je ne bée jà à baisier vos os. » Et il rist moult clèrement, et me dit que je les alasse querre; et si fi-je. Et quant il orent veu le Roy il le commanderent à Dieu; et le Roy eulz. Lendemain just l'ost en un lieu que en appèle Passe-Poulain, là où il a de moult beles caves de quoy l'en arrose ce dont le sucre vient. Là où nous estions logié illec, l'un de mes chevaliers me dit : « Sire, fist-il, or vous ai-je logié en

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plus beau lieu que vous ne feust hier. » L'autre chevalier qui m'avoit prise la place devant,

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sailli sus tout effraez, et li dit tout haut : « Vous >> estes trop hardi quant vous parlés de chose que je face; » et il sailli sus et le prist par les cheveus. Et le sailli sus et le feri du poing entre les deux épaules, et il le lessa; et je li dis : « Or >> hors de mon hostel; car, si maist Dieu, avec » moy ne serez-vous jamèz. Le chevalier s'en ala si grant deuls demenant, et m'amena monseigneur Gilles le Brun le connestable de France; et pour la grant repentance que il véoit que le chevalier avoit de la folie que il avoit faite, me pria si acertes comme il pot, que je le ramenasse en mon hostel. Et je respondi que je ne li remenroie pas, se le Légat ne me absoloit de mon serement. Au légat en alerent et li conterent le fait, et le Légat leur respondi que il n'avoit pooir d'eulz absoudre, pource que le serement estoit résonnable; car le chevalier l'avoit moult Et ces choses vous moustré-je, bien deservi.

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» pour ce que vous vous gardés de fère serement que il ne couvieingne faire par rèson; car, ce » dit le Sage, qui volentiers jure, volentiers se >> parjure. >>

300. Lendemain s'ala loger le Roy devant la cité d'Arsur, que l'en appèle Tyri en la Bible.

nous vinmes au rivage d'Acre où le roi et l'armée flogèrent. En ce lieu vint à moi un grand nombre de gens de la grande Arménie qui alloient en pélerinage à Jérusalem *, en payant un grand tribut aux Sarrasins qui les conduisoient; ils avoient un trucheman qui savoit leur langage et le nôtre. Ils me firent prier que je leur montrasse le saint roi. J'allai au roi là où il étoit assis en un pavillon, appuyé à la colonne du pavillon, et il étoit assis sur le sable sans tapis et sans nulle autre chose sous lui. [Je lui dis : « Sire, il y a là dehors un >> grand peuple de la grande Arménie qui vont en » Jérusalem, et ils me prient, Sire, que je leur >> fasse voir le saint roi ; cependant, je ne désire >> pas encore baiser vos os. » Et le roi rit moult clairement et me dit de les aller quérir; et ainsi fis-je **.] Et quand ils eurent vu le roi, ils le recommandèrent à Dieu, et le roi fit de même d'eux. Le lendemain l'armée passa la nuit dans un lieu qu'on appelle Passe-Poulin, là où il y a de moult belles eaux avec lesquelles on arrose les cannes dont vient le sucre. Pendant que nous étions logés là, un de mes chevaliers me dit : « Sire, je vous ai logé en un plus beau lieu que » vous ne fûtes hier. » L'autre chevalier, qui m'a

* Ces pélerinages des Arméniens n'ont jamais cessé jusqu'à présent. Nous trouvant à Acre, comme Joinville, nous avons vu des troupes nombreuses de pélerins d'Arménie, et nous avons fait route avec eux jusqu'à Jérusalem. (Voyez Correspondance d'Orient, t. IV.)

voit choisi mon logement la veille, sauta sur lui tout courroucé et lui dit tout haut : « Vous êtes trop >> hardi quand vous parlez des choses que je fais.» Et il le prit par les cheveux, et je sautai sur lui et le frappai du poing entre les deux épaules, et il le laissa, et je lui dis : « Hors de mon hôtel, car, >> si Dieu m'assiste, avec moi ne serez-vous ja>> mais. » Le chevalier s'en alla en grande tristesse et m'amena monseigneur Giles Lebrun, le connétable de France, et à cause de la grande repentance qu'il voyoit que le chevalier avoit de la folie qu'il avoit faite, me pria autant qu'il put que je le remenasse en mon hôtel. Et je répondis que je ne l'y remenerois pas, si le légat ne m'absolvoit de mon serment. Ils s'en allèrent au légat et lui contèrent le fait, et le légat leur répondit qu'il n'avoit pouvoir de m'absoudre, parce que le serment étoit raisonnable, car le chevalier l'avoit moult bien mérité. Et ces choses vous montrai-je, pour que vous vous gardiez de faire serment qu'il ne convienne faire par raison; car, comme dit le sage: « Qui volontiers jure, volontiers se par>> jure. >>

300. Le roi s'alla loger le lendemain devant la cité de Sur qu'on appelle Tyr dans la Bible.

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plaisanterie, dans les autres éditions.

*** Il y a ici erreur de copiste dans le texte, il faut lire Sur. L'ancienne ville de Tyr porte aujourd'hui le nom de Sur. Elle était encore florissante au temps des croisades. Ce n'est plus qu'un petit bourg à peine peu

Cette conversation est omise, ainsi que la plé de 2,000 habitans.

le

Illec appela le Roy des riches homes de l'ost, et leur demanda conseil se il seroit bon que il alast prenre la cité de Belinas avant que il alast à Sayette. Nous loames tuit que il estoit bon que le Roy y envoiast de sa gent; mèz nulz ne li loa que son cors y alast: à grant peinne l'en destourba l'en. Acordé fu ainsi, que le conte d'Eu iroit et monseigneur Phelippe de Montfort, sire de Sur, monseigneur Giles le Brun connestable de France, monseigneur Pierre le Chamberlin', le Mestre du Temple et son couvent, le Mestre de l'Ospital et son couvent, et son frere aussi. Nous nous armames à l'anuitier, et venimes un pou après le point du jour en une pleinne qui est devant la cité qui en appèle Belinas, et l'appèle l'Escripture ancienne CézairePhelippe. En celle cité sourt une fonteinne que l'en appèle Jour; et enmi les plainnes qui sont devant la cité, sourt une autre très-bele fonteinne qui est appelée Dan. Or est ainsi, que quant ces deux ruz de ces deux fonteinnes viennent ensemble, ce appèle l'en le fleuve de Jourdain là où Dieu fut baptizié.

301. Par l'acort du Temple et du conte d'Eu, de l'Ospital et des barons du pais qui là estoient, fu accordé que la bataille le Roy (en laquelle ba

Là, le roi appela ses riches hommes de l'armée et leur demanda s'il seroit bon qu'il allat prendre la cité de Bélinas, avant que d'aller à Sayette. Nous conseillames tous qu'il lui étoit bon qu'il y envoyal de ses gens; mais nul ne lui conseilla d'y aller en personne. A grand'peine l'en détournat-on. Ainsi fut convenu que le comte s'en iroit et monseigneur Philippe de Montfort, le seigneur de Sur, monseigneur Giles Lebrun, connétable de France; monseigneur Pierre le Chambellan, le maitre du Temple et son couvent, le maître de l'Hôpital et son couvent et son frère aussi. Nous nous armames à l'entrée de la nuit et vtumes un peu après le point du jour en une plaine qui est devant la cité qu'on appelle Bélinas *, et que l'écriture ancienne nomme Césarée de Philippe. En cette cité sort une fontaine qu'on appelle Jor, et parmi les plaines qui sont devant la cité, sort une très belle fontaine qui est appelée Dan. Or, il advient que quand ces deux ruisseaux viennent ensemble, ils forment le fleuve qu'on appelle Jourdain, là où Dieu fut baptisé.

301. Il fut convenu entre les Templiers, le comte d'Eu, les Hospitaliers et les barons du pays qui étoient là, que la bataille du roi en laquelle j'étois alors, parce que le roi avoit retenu avec lui les quarante chevaliers qui étoient en

Cette ville est située à la source visible du Jourdain, au pied du mont Panion, à une journée de Tyr. Aujourd'hui ce n'est plus qu'un village où l'on voit en

taille je estoie lors, pource que le Roy avoit retenu les quarante chevaliers qui estoient en ma bataille avec li) et monseigneur Joffroy de Sergines le preudomme aussi, iroient entre le chastel et la cité; et li terrier enterroient en la cité à main senestre, et l'Ospital à main destre, et le Temple enterroit en la cité la droite voie que nous estions venu. Nous nous esmeumes lors tant que nous venimes delez la cité, et trouvames que les Sarrazins qui estoient en la ville, orent desconfit les serjans le Roy et chaciés de la ville. Quant je vis ce, ving aus preudeshomes qui estoient avec le conte d'Eu, et leur dis: « Seigneurs, se vous n'alés là où en »> nous a commandé, entre la ville et le chastel, les Sarrazins nous occiront nos gens qui sont I entrés en la ville. » L'alée y estoit si périlleuse, car le lieu là où nous devions aler estoit le périlleus; car il y avoit trois paire de murs sès à passer, et la coste estoit si roite que à peinne s'i pooit tenir chevaus; et le tertre là où nous devions aler, estoit garni de Turs à grant foison à cheval. Tandis que je parloie à eulz, je vi que nos serjans à pié deffesoient les murs. Quant je vis ce, je dis à ceulz à qui je parloie, que l'en avoit ordené que la bataille le

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ma bataille, et monseigneur Geoffroy de Sargines le prud'homme aussi, iroient entre le château et la cité; que les barons du pays entreroient en la cité à main gauche et l'Hôpital à main droite, et que le Temple entreroit par la droite voie que nous avions tenue. Nous nous mêmes lors en marche et nous vinmes près de la cité, et trouvâmes que les Sarrasins qui étoient dans la cité avoient déconfi les sergents du roi et les avoient chassés de la ville. Quand je vis cela, je vins aux prud'hommes qui étoient avec le comte d'Eu et leur dis: «Seigneurs, >> si vous n'allez là où l'on nous a commandé en>>tre la ville et le château, les Sarrasins nous occi>> ront nos gens qui sont entrés en ville. » Le chemin pour y aller étoit périlleux, car il y avoit trois enceintes de murs secs à passer, et la côte étoit si roide qu'à peine trois chevaux s'y pouvoient tenir, et le tertre, là où nous devions aller, étoit garni de Turcs à cheval, à grande foison. Tandis que je leur parlois, je vis que nos sergents à pied défaisoient les murs. Quand je vis cela, je dis à ceux à qui je parlois qu'on avoit ordonné que la bataille du roi iroit là où les Turcs étoient, et que puisqu'on l'avoit commandé j'irois. Je marchai moi et mes deux chevaliers à ceux qui défaisoient les murs, et vis qu'un sergent à cheval croyoit passer le mur et

core les ruines de la forteresse des Templiers. Voyez pour plus de détails la lettre de M. Gillot dans le t. VII de la Correspondance d'Orient.

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il chassoient à folie, il s'en revindrent arieres. Quant les Sarrazins virent ce, il leur coururent sus à pié, et leur donnoient de sus les roches grans cops de leur maces, et leur arrachoient les couvertures de leur chevaus. Quant nos serjans virent le meschief qui estoient avec nous, il se commencierent à effréer; et je leur dis que se il s'en aloient que je les feroit geter hors des gages le Roy à touzjours mès. Et il me distrent : «< Sire, le jeu nous est mal parti, car vous estes à cheval, si vous enfuirés; et nous sommes à pié, si nous occi»ront les Sarrazins. » Et je leur dis: «< Sei>> gneur, je vous asseure que je ne m'enfuirai » pas, car je demourrai à pié avec vous. » Je descendi et envoiai mon cheval avec les Templiers, qui estoient bien une arbalestrée darieres. Au revenir que les Alemans fesoient, les Sarrazins ferirent un mien chevalier qui avoit non monseigneur Jehan de Bussey, d'un carrel parmi la gorge, et chei tout devant moy. Monseigneur Hugues d'Escoz, cui niez il estoit, qui moult bien se prouva en la Sainte-Terre, me dit : « Sire, venés nous aidier pour reporter » mon neveu l'aval. Mal dehait ait, fiz-je, qui vous y aidera, car vous estes aléz là sus sanz mon

Roy iroit là où les Turs estoient; et puisque en l'avoit commandé, je iroie. Je mesdreçai moy et mes deux chevaliers à ceulz qui deffesoient les murs, et vi que un serjant à cheval cuidoit passer le mur, et li chei son cheval sus le cors. Quant je vi ce, je descendi à pié et pris mon cheval par le frain. Quant les Turs nous virent venir, ainsi comme Dieu voult, ils nous lesserent la place là où nous devions aler. De celle place là où les Turs estoient, descendoit une roche taillée en la cité. Quant nous feumes là et les Turs s'en furent partis, les Sarrazins qui estoient en la cité, se desconfirent et lesserent la ville à nostre gent sanz débat. Tandis que je estoie là, le Maréchal du Temple oy dire que je estoie en péril; si s'en vint là à mont vers moy. Tandis que je estoie là à mont, les Alemans qui estoient en la bataille au conte d'Eu vindrent après moy; et quant ils virent les Turs à cheval qui s'enfuioient vers le chastel, ils s'esmurent pour aler après eulz; et je leur dis: « Seigneurs, vous ne faites pas bien; car nous sommes là où en nous a commandé,et vous alez outre commandement. >> 302. Le chastiau qui siet desus la cité, a non Subeibe, et siet bien demi-lieue haut ès montaignes de Libans; et le tertre qui monte >> commandement; se il vous en est mescheu, au chastel est peuplé de grosses roches aussi » ce est à bon droit; reportés-le l'aval en la comme li huges. Quant les Alemans virent que» longaingne, car je ne partirai de ci jus

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il tomba son cheval sur le corps. Quand je vis cela, je descendis à pied et pris mon cheval par le frein. Quand les Turcs nous virent venir, ainsi Dieu le voulut, ils nous laissèrent la place là où nous devions aller. De cette place là où étoient les Turcs, descendoit dans la cité une roche taillée. Pendant que nous étions là et lorsque les Turcs en furent partis, les Sarrasins qui étoient dans la cité se débandèrent et laissèrent la ville à nos gens sans débat. Pendant que j'étois là, le maréchal du Temple ouït dire que j'étois en péril; et il s'en vint amont vers moi pendant que j'étois là amont; les Allemands qui étoient en la bataille du comte d'Eu vinrent après moi, et quand ils virent les Turcs à cheval qui s'enfuyoient vers le château, ils s'émurent pour aller après eux et je leur dis: «Seigneurs, vous ne >> faites pas bien; car nous sommes là où on nous » a commandés, et vous allez contre commande>>> ment. >>>

302. Le château qui est au-dessus de la cité a nom Subeibe **; il est bien à demi-lieue sur la montagne du Liban; et le tertre qui monte au chateau est rempli de roches aussi grosses que des huches. Quand les Allemands virent qu'ils s'étoient

* Ce château était au haut du mont Panion, et dominait la ville dont il était distant d'un quart-d'heure.

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follement engagés à la poursuite de l'ennemi, ils s'en revinrent en arrière. Les Sarrasins voyant cela, leur coururent sus à pied, et de dessus les roches leur donnoient de grands coups de leurs masses et leur arrachoient les couvertures de leurs chevaux. Quand nos sergens qui étoient avec moi virent ce méchief, ils commencèrent à s'effrayer, et je leur dis que s'ils s'en alloient, je les ferois jeter à tout jamais hors des gages du roi. Et ils me dirent: « Sire, la partie n'est pas égale, car » vous êtes à cheval et vous vous enfuirez; et nous >> sommes à pied, et les Sarrasins nous occiront. >> Et je leur dis: «Seigneurs, je vous assure que je » ne m'enfuirai pas, car je demeurerai à pied >> avec vous. » Je descendis et j'envoyai mon cheval aux Templiers qui étoient bien à une portée d'arbalète derrière nous. Au retour que les Allemands faisoient, les Sarrasins frappèrent un mien chevalier qui avoit nom monseigneur Jean de Bussey, d'un trait d'arbalète à travers la gorge et il chut tout devant moi. Monseigneur Hugues d'Escoz dont il étoit le neveu et qui moult se montra bien en la Terre-Sainte, me dit: «<[Sire, venez nous aider à reporter mon neveu en bas. Malheur à celui qui vous y aidera, ré

* Ce château que Joinville appelle Subeibe, se nomme aujourd'hui Subéia.

>>ques à tant que l'en me revenrra querre. » 303. Quant monseigneur Jehan de Valenciennes oy le meschief là où nous estions, il vint à monseigneur Oliviers de Termes et à ses autres chiéveteins de la corte Laingue, et leur dit : « Seigneurs, je vous pri et comment de par » le Roy, que vous m'aidiés à querre le Senes» chal. » Tandis que il se pourchassa ainsinc, monseigneur Guillaume de Biaumont vint à li et li dit : « Vous vous traveillés pour nient; car le » Seneschal est mort. » Et il respondi: « ou de » la mort ou de la vie diré-je nouvelles au Roy. Lors il s'esmut et vint vers nous, là où nous estions montés en la montaingne; et maintenant qu'il vint à nous, il me manda que je venisse à li; et si fis-je.

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304. Lors me dit Olivier de Termes, que nous estions illec en grant péril; car se nous descendions par où nous estions montés, nous ne le pourrions faire sanz grant péril, pource que la coste estoit trop male, et les Sarrazins nous descendroient sur les cors : « Mès se vous » me voulés croire, je vous déliverrai sanz perdre. » Et je li diz que il devisat ce que il vourroit, et je feraie. « Je vous dirai, fit

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» pondis-je, car vous êtes allés là sus, sans >> mon commandement; s'il vous en est mal arrivé, » c'est à bon droit. Portez-le là bas dans la voirie, » car je ne partirai d'ici que quand on m'enverra » quérir »> ].

303. Quand monseigneur Jean de Valenciennes ouït le méchief où nous étions, il alla trouver monseigneur Olivier de Thermes et ses autres chevetains de Languedoc, et leur dit : « Seigneurs, je vous » prie et commande de par le roi que vous m'aidiez >> à aller quérir le Sénéchal.» Pendant qu'il parloit ainsi, monseigneur Guillaume de Beaumont vint à lui et lui dit: «Vous vous tourmentez pour rien; car » le Sénéchal est mort; » et il répondit : « Ou de sa » mort ou de sa vie, je veux dire nouvelles au roi.»> Lors il partit et vint vers nous là où nous étions sur la montagne ; et quand il fut venu à nous, il me manda de le suivre et ainsi fis-je.

304. Lors me dit Olivier de Thermes que nous étions là en grand péril, car si nous descendions par où nous étions montés, nous ne le pourrions faire sans grande perte, parce que la côte étoit trop mauvaise et les Sarrasins nous descendroient sur le corps; «mais, si vous voulez me croire, ajouta-t-il, » je vous délivrerai sans perte. » Et je lui dis qu'il ordonnât ce qu'il voudroit, que je le ferois. «Je

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il, comment nous eschaperons : nous en » iron, fist-il, tout ce pendant, ainsi comme >> nous devion aler vers Damas; et les Sarrazins qui là sont, cuideront que nous les veillons » prenre par darieres; et quant nous serons en >> ces plainnes, nous ferrons des esperons entour » la cité, et aurons passé le ru que il puissent » venir vers nous; et si leur ferons grant dou-. mage, car nous leur metrons le feu en ses >> formens batus qui sont enmi ces chans. » Nous feimes aussi comme il nous devisa; et il fist prenre canes dequoy l'en fèt ces fleutes, et fist mettre charbons dedans et ficher dedans les formens batus. Et ainsi nous ramena Dieu à sauveté, par le conseil Olivier de Termes. Et sachiez quant nous venimes à la heberge là où nostre gent estoient, nous les trouvâmes touz desarmés; car il n'i ot onques nul qui s'en preist garde. Ainsi revenimes lendemain à Sayete, là où le Roy estoit.

305. Nous trouvames que le Roy son cors avoit fait enfouir les crestiens que les crestiens avoient occis, aussi comme il est desus dit; et il meismes son cors portoit les cors pourris et touz puanz pour mettre en terre ès fosses, que

>> vous dirai, reprit-il, comment nous échapperons; >> nous nous en irons comme si nous devions aller >> vers Damas, et les Sarrasins qui sont là, croi>>ront que nous les voulons prendre par derrière; >> et, quand nous serons en ces plaines, nous don>> nerons des éperons autour de la cité, et nous au>> rons passé le ruisseau avant qu'ils puissent venir >> à nous; et aussi, leur ferons-nous grand dom>> mage, car nous leur mettrons le feu à ces fro» ments battus qui sont dans ces champs. » Nous fimes ainsi qu'il ordonna, et il fit prendre des roseaux avec quoi l'on fait des flûtes, et fit mettre des charbons dedans et les fit planter dans les froments battus. Et ainsi, Dieu nous ramena à sauveté par le conseil d'Olivier de Thermes. Et sachez que, quand nous vinmes au logement là où étoient nos gens, nous les trouvâmes tous désarmés, car il n'y eut oncques nul qui fut sur ses gardes. Le lendemain, nous revînmes à Sayette où le roi étoit **.]

305. Nous trouvâmes que le roi en personne avoit fait enfouir les chrétiens que les Sarrasins avoient occis, comme il est dit ci-dessus; luimême portoit les corps pourris et tout puans pour les mettre en terre, sans que jamais il se bouchat les narines, comme faisoient les autres ***.

» sur le rivage de la mer, il trouva les corps des chré» tiens que les Sarrasins avoient tranchés et occis et qui » étoient encore sur terre et puoient merveilleusement. >> Le bon roi doux et débonnaire, quand il vit cela eut » grande pitié en son cœur et fit aussitôt laisser tous les >> autres travaux et fit creuser des fosses dans les champs

ja ne se estoupast, et les autres se estoupoient. Il fist venir ouvriers de toutes pars, et se remist à fermer la cité de haus murs et de grans tours; et quant nous venimes en l'ost, nous trouvames que il nous ot nos places mesurées il son cors là où nous logerions. La moy place il prist delez la place le conte d'Eu, pour ce que il savoit que le conte d'Eu amoit ma compaignie.

306. Je vous conterai des jeus que le conte d'Eu nous fesoit. Je avoie fait une meson, là où je mangoie moy et mes chevaliers à la clareté de l'uis or estoit l'uis au conte d'Eu; et il qui moult estoit soutilz, fist une petite bible que il getoit ens; et fesoit espier quant nous estions assis au manger, et dressoit sa bible du long de nostre table, et nous brisoit nos pos et nos

vouerres.

307. Je m'estoie garni de gelines et de chapons; et je ne sai qui li avoit donné une joene | oue, laquele il lessoit aler à mes gelines, et en avoit plustôt tué une douzaine que l'en ne venist illec, et la femme qui les gardoit batoie l'oue de sa gounelle.

<X>

[Il fit venir des ouvriers de toutes parts et se remit à fortifier la cité de hauts murs et de grandes tours; et quand nous vinmes au camp, nous trouvâmes qu'il avoit mesuré lui-même les places | là où nous logerions; il avoit marqué la mienne près de la place du comte d'Eu, parce qu'il savoit que le comte d'Eu aimoit ma compagnie *.]

306. Je vous conterai les tours que le comte d'Eu nous faisoit. Je m'étois arrangé une maison là où je mangeois moi et mes chevaliers, à la clarté du jour qui venoit par la porte; or, ma porte donnoit sur le logement du comte d'Eu; lui qui étoit moult adroit, fit une petite balliste avec laquelle il tiroit dans ma maison; il faisoit épier quand nous étions à manger, et dressoit la balliste le long de notre table et nous brisoit nos pots et nos verres **.

307. Je m'étois approvisionné de poules et de chapons, et je ne sais qui lui avoit donné un pe

» et dédier là un cimetière par le légat et par les évê>>ques, pour enterrer les morts qui gisoient sur le ri»vage de la mer. Le roi Louis y aida de ses propres >> mains à enterrer les morts. Il prenoit les pieds et les >> mains, les bras et les jambes des corps occis et tran>> chés qui puoient fortement et les mettoit en tas et les >> faisoit porter aux fosses moult dévotement. Aucunes >> fois il arrivoit que les morceaux des corps tranchés » étoient si pourris que quand on les prenoit pour les >> mettre en tas, ils tomboient à terre et rendoient une >> si grande puanteur qu'à peine trouvoit-on quel>> qu'un qui voulût y mettre la main. Le roi fit louer >> des paysans et des ânes qui portoient tous les tas aux >> fosses, et pendant les cinq jours qu'on mit à enterrer »>ies morts, il venoit tous les matins après sa messe au » licu, et disoit à ses gens: « Allons ensevelir les mar

308. Tandis que le Roy fermoit Sayete, vindrent marchéans en l'ost, qui nous distrent et conterent que le roy des Tartarins avoit prise la cité de Baudas, et l'Apostole des Sarrazins qui estoit sire de la ville, lequel en appeloit le Califre de Baudas. La maniere comment il-pristrent la cité de Baudas et du Calife, nous conterent les marchéans, et la maniere fu tele.

309. Car quant il orent la cité du Calife assiégée, il manda au Calife que il feroit volentiers mariage de ses enfans et des siens; et le conseil leur luerent que il s'accordassent au mariage. Et le roy des Tartarins li manda que il li envoiast jusques à quarante personnes de son conseil et des plus grans gens, pour jurer le mariage; et le Calife si fist. Encore li manda le roy des Tartarins, que il li envoiast quarante des plus riches et des meilleurs homes que il eust ; et le Calife si fist. A la tierce foiz li manda que il li envoiast quarante des meilleurs que il eust, et il si fist. Quant le roy des Tartarins vit que il ot touz les chevetains de la ville, il s'apensa que le menu peuple de la ville ne

tit oursin ***, qu'il làchoit sur mes poules; il en avoit plutôt tué une douzaine qu'on n'eût été pour en prendre une, et la femme qui les gardoit battoit l'oursin avec son tablier.

308. Pendant que le roi fortifioit Sayette, il vint au camp des marchands qui nous dirent et contèrent que le roi des Tartares avoit pris la cité de Bagdad et le pape des Sarrasins qui étoit seigneur de la ville et qu'on appeloit le calife de Bagdad. Les marchands nous contèrent comment ils prirent la cité de Bagdad et le calife, et la manière fut telle.

309. Car, quand ils eurent assiégé la cité, le roi des Tartares manda au calife qu'il feroit volontiers le mariage de ses enfants et des siens, et le conseil du calife fut d'avis qu'il se devoit accorder au mariage; et le roi des Tartares lui manda qu'il lui envoyàt jusqu'à quarante personnes de son conseil et des plus grands person

>>tyrs qui ont souffert la mort pour notre Seigneur, et ne >> vous lassez pas de le faire, car ils ont plus souffert que >> nous n'avons fait. » Là étoient présents, en habits de >> cérémonie, l'archevêque de Tyr et l'évêque de Da>> miette, et leur clergé qui disoit le service des morts; >> mais ils bouchoient leur nez à cause de la puanteur, >> mais oncques ne fut vu le bon roi Louis boucher le >> sien, tant le faisoit courageusement et dévotement. » Ces détails sont ou omis ou seulement indiqués dans les autres éditions.

** Pierre de Rieux ni Mesnard ne parlent de ces tours du comte d'Eu.

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